Virginie Hériot La pionnière des louves de mer

Virginie Hériot, la pionnière des louves de mer
Elle voulait être marine, un marin au féminin. Elle en a été l’une des plus grandes. Virginie Hériot a marqué de son empreinte la voile sportive. Première Française sacrée championne olympique dans la discipline en 1928 à Amsterdam, elle a cumulé pas moins de 85 succès en 300 régates.

Par Sophie Danger

Publié le 17 septembre 2023 à 17h48, mis à jour le 17 septembre 2023 à 17h49

«Nous venions de virer la dernière bouée, nous étions maintenant largue, bon plein, grosse brise avec une très belle avance, nous étions premiers, oui, vainqueurs. À 100 mètres de larrivée, un cri déchira lair : vive Madame Hériot, vive la France ! »

9 août 1928. Amsterdam, Pays-Bas. Virginie Hériot vient de soffrir le grand frisson. Seule femme engagée dans les épreuves de voile, la Française, à la barre dAile VI, est parvenue à damer le pion au Hollandia, le bateau néerlandais, et au Sylvia, lembarcation suédoise, pour simposer dans la catégorie 8 mètres aux Jeux Olympiques.

À 38 ans, la Vésigondine, aux commandes dun équipage de cinq hommes, ajoute le titre de championne olympique à son palmarès. Le lendemain, la presse relaie discrètement lexploit de ce « pur racer » qui, après ses compatriotes Marguerite Broquedis en 1912 à Stockholm, en Norvège, et Suzanne Lenglen, huit ans plus tard à Anvers, en Belgique, a su, à son tour, porter haut les couleurs de la France. 

Virginie Hériot (à l’arrière) et l’équipage d’Aile VI

Une consécration pour cette femme du monde qui nourrit, depuis lenfance, une passion dévorante pour la mer. Née le 25 juillet 1890 dans une richissime famille de la région parisienne – son père, le commandantZacharie Olympe Hériot, est lhéritier des Grands Magasins du Louvre – Virginie Hériot a 14 ans quand elle embarque pour une croisière au long cours sur le Ketoomba, un luxueux vapeur dont sa mère, veuve depuis un peu plus de quatre ans, a récemment fait lacquisition.

Trois mois durant, la jeune fille, accompagnée de son frère et damis de la famille, va voguer de port en port à travers la Méditerranée. Elle découvre Naples et Pompéi, aborde à Syracuse, met le cap sur Constantinople, Jérusalemet croise la route de nombreux hommes de mer parmi lesquels le célèbre commandant-écrivain Pierre Loti.

©La sardine plastique

De retour en région parisienne, la demoiselle Hériot en est certaine, plus tard, elle aussi sera « marine ». Il faudra néanmoins attendre 1921 pour que son souhait soit pleinement exaucé.

Entre-temps, Virginie Hériot a épousé le vicomte François Marie Haincque de Saint-Senoch dont elle a eu un fils, Hubert, né en 1913. Les deux époux, passionnés de yatching, ont sillonné les océans côte à côte avant de divorcer après onze ans dunion.

La Francilienne profite de sa liberté retrouvée pour satisfaire son inextinguible soif de navigation. Pendant deux ans, elle voyage à bord du Finlandia, un steamer de 85 mètres quelle remplace, par la suite, par le Ailée, une goélette de 400 tonneaux à bord de laquelle elle sinstalle dix mois sur douze.

Férue de compétition, elle se fait également construire des bateaux spécialement conçus pour elle quelle baptiseAile pour le 8 mètres etPetite Aile pour le6 mètres

Avec son fils Hubert de Saint-Senoch dit Bazi…©Geneanet

Pour autant, ses débuts sur la scène sportive sont timides. Mais le matelot Hériot est tenace. En 1927, premiers coups d’éclat. Après quinze années de disette côté français, elle met fin au règne des Britanniques en sadjugeant la One Top Cup.

Première femme – et seule encore à ce jour – à s’être imposée dans l’épreuve, elle inflige un nouveau camouflet à ses concurrents anglais en récupérant, dans la foulée, le prestigieux trophée de la Coupe de France. Virginie Hériot y gagne un surnom, « the yachting lady », et une réputation, celle de plus grande grande navigatrice du monde.

Son sacre olympique, un an plus tard, achève de forger sa légende. Elle ne cessera plus, dès lors, de gagner, totalisant, en vingt années de carrière, pas moins de quatre-vingt-cinq succès parmi lesquels des victoires saluées en Coupe Cumberland, en Coupe du roi d’Espagne, en Coupe de la Reine ou encore en Coupe dItalie

Ses pensées et récits de voyage ont été compilés dans un recueil par Nautilus éditions (collections iconographiques du Yacht Club de France)

La dame a beau collectionner les honneurs, elle na cependant de cesse de fuir la lumière. Elle décide alors de mettre son encombrante notoriété au service de son pays. Après Amsterdam, elle prend la barre dAilée II et met le cap sur les pays scandinaves pour vanter les mérites de lindustrie nautique française.

« Jai entrepris une œuvre patriotique sur leau, je la continuerai,explique-t-elle alors. Donner sa vie à un but, un être, un idéal cest lessentiel. » Une tournée de propagande géante quelle poursuit, au début des années 30, dans les pays du pourtour méditerranéen.

Elle se rend dabord en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Puis il y aura la Corse, lItalie et lEspagne avant de rallier la Grèce, l’Égypte, le Liban mais aussi lIrak, la Syrie et la Palestine. 

Ailée, ex-Meteor IV (Max Oertz-1909), goélette acquise par Virginie Hériot en 1923…©Wikipedia

Une vie de bohème qui prendra fin brutalement le 28 août 1932. Virginie Hériot, 42 ans, sapprête à participer aux régates dArcachon lorsquelle s’évanouit à bord dAile VII. Son entourage lencourage à renoncer mais elle refuse.

Le 27 août, elle manœuvre pour rejoindre la ligne de départ lorsquelle est victime dune syncope. Elle décède le lendemain.

Ses obsèques sont célébrées cinq jours plus tard en la basilique SainteClotilde à Paris avant que « the yachting lady » ne soit inhumée dans le mausolée familial de La Boissière, une petite commune de lHérault.

Seize ans plus tard, son fils Hubert, rendra sa dépouille à la mer, au large des côtes bretonnes, conformément aux dernières volontés de cette louve de mer qui a marqué, de manière indélébile, lhistoire de la voile. 

©Wikipedia

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