François Gabart « Le nombre de femmes dans la course au large est très faible et c’est un vrai problème. »

François Gabart  : « Le nombre de femmes dans la course au large est très faible et c’est un vrai problème. »
Lancé sur les traces du trophée Jules-Verne à la barre de SVR Lazartigue depuis quelques jours, François Gabart, figure emblématique de la course au large, vainqueur du Vendée Globe 2012, milite pour plus de représentation féminine dans la voile et a monté, pour ce faire, le projet UpWind by MerConcept.

Publié le 03 décembre 2024 à 9h22, mis à jour le 03 décembre 2024 à 9h27

Tu as lancé le projet UpWind by MerConcept qui a pour but de favoriser la mixité dans la course au large et l’Ocean Fifty dont tu es propriétaire a bouclé les deux dernières étapes du circuit OceanFifty 2024 en octobre. C’est le premier chapitre d’une aventure que tu as lancée en début d’année avec l’ambition de féminiser cet univers. Quel regard portes-tu sur ces débuts ?  

On est très contents de cette première saison. Nous n’avons pas un bateau de toute dernière génération et on a lancé le projet assez tardivement, ce qui fait qu’il est difficile d’aller chercher les premières places, mais malgré cela, les filles ont régulièrement joué devant comme lors la Med Mac, l’avant-dernière course de la saison.

Tout cela est super encourageant et on très satisfaits d’avoir lancé le projet. Nous avons réussi à faire naviguer pas mal de filles sur le trimaran et c’est ça aussi la philosophie d’UpWind by MerConcept : faire naviguer un maximum de femmes afin qu’elles puissent monter en compétence avec, en ligne de mire, une skipper pour la Route du Rhum 2026. 

Les 8 navigatrices de l’équipage Ocean Fifty Upwind…©UpWind by MerConcept

Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans un tel projet. Est-ce que tu l’avais déjà en tête lorsque tu t’es porté acquéreur du bateau ?

Ça fait plusieurs années qu’on regarde cette classe d’Ocean Fifty avec MerConcept. Ce sont des bateaux super intéressants, assez accessibles en termes de prix et complémentaires des catégories sur lesquelles nous étions jusqu’alors. Ce qui nous a également motivé à nous lancer dans cette aventure c’est un constat que nous avons fait, Cécile Andrieu, team manger du projet SVR, et moi, au départ la Route du Rhum 2022.

À l’époque, il y avait cent-quarante bateaux au départ mais seulement six femmes parmi les participants et aucune en multicoque, que ce soit en Ultim ou en Ocean Fifty. Quand on parle Route du Rhum, on pense forcément à Florence Arthaud, vainqueur dans la catégorie multicoque en 1990 or, ce qui est incroyable c’est que, statistiquement, les femmes ont de meilleurs résultats que les hommes en course au large mais, en termes de représentativité, leur nombre est très faible et ça, c’est un vrai problème.

©Guillaume Gatefait

Entre dresser un constat et s’engager pour que les choses changent, il y a un gouffre. Qu’est-ce qui t’a poussé à franchir le pas ?

Nous travaillons pour essayer d’avoir des projets de course au large puissants et celui-ci nous paraissait aller dans ce sens. Nous ne sommes pas des pionniers, il y a eu plein de projets comme celui-ci dans l’histoire. Quoi qu’il en soit, ça ne nous paraissait pas si compliqué à mettre en place et ce d’autant plus que nous avions la chance de pouvoir investir dans un bateau et déchanger avec des partenaires sensibles, eux aussi, à ce sujet.  

©Gregory Voivenel/Gwen Cahue

Tu dis de la représentation féminine en course au large que c’est actuellement le statu quo. Est-ce que cela signifie qu’il y a eu un âge d’or pour les femmes marins ?  

Non, je ne pense pas même si elles sont trop peu nombreuses pour que l’on parvienne à faire des statistiques. Ceci étant, il y a toujours eu des femmes extraordinaires dans le domaine de la course au large et notamment ces trente dernières années. J’évoquais Florence Arthaud dans les années 80-90, il y a également eu Ellen McArthur, deuxième du Vendée Globe en 2000, il y a bientôt vingt-cinq ans…

Mais aussi Isabelle Autissier, Catherine Chabaud, Sam Davies… On ne peut que se réjouir aujourd’hui des bons résultats des femmes et il n’y a qu’à regarder le Vendée Globe en cours au moment où l’on se parle pour s’en convaincre puisqu’il y a trois femmes, à ce stade de la course, dans les douze premiers du classement alors qu’elles ne sont que six à avoir pris le départ.

Il y a toujours eu des femmes en course au large et elles ont toujours obtenu de bons résultats féminins mais leur représentation avoisine seulement les 3 à 5 %, les 10 % dans le meilleur des cas, ce qui est beaucoup trop peu. 

