Amina Tounkara « Si j’ai pu être autant ouverte d’esprit, c’est grâce au sport. »

Amina Tounkara : « Si j’ai pu être autant ouverte d’esprit, c’est grâce au sport. »
Gardienne de handball semi-pro, militante, fondatrice de l’association Hand’Joy... Amina Tounkara multiplie les casquettes. En première ligne dès qu’il s’agit de l’accessibilité du sport aux femmes, elle se bat comme une louve pour les mettre en mouvement. Rencontre avec une fille ÀBLOCK! par définition.

Par Sophie Danger

Publié le 16 février 2023 à 13h30, mis à jour le 16 février 2023 à 21h19

Tu es handballeuse semi-professionnelle, tu évolues à Noisy-le-Grand, club de 2e division, et tu timpliques également en dehors des terrains à travers Hand’Joy. Cette association que tu as créée milite pour le sport au féminin à destination des jeunes filles et des femmes qui habitent dans les quartiers dits populaires. Comment est né ce projet ?

Jai un parcours, une histoire, un peu particulière avec le sport : jai eu beaucoup de difficultés à en faire parce que j’étais une fille.

Jai été contrainte darrêter très tôt ma petite carrière alors que j’y avais un avenir : on mavait sollicitée pour le sport étude mais je nai pas pu y entrer, ce qui ma conduit à arrêter le hand. Ça a créé un vide. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans rien.

On ne se rend pas compte, sur le moment, du temps que le sport nous prend. Quand on arrête, le choc est violent, on na plus de vie sociale car tout était centré autour du sport. Nos amis, nos sorties, nos week-ends, nos soirées.

À ce moment-là, tu te retrouves seule et tu demandes ce que tu vas faire de ta vie. Plus tard, jai fait des études en management du sport et, en Bachelor 3, on doit faire un projet d’étude pour une cause. Jai proposé à mon groupe de travail un événement hand pour les enfants malades.

©Noisy-Le-Grand handball/Creasport360

Comment passe-t-on dun évènement pour les enfants malades à une association pour les femmes ?

À l’époque, les enfants malades étaient une cause que je suivais beaucoup sur les réseaux sociaux. Je savais quOmar Sy avait une association qui leur était destinée. On les a contactés, les liens se sont très vite créés et puis il y a eu la Covid et le projet ne sest pas monté.

À ce moment-là, javais repris le hand et, une fois encore, je me retrouvais sans rien, à me demander ce que jallais faire de ma vie. Ça ma ramenée quelques années en arrière avec toutes les séquelles du passé.

Cest pour cela que jai choisi de créer une association à destination des filles et des quartiers populaires, parce que ce sont deux sujets qui me concernent, deux sujets qui ont été liés à ma pratique sportive.

Quand tu évoques tes difficultés à faire du sport, tu parles de ton père qui na pas voulu que tu poursuives en sport étude car, pour lui, ce n’était pas convenable ?

Cest ça. Mes parents sont Maliens et ils ont tout quitté pour venir en France, ils ont travaillé dur pour que lon puisse avoir ce confort avec mes frères et sœurs. Ils ne voyaient pas davenir dans le sport.

Laspect culturel nest pas anodin et le fait que je sois une fille a probablement accentué ça car, culturellement, chez nous, ça ne se fait pas.

Aujourdhui, si je me mets à la place de mon père, je comprends totalement son choix. Nous navons pas été élevés dans les mêmes conditions. Moi, jai cette double culture qui fait que ça m’a été compliqué dentendre son refus mais ça a été sa vérité à lui à ce moment-là.

Je lai subie un temps et je laccepte aujourdhui.  

©Denis Broyer

Est-ce que tu te considérais comme une militante avant Hand’Joy ou est-ce que tu les devenue concrètement grâce à ton association ?

