Sylvaine Cussot « L'ultra-trail est un face-à-face avec soi-même. »
Ultra-traileuse par tous les temps, Sylvaine Cussot alias Sissi, petit gabarit impressionnant de force, est un concentré de pep’s, de détermination et de joie de vivre. Ses foulées de runneuse passionnée la mènent partout dans le monde, comme à La Réunion où elle s'apprête à prendre le départ de la Diagonale des Fous.
Par Claire Bonnot
Publié le 08 octobre 2023 à 19h11, mis à jour le 11 octobre 2023 à 12h05
Tu te prépares pour le Grand Raid de La Réunion qui aura lieu du 19 au 22 octobre, au total quatre courses dont la mythique Diagonale des Fous ou Diag’ pour les intimes. Ce sera « à la maison » comme on dit, puisque tu habites là-bas… Ça donne du courage ?
C’est ma troisième participation sur la longue distance – l’intégrale : 170 kilomètres. Donc, je connais déjà un peu le terrain en ayant fait la course deux fois, mais c’est vrai qu’en habitant ici, je peux faire des petites portions du parcours pour l’entraînement. Ça prépare bien !
Le trail, c’est exigeant donc les ultras demandent vraiment une préparation au long cours, sur plusieurs années.
Comment choisis-tu les courses sur lesquelles tu vas t’élancer ? Et donc pourquoi refaire cette course : une recherche de performance ?
Pour ce qui est du Grand Raid de La Réunion, c’est vraiment un coup de cœur ! J’ai découvert La Réunion il y a deux ans et demi et m’y suis installée, alors que j’étais seulement partie pour y rester deux mois.
La beauté des paysages, l’attrait des territoires sont toujours des composantes importantes pour moi dans une course. C’est la chance que l’on a en faisant ce sport.
Je me relance sur le Grand Raid pas forcément pour la performance – j’étais arrivée 4e la première année puis 5e des femmes la deuxième – mais plus pour mieux vivre la course.
Je m’étais sacrément blessée à mi-parcours la première fois alors que j’étais en tête de course, juste derrière la première : une côte fissurée et le péroné cassé. Ça a été très douloureux de réenclencher les 90 kilomètres restants. J’ai terminé sur une jambe… donc je voulais absolument y retourner.
Mais, rebelote en 2022 ! Je me suis fait mal au pied, j’avais une douleur insupportable au tendon et ça m’a à nouveau gâché le plaisir. J’ai simplement envie de faire une course pleine sans avoir une douleur qui m’enquiquine et me pollue le cerveau !
Après, bien sûr, on a toujours envie de faire le meilleur résultat possible, j’aimerais rester dans les chronos de mes courses précédentes : 34-35 heures. Mais je ne me fixe jamais d’objectifs de place parce qu’en ultra, la compétition, elle est avec soi-même.
Comment vis-tu justement le fait que ce sport soit « solitaire » et demande un dépassement de soi-même perpétuel ?
C’est vrai que la course à pied est un sport individuel mais il y a énormément de partage, que ce soit avec les spectateurs ou les coureurs. On s’en inspire beaucoup quand on court. On ressent, tout au long des parcours, cette ambiance euphorique qui nous accompagne. Je me sens vraiment portée par ça.
On n’est jamais vraiment seuls en réalité. Et puis, il y a une solidarité incroyable entre les coureurs, on est là pour s’entraider. La compet’ en ultra-trail, c’est vraiment contre soi, dans un face-à-face avec soi-même.
Comment ça se passe entre toi et toi-même alors ?
Je sais qu’à chaque course, je vais traverser des moments difficiles et on s’y prépare à l’avance. À force de le vivre, le mental est solide. Je sais que mes sensations peuvent passer du meilleur au pire en l’espace de quelques minutes seulement. Mais c’est aussi ça la beauté de ce sport et c’est cette euphorie qui m’attire.
La préparation est donc primordiale. On se dit qu’il faut s’accrocher, qu’il ne faut pas baisser les bras à la première difficulté, qu’on va devoir faire face à tous les aléas – les petites douleurs qui apparaissent et la météo, incontrôlable ! – avant l’arrivée.
En parlant de difficultés, tu écris dans un de tes posts Instagram que tu n’as aucun problème avec l’inconfort et l’acceptation de la douleur, mais que tu as du mal avec la mise en danger. Est-ce que tu as déjà stoppé une course pour cette raison. Quelle est ta limite ?
Oui, ça m’est arrivé et les fois où j’ai abandonné, j’ai fini à l’hôpital. En 2014, notamment à l’Ecotrail de Paris, je me suis luxée le pouce et ouvert le menton, je n’ai pas pu terminer. Mais je suis dure au mal ! J’arrive à mettre mon ego de côté et me dire que mon objectif, c’est de finir la course même si je n’atteins pas la performance que je veux.
Mais je fais bien la distinction entre ces moments où on est simplement dans l’inconfort – ce qui arrive très souvent dans les ultra trails car on a froid, on a faim, on a mal ! mais on le sait avant de partir sur la ligne de départ – et ceux où on se met en danger. Là, il faut être très vigilant.