L’équipage Trimaran SVR Lazartigue pour le Jules-Verne, avec Amélie Grassi… ©Pauce

Lorsque tu as lancé ton programme de détection, tu as reçu 120 candidatures de femmes basées dans tous les endroits du globe. Est-ce que tu t’attendais à pareil succès ?

On imaginait qu’il y avait un besoin et quelque chose à faire mais, en ce qui concerne le nombre de candidatures et l’internationalisation des candidatures, on ne s’attendait absolument pas à ça. À travers toutes ces candidatures, on a pu constater que l’accès à la voile était d’autant plus difficile pour une femme si cette dernière venait de l’étranger. 

©Qaptur

Comment expliquent-elles ces difficultés d’accès à la course au large ?  

Malgré les femmes que j’ai citées plus haut et qui ont obtenu des résultats incroyables, cette faible représentativité des femmes en course au large fait que les plus jeunes ont moins de rôle modèles. C’est pour ça qu’il est important qu’il y ait plus de représentation, pour que les jeunes filles, celles qui font de l’Optimist, puissent se projeter dans un métier marin.

Il y aussi autre chose qui peut expliquer ce phénomène : il y a moins de demandes de la part des filles lors des stages de voile. Dire pourquoi et à quel moment ça intervient, je ne sais pas. Pourtant, il y a trente ans, quand je faisais de l’Optimist, on n’était pas à 50/50 certes, mais il y avait bien 40 % de filles.  

©Guillaume Gatefait

Tu évoques ton espoir de voir d’autres écuries suivre ton exemple. Il y a, depuis quelques temps, des initiatives qui vont dans le même sens, elles sont le fait de sponsors ou de directions de course qui imposent la mixité. Toutes ces initiatives s’apparentent à des quotas. Faut-il en passer par là pour avancer sur le chemin de la mixité ?

C’est un vrai sujet débat et de discussions mais il faut être pragmatique, ça fonctionne. Il existe des courses avec des quotas dans la course au large et ça favorise l’accès des femmes, alors il faut le faire. D’un autre côté, je n’ai pas envie non plus d’accabler la course au large parce que, avec ces initiatives-là, elle permet aux femmes de performer même si, se dire qu’il y a six participantes sur cent-cinquante au départ de la Route du Rhum n’est pas satisfaisant.

©Pauce

Parmi les skippeuses qui ont candidaté pour UpWind by MerConcept, il y a Amélie Grassi que tu vas embarquer à bord de l’Ultim SVR Lazartigue sur le Trophée Jules Verne. Vous serez six et elle sera la seule femme. Pourquoi elle ?

Il y a très peu de femmes qui naviguent ou qui ont navigué en Ultim ces dernières années et Amélie Grassi en fait partie. Elle a de l’expérience sur pas mal d’autres supports également et une capacité d’adaptation puisqu’elle est parvenue à trouver sa place, à s’intégrer dans un équipage qui navigue ensemble depuis longtemps. Au-delà d’Amélie, j’ai essayé de faire un équipage complémentaire avec des âges différents, des expériences différentes, des profils différents, des compétences différentes mais avec un objectif et un langage commun. Je trouve que nous sommes très complémentaires et quelque part, la mixité fait partie de la complémentarité.  

Amélie Grassi…©Polaryse

Quand on part pour plusieurs semaines en mer, la mixité induit forcément une approche différente de la promiscuité, comment on gère ça ?

Il est vrai que nous allons naviguer sur un grand bateau mais avec une zone de vie relativement réduite. Il faut gérer la promiscuité de manière globale et je pense que la présence d’Amélie, la présence de mixité, fait que le bien vivre ensemble me semble plus facile et plus efficace et ce jusque dans les relations que nous entretenons entre mecs.

C’est une première pour toi de naviguer en équipe mixte en course au large ?

Oui, c’est une première. J’ai fait plein de de courses en dériveur, de tours de France à la voile et là, il y avait de la mixité, mais ça n’a jamais été plus qu’une transat.  

Alexia Barrier

Le Jules Verne a été créé par Florence Arthaud et Titouan Lamazou, Florence Arthaud n’a jamais pu y participer mais certaines lui ont emboité le pas. Il y a eu Tracy Edwards en 98 avec un équipage 100 % féminin, Ellen Mc Arthur en 2003, Dona Bertarelli avec son mari en 2015 et pour 2025, il y a Alexia Barrier qui tente de nouveau le 100 % féminin à bord du Famous Project. Tu suis son projet avec attention ?

Bien sûr, on suit le projet d’Alexia Barrier avec attention sans être dans une quelconque rivalité, au contraire, je pense qu’il peut y avoir de la complémentarité sur nos projets. Pour le reste, il vrai que dans l’histoire du Jules Verne, il y a eu des projets féminins et souvent 100 % féminin d’ailleurs. Malgré tout, je ne sais plus combien il y a eu de tentatives de Jules Verne ces trente dernières années, une quinzaine il me semble, mais là encore, la mixité reste une exception

©Thierry Martinez

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