Amélie Grassi « Avec le Jules-Verne, c'est la première fois que l’on fait appel à moi sans qu’il y ait d’obligation de quotas féminins. »

Amélie Grassi : « Avec le Jules-Verne, c'est la première fois que l’on fait appel à moi sans qu’il y ait d’obligations de quotas féminins. »
Elle a un débit de mitraillette, de l’humour à revendre et cette envie folle de prendre le large. Amélie Grassi, 30 ans, a été choisie par François Gabart pour l’accompagner dans sa tentative de record du trophée Jules-Verne dont le départ a été donné ce 29 novembre. Seule femme à bord, elle est aussi l’une des rares à avoir osé tenter l’aventure.

Par Sophie Danger

Publié le 29 novembre 2024 à 17h38, mis à jour le 30 novembre 2024 à 9h23

Tu t’apprêtes à accompagner François Gabart dans sa tentative de record du trophée JulesVerne. Tu seras la seule femme à bord et l’une des rares à vivre cette aventure. Est-ce que cette année 2024 marque un tournant dans ta carrière de marin ?

Oui, cette année marque un tournant dans ma carrière dans le sens où, professionnellement, c’est la première fois que l’on fait appel à mes services pour travailler dans une équipe prestigieuse et ce, sans qu’il y ait dobligations de quotas féminins. Jusqu’alors, j’ai collaboré avec La Boulangère Bio, qui a été mon partenaire principal pour mon projet Class40 durant les quatre années qui viennent de s’achever, et qui sponsorise uniquement du sport féminin. Il y a également eu Biotherm, avec qui j’ai participé à The Ocean Race, le tour du monde en équipage, et , il y avait un quota féminin.

Enfin, j‘ai beaucoup navigué en Ultim aussi mais dans ce cas précis, même si la place ne m’a pas été donnée, c’est ma famille qui gère le projet. Je suis convaincue que ces initiatives déclenchent le recrutement même si ensuite, en ce qui concerne le travail proprement dit, il n’y a pas de différence entre homme et femme, ceci étant, pour le Jules-Verne, c’est la première fois que des gens qui ne sont pas de ma famille, des gens qui n’ont pas de quota à respecter, me font bosser en tant que marin pro et psychologiquement, ce n’est pas tout à fait la même chose

@Pauce

Est-ce que l’on peut dire que c’est la première fois où tu te sens reconnue en tant que marin ?

Non, je ne dirais pas ça parce que, que ce soit avec La Boulangère Bio ou Biotherm par exemple, je me suis sentie légitime, reconnue, les gens étaient contents de collaborer avec moi et j’avais le sentiment qu’ils étaient satisfaits de mes prestations. Il reste que, symboliquement, c’est la première fois que j’ai un job dans une équipe où il n’y a pas de quota et c‘est quand même quelque chose parce que cela signifie qu’il n’y a pas besoin d’une justification à ma présence sur le bateau. C’est la première fois où on ne peut pas dire : « normal, c’est sa famille qui gère le projet », « normal, ce projet a toujours été réservé aux meufs ».

Tu évoques ta famille, très jeune, tu as baigné dans le milieu de la voile : ta mère, Sandrine Bertho, est navigatrice, ton père évolue lui aussi ce monde, l’un des tes aïeuls est terre-neuvas À quand remontent tes souvenirs de tes premières virées en bateau ? 

Des souvenirs de bateau, avec ma sœur, on en a plein et ils remontent à lorsque nous étions toutes petites. On naviguait avec nos parents, on sortait en mer avec nos grands-pères pêcher le maquereau à la traîne, on passait nos vacances d’été planquées au club de voile à faire plein de stages... On a toujours beaucoup navigué, c’est une passion de famille.

Amélie Grassi et sa soeur/Facebook

Au fil des ans, tu augmentes les doses de navigation et, pour ce qui est des bateaux, tu montes crescendo en taille.