Je pense que jai toujours eu dans lidée de réaliser des choses qui me touchaient profondément. Je ne parle pas beaucoup de moi et, à travers cette association, jai aussi voulu envoyer un message, montrer ce que jai pu traverser, ce que jai pu vivre, la réalité des choses.

Ça a été plus facile de le faire à travers une association car ça me permet de me confier de manière indirecte.

Ton but cest de tengager, de texprimer pour que ton exemple puisse servir à dautres ?

C’est exactement ça. Je veux aussi montrer que, si cet aspect culturel a joué dans mon parcours, il n’y a pas que ça qui empêche une fille de faire du sport, il y a aussi la société et le manque de considération pour le sport féminin, le manque de médiatisation.

Tout ça, ce sont des facteurs qui empêchent la pratique sportive. À travers Hand’Joy, je veux parler du sport-santé, mais je veux surtout témoigner de ce que le sport apporte. Moi, si j’ai pu autant voyager, rencontrer autant de gens différents et être autant ouverte d’esprit, c’est parce que j’ai fait du sport.

Quand on est dans notre quartier, on ne se fréquente qu’entre nous et on n’a, de fait, qu’une seule vérité. C’est aussi ça le message que je voudrais faire passer à travers l’association : montrer ce que le sport apporte au-delà de la pratique en elle-même. 

Entre temps, j’étais de retour sur le terrain, mes copines avaient besoin d’une gardienne. Je suis revenue pour le loisir, le plaisir. Aujourd’hui, je suis en Division 2 et j’ai réussi à tenir la promesse que je m’étais faite quand j’étais en Bachelor. 

©Noisy-Le-Grand handball

Tu penses que laccès au sport est encore plus compliqué pour les jeunes filles qui vivent dans ces quartiers ?

Oui, parce que je pense, encore une fois, quil y a un fort aspect culturel qui joue : les garçons ont plus accès à la pratique sportive, je ne pense vraiment pas avoir été un cas isolé.

Il est vrai que beaucoup de sportifs sortent des quartiers populaires mais cest parce quon se rattache beaucoup à ça, parce quon a, limite, que ça. Quand on fait des études, on ne nous tire pas vers des études qui font rêver.

Moi, toute ma scolarité, je me suis demandée pourquoi jallais à l’école et je lai compris très tard. Si tu ne le comprends pas, cest très compliqué de timpliquer dans tes études. Je ne savais pas ce qu’était le management du sport avant que je fasse des recherches moi-même.

À la place, on nous propose souvent des BTS classiques, on ne nous ouvre pas la porte qui nous mènerait vers dautres métiers, on ne nous permet pas de rêver. Et je ne lai pas accepté.

Ma professeure de terminale souhaitait que je minscrive au moins en BTS pour assurer mes arrières et je nai pas voulu parce que je ça ne me convenait pas. Jai préféré prendre le risque et me battre pour faire ce que je voulais.

Si je ne lavais pas fait, jaurais suivi cette voie, je naurais pas été heureuse dans mes études et jaurais probablement fait un boulot que je naurais pas aimé.

Hand’Joy cest une association qui a pour but d’éduquer. Comment on peut éduquer, changer les choses à travers le sport ?

On peut changer énormément de choses grâce au sport et surtout les mentalités. On a beaucoup da priori quand on est enfermé dans nos quartiers. On est entre nous et on ne voit rien dautre or, notre vérité, cest ce quon voit.

En ce qui me concerne, le hand ma permis de voir des gens qui viennent dautres horizons. Tu te rends alors compte quon est tous différents, quon na pas tous la même vie.

Là doù je viens, ce n’était pas étonnant que mon père ne mait pas laissée faire de sport. Quand tu vas ailleurs, tu vois que ce nest pas normal, qu’une autre a eu la chance de pouvoir le faire.

Encore une fois, le sport peut éduquer et changer les mentalités. Cest vrai quil y a beaucoup dinégalités dans les quartiers mais il y a aussi une réalité, les gens sauto-victimisent. On ne se donne plus forcément les moyens de réussir sous prétexte quil y a des discriminations.