Par exemple, dans ce Grand Raid des Pyrénées dont je parle dans le post, il y avait de grosses rafales de vent qui me projetaient contre le vide, des coureurs étaient en hypothermie… On fait ce sport par passion, pas pour frôler le danger !
Alors, qu’est-ce qui te fait tenir quand tu cours et que tu souffres ?
Parfois, certains coureurs se plaignent mais personne ne nous a obligés à être là ! Je me raccroche à ça, je serre les dents, je sais que c’est temporaire et que ce sera terminé d’ici quelques heures. Alors autant tout donner !
Est-ce que certaines courses particulièrement difficiles ont marqué un tournant dans ta pratique ?
La Diagonale des Fous en 2021 où je me suis fissurée le péroné est celle où j’ai le plus souffert physiquement et pourtant je suis allée au bout. Ça peut paraître fou mais quand on est dans cette situation, on ne réfléchit pas, tant qu’on peut avancer, on continue.
J’en ai retiré des leçons : on peut toujours repousser ses limites, on ne se rend pas forcement compte de quoi on est capable. Tout en étant très prudent, il ne faut pas se mettre trop de barrières et ne pas baisser les bras.
Y’a-t-il une course où tu étais dans le flow, où tu t’es sentie voler ?
Ça arrive sur pas mal de courses en fait, sur des petites portions où on est clairement en lévitation, dans une sorte de plénitude. Oui, c’est comme si on volait au-dessus du sol. Mais quelques minutes après, on peut être au fond du trou ! On passe pas tous les états, le trail, c’est des up et des down en permanence.
La course du La SaintéLyon en 2016 a été un superbe moment. Parce qu’on a couru ensemble en tête avec l’une des traileuses pendant 25 kilomètres, on a partagé ! Elle a gagné au sprint et j’ai fait deuxième, mais quelle sensation que cette course !
Et finalement, d’où te vient cette passion pour le running, tu parles de « drogue » ?
J’ai commencé à courir petite, à l’âge de 5-6 ans avec mes parents : on se faisait des tours de trois kilomètres en famille tous les dimanches matin.
Après, j’ai pris une licence d’athlétisme à l’âge de 10 ans et c’est là que j’ai commencé à découvrir toutes les disciplines. J’aimais le côté ludique, mais j’ai débuté très vite les compétitions.
Le trail (la course en pleine nature, Ndlr), je m’y suis mise vraiment sur le tard, en 2013. Ça fait dix ans ! C’est par le biais de rencontres et après avoir déménagé dans le Gard. Je me suis mise naturellement à prendre les sentiers pour aller courir. Puis, on m’a engagée à vraiment essayer le trail, j’ai fait une compétition pour laquelle je suis arrivée deuxième, j’ai adoré et c’était parti !
J’ai eu la chance de gagner cette course qui était médiatisée – l’Ecotrail de Paris – ce qui m’a valu de décrocher un partenaire, Asics. J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment !
C’est compliqué d’en vivre complètement, il n’y a pas beaucoup d’argent dans ce sport. Mais ce partenariat que j’ai depuis dix ans représente une grosse aide financière puisque cela m’aide pour mes déplacements et mon équipement.
En parallèle, je travaille chez i-Run.fr, en télétravail avec des horaires aménagées qui me permettent de m’entraîner. On peut dire que je suis une sportive semi-professionnelle.
L’entraînement, j’imagine, est conséquent, comment se coordonnent tes journées ?
En général, hors des périodes de préparation de courses spécifiques, je m’entraîne six fois par semaine avec un seul jour de repos donc. Je fais cinq sorties à pied et une sortie à vélo, dont toujours une sortie longue en montagne de quatre à sept heures.
À la Réunion, le terrain est plus technique. Et sinon, je pars sur de simples footing vallonnés de 1 à 1h30 ou sur des séances de fractionnés sur piste ou sur du plat. J’essaye aussi de garder des séances de vitesse car lorsqu’on part sur les trails longs, on a tendance à être plus lent donc j’essaye de garder le rythme.
Pour ce qui est des périodes de préparation de courses, j’adapte le programme en fonction de mes objectifs mais c’est souvent vélo + course à pied.
Tu as l’air de tout faire toute seule, en mode wonderwoman : entraînement, départs en courses. C’est impressionnant ! Comment tu fais mentalement ?
Alors, c’est vrai que je n’ai plus de coach depuis deux ans, je me débrouille toute seule. Je me connais très bien donc j’ai du recul. Mais je vais voir après la Diag’ justement parce que c’est toujours bien d’avoir quelqu’un qui conseille et qui tempère. C’est surtout ça dont j’ai besoin !
La motivation, je n’en manque pas ! Moi, il faut me dire « Là, tu en fais trop » ou « Là, il ne faut pas que tu y ailles ». En revanche, j’ai une structure de la team Asics-trail avec un médecin et un osthéopathe, mais ils sont en métropole.
Pour la Diagonale des Fous, on sera deux athlètes Asics et on aura une assistance pour la course : une aide psychologique et physique. C’est une aide précieuse ! J’ai de la chance d’avoir cette structure qui me suit. Et j’aurai aussi des amis, sur place, qui me soutiendront.
Selon toi, quels sont tes atouts pour ce sport mais aussi pour la compétition ?
Je manque un peu de confiