Isabelle Autissier« Cette crise nous apprend qu’on n’est pas les rois de la piste ! »

Isabelle Autissier
Première femme à avoir accompli un tour du monde à la voile en solitaire, la navigatrice installée à la Rochelle, est aussi la présidente du WWF-France (ou Fonds Mondial pour la Nature). Depuis des années, elle met sa notoriété et ses convictions au service de l’écologie. Son regard sur la crise liée au Covid-19 est éclairant. Entretien.

Par Valérie Domain

Publié le 04 avril 2020 à 16h03, mis à jour le 04 mai 2023 à 18h23

Vous qui avez connu de longs moments de confinement en mer, que vous inspire cette période ? Comment la vivez-vous  ?

Ce que j’ai vécu en mer n’a rien à voir avec ce confinement obligatoire. Mes courses en solitaire, je les ai toujours choisies. Ici, on parle de la moitié de la population mondiale contrainte au confinement, dans des conditions parfois difficiles, d’incertitudes économiques aussi.

Moi tout va bien, j’ai une petite maison, un petit jardin, je ne m’ennuie pas, je travaille, j’ai beaucoup d’échanges, de contacts que ce soit par téléphone ou en visioconférence, je fais partie des privilégiés.

Vous êtes présidente du WWF, le fonds mondial pour la nature. Pour vous, les atteintes à la biodiversité, les rapports de l’homme à la nature, sont à l’origine de cette crise, pourquoi et quelles leçons pensez-vous que nous devons en tirer  ?

Ce n’est pas que ça, mais c’est la raison première.

Lorsqu’on laisse les populations animales vivre dans leur milieu, chaque population est plus ou moins vaccinée naturellement. Or, de plus en plus de milieux naturels ont été détruits par nos modes de consommation et de production, les Hommes sont de plus en plus en contact avec des animaux sauvages.

Toutes les grandes pandémies nous l’ont appris, c’est à peu près le même schéma  à chaque fois : ce rapprochement favorise le passage de micro-organismes, de virus et de bactéries, des animaux vers les hommes et inversement.

Il faut bien se rendre compte que l’être humain a bouleversé 66 % de la terre et 40 % de la mer, ce ne sont pas quelques endroits à droite à gauche, mais les deux tiers de la planète !

Vous dites : « Lorsqu’on laisse la nature en paix, elle renaît. » Mais ce n’est qu’un répit. Que devrons-nous changer dans nos comportements après la crise  ?

On a une fenêtre d’opportunités incroyables, car tout à coup les États débloquent des centaines de milliards pour lutter contre cette crise.

Donc, par exemple, quand on va donner de l’argent aux entreprises pour redémarrer, on peut faire en sorte que ce soit sous conditions.

Un outil vient d’être voté par l’Europe  : une nomenclature de toutes les activités économiques qui les classe en vert ou en marron selon leurs efforts écologiques. L’idée au départ était de demander aux entreprises d’ici deux ans de faire l’inventaire de leur activité en fonction de cette typologie. Faisons-le dès maintenant  !

Et répartissons l’argent en fonction de ça. La nomenclature existe, il faut s’en servir, et pousser dès aujourd’hui à l’évolution verte, favoriser l’économie qui respecte la biodiversité de la planète.

Sinon, on revivra comme avant : une autre épidémie, des désastres climatiques.

Isabelle Autissier

Cette crise peut-elle faire l’effet d’un électrochoc ?

Peut-être, car les citoyens, les États…peuvent avoir envie de vivre dans de bonnes conditions.

Cette crise  nous apprend qu’on n’est pas les rois de la piste ! Il y a bien entendu un paquet de gens qui diront qu’il ne faut pas ajouter de contraintes au redémarrage économique qui est essentiel, mais il faut une vision sur le long-terme, réfléchir au-delà de la finance.

La vie, ce n’est pas seulement dans les 10 minutes qui viennent… Puisqu’on vit ce drame, faisons en sorte d’en tirer quelque chose de positif.

D’autant que le premier confinement a provoqué des effets inattendus  : la baisse du trafic maritime dans le port de Cagliari, en Sardaigne, a permis le retour des dauphins ; à Venise, les eaux du Grand Canal sont redevenues limpides avec l’arrêt du commerce des bateliers, dans le parc national des Calanques, près de Marseille, on a constaté une fréquence d’animaux quasi inédite…

Quand on ralenti la cadence, ça marche  ! Mais dès la reprise, il y aura un déferlement publicitaire pour “vite, vite“ faire ceci, faire cela, avoir ceci ou cela.

Et les canaux de Venise verront de nouveau des milliers de personnes défiler pour s’aérer l’esprit.

Donc, il faut devenir raisonnable ?