Alors, oui, il y a des discriminations, oui le chemin va être plus dur pour nous mais ce nest pas une raison pour abandonner, pour ne pas réussir.

Cest aussi ce message que je veux faire passer à travers lassociation. 

Tu parles également d’émancipation. Là aussi tu penses que le sport peut-être un levier ?

Les filles ont un rapport très compliqué avec leur corps de manière générale. Il y a le regard des garçons, les critiques, les moqueries. Nous allons beaucoup témoigner auprès delles afin quelles se rendent compte quelles ne sont pas seules.

Je me souviens dune jeune fille qui mavait raconté quelle jouait au foot, elle était dans un collectif où il ny avait que des garçons. Lentraîneur ne la calculait pas trop, les garçons n’étaient pas forcément gentils avec elle et elle a fini par arrêter. Une autre ma confié que sa mère ne voulait pas quelle fasse de la boxe car cest un sport de garçon.

Jai été un peu étonnée par ces témoignages au début parce que je me disais que rien navait changé alors que ces jeunes filles, cest la nouvelle génération, la plupart de leurs parents sont nés en France et cest censé être plus facile pour elles que pour nous mais, on se rend compte quil y a toujours les mêmes problématiques, les mêmes rapports avec le corps. 

Est-ce que tu as déjà pu constater des résultats de ton action ?

Je nai pas dexemples concrets mais je sens que les filles aiment parler avec moi. Aujourdhui, je suis engagée en tant que coach numéro 2 dans une équipe féminine. Handballistiquement, je napporte rien car je nen ai pas les compétences, mais ma présence leur fait énormément de bien.

Les joueuses aiment bien que je sois là, dabord parce que je suis une fille et ensuite parce que jaime parler avec elles et, quen retour, elles peuvent parler avec moi de sujets dont elles ne pourraient pas forcément parler avec les coachs.

Je suis aussi là pour un autre aspect que le hand, je suis là pour les écouter, parce quelles mintéressent vraiment pour ce quelles sont. Dès quil y en a une qui a un coup de mou, je suis la première à lui envoyer un message. Je sais que, quand moi j’étais dans le trou, rien que ça, ça aurait pu me booster et me permettre de continuer.

©Denis Broyer

Tu nes jamais découragée par lampleur de la tâche ? 

Parfois cest dur, on se demande pourquoi on le fait. Jai, malgré tout, la chance davoir beaucoup de soutien, ce qui me donne la force de continuer de combat même si cest beaucoup de travail parce quon est sollicitée, parce quon doit sengager, que ça demande du temps et que cest du bénévolat. Il faut prendre du recul.

Aujourdhui, lassociation cest ce qui me plaît le plus dans mon parcours. Entre être sur le terrain et ça, je ne saurais dire ce qui me fait le plus de bien.  

Cette main que tu tends, cest un peu celle que lon ta tendue quand tu étais en 6e. Cest là, grâce à ta professeure dEPS, Madame Bouchez, que tu as pu faire du hand 

Quand je suis arrivée au collège, je savais que jallais avoir accès au sport, à lassociation sportive. Javais dit, chez moi, que c’était obligatoire. Madame Bouchez était responsable de lassociation sportive.

En 6e, il y a de petites sélections et les meilleurs rentrent en classe sportive. Cest comme ça que jai découvert le hand et que je suis entrée en classe sportive. Par la suite, je me suis inscrite au club dAulnay Handball. Jai été repérée dès mon premier match par le comité 93.

Jai fait des sélections jusqu’à faire celles pour le pôle espoir et les équipes de France jeunes. Au début, ils ne voulaient pas de moi en stage national et ça marrangeait bien. Je savais que, comme ça, je naurais pas à me désister.

Finalement, ils ont fini par mappeler mais jaurais préféré quils ne le fassent pas. Ça a fait naître de lespoir en moi. Je me souviens que, parfois, je me couchais et, la nuit, je rêvais que mon père avait dit oui pour le sport étude. Le réveil était violent.

À 16 ans, alors que j’étais en Nationale 1 à Aulnay, jai fini par arrêter parce que ça devenait beaucoup. Je rentrais chez moi, je devais me battre pour faire du sport, du sport pour lequel je ne prenais plus de plaisir car la charge mentale devenait trop forte.

©Denis Broyer

Tu as coupé combien de temps ?

Jai coupé avec le hand pendant trois-quatre ans. Durant ce temps-là, je me suis concentrée sur mes études. Par la suite, mes copines navaient plus de gardiennes et mont demandé de leur prêter main forte. Jai dabord décliné avant de céder à la condition que je puisse gérer mon emploi du temps comme je le voulais.

Jy suis allée à reculons et puis, lannée daprès, je me suis vraiment engagée. Je suis revenue à Aulnay où tout avait commencé et où tout ne s’était pas très bien fini. Jai fait une saison et là, la compétition a repris le dessus, jai repris goût à ça, javais envie de gagner, de jouer, de faire du haut-niveau.

Tout est devenu concret très rapidement. Ensuite, le club de Saint-Maur ma proposé un projet Nationale2-Division 2. Jy suis restée dans ans avant que Noisy ne mappelle.

Jouer juste en loisir était inconcevable pour toi, c’était le haut-niveau ou rien ?

Sur le coup, je ne me suis pas rendue compte que javais beaucoup de séquelles. Je pense que je nai pas accepté de ne pas avoir fait de sport étude. Je me dis que lon ma enlevé ça et que ma vie aurait pu être différente.

Je ne me le disais pas clairement mais je pense que c’était un tout, toutes ces choses que javais gardées pour moi toute ma vie. Je navais jamais dit ouvertement que ça avait bridé quelque chose en moi, je nen avais jamais parlé. Je ne pouvais en vouloir à personne de ne pas lavoir vu car, avant de créer lassociation, personne nen savait rien.

Même aujourdhui, ce sont encore des choses qui sont en moi mais jarrive à les transformer en positif grâce à lassociation. Je me demande quelle fille jaurais été si javais fait le pôle mais je suis malgré tout contente de ce que je suis.

Si je lavais fait, je naurais pas été à lorigine dHand’Joy et il y a plein dautres choses qui mauraient échappées. 

Hand’Joy est désormais labellisée « IMPACT 2024 » & « GENERATION 2024 ».  Quest-ce que ça va apporter à lassociation ?

On a vu lappel à projet un peu tard : on a postulé avec « 100 filles pour 2024 » mais sans y croire. Il y a eu plus de neuf-cents candidatures pour environ deux-cents lauréats.

Je navais pas eu de retour et je navais pas cherché non plus à en avoir quand, en fin dannée, je trouve un message de leur part dans mes spams. Je le lis et jattends de voir « Malheureusement, vous navez pas été retenus » et, à la place, je vois « Félicitations, vous êtes labellisés Paris 2024 ».

Pour nous, c’était énorme notamment en termes de crédibilité. On a eu une bonne dotation financière, ils nous suivent, on a le droit à des formations, à un réseau qui facilite énormément de choses.

Comment tu envisages lavenir ?

Les mois qui viennent sont assez chargés. Ce programme « 100 filles pour 2024 » arrive. Lidée cest dattirer les filles vers la pratique sportive et surtout vers les métiers du sport. On veut faire découvrir le journalisme, la photo, tous ces métiers qui gravitent autour du sport.

Il y a le camp Hand’Joy. Ce sont des petits séminaires dune semaine durant lesquels on emmène les filles découvrir des structures. Nous sommes allés à Roland-Garros dernièrement. Elles ont pu rencontrer un journaliste sportif.

Il y a aussi une initiation à la pratique sportive et on va ajouter le développement personnel à tout ça. Jai vraiment hâte !

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