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Florence Arthaud Cette insatiable louve des mers

Florence Arthaud Cette insatiable louve des mers
Le 9 mars 2015, il y a tout juste six ans, l’aventurière perdait la vie dans un crash d’hélico. Avec elle, le mot marin s'était conjugué au féminin. À 33 ans, en 1990, l’intrépide à la crinière bouclée et au teint halé devenait la première femme à remporter la mythique Route du Rhum. Une entrée fracassante au sein du milieu testostéroné des « vieux » loups de mer. Une grande dame qui tracera la voie pour les autres navigatrices. Portrait-hommage d’une fille qui avait tant besoin de prendre le large…

Par Claire Bonnot

Publié le 09 mars 2021 à 6h52, mis à jour le 02 août 2023 à 17h33

Florence Arthaud a baigné toute son enfance dans les récits des grands navigateurs. La voile est, pour elle, une histoire de famille.

Née en 1957, elle est la fille de Jacques Arthaud, directeur de la maison d’édition grenobloise Arthaud durant les années 1970, éditeur des récits d’un Bernard Moitessier ou d’un Éric Tabarly. Naviguer est, pour elle, une éducation et une passion : elle commence très jeune avec son frère et son père et poursuit au club de voile d’Antibes.

Jamais, pourtant, Florence Arthaud ne sera considérée comme une fille à papa. « Elle appartenait à notre monde, elle y était biologiquement à sa place. Petit à petit, elle a creusé son tunnel dans ce métier de capitaine en solitaire, fait de victoires, de déceptions, de rêves et de mort. Elle s’est hissée à la force de ses mains de marin jusqu’au plus haut niveau, pas pour faire carrière, mais pour être heureuse. Et elle n’était heureuse qu’en mer », écrivit joliment son comparse, le navigateur Olivier de Kersauson, dans l’hommage de Paris Match, en 2015.

« J’ai besoin de prendre le large ». Voilà le mot qu’elle glissera sur son oreiller en quittant le domicile familial à 17 ans. Déjà, le goût de l’aventure !

Florence Arthaud vient de subir un grave accident de voiture – un coma et une paralysie s’en suivent – et une longue convalescence de deux ans. La mer l’appelle alors, comme une renaissance.

Encore fragile, elle effectue pourtant sa toute première traversée de l’Atlantique sur un bateau revenant de la Transat, avec Jean-Claude Parisis.

Elle a dix-huit ans, l’âge de tous les possibles. « Il me fait traverser l’Atlantique pour la première fois. C’est un véritable déclic pour moi. Je découvre les journées rythmées par les couchers de soleil ou les levers de lune, le temps suspendu, l’éternité de ces moments. Les étoiles, le ciel immense, la courbe de l’horizon, le monde sans fin, le murmure de l’océan, la compagnie des dauphins, le souffle des baleines. Tout est nouveau pour moi, tout a changé. Je me sens libre et légère. La terre ne me manque pas. Je viens de faire connaissance avec mon jardin secret, mon univers à moi. », écrira-t-elle dans son autobiographie « Un vent de liberté, mémoires« , Éditions Arthaud, en 2009.

©Musée national de la Marine/SDR

Son destin, elle le prend vite en main et ce sera à la barre d’un bateau qu’elle dirigera en solitaire. En 1978, à tout juste 21 ans, Florence Arthaud débute la grande aventure de sa vie : la Route du Rhum pour sa première édition tandis qu’elle est la benjamine de la course.

Novice et sans sponsor, ce p’tit mousse aux p’tites nattes qui a l’air de ne pas y toucher, termine la course en onzième position, deuxième de sa catégorie et première femme. « À Saint-Malo, au départ, j’étais la fille à papa à qui l’on avait payé un bateau pour son anniversaire », racontait-elle au Monde, en 2009.

Elle entre illico dans la grande famille des marins et devient « la petite fiancée de l’Atlantique » et… de la Route du Rhum.

Enchaînant quatre éditions, Florence Arthaud finit par s’imposer en 1990, à l’âge christique de 33 ans et face à certains des meilleurs skippers français et étrangers.

Le 18 novembre, elle remporte la Route du Rhum sur son grand trimaran doré baptisé Pierre-Ier, rejoignant Pointe-à-Pitre après 14 jours 10 heures et 10 minutes passés seule en mer, avec un nouveau record à la clé.

Devenant une héroïne des mers, elle est acclamée comme la première femme à s’imposer dans le monde très masculin de la voile. Et il faut dire que l’exploit est de taille tant elle en a bavé : privée de radio et de pilote automatique, Florence Arthaud a été sur le point de déclencher sa balise de détresse.

C’est là qu’elle apprend, à proximité de la Guadeloupe, qu’elle est en tête. Et ce n’est pas tout : elle révèlera plus tard avoir été victime d’une fausse couche pendant la course…

Sa force ? Elle n’en fait qu’à sa tête, avec un style « à l’arraché », dira Jean Le Cam. Fervente défenseure de la cause des femmes, engagée dans l’accès des femmes au monde de la voile, Florence Arthaud, au franc-parler légendaire, n’hésite pas à donner le fond de sa pensée : pour elle, naviguer, « ce (n’est) pas un métier de femme. C’est un univers rude, dur, où on est tout le temps sur les mers », confiait-elle en 2014, à l’AFP.