Exactement, même si j’ai commencé la compétition assez tard, vers 12 ans. À l’époque, je faisais de la danse classique au conservatoire et, même si je n’étais pas brillante et que je ne prenais pas énormément de plaisir, c’était mon activité principale. Et puis, j’ai dû redoubler une classe. Il était clair, à cause de ça, que le plaisir allait totalement disparaître puisque j’allais être séparée de mes potes. À ce moment-là, au club de voile, les moniteurs m’ont demandé si je ne voulais pas faire de la régate en m’expliquant qu’il y avait un garçon qui cherchait quelqu’un avec qui naviguer en double en 420. Je me suisdit : pourquoi pas ? C’est arrivé comme ça. Par la suite, j’ai fait un peu d’équipage avec des copains à droite, à gauche et je me suis rendu compte que j’aimais ça et à partir de , c’est allé hyper vite.

C’est-à-dire ?

J’ai commencé à 11 ans et, à la fin du collège, je me suis rendu compte que j’adorais régater. J‘ai bossé dur pour rentrer dans un sportétudes à La Baule. Au début, j’étais à la ramasse par rapport aux autres en termes de niveau et ces deux années ont été, pour moi, un marathon durant lequel j’ai appris tous ces petits trucs de base – les stratégies, les départs… – que je n’avais jamais vraiment travaillé avant.

©Facebook

Tu avais déjà des envies d’évoluer dans la voile une fois adulte ou est-ce que tu as suivi ce cursus avant tout par passion ?

À 16 ans, l’idée de devenir sportive professionnelle ne m’a même pas traversé l’esprit. À la limite, je me disais que si je continuais dans cette voie, ce serait pour faire de l’olympisme mais cela signifiait être au top niveau, avoir un bon gabarit et j‘avais du mal à cocher toutes les cases. Je sentais bien que, pour moi, ça allait être compliqué. Quoi qu’il en soit, j‘étais bonne à l’école, j’aimais bien faire les choses afin que les gens soient contents de moi et, dans mon esprit, j’allais continuer à être une bonne élève afin de faire les meilleures études possibles pour avoir un super job et une vie bien carrée. Il n’y avait pas trop de place dans ma tête pour un chemin divergent.

C’est pour que tu embrayes avec des études de droit, d’abord à Nantes puis à Paris, et tu vas pousser jusqu’au Master 2. Tu vas laisser la voile derrière toi pendant un temps

J‘avais postulé à Sciences Po mais je n’ai pas été prise et j’étais un peu déçue. Je me suis dirigée vers le droit après avoir réfléchi à quelle voie me permettrait d’avoir le moins de matières obligatoires. À ce moment-là, je cherchais des petits projets pour essayer de revenir à la régate. Avec des copains, on avait monté un bon équipage en J80 et on avait un bon niveau national et international.

L’idée pour moi, c’était de m’inscrire dans un cursus universitaire dans lequel il n’y avait pas de trop d’heures pour me laisser le temps de naviguer et puis ensuite, aviser. Contre toute attente, le droit a été une révélation et, en 3e année, j’ai décidé de lever le pied sur les régates pour partir à Paris et faire du droit du travail, ma nouvelle passion.

©Kresk/G.Gatefait

Tu vas revenir à la compétition par le biais de la Mini Transat. Comment ça s’est passé ?

Il y avait des potes de potes qui s’étaient mis à faire du mini. En 2015, je me souviens les avoir vu partir pour la Mini Transat et j’ai eu une montée d’émotion. J’ai pensé : « Wahouu, ce sont des chtarbés, c’est génial ce qu’ils font, moi aussi je vais faire ça. » Comme je suis quelqu’un de carré, je me suis dit malgré tout que j’allais finir mon droit avant de me lancer. Il se trouve que j’avais de super résultats, ce qui m’a ouvert de belles opportunités de thèse. Le souci, c’est que, si je me lançais dans une carrière de chercheuse universitaire, je savais que je m’engageais dans un parcours hyper exigeant et il y avait de fortes chances que je ne retourne jamais faire du mini.

