Adrienne BollandL’intrépide étoile de l’aviation française
Elle était un drôle de phénomène, une casse-cou de l’aviation des Années folles. Il y a cent ans, le 1er avril 1921, en devenant la première femme à traverser la mythique Cordillère des Andes, à bord de son G3 Caudron, Adrienne Bolland a ouvert l'horizon à ses semblables, bien avant les grands noms célébrés de l’aviation : des hommes tels que Mermoz ou Saint-Exupéry. Récit d’une pionnière terriblement attachante.
Publié le 02 avril 2021 à 17h09, mis à jour le 29 juillet 2021 à 12h21
Née dans une fratrie de huit enfants, Adrienne en est la cadette, mais peut-être bien la plus aventureuse. À la mort de son père, alors qu’elle a tout juste 14 ans et que sa famille se trouve dans une situation financière délicate, elle refuse d’être une charge. La jeune frondeuse se destine alors à devenir pilote d’avion. Scandale dans le cercle familial. Mais Adrienne n’en a cure.
À l’âge de 25 ans, en 1920, Adrienne Bolland obtient son brevet de pilotage, après seulement deux mois de leçon, devenant ainsi la treizième femme titulaire d’un brevet de pilote en France.
Son instructeur est médusé par son audace et sa volonté. « En avion, je devenais un être différent », confiera-t-elle. Je me sentais toute petite, très humble. Parce que sur terre, il faut bien le dire, j’étais franchement insupportable. » Adrienne a trouvé sa voie : ce sera dans le ciel !
Elle est alors la première femme pilote d’essai à être engagée par René Caudron, créateur avec son frère, Gaston, de la toute première école de pilotage du monde. La téméraire demoiselle tutoie aisément les nuages…
Adrienne Bolland débute ses envolées exploits avec le panache des pionnières qui font ce qu’elles veulent à leur manière. Le 25 août 1920, elle devient la première femme pilote à traverser la Manche depuis la France, non sans une petite incartade, une fiesta qui lui vaut les honneurs de la presse croyant que l’aviatrice s’est « perdue dans la Manche » !
« Comme tous les pilotes, expliquera-t-elle, nous étions des casse-cous. L’aviation, en ce temps-là était à ses débuts. On improvisait tout, et sans doute ce qui a été fait à l’époque “héroïque” n’aurait jamais été tenté par des gens trop sages. Il fallait nous prendre tels que nous étions. »
Adrienne Bolland est ensuite envoyée en Amérique du Sud par l’écurie Caudron, qui cherche un pilote pour y assurer des démonstrations. Les journalistes argentins font eux-mêmes le lien avec la Cordillère des Andes… et voilà l’aviatrice entraînée dans un défi dingue.
Par bravade, elle s’embarque alors dans un voyage digne des plus grands récits d’aventure, le 1er avril 1921. Et ce n’est pas un poisson d’avril, malgré ce que le Consul de France en pense alors : il ne se déplacera pas pour l’arrivée de l’aviatrice.
Ces pics argentins, murs de glace et de rocs de 8 000 km de long, constituent l’une des plus hautes murailles de la planète. Lorsqu’elle décolle de Mendoza, à 7h30 du matin pour trois heures de vol, à bord de son biplan, le Caudron G3, son défi semble impossible : « C’est la mort assurée ! » selon les Français d’Argentine qui l’accompagnent.
Seuls deux pilotes argentins ont réalisé l’exploit. Une femme, jamais encore. Voilà sans doute ce qui donne des ailes à Adrienne, héroïne de roman !
La traversée s’annonce épique : le plafond de son biplan est à 4 000 mètres alors que sa route la fait passer à proximité du point culminant de la chaîne, l’Aconcagua, à 6 962 mètres d’altitude.
Sans oxygène, sans ceinture de sécurité et le cockpit ouvert, Adrienne a été prévenante : « Elle va se graisser le corps. Par-dessus, des papiers journaux parce que ça coupe le vent. Elle va enfiler son pyjama en soie, mettre sa combinaison. Une des dames du ménage de son hôtel lui avait fait des chaussons en alpaga », décrit Coline Béry, auteure du livre consacré à l’aviatrice, Le Matricule des oiseaux (2017).
Et en cas d’attaque de condors ? L’intrépide dégainera son poignard ou son pistolet ! Pour ce qui est de la direction en vol, sans carte, ni instrument de navigation, elle a été bénie des…cieux. La nuit d’avant, une petite Française de Buenos Aires a tapé à la porte de la chambre de son hôtel, lui donnant la « bonne » route…
C’est une fois en l’air, perdue au sein de cette immensité sauvage, qu’Adrienne se remémore les étonnantes prédictions de la jeune femme : « Il fallait choisir, je ne sais pas ce qui m’a poussée à faire confiance à la petite Française de Buenos Aires. J’ai tourné à gauche en pensant : et dire que pour une ânerie pareille je vais sans doute me casser la figure ! »
Le miracle se produit : « Il me semblait que je n’avançais plus. Le froid était encore plus vif, l’engourdissement gagnait ma tête ; je croyais pleurer des larmes de sang, tant cela me faisait mal. Alors le couloir s’élargit, le vent devint moins âpre, mon appareil se remit au calme. Les Andes étaient franchies. Au loin, quoique voilé par la brume, un paysage admirable s’étalait devant moi. La mer m’apparut comme dans un rêve. »
Adrienne Bolland atteint enfin Santiago du Chili. Lorsqu’elle se pose, elle est paralysée par le froid, le visage gonflé, barbouillé du sang qu’elle a perdu à cause de l’altitude, mais bien vivante. Elle est accueillie en héroïne par les Chiliens, mais pas un officiel français à l’horizon.
Ceci explique peut-être pourquoi, en 2021, elle n’est pas encore aussi (re)connue que son prédécesseur, Mermoz… C’est pourtant bel et bien l’histoire d’un destin. Son ange gardien, la Française de Buenos Aires, ayant été envoyé par un medium…
Cette femme moderne et audacieuse avait pour seul maître, la liberté. Elle l’expliquait à Jacques Chancel sur France Inter, en 1972 : « Ce qui passe avant tout pour moi, c’est la liberté. Et on était libres ! Une fois qu’on avait décollé, on se foutait pas mal de ce qui se passait en dessous. On n’avait aucun contact avec la Terre, il n’y avait pas de tour de contrôle, il n’y avait rien ! ».
Elle est aujourd’hui justement célébrée pour avoir ouvert la voie aux femmes : « Si aujourd’hui tous les métiers de l’aérien sont accessibles aux femmes, c’est grâce aux pionnières de l’aviation telle que Adrienne Bolland et à leur combat pour faire reconnaitre leurs compétences », écrit la compagnie Air France qui avait, en 1971, fêté le cinquantenaire du passage des Andes en affrétant un avion spécialement pour elle et trente de ses amis.
Adrienne Bolland a été honorée d’un timbre français à son effigie, en octobre 2005, et en Amérique du Sud, de deux sceaux commémoratifs des postes argentine et chilienne.
Adrienne Bolland, usant de sa notoriété et de son caractère bien trempé, se battra toute sa vie pour ses semblables : féministe engagée, elle militera ardemment pour le droit de vote des femmes, subissant plusieurs sabotages sur ses appareils, sa liberté de parole étant alors ressenti comme un outrage. Elle subira sept accidents graves.
Dès 1940, elle entra en Résistance, avec son aviateur de mari, en rejoignant le réseau CND Castille du Loiret. Le couple est chargé du repérage des terrains susceptibles d’aider les Forces aériennes françaises libres. À la libération, cette femme pionnière qui avait le ciel pour elle sera décorée de la Légion d’Honneur.
Mais si quelques lieux portent aujourd’hui son nom (une station de tramway dans la capitale, une place à Strasbourg, plusieurs rues au Chili et en France…), Adrienne Bolland sera la seule gloire des « ailes françaises » à ne pas avoir son monument commémoratif. Ni en France ni ailleurs.
C’est quelques jours avant le printemps et dans le 16e arrondissement de Paris qu’Adrienne, l’oiseau libre et rebelle, s’éteindra : un 18 mars 1975. Bien sagement dans son lit.
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