« Nous venions de virer la dernière bouée, nous étions maintenant largue, bon plein, grosse brise avec une très belle avance, nous étions premiers, oui, vainqueurs. À 100 mètres de l’arrivée, un cri déchira l’air : vive Madame Hériot, vive la France ! »
9 août 1928. Amsterdam, Pays-Bas. Virginie Hériot vient de s’offrir le grand frisson. Seule femme engagée dans les épreuves de voile, la Française, à la barre d’Aile VI, est parvenue à damer le pion au Hollandia, le bateau néerlandais, et au Sylvia, l’embarcation suédoise, pour s’imposer dans la catégorie 8 mètres aux Jeux Olympiques.
À 38 ans, la Vésigondine, aux commandes d’un équipage de cinq hommes, ajoute le titre de championne olympique à son palmarès. Le lendemain, la presse relaie discrètement l’exploit de ce « pur racer » qui, après ses compatriotes Marguerite Broquedis en 1912 à Stockholm, en Norvège, et Suzanne Lenglen, huit ans plus tard à Anvers, en Belgique, a su, à son tour, porter haut les couleurs de la France.
Virginie Hériot (à l’arrière) et l’équipage d’Aile VI
Une consécration pour cette femme du monde qui nourrit, depuis l’enfance, une passion dévorante pour la mer. Née le 25 juillet 1890 dans une richissime famille de la région parisienne – son père, le commandant Zacharie Olympe Hériot, est l’héritier des Grands Magasins du Louvre – Virginie Hériot a 14 ans quand elle embarque pour une croisière au long cours sur le Ketoomba, un luxueux vapeur dont sa mère, veuve depuis un peu plus de quatre ans, a récemment fait l’acquisition.
Trois mois durant, la jeune fille, accompagnée de son frère et d’amis de la famille, va voguer de port en port à travers la Méditerranée. Elle découvre Naples et Pompéi, aborde à Syracuse, met le cap sur Constantinople, Jérusalem… et croise la route de nombreux hommes de mer parmi lesquels le célèbre commandant-écrivain Pierre Loti.
De retour en région parisienne, la demoiselle Hériot en est certaine, plus tard, elle aussi sera « marine ». Il faudra néanmoins attendre 1921 pour que son souhait soit pleinement exaucé.
Entre-temps, Virginie Hériot a épousé le vicomte François Marie Haincque de Saint-Senoch dont elle a eu un fils, Hubert, né en 1913. Les deux époux, passionnés de yatching, ont sillonné les océans côte à côte avant de divorcer après onze ans d’union.
La Francilienne profite de sa liberté retrouvée pour satisfaire son inextinguible soif de navigation. Pendant deux ans, elle voyage à bord du Finlandia, un steamer de 85 mètres qu’elle remplace, par la suite, par le Ailée, une goélette de 400 tonneaux à bord de laquelle elle s’installe dix mois sur douze.
Férue de compétition, elle se fait également construire des bateaux spécialement conçus pour elle qu’elle baptise Aile pour le 8 mètres et Petite Aile pour le 6 mètres.
Avec son fils Hubert de Saint-Senoch dit Bazi…©Geneanet
Pour autant, ses débuts sur la scène sportive sont timides. Mais le matelot Hériot est tenace. En 1927, premiers coups d’éclat. Après quinze années de disette côté français, elle met fin au règne des Britanniques en s’adjugeant la One Top Cup.
Première femme – et seule encore à ce jour – à s’être imposée dans l’épreuve, elle inflige un nouveau camouflet à ses concurrents anglais en récupérant, dans la foulée, le prestigieux trophée de la Coupe de France. Virginie Hériot y gagne un surnom, « the yachting lady », et une réputation, celle de plus grande grande navigatrice du monde.
Son sacre olympique, un an plus tard, achève de forger sa légende. Elle ne cessera plus, dès lors, de gagner, totalisant, en vingt années de carrière, pas moins de quatre-vingt-cinq succès parmi lesquels des victoires saluées en Coupe Cumberland, en Coupe du roi d’Espagne, en Coupe de la Reine ou encore en Coupe d’Italie.
Ses pensées et récits de voyage ont été compilés dans un recueil par Nautilus éditions (collections iconographiques du Yacht Club de France)
La dame a beau collectionner les honneurs, elle n’a cependant de cesse de fuir la lumière. Elle décide alors de mettre son encombrante notoriété au service de son pays. Après Amsterdam, elle prend la barre d’Ailée II et met le cap sur les pays scandinaves pour vanter les mérites de l’industrie nautique française.
« J’ai entrepris une œuvre patriotique sur l’eau, je la continuerai, explique-t-elle alors. Donner sa vie à un but, un être, un idéal c’est l’essentiel. » Une tournée de propagande géante qu’elle poursuit, au début des années 30, dans les pays du pourtour méditerranéen.
Elle se rend d’abord en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Puis il y aura la Corse, l’Italie et l’Espagne avant de rallier la Grèce, l’Égypte, le Liban mais aussi l’Irak, la Syrie et la Palestine.
Ailée, ex-Meteor IV (Max Oertz-1909), goélette acquise par Virginie Hériot en 1923…©Wikipedia
Une vie de bohème qui prendra fin brutalement le 28 août 1932. Virginie Hériot, 42 ans, s’apprête à participer aux régates d’Arcachon lorsqu’elle s’évanouit à bord d’Aile VII. Son entourage l’encourage à renoncer mais elle refuse.
Le 27 août, elle manœuvre pour rejoindre la ligne de départ lorsqu’elle est victime d’une syncope. Elle décède le lendemain.
Ses obsèques sont célébrées cinq jours plus tard en la basilique Sainte–Clotilde à Paris avant que « the yachting lady » ne soit inhumée dans le mausolée familial de La Boissière, une petite commune de l’Hérault.
Seize ans plus tard, son fils Hubert, rendra sa dépouille à la mer, au large des côtes bretonnes, conformément aux dernières volontés de cette louve de mer qui a marqué, de manière indélébile, l’histoire de la voile.