Mais un univers qui convient à son goût de l’aventure : « Et d’habitude, on recherche la stabilité et un avenir assuré. Moi je n’ai recherché que l’aventure et le frisson ».

Cette « grande gueule » qui a ouvert la voie aux femmes a, pour autant, toujours nié la réputation machiste du milieu de la voile : « On dit que les marins sont machos. Il n’en est rien. La navigation est un sport sensuel. Un art de vivre, une vraie philosophie. Les marins de tous genres aiment les femmes – ils en sont privés si souvent. Ils ont le goût de cette harmonie entre la violence et la grâce. »

Malgré cette traversée fantastique, le vent tourne : contexte économique délicat oblige, en 1992, son sponsor ne peut lui faire construire un nouveau bateau. Florence Arthaud ne retournera pas à l’eau chercher ses records de tour du monde.

Et puis, en 1993, c’est la naissance de sa fille, Marie. « Sa carrière s’est arrêtée très brutalement après la Route du rhum alors qu’on aurait pu penser que cette victoire marquerait un départ », expliquait l’une de ses contemporaines, Isabelle Autissier, dans Le Monde, en 2015.

Elle ne replongera dans les grandes courses au large qu’en 1997 en remportant la Transpacifique comme équipière de Bruno Peyron et ce jusqu’en 2007, pour la Transat Jacques-Vabre auprès de Luc Poupon, sa dernière grande course.

©DR

Faute de financements et de sponsors malgré sa renommée, elle doit faire une croix sur son désir de fêter le vingtième anniversaire de sa victoire en 2010 : « J’étais un peu dégoûtée. Ils avaient rouvert la course aux grands voiliers. C’était le 20e anniversaire de ma victoire et j’avais l’intention d’y participer sur un immense trimaran, Oman (30 m). Mais je n’ai pas réussi à avoir ce bateau, ils ont préféré le donner à un homme. Les mentalités n’ont pas évolué. Ça m’a définitivement dégoûtée et je me suis dit « bon, j’arrête ! » »

Elle restera à quai, mais n’hésitera pas à dénoncer cette situation : elle y voit la frilosité des sponsors « quand il s’agit de confier un gros bateau à une femme ». Depuis quelques années, la reine des transats, domiciliée à Marseille, jamais trop loin de son environnement naturel, privilégiait la navigation plaisir. « Elle reste quand même un monument », expliquait en 2009 au Monde son ami Jean Le Cam.

« Elle vivait comme un Phénix, au bord de la catastrophe, et toujours elle en réchappait », écrivait Olivier de Kersauson dans son hommage, en 2015, dans Paris Match. Avant de perdre la vie dans un accident d’hélicoptère alors qu’elle participe à l’enregistrement d’une émission de TF1, « Dropped », Florence Arthaud avait frôlé la mort par deux fois.

En 2011, c’est en tombant à l’eau, entre le cap Corse et l’île d’Elbe. « On peut dire que je suis une miraculée », dira-t-elle après avoir été repêchée plus d’une heure après en état d’hypothermie.

 

©DR/Twitter

Elle mène sa vie comme sur les mers : en intrépide, en courageuse, battant tous les flots : elle est une belle « aventurière » à la « vie de patachon », comme elle l’avouera elle-même, évoquant ses jeunes années avant l’arrivée de sa fille. « On n’avait rien, on n’avait pas de maison, on vivait sur nos bateaux. On avait une bande de copains qui était notre famille ».

Vivre d’amour et d’eau fraîche, en somme, comme le décrit si bien Olivier de Kersauson : « Les grandes bouffes, les soirées arrosées, les chansons de marins et de ratafia. Elle dévorait la vie au milieu de ces hommes qu’elle aimait, menant sa vie sentimentale comme elle menait son trimaran, avec passion et élégance ».

« Le truc de Florence c’était d’aller trouver des sponsors en boîte de nuit ! racontait Luc Le Vaillant à Paris Match en 2016. Elle se disait, on danse, on boit des coups et le lendemain on leur demande de l’argent… ! »

Un formidable culot et un tempérament de battante qui lui a ouvert les plus prestigieuses courses autour du monde : « Elle était talentueuse, attachante, mais parfois impossible », expliquait Olivier Peretié, journaliste de voile, dans ce même article. Entretenir des relations publiques l’ennuyait. » Une reine des mers incomprise à terre…

« Ces dernières années, Florence s’était ouverte à la cause féministe. Elle avait emmené des jeunes filles anorexiques découvrir la mer sur son bateau pour le projet « Croisières de guerrières » ou organisé la course  » Les voiles de la liberté » avec des équipages de femmes du Maghreb au Liban. », témoignait Catherine Chabaud, l’une de ses consœurs des mers, dans Le Parisien, en 2015.

Florence Arthaud avait pris la plume dans « Libération » où elle cosignait une tribune appelant à l’égalité des sexes, intitulée « Si t’es un homme ». Elle prévoyait d’ailleurs de monter à l’été 2015 « une course de femmes, pour les femmes », dont la première édition devait se dérouler en Méditerranée.

L’éternelle fiancée de la voile aura à jamais ouvert la voie aux femmes…

Ouverture ©DR/Twitter

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