Stratégiquement, il valait mieux que je prenne deux ans pour faire ma Mini Transat quitte, par la suite, à m’inscrire dans un autre Master 2 pour rentrer de nouveau dans les process de sélection de thèse et enseigner le droit dans la foulée. C’était un peu ça le plan dans ma tête.

Et ça ne va pas se passer comme ça

Pas trop

©Facebook

Cette envie de participer à la Mini Transat est un peu contradictoire avec ton manque d’affinités pour le large lorsque tu es étudiante. Tu disais qu’à l’époque, tu avais peur de détester le solitaire. Qu’est-ce qui t’a fait basculer ? 

En règle générale, quand je m’intéresse à un sujet, je peux trouver un peu tout passionnant, ça a été le cas avec le tricot il y a quelques hivers par exemple. En fait, j‘adore apprendre des trucs et à chaque fois, ça part dune brique d’intérêt comme pour le droit. Pour ce qui est de la Mini Transat, quand jai vu les concurrents partir, ils étaient quatre-vingts, ils étaient tout seuls sur des bateaux si petits et pourtant, en passe de traverser l’Atlantique alors même que certains m’avaient expliqué qu’ils n’avaient commencé à faire du bateau que deux ans auparavant.

Je me suis dit que c’était de la folie ce qu’ils étaient en train de faire, c’était de la folie aussi ce que ma mère avait fait avant eux. Mon intérêt est né de là et j’ai abordé le mini avec beaucoup d’humilité, en me disant qu’à tout moment je pouvais détester ça et que ce ne serait pas un échec pour autant parce que, à l’arrivée de la Mini Transat, c’est clivant : tout le monde est content de l‘avoir fait mais il y ceux qui veulent recommencer et il y a surtout ceux qui ne veulent plus jamais s’y frotter. 

©La Boulangère

Tu vas recommencer à enchaîner les courses et, en 2019, tu boucles la Mini Transat à la 8e place. Cette même année, une bonne âme vient à ta rencontre, Loïc Peyron, qui te propose de l’accompagner sur les courses en double du circuit Figaro dans l’idée de promouvoir la place des femmes dans le milieu de la voile. Est-ce qu’être une femme dans l’univers de la voile, t’avait parfois posé problème ?

Non, je n‘ai jamais eu trop à pâtir du fait d’être une femme dans ce milieu parce que j’ai la chance d’avoir un environnement familial hyper favorable, hyper sain. Nos parents nous ont toujours poussées et encouragées ma sœur et moi. Malgré tout, j’étais sensible au sujet et déjà bien imprégnée de pensée féministe à l’idée de voir que, concrètement, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui pratiquaient, de voir que certains garçons, et même si je n’en avais pas fait l’expérience, n’avaient pas un super à priori sur la pratique féminine 

Comment s’est faite la rencontre avec Loïc Peyron ?

Cétait très drôle. Un soir de semaine, j’étais passée dîner chez ma mère. Je scrolle sur mon téléphone à table, ce qui n‘est pas bien et là, je vois passer un article sur Loïc qui explique qu’il va refaire du Figaro et qu’il aimerait faire les courses avec un jeune parce qu’il a envie de transmission. Il précise qu’idéalement, il aimerait que ce soit une femme parce quil voudrait qu’il y ait plus de mixité dans le milieu.

Pendant que je lis, je pense à voix haute et je dis : « Tu imagines ? La jeune femme qui va se retrouver à faire les courses en double avec Loïc Peyron ? C’est dingue ! ». À ce moment-là, le compagnon de ma maman me dit : « J’ai le numéro de Loïc, je te l’envoie et tu l’appelles ». Pour moi, c’est juste impensable de faire ça, non seulement je ne suis personne mais surtout, je ne me vois pas appeler Loïc Peyron la légende, pour aller faire un tour de Figaro 3 avec lui alors que je suis en train d’apprendre à faire de la course au large sur mon mini de série

Amélie Grassi et Yves Le Blevec…©Facebook

Qu’est-ce qui t’a motivée à le faire malgré tout ?

Ma mère et Yves Le Blevec, son compagnon, m’ont beaucoup aidée dans le lancement de mon projet mini. Quand je leur ai annoncé que j’allais le faire, ils ne s’y attendaient pas du tout. Ils m’ont laissée me dépatouiller une petite année à essayer de trouver des partenaires, trouver comment acheter un bateau mais bon, je n’avais jamais gagné d’argent, je n’avais pas d’épargne, personne ne voulait me prêter, encore moins me donner de l’argent parce que je n’avais jamais fait de course au large.

Au bout d’un moment, ils m’ont proposé de m’aider à débloquer de l’argent pour pouvoir investir dans un bateau à condition que je le leur rende. Quand j’ai lu cet article sur Loïc, ils m’ont dit : « Écoute Amélie, nous on t’aide mais en retour, tu te dois de te donner les moyens. Alors Loïc, ça marche ou ça ne marche pas, on n’en sait rien mais par contre, tu l’appelles ! ». Je suis immédiatement montée dans ma chambre d’enfant et j’ai appelé en espérant qu’il ne décroche pas Et il a décroché.

La conversation s’est bien passée a priori

Oui, j’ai commencé par un timide « Bonjour monsieur » et je lui ai expliqué que c’était Yves Le Blevec qui m’avait filé son numéro, que je ne savais pas trop pourquoi je lappelais, que j’étais un peu désolée mais tout ça, c’était à cause de l’article dans le journal, que je faisais du mini, que j’étais en première année, que j’avais fait trois courses dans ma vie mais que, je ne sais pas, sur un malentendu, peut-être queEt là, il me répond que pourquoi pas et me dit qu’il pourrait peut-être venir naviguer sur mon mini. Là, j’ai halluciné. Je lui ai expliqué que j’avais un stage le lundi à venir et que j’avais rendez-vous à 9h à tel ponton à Lorient. Il me dit : « Ok, j’y serai ».  

Quand je suis arrivée le lundi matin, Loïc n’était pas là. Comme c’était un stage en double, tous mes partenaires me demandaient avec qui j’allais naviguer et moi, je ne voulais pas leur répondre, je ne voulais pas leur dire que j’allais naviguer avec Loïc Peyron alors qu’il n’allait peut-être jamais venir. Finalement, il est arrivé en cours de brief, à 9h15.

©Guillaume Gatefait

Comment s’est passée cette première navigation avec lui ?

On s’est super bien entendus sur l’eau, humainement et sportivement, c’était un super nave. Quand nous sommes revenus à terre, il m’a dit que c’était génial et il m’a proposé de le rejoindre la semaine d’après pour faire un petit tour en Figaro. À ce stade, il n’y avait aucun engagement de sa part, mais j’y suis allée et, pendant le convoyage, il m’a expliqué que ce qui était écrit dans le journal était vrai et que, si j‘étais motivée, il aimerait que l’on fasse les courses en double ensemble cette année. Je ne sais pas si c’est le fait d’être une femme ou pas -mais je pense que ça le fait plus aux femmes-, je n‘ai pas du tout imaginé que le jeune skipper qu’il cherchait pourrait être moi.

Heureusement qu’on m’a mis un petit coup de pied aux fesses parce que ça a été une super histoire. Loïc, effectivement, c’est la bonne âme, il avait très envie de transmission, il était méga sympa. On continue à se passer des petits coups de fil aujourd’hui encore et il est venu naviguer sur mon Class40 pour m’aider à le prendre en main, c’est génial.

©Polaryse

En 2020, tu t’orientes vers le Class40 et tu vas multiplier les départs en duo ou en équipe avec des femmes et notamment Anne-Claire Le Berre, Marie Riou, Samantha Davies, Hélène Noesmoen, Julia Courtois et Nolwenn Caze. Est-ce que l’on peut parler de choix délibérés, de choix politiques dans ces collaborations féminines ?

Non, ce n‘était pas un choix de ma part, c’était un choix de mon partenaire, La Boulangère Bio, mais j’ai su néanmoins me lapproprier. En fait, au début, j’ai vu ça comme une contrainte, je me disais que j’étais en début de carrière et j’avais envie de m’entourer des meilleurs pour apprendre le plus possible or, il se trouve que, malheureusement, dans ma discipline, il y a beaucoup moins de femmes, ce qui, mathématiquement, limite vachement le vivier de compétences.

Par la suite, je me suis mis une petite tape sur les doigts en me disant que si tout le monde réfléchissait comme ça, ce n’était pas étonnant qu’il soit si difficile de féminiser le milieu. Il faut s’ouvrir un peu l’esprit, apprendre différemment, on n’est pas obligé d’être qu’avec des rockstars

©Facebook

Tu vas donc t’entourer de partenaires féminines, la première, ce sera Marie Riou avec qui tu termines la transat Jacques-Vabre 2021 à la 9e place.

Ce qui est marrant, c’est que, au début, j’avais compris que c’était mieux de s’entourer de femmes, pas que c’était obligatoire. Lors du rendez-vous avec le patron de La Boulangère Bio pour choisir le coskipper qui m’accompagnerait lors de la Transat Jacques-Vabre en 2021, chacun de nous devait amener sa short list. Dans la mienne, il y avait cinq navigants dont une femme, Marie Riou, et il se trouve que Marie était également sur sa liste.  

Finalement, naviguer avec Loïc Peyron ou Marie Riou, est-ce que ça change quelque chose ? Est-ce qu’il y a une manière de skipper différente selon que l’on appartienne à un sexe ou à l’autre ?

Non, j‘ai trouvé qu’il n’y avait aucune différence entre hommes et femmes. Je me suis rendu compte, en multipliant les collaborations, que tout cela n’était pas lié au sexe mais que si différences il y avait, elles résultaient avant tout d’une histoire de tempérament : il y a des gens plus ou moins délicats, des gens plus ou moins attentifs aux autres, il y a des gens plus ou moins humains, des gens qui réfléchissent plus que d’autres…

©Guillaume Gatefait

Parallèlement à ces courses avec des partenaires féminines, tu fais une première incursion sur IMOCA en participant à deux étapes The Ocean Race 2022-2023 dans l’équipe Biotherm, menée par le skipper Paul Meilhat. Est-ce que l’on est venu te chercher ou est-ce que c’est toi, cette fois, qui a devancé l’appel ?

Eh bien, on dit que l’on apprend de ses erreurs et c’est vrai. Un jour, je glisse à l’occasion d’une conversation avec des potes que personne ne m’avait appelée pour l’Ocean Race. Une copine m’a regardé et m’a rétorqué sèchement : « Et toi ? Tu as appelé quelqu’un ? ». J’avais l’histoire de Loïc en tête et sa réflexion m’a fait réfléchir. Quand tu es dans ton truc, que tu ne te sens pas très légitime, tu n’oses pas et tu ne passes pas de coups de fil mais en fait, les mecs, eux, ils se battent pour leur place, ils osent, ils se positionnent. Je pense que nous, les femmes, on a moins de tendance à faire ça.

Je me suis dit finalement que j’avais pas mal navigué avec Anthony Marchand, le skipper du trimaran Actual, je savais qu’il était dans la bouche pour naviguer sur Biotherm, je savais qu’on aimait bien naviguer ensemble alors j’ai appelé Paul Meilhat en lui expliquant que j’étais très motivée.

©©Anne Beaugé/Biotherm

En 2024, c’est François Gabartqui croise ton parcours.  Tu participes à UpWind by MerConcept, un programme qu’il a mis sur pied afin de sélectionner un équipage 100 % féminin pour naviguer en Ocean Fifty aux côtés de la skippeuse italo-américaine Francesca Clapcich.

Au début, je crevais d’envie de candidater mais je ne l’ai pas fait parce que la semaine de sélection était programmée juste avant Le Village The Transat CIC. J‘avais des engagements avec La Boulangère Bio, mon partenaire, j’avais bien l’intention de les respecter et, pour cela, j’avais besoin d’être reposée sachant que j’avais encore beaucoup de boulot sur le Class40 pour être prête et qu’en termes d’image pour le sponsor, c’est un peu chaud de participer à des sélections alors que tu évolues déjà sous les couleurs dun partenaire.

Et puis, j’ai reçu un petit texto de quelqu’un de chez MerConcept qui me demandait pourquoi je ne postulais pas. Je lui ai expliqué mon problème de disponibilité et il m’a répondu que c’était hyper flexible pour les candidates qui, comme moi, avaient déjà des projets ou des métiers.

©Guillaume Gatefait

Et pour ce qui est de ton sponsor ? 

Je voyais la fin de mon contrat avec La Boulangère Bio se profiler et j’avais très envie de participer aux courses en Ocean Fifty qui devaient avoir lieu en fin d’année. J’ai décidé de me lancer, j’ai pris le temps de faire un dossier et je l’ai envoyé. La semaine de sélection terminée, il se passe une chose improbable : lors des entretiens individuels durant lesquels on t’annonce si tu es prise ou non, Guillaume, le mediaman de MerConcept, me demande si ça ne me dérange pas d’être filmée. Là, je commence à me faire un film en me disant que s’il me demande ça, c’est que ça doit le faire, je ne l’imagine pas me filmer en train de pleurer parce que j’ai échoué !

À ce moment-là, François entre dans la salle avec Cécile Andrieu, le directrice course au large. Ils m’expliquent que l’option Ocean Fifty va être un peu compliquée en raison de mon manque de disponibilités. Là, je cogite de nouveau et je me dis que c’est vraiment ça, je vais être filmée en train de pleurer ! Puis François prend la parole et m’explique qu’il va tenter de battre le record du Jules-Verne cet hiver et m’annonce qu’il aimerait bien que j’en sois.

©Guillaume Gatefait

Tu as pleuré ? 

Je n’ai pas pleuré mais j’ai eu un énorme sourire qui m’a barré le visage avec un air un peu bête. C’était génial, je venais pour voir si je pouvais faire une régate de cinq jours en Ocean Fifty et, à la fin de mon entretien, je chope une place pour tenter de battre le Jules-Verne ! C’était encore mieux que ce que je venais chercher et je me suis dit que j’avais trop de chance ! 

Le Jules-Verne, c’est un trophée qui été a co-créé par une femme, Florence Arthaud, mais dont l’histoire a été écrite en très grande majorité par des hommes. Tracy Edwards a tenté de s’adjuger le record en 98 avec un équipage 100 % féminin avant de démâter au large du Chili. Ellen Mac Arthur s’y est frottée en 2003, il y a également eu Dona Bertarelli aux côtés de son mari en 2015 et actuellement, il y a Alexia Barrier avec le Famous Project pour 2025. En cas de record, tu peux marquer l’histoire de la voile

Oui, carrément et d’autant plus que je ne me projetais pas du tout dedans. Pour mon entretien, j’avais préparé un PowerPoint et, dans ma dernière slide, je m’étais permis d’évoquer mes rêves en expliquant qu’un jour, je voulais faire le tour du monde sans savoir encore comment, peut-être que ce serait un Jules-Verne, peut-être un Vendée Globe mais, une demi-heure avant que François ne me propose de l’accompagner, tout cela restait dans la catégorie rêve à long terme.  

Est-ce que tu lui as demandé pourquoi il t’avait choisie ? 

Je n’ai pas osé, mais il y a chez François des choses que j’aime beaucoupet ça a peut-être joué, il faudrait l’appeler pour vérifier que je ne suis pas dans le faux. En premier lieu, il y a le fait que c’est un compétiteur de fou avec un très, très, très haut niveau de course au large, il est l’un des meilleurs marins du moment avec un super palmarès.

