Anne Saouter : « Des filles peuvent-elles être l’avenir du rugby ? »

anne saouter anthropologue

Par Anne Saouter, anthropologue*

Publié le 29 janvier 2020 à 16h33, mis à jour le 26 février 2025 à 18h01

A la fin de l’année 2018, les craintes de la Fédération Française de Rugby ont été confirmées par la raison du chiffre : le nombre total de licenciés continue à décliner. Son président, Bernard Laporte, l’annonçait ainsi avec regret. S’ensuivaient dans son discours des espoirs de reconquête nourris par la ferveur que suscitera la coupe du monde de rugby 2023, accueillie par la France, et par des actions de promotion en milieu scolaire visant à susciter l’émulation pour le ballon ovale.


Une augmentation de 13% des filles dans les écoles de rugby, chiffre validant pour sa part une tendance à la hausse depuis longtemps amorcée, ne remplit-elle pas déjà une partie de l’objectif ? Ce qui pourrait être une belle promesse d’avenir semble loin de satisfaire les sphères dirigeantes. Là où s’expriment le pouvoir et l’autorité -que l’opinion se rassure- le modèle de référence ne saurait fonctionner sans certifier la suprématie du masculin. Le rugby, c’est d’abord un sport d’hommes…

Pourtant, les femmes sont de plus en plus nombreuses à chausser les crampons et à prouver leur maitrise du jeu. Les supporters apprécient leur technique, leur jeu collectif qui fait « vivre » le ballon, leur enthousiasme et leur esprit sportif. Certains disent retrouver chez elles le jeu originel dont ils se souviennent avec nostalgie. Il en est même qui ne regardent plus qu’elles, trop déçus par le jeu des hommes. Longtemps absentes des écrans, les joueuses sont visibles aujourd’hui aux yeux du plus grand nombre, avec quelques transmissions de matchs aux heures de grande audience.

Sortir de l’ombre

Leur indéniable ascension ne doit cependant pas faire croire à une modernité sans faille, à l’impossibilité de retours en arrière. Si on se penche sur leur véritable histoire, non tronquée par la doxa journalistique, la plus communément partagée, on constate à quel point le parcours fût long pour enfin sortir de l’ombre. Beaucoup s’imagine que les femmes ont intégré depuis peu le rugby à son plus haut niveau de compétition. Leur premier match international a pourtant eu lieu le 3 juin 1982 , il y a presque quarante ans.

Une des plus anciennes équipes, les « bûchettes » de La Teste, furent championnes de France à quatre reprises (entre 1983 et 1988), et certaines de ses joueuses furent sélectionnées, plusieurs années d’affilée, pour la compétition internationale. Sur les murs du club house de la Teste-de-Buch, parmi les clichés et trophées d’équipes masculines, ne figure pourtant aucune trace de ces instants de gloire.

C’est ce même oubli que dénoncent de leur côté les footballeuses allemandes dans un clip promotionnel réalisé pour la coupe du monde 2019 : qui sait, y compris dans leur pays, qu’elles ont été championnes d’Europe à huit reprises ? Qui connaît leur nom, elles qui ont joué pour leur nation ? Elles, se souviennent en revanche du trophée de leur première victoire, un service à café…

Volonté d’exister

Cette interpellation ironique de l’histoire montre combien leur désir de conquête (du droit de jouer, du droit d’accéder aux installations sportives, du droit d’intégrer la fédération nationale, etc.) motive une tâche sans cesse remise sur le métier. Non dans un souci de perfection, mais simplement pour confirmer une vérité.

C’est comme si les joueuses étaient de perpétuelles pionnières, devant régulièrement réaffirmer la réalité de leur compétences et leur volonté d’exister.

Car, en observant l’histoire, on ne peut faire que l’amer constat d’une légitimité précaire. Les sportives, comme les femmes en général, ont souvent été dissuadées quand elles s’aventuraient en dehors du pré carré prévu à l’expression formatée de leur féminité.

Et quand tel n’était pas le cas, les aventurières ne bousculaient pas pour autant, de façon définitive (ou révolutionnaire), le cours d’une histoire décidée depuis toujours au masculin.

*Anne Saouter est anthropologue et s’intéresse à la question de la production des corps sexués dans les pratiques sportives. Auteure de « Des femmes et du sport » (éd.Payot).

Vous aimerez aussi…

Kids : C’est vrai que le sport est héréditaire ?

C’est vrai que le sport est héréditaire ?

Un jour, ta progéniture rentre de l’école très déçue : « Maman, la gym c’est trop dur ! » Pour la consoler, tu lui dis que, toi non plus, tu n’as ni équilibre, ni souplesse. Comme si nos capacités dans tel ou tel sport pouvaient être héréditaires… Allez, ABLOCK! vérifie !

Lire plus »
Béryl Gastaldello, 5 infos sur une sirène qui rêve grand

Béryl Gastaldello, 5 infos sur une sirène qui rêve grand

Exigeante, elle semble ne jamais se satisfaire de ses réussites. Béryl Gastaldello est une torpille fragile, qui attend sans doute trop d’elle-même. Mais sa présence aux Jeux Olympiques de Paris 2024 atteste bel et bien de son talent. Retour en 5 infos sur le parcours de cette olympienne dans l’âme.

Lire plus »
i'm sorry majolie mccann

« I’m sorry » ou le sarcastique cri des sportives

C’est l’histoire d’un clip engagé, créé par un couple de jeunes cinéastes au fin fond du Québec et qui devient viral. L’histoire d’une vidéo tournée à la demande d’un coach de soccer qui milite pour l’égalité des sexes dans le sport. C’est l’histoire d’une vidéo qui claque.

Lire plus »
Chamari Atapattu, l'inspirante cricket woman

Chamari Atapattu, l’inspirante cricket woman

Sport adulé dans les anciennes colonies anglaises, le cricket voit monter la notoriété d’une joueuse au talent indéniable. Chamari Atapattu brille batte en main depuis 2009. En club ou avec l’équipe nationale du Sri Lanka, elle écrit l’histoire de son sport.

Lire plus »
Fanny Blankers-Koen

JO 1948 : Fanny Blankers-Koen, « mère indigne » devenue star de la piste

On la surnommait « La ménagère volante ». Spécialiste du sprint, elle est la seule à avoir décroché quatre médailles d’or en une seule édition. Un palmarès d’autant plus bluffant à une époque où les femmes n’étaient pas les bienvenues dans les compétitions, encore moins les mères de famille. Récit d’une femme au foyer devenue femme médaillée.

Lire plus »
Corse coach vocab

Une Corse ? Cékoiça ?

Ça a un peu à voir avec l’île de Beauté, mais davantage encore avec le plongeon. Mais aucun lien avec l’univers de la natation. Alors, c’est quoi ? Une technique de défense en volley-ball ! Les joueurs, les coachs, ont leur langage, selon les disciplines qui, elles aussi, sont régies par des codes. Suite de notre petit lexique pratique, le dico « Coach Vocab ».

Lire plus »
Rikako Ikee

Rikako Ikee, la nageuse qui ne veut jamais perdre, même contre la maladie…

Elle a seulement 20 ans, mais entame déjà sa deuxième vie. Rikako Ikee, grand espoir de la natation japonaise, a bien failli ne pas participer aux prochains JO de Tokyo. Atteinte d’une leucémie diagnostiquée en février 2019, la sextuple médaillée d’or des Jeux Asiatiques de 2018 a dû batailler dix longs mois contre la maladie avant de revenir au premier plan. Portrait d’une battante.

Lire plus »
14 août 1982 Deux femmes en tête du Rallye du Brésil

14 août 1982 : deux femmes en tête du Rallye du Brésil

La conduite et la direction sont leurs atouts. Depuis quatre jours, pilotes et copilotes sont lancés dans la 4e édition du Rallye du Brésil. L’arrivée de la course est plus attendue que jamais. D’autant plus quand, dans la première voiture, deux acharnées sont à la manoeuvre, Michèle Mouton et Fabrizia Pons !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner