Tu es aujourd’hui septuple Championne de France de saut à la perche, comment as-tu atterri dans ce sport ?
Plus jeune, je faisais du football. J’aimais bien jouer avec les garçons, mais il n’y avait pas d’équipe féminine, j’ai alors eu envie de trouver un autre sport et je me suis mise à l’athlétisme. Au départ, on touche à tout, mais comme je suis casse-cou, j’ai rapidement aimé le saut à la perche, les sensations qu’il procure, cette idée de toujours aller plus haut. Et comme j’avais de bons résultats, j’ai continué…
As-tu déjà entendu des commentaires du type : « Mais, c’est un sport de garçons » ?
La perche féminine est aux Jeux Olympiques depuis 2000, c’était donc très récent quand j’ai commencé en 2002, à l’âge de 12 ans, mais je n’ai jamais eu une telle remarque.
Par contre, c’est vrai, l’historique masculin dans ce sport est important en France. Nous avons de très grands champions qui font de très bons résultats et sont toujours dans le Top 10 mondial. Mais, aujourd’hui, le niveau augmente chez les filles à l’international : avant, on parlait de 1m20 de différence entre les garçons et les filles, aujourd’hui, c’est 1m10 car les femmes vont de plus en plus haut.
Mais je ne crois pas qu’il faille comparer la discipline féminine avec la discipline masculine, ce sont des sports différents, nos aptitudes physiques ne sont pas les mêmes. À très haut niveau, en tout cas, on recherche davantage le duel, la compétitivité entre les athlètes, que la comparaison homme/femme. Moi-même, j’ai un style de saut plutôt technique, propre. Mon point faible, c’est mon manque de rapidité.
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Quel a été le grand moment sportif, celui où tu t’es sentie voler ?
C’était en finale des Championnats du monde d’athlétisme de Moscou, en 2013, le plus important de mes résultats sur le plan sportif et le moment où j’ai eu la sensation que tout était en phase.
J’avais l’impression que la piste était en descente, comme une piste de décollage, et que j’effectuais le geste parfait, comme un avion qui décolle. J’avais la sensation de tout maîtriser, d’être hyper puissante.
J’ai aussi de beaux souvenirs des Championnats de France où je me sentais généralement super bien. C’est agréable de ressentir ça au moins une fois dans sa carrière.
Et un moment difficile qui a marqué un tournant dans ton parcours sportif ?
Aux JO de Londres, en 2012. C’était ma première sélection en équipe de France, j’avais 22 ans, je n’avais jamais porté le maillot tricolore et j’allais directement en compétition olympique. J’avais tout juste le niveau pour me qualifier, mais pas assez pour batailler et m’en sortir.
Pour autant, j’avais tellement envie de bien faire que je ne m’étais pas autorisée à rater ma chance… Or, je n’ai pas fait la performance espérée. Avec le recul, je me rends compte que c’était logique, mais sur le coup, ça a été très très dur à vivre. Je me disais : « Tu n’es pas faite pour le haut-niveau ». J’ai vraiment voulu arrêter.
Je crois aussi que c’est une histoire de tempérament : moi, j’ai mis quelques mois à retrouver mes sens et je me suis dit : « Ça va pas ou quoi, tu vas pas arrêter là ! » et j’ai fait le choix de m’y consacrer entièrement. Étrangement, l’année d’après, en 2013, j’étais aux Championnats du monde…
Comment parvient-on à rester motivée dans ces moments difficiles ?
À l’image de l’exemple que j’ai cité en ce qui me concerne, mais ça dépend de la personne et de la personnalité du sportif. Certains ont la rage tout le temps, sont compétitifs et ne lâchent rien. Par exemple, je me suis entraînée avec Renaud Lavillenie et je ne pense pas que ça lui arrive de flancher. Il a cette rage : c’est un compétiteur né.
D’autres athlètes ont réussi aussi bien que lui, mais peut-être pas avec la même régularité car ils ont besoin de relâcher pour repartir…
Dans ce cadre, le haut-niveau, c’est vraiment la capacité à trouver son rythme. Le sportif doit trouver en lui ce qui va fonctionner pour qu’il s’en sorte au mieux.
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Que ressens-tu concrètement –mentalement et physiquement– quand tu sautes à la perche ?
Une quantité de sensations, surtout quand on débute : le fait de pousser dans cette perche et de recevoir ce qu’elle nous envoie, de ressentir des choses différentes suivant les actions qu’on réalise à l’impulsion, le fait de littéralement s’envoyer en l’air et, rapidement, assez haut…
Ce sont des sensations nouvelles qu’on apprend ensuite à gérer. Plus on se spécialise, plus on va rechercher des intentions techniques et des mouvements spécifiques.
Au départ, je pense que ce qui fait accrocher au saut à la perche, c’est le côté casse-cou : il ne faut pas avoir peur, c’est vrai, il y a une sorte de sélection naturelle. Sauter à la perche, c’est faire un pied-de-nez à la peur. Ça ne marche pas si on a peur, si on ne s’éclate pas quand on pique dans le butoir.