Et puis il y a aussi le fait qu’il est animé par l’envie d’élargir le prisme, de donner du sens à sa pratique sportive en transmettant à quelqu’un de plus jeune, en montant des projets féminins pour développer la mixité. Je pense que c’est un peu pour toutes ces raisons quil s’est dit que son sixième équipier pour le Jules-Verne devrait certes être quelqu’un de compétent mais surtout qu’il devrait être une femme 

©Pauce

Cette initiative de François Gabart fait écho à celles de La Boulangère Bio, de Biotherm, de Macifpour valoriser les femmes en course au large. Est-ce que tu as l’impression d’être tombée à un moment charnière ?

Oui, tout à fait, je suis arrivée au bon moment. Il y a plein de choses qui ont influé sur le cours de ma carrière sportive et parmi eux, il y a ma rencontre avec La Boulangère Bio, un partenaire qui a changé ma vie. Lorsque je m’aligne sur la Mini Transat, je termine certes 8e mais je ne gagne pas, je suis une des 80 ministes au départ et je ne mérite pas plus qu’un autre de choper un projet de Class40 avec un bateau neuf, un super budget de fonctionnement et une équipe à fond derrière moi.

Il se trouve que La Boulangère Bio est une entreprise qui a décidé que toutes ses actions, tous ses partenariats serviraient à promouvoir le sport et l’aventure au féminin parce qu’il n’y a pas assez de femmes qui s’autorisent ces rêves-là, qui s’autorisent ces carrières-là et ils ont envie d’être moteurs sur ce sujet. Des projets comme ça, avec des partenaires qui s’engagent dans cette voie, il n’y en avait pas avant. Nous sommes dans une période où des partenaires ont décidé de prendre les choses en main et d’impulser un élan.

©Facebook

Ta mère n’a pas pu en bénéficier

Pour ma mère, c’était complètement différent. Elle, elle a fait une Mini Transat, mais elle a gardé son travail en parallèle, comme mes parents étaient séparés, elle nous gardait également une semaine sur deux… Le mini, c’était le week-end, c’était les congés sans solde Elle ne cherchait pas de sponsor, elle n’avait pas de planning d’entraînement, elle avait un vieux bateau série et elle envisageait cette course comme un projet personnel.

La tentative de record du Jules-Verne doit avoir lieu avant la fin de l’année. Comment tu te sens à l’idée de te lancer dans ce défi incroyable ?

J‘ai trop hâte ! Avant de bien maîtriser le bateau, j‘avais un peu de mal à me rendre compte que tout cela était réel mais plus je navigue, plus ça devient concret, plus je m’intègre, et plus je me projette. Depuis la Finistère Atlantique Challenge, on commence tous à être rodés, calés, on aime travailler ensemble. À présent, je suis bien et je me sens prête à partir. Les questions que je me pose désormais concernent plus le volet personnel de cette aventure. La course au large, c’est très particulier dans le sens où tu ne pars pas une semaine mais quarante jours et tu ne sais pas quand…

©Guillaume Gatefait

Est-ce que le fait d’être la seule femme à bord est aussi un questionnement ?

Si tu parles d’intimité, ce qui est chouette là, c’est que nous avons un petit endroit cloisonné avec un rideau et derrière ce rideau, tu peux te changer, aller aux toilettesen toute intimité. Ça c’est le confort de l’Ultim par rapport à un IMOCA. Ce que j’appréhende plus ce n’est pas ça, c’est de laisser mon conjoint, et donc de faire en sorte que chacun d’entre nous le vive bien. Il va me manquer, c’est évident, mais il ne faut pas que ce soit quelque chose qui me bouffe. Je pense qu’il faut bien travailler sur tous ces sujets afin d’être à l’aise avec le fait de laisser ta maison, tes proches et faire en sorte que tout le monde vive bien cette séparation.

©Pauce

Ouverture ©Facebook

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