Pas raisonnable, mais tout est question de plaisir et de bonheur, et ce n’est pas un bonheur d’être confiné.

Le bonheur, c’est d’aller et venir comme on veut, mais on ne peut pas faire ça n’importe comment, la planète a des limites, donc il s’agit de s’adapter collectivement. Il faut arrêter de penser que l’écologie est punitive, c’est juste une façon de penser autrement.

Et selon vous, c’est en arrêtant de vouloir tout et tout de suite, de suivre aveuglément nos désirs… redonner du sens à nos vies en quelque sorte ?

L’humain a su s’adapter, changer de nombreuses fois, on ne vit plus comme au Moyen-âge. Ce n’est pas un problème.

On peut avoir plein de désirs sans toujours vouloir posséder ; avoir des désirs sans y répondre aveuglément. Est-il vital de prendre l’avion pour aller passer un week-end aux Baléares ?

Quel est l’intérêt d’avoir une perceuse chez soi quand on s’en sert quelques heures par an, on peut aussi bien aller en emprunter une chez son voisin qui lui est un grand bricoleur plutôt que de l’acheter ?

Nous sommes des animaux sociaux. Nous sommes faits pour vivre ensemble.  On a besoin les uns des autres.

Après, ce n’est pas toujours idyllique, mais il faut remettre de la vie dans nos vies.

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Vous aimerez aussi…

Angélique : « Éduquer par le sport, c’est aussi casser les clichés. »

Elle permet à tous d’accéder à une activité sportive. Angélique est éducatrice sportive en collectivité territoriale dans un milieu rural où les installations sportives peuvent venir à manquer. Elle apporte son savoir-faire, son matériel et son naturel généreux aux enfants qui découvrent alors une activité amusante et enrichissante en-dehors des heures d’école. Une belle école de la vie… sur des rollers ou dans une sacrée partie de hockey !

Lire plus »
Serena Williams, This is the end…

Serena Williams, this is the end…

C’est désormais officiel, sa carrière va prendre fin. Après un dernier US Open fin août, Serena Williams bouclera quatre décennies de succès. En simple comme en double, avec ou contre sa sœur, elle est devenue une, si ce n’est LA référence, du tennis féminin. Décryptage d’une icône en 5 infos.

Lire plus »
i'm sorry majolie mccann

« I’m sorry » ou le sarcastique cri des sportives

C’est l’histoire d’un clip engagé, créé par un couple de jeunes cinéastes au fin fond du Québec et qui devient viral. L’histoire d’une vidéo tournée à la demande d’un coach de soccer qui milite pour l’égalité des sexes dans le sport. C’est l’histoire d’une vidéo qui claque.

Lire plus »
Isabelle : « Continuer le sport fait partie de ma lutte contre le cancer du sein. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une étude sur les corps féminins musclés à l’extrême, une crossfiteuse qui combat la maladie par le sport (Isabelle sur notre photo), une nouvelle chronique philo signée Marie Robert, un récap’ de la dernière compet de ballon ovale, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! Bonne (re)découverte !

Lire plus »
Camille Prigent

Camille Prigent : « Le kayak, ça t’apprend la résilience… »

Tombée dans la marmite tourbillonnante du kayak quand elle était petite, la kayakiste de 22 ans semble voler sur l’eau depuis son titre aux JO de la Jeunesse et ses victoires en championnats nationaux, européens et mondiaux. La tête sur les épaules et armée d’une motivation sans faille, Camille Prigent trace avec détermination son sillon pour Paris 2024.

Lire plus »
Marguerite Broquedis La Déesse du tennis trop vite éclipsée par la Divine Lenglen

Marguerite Broquedis, la Déesse du tennis trop vite éclipsée par la Divine Lenglen

Elle a régné sur le tennis hexagonal quelques années avant que Suzanne Lenglen ne rafle tout sur son passage. Tout comme « la Divine », Marguerite Broquedis a, elle aussi, marqué de son empreinte l’histoire de son sport. La « Déesse », sacrée deux fois en simple, Porte d’Auteuil, à une époque où les Internationaux de France étaient réservés aux seuls joueurs du cru, est également la première Française à avoir été sacrée olympique et ce, toutes disciplines confondues.

Lire plus »
Le skating ? Cékoiça ?

Le skating ? Cékoiça ?

On ne parle pas ici de skateboard, mais de sport de glisse. Les amateurs de ski de fond comprennent ce terme, mais les novices moins. C’est quoi, à votre avis ? Les sportifs et sportives, les coachs, ont leur langage, selon les disciplines qui, elles aussi, sont régies par des codes. Place à notre petit lexique pratique, le dico « Coach Vocab ».

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

WordPress Cookie Notice by Real Cookie Banner