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Louise LenobleTotalement perchée

louise lenoble highline
Grande prêtresse de la highline, elle passe sa vie à marcher sur des sangles au-dessus du vide, là où le vent l'emporte. Le monde lui tend les bras et elle nous raconte son histoire, celle d'une étudiante en médecine devenue nomade pour s'offrir une existence vertigineuse. Zoom sur une fille d'exception. 

Par Valérie Domain

Publié le 16 janvier 2020 à 17h02, mis à jour le 06 mars 2022 à 18h03

A 27 ans, cette fille de l’air a délaissé la médecine pour prendre les chemins de traverse, ceux des troubadours (ou des trobairitz selon la forme féminine en langue d’oc). Look frêle mais force phénoménale, elle parle de sa passion pour cette discipline dont le terrain de jeu se situe entre ciel et terre, comme une amoureuse étourdie. Chance inouïe de l’avoir captée en Israël, là où deux de ses compagnons de voyage se passaient la bague au doigt après un coup de foudre…filaire. Céleste conversation.

Marcher sur un fil au-dessus des précipices, on a envie de dire « Mais quelle idée ! ». C’est venu comment ?

Dans un parc, par hasard, j’ai vu quelqu’un qui marchait sur une sangle. Pas entre deux arbres, bien plus haut, bien plus difficile. J’ai tout de suite compris que ce devait être puissant. Je suis allée le voir, j’ai dû lui paraitre déjà accro car il m’a emmenée dans un festival pour me faire découvrir cette communauté.

Car il s’agit de ça. J’ai débarqué dans un monde totalement inconnu, j’ai vu des gens qui tenaient en équilibre au-dessus du vide, des regards entièrement dans le moment présent. J’étais si impressionnée, je n’arrivais pas à m’en détacher. Un monde d’extra-terrestres, qui vivent dehors, qui échangent, sympas, intéressants, avenants.

J’ai vécu là, dans les gorges de la Jonte près de Millau, ma première expérience en hauteur. Avec harnais et poulie pour m’initier.

Je ne me rendais pas compte à quel point c’était dur, ça a l’air facile comme ça mais c’est super dur. Des oiseaux, des aigles, volaient en dessous de moi, j’étais une plume, un papillon dans l’immensité.

Quand je suis sortie de là, j’ai senti des larmes couler sur mes joues. Ce n’étaient pas des pleurs, c’était de l’émotion à l’état pur. Une activité qui me fasse pleurer sans que je le veuille, je n’avais jamais connu ça. Il s’était passé un truc spirituel dans ma tête, je ne le touchais que du bout des doigts mais ça m’a donné envie de savoir ce que ce voyage allait me faire découvrir  : vais-je pouvoir atteindre l’état de méditation, de bonheur, de concentration extrême qui te permet de ne pas tomber ?

louise lenoble

A ce moment-là, tu avais 22 ans, tu suivais des études de médecine. Comment décide-t-on de tout laisser tomber pour vivre d’une passion  ?

Avec le recul, je ne pense pas que ce soit vraiment ma passion qui m’ait fait abandonner la médecine. Plutôt des voyages, des rencontres, des gens différents qui m’ont montré qu’une autre façon de vivre était possible.

Petit à petit, j’ai réalisé que je serais plus heureuse en faisant autre chose. La médecine, j’aimais bien, mais c’est une passion que tu crées, pas une passion qui naît en toi. En parallèle, j’ai découvert la highline, et la force que j’ai trouvée sur la ligne a été le déclic, celui qui m’a permis d’arrêter mes études. Mes parents m’ont toujours comprises, soutenue, c’est une richesse. Je le leur dis tous les jours  : si je suis ce que je suis, c’est grâce aussi à eux. J’ai tout de même passé un diplôme d’infirmière, comme un backup si je veux plus tard pouvoir me réinsérer dans la société.

Et comme tu peux être infirmière un peu partout, ça aide à te renflouer financièrement, à avoir les deux pieds sur terre, à aider les autres aussi. Je fais ça deux mois par an et alors je suis « comme tout le monde » parce que ça me plaît…de temps en temps. Ça me permet de vivre mon existence de saltimbanque avec encore plus d’intensité. Avoir des journées routinières, bien rythmées, est un confort que j’ai peu. J’apprécies donc ces périodes de boulot, mais je n’y suis bien que parce que je suis libre. Pas de fatigue, pas de désillusions, je sais que je vais repartir.

Comment as-tu réussi à vaincre ta peur du vide ?

Ça se fait petit à petit. J’ai d’abord appris à marcher sur une sangle en commençant par la slackline*, c’est la base qui te permet de trouver ton équilibre, et lorsque tu maîtrises, tu peux passer à la highline.

Déjà en pratiquant la slack, tu découvres des facettes que tu ne connaissais pas chez toi, ton cerveau est à des kilomètres de toi, t’as juste tes instincts primitifs.

Peu à peu, tu apprends à avoir moins peur, tu es super fière. Ça devient même une routine, du coup, tu recherches de nouveau l’adrénaline. C’est pour ça que j’ai commencé à réaliser des figures et maintenant je joue de l’accordéon au-dessus du vide ! La highline est devenue une scène.

Aussi, tu expérimentes l’état de flow, celui que tous les sportifs veulent atteindre, la perfection corps et esprit, le moment de grâce. On se trouve dans des situations si difficiles en hauteur qu’on se met dans des états addictifs. Comme les yogis.

La highline, c’est donc moins un sport qu’une pratique  spirituelle ?

C’est vrai, je ne considère pas ça comme un sport, mais comme une philosophie de vie.

Avant, je pratiquais des activités d’endurance, je faisais des semi-marathons, je courrais en  moyenne trente kilomètres par semaine, ça c’est du sport.

Lorsque j’ai découvert la highline, j’ai tout arrêté. J’avais seulement envie de dépenser mon énergie sur le fil, à apprendre la technique. On se donne entièrement, davantage que lorsqu’on va courir. Il n’y a pas de place pour autre chose. C’est toute une vie.

Entre nous, on appelle ça la « slacklife ».

louise lenoble

« Nous », c’est la communauté de la highline  ?

Oui, on se connait tous, on n’est pas si nombreux mais partout dans le monde. On se contacte via Facebook, c’est hyper social. Il y en a toujours un chez qui tu peux dormir ou qui connaît un endroit où planter ta tente, qui te prêtera son matériel car on ne voyage qu’avec le minimum. C’est dire si on se fait confiance  !

Parce qu’on se prête nos harnais, on installe ensemble des highlines le plus haut possible, dans les gorges, les montagnes  ; on choisit des cadres naturels exceptionnels, et on fait des heures de marche pour atteindre le point de passage. Sur place, entre deux déplacements sur la sangle, on refait le monde, on joue de la musique, on pratique le yoga. Certains campent comme moi, d’autres vivent en camion.

Tous ensemble, on écrit le sport qu’on aime, on tend les lignes les plus longues, on bat des records. L’aspect spirituel est moins là, c’est plus technique, mais c’est toujours un terrain de jeu.

On passe plusieurs jours ensemble puis on se quitte. On ne sait pas quand on se reverra mais on sait qu’on se reverra, on se retrouve sur des projets. On est un petit monde connecté, toujours relié par la ligne.

Ça semble idyllique…

Quand je raconte ma vie, beaucoup de gens m’envient. Ils ne voient que les belles photos sur Instagram. Ils idéalisent.

Mais en fait, ce n’est pas une vie confortable au quotidien  : je dors la plupart du temps dans un hamac ou sous une tente, mon existence tient dans mon sac à dos, je n’ai pas de voiture. Parfois tu as froid, tu ne te douches pas, tu dois toujours trouver des solutions, être débrouillard, ne pas avoir besoin de beaucoup pour vivre.

Moi, c’est ce qui me rend super heureuse, je me dis tout le temps  : «  Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter de voir ce coucher de soleil, sur cette plage, sur les sommets… ? » Il faut aussi aimer vivre en communauté, avaler des kilomètres à pied, ne pas avoir peur de faire du stop. Bientôt, j’aurai peut-être un camion mais ce n’est pas un moyen très intelligent de vivre, c’est pas écolo et l’essence est cher. T’es moins libre aussi.

Il y a peu de filles dans l’univers de la highline, pourquoi  ?

Franchement, je ne sais pas pourquoi, je ne comprends pas. Il y a peut-être une fille sur 5 ou 10 garçons. Pourtant, le record du monde de marche sur la ligne sans tomber c’est 2 kilomètres et il est détenu aussi bien par les garçons que par les filles.

Il y a peu de sports où le fait d’être un gars ou une fille n’est pas un sujet. Là, ce n’est pas genré du tout. Musculairement, physiquement, il faut être endurant c’est vrai, mais pour autant, la différence qui se situe d’habitude dans la testostérone chez les mecs souvent plus musclés n’entre pas en compte ici.

Car le manque de musculature est compensé par une technique impeccable. Aussi, c’est davantage mental que physique. Et là, on peut être meilleures qu’eux. Mais, dans le fond, ce n’est pas important. Être meilleur que l’autre n’est pas le but, ce n’est pas une pratique compétitive. On est surtout là pour repousser nos limites.

Quelles limites  ?

La peur de mourir. Car même si tu es attaché, tu ne peux pas t’empêcher de penser que si tu tombes dans le vide, tu vas mourir. Tu dois donc parvenir à lâcher prise, Quand t’as pas confiance en toi, tu ne vas pas forcément accepter de t’élancer, il y a toujours le risque de l’échec.

C’est beau à voir, surtout chez les débutants, ce moment où ils se dépassent sur la ligne. On repère très vite qui a plus ou moins confiance en lui. La première fois, tout le monde pleure. Cette expérience-là, c’est l’esprit à l’état pur, c’est un miroir de l’âme. Si tu vas sur la sangle en étant triste ou fatigué, tu auras du mal à réussir. La corde, c’est un curseur émotionnel. Mais si tu parviens à prendre de la distance avec le mental, tu acquières une force extraordinaire.

Repousser ses limites, c’est donc aussi dépasser ses peurs  ?

Tu te dis : « Si je suis capable de faire ça, je suis capable de prendre des décisions difficiles. » Moi, j’ai atteint un niveau où même à 300 mètres de haut, c’est comme si je marchais sur le sol.

Lorsque je me mets debout, je suis en totale maitrise de mes capacités et je peux donner tout ce que j’ai. Je n’ai plus peur. Dans la vie, je peux faire n’importe quoi, n’importe où, je fais confiance aux opportunités qui se présentent, je n’ai aucune idée de ce qui va s’offrir à moi, toutes les portes sont ouvertes. Je suis capable de vivre de plusieurs façons possibles, en travaillant, sans argent, saltimbanque, infirmière…

Je ne sais pas ce que je vais faire l’an prochain, mais je sais que ce sera encore plus dingue car quand je regarde le passé, je vois bien que c’était de plus en plus fou.

En même temps, ça parait difficile de vivre toujours ainsi, tu penses parfois au futur  ?

Pas vraiment car je sens au fond de moi que tout sera facile le moment venu, quand il sera temps de passer à autre chose.

Mais j’ai l’impression d’avoir encore un long chemin à faire. Je connais des gens qui vivent de façon encore plus extrême que moi. Ils m’inspirent et j’ai envie d’inspirer des gens moi aussi car le talent, la passion, le lâcher prise, c’est porteur.

La simplicité vient à toi si tu te poses pas mille questions. Tout se résolve, y a pas de problème. Faut pas s’inquiéter, la vie s’occupe de tout.

La highline, variante extrême de la slackline

louise lenoble slackline

Elle serait née dans les années 80 en Californie. La slackline (qui signifie corde ou ligne lâche) est une discipline qui vise à marcher sur une sangle tendue entre deux ancrages.

Elle a plusieurs variantes : la shortline qui n’excède pas quinze mètres de long et se pratique au ras du sol, la longline avec des sangles à partir de trente mètres et la highline qui se pratique le plus haut possible, c’est la version aérienne et extrême de la slack.

Les pratiquants de slackline sont souvent comparés aux funambules, mais s’ils sont eux aussi des équilibristes, ils n’évoluent pas sur le même support.

En slackline on utilise une sangle molle d’environ 2,5 cm et non un câble d’acier statique. De la même façon, on ne s’aide pas d’un balancier pour maintenir sa position, la slackline n’autorise aucun accessoire (excepté un harnais dans le cadre de la highline).

Il y a donc davantage de mouvements qu’il faut réussir à contrôler. Pour se faire, les muscles (abdos, jambes, épaules…) sont sollicités au maximum.

Mais au-delà de la préparation physique, la highline exige un état d’esprit particulier, un état méditatif : si vous ne parvenez pas à faire le vide dans votre tête, il sera quasi impossible d’évoluer dans les airs.

Le langage de la highline

Highlife  : le monde dans lequel la communauté des pratiquants de highline évolue.

Slackeur : nom du pratiquant de slackline et par extension de highline.

Ancrages : en highline, on utilise surtout des spits/broches extrêmement surs pour ancrer les sangles.

Poulies : le système de tension de la sangle le plus souvent utilisé dans la highline.

Les sangles  : tubulaire, plate, threaded line, polyester, polyamide, vectran, hybride…il existe plusieurs sortes de sangles en highline. Chaque slackeur prend en compte sa résistance, son élasticité, sa composition pour faire son choix.

La line  : la sangle

Tricks : les figures que les slakeurs réalisent en équilibre sur la sangle. Demi-tour, tour complet, position assise, allongée, grand écart, surf… et qui peuvent donner naissance à une variante de la highline : la trickline.

Jumpline : cette fois, c’est une variante de la trickline. Il s’agit de réaliser des sauts acrobatiques sur des sangles de faible élasticité dont on se sert comme trampoline.  

La Houle Douce, la compagnie de Louise

Créée et basée à Marseille depuis 2016, cette compagnie à laquelle appartient Louise Lenoble propose des spectacles aériens mêlant musique live, travail de texte et slackline en grande hauteur.

« On crée des spectacles dans des villes, au cœur de montagnes, en France, en Chine, en Afrique… explique Louise Lenoble. On utilise des marionnettes géantes, on écrit des histoires, on joue d’un instrument, le tout en hauteur. On s’inspire toujours du lieu et on inclue un artiste local. Notre désir à chaque fois : performer pour étonner, enchanter. »

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