Après, on s’accroche parce qu’on aime aussi ces sensations en montant vers le haut, on s’amuse, c’est le côté fou-fou.
Côté technique, on passe des barres et on tente de tout transmettre dans cette perche. Il y a trois phases dans le saut à la perche : la phase d’élan, la phase d’impulsion et le saut. La plus importante est la phase de liaison, l’impulsion qui est déterminante pour pouvoir se propulser haut.
Que demande le saut à la perche en matière d’implications physiques et mentales ?
Il faut toujours augmenter les curseurs pour ce qui est de la vitesse et de la puissance. Le saut à la perche, c’est un rapport de poids-puissance donc il vaut mieux être léger pour plier des grosses perches, on y gagne. C’est vraiment de la physique, avec l’angle d’envol que ça entraîne.
Au-delà de ce critère purement physique, il y a la notion très importante du mental. Celle de l’engagement complet dans un saut. Certains ont pu avoir des blocages en bout de piste dans la prise d’élan et ça dure parfois des mois. On met tellement d’énergie dans cette impulsion que si on n’est pas concentré, mais dispersé, inquiet, on peut ne pas arriver à piquer.
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Comment gère-t-on le haut-niveau dans sa vie quotidienne : vis-tu de cette activité ?
J’ai obtenu un diplôme de podologue en 2012 mais, en 2013, suite à ma remise en question, j’ai justement fait le choix de tout mettre de côté pour le haut-niveau et ne pas regretter plus tard de ne pas avoir tout donné. Ce n’est pas toujours évident financièrement. En général, on a des aides de notre club ou de la région, puis, on vit sur les primes qu’on va gagner pendant les compétitions et/ou celles des contrats que l’on a avec les équipementiers tels Nike ou Adidas.
En athlétisme, les primes de compétition sont à peu près les mêmes pour les hommes et les femmes, mais il y a souvent des différences dans les primes d’engagement pour faire venir l’athlète à une compét’, ce sont des primes d’image. En matière de performance pure, un garçon va beaucoup plus vite et plus haut qu’une fille et va donc davantage remplir les stades…
Qu’est-ce que le sport de haut-niveau t’apporte dans ta vie personnelle ?
J’ai beaucoup appris et je me suis beaucoup construite avec le sport de haut-niveau parce qu’il y a des hauts et des bas et qu’il faut toujours rester motivée pour relancer la machine. Depuis mes débuts, j’ai rencontré beaucoup de gens, j’ai beaucoup voyagé, j’ai appris à gérer une carrière. Je retire beaucoup de positif de cette expérience sportive, j’ai derrière moi dix années de folie et de plaisir. Il faut que ça reste un plaisir !
J’ai toujours été quelqu’un qui profite de la vie, j’aime bien sortir. Mais quand je sors, je sais que ça n’influe pas sur mon entraînement parce que j’ai fait le choix de toujours avancer, de rester dynamique. Je suis dans la compétition et, dans la vie de tous les jours, je me lance aussi beaucoup de défis !
Le sport, le haut-niveau, ça t’a forgé en tant que femme ?
Ça développe énormément la confiance en soi, le regard que l’on se porte. On est satisfait rien qu’en allant faire du sport alors quand, en plus, on va au bout de soi-même, ça procure une grande sensation de bien-être et d’accomplissement.
Quel serait ton conseil coaching pour des femmes qui n’osent pas sauter le pas et se lancer dans la pratique d’une activité sportive ?
Tout le monde commence sur le même pied d’égalité, il faut essayer, ça apporte toujours quelque chose de bénéfique. Même si, au départ, on échoue, il faut persévérer : plus on y arrivera, plus on aura envie d’en faire. Ne pas hésiter à se lancer des défis entre copines par exemple, souvent ça donne l’envie d’aller faire du sport seule.
Quel est ton (plus grand) rêve sportif ?
Actuellement, c’est de refaire les Jeux Olympiques, même si j’ai déjà une belle carrière derrière moi.
Suite à une blessure au tendon d’Achille, j’avais manqué ceux de 2016 alors que j’aurais été au pic de ma carrière. Ça a été un regret. Je veux retenter ce challenge.
J’espère que les Jeux Olympiques de Tokyo 2021 seront maintenus… Je dois encore gagner quelques centimètres, mais les qualifications sont également basées sur ton classement mondial : je suis dans le Top 30 et ils qualifient le Top 32. Alors, on garde la pê(r)che !
Ξ Le palmarès de Marion Lotout :
Championnats d’Europe : Berlin 2018 (14e Q) ; Zurich 2014 (12e F)
Championnats du Monde : Pékin 2015 (16e Q) ; Moscou 2013 (12e F)
Championne des Jeux de la Francophonie en 2013 à Nice
Jeux Olympiques : Londres 2012 (14e Q)
6 fois Championne de France élite (salle et plein air) et Championne de France en titre en 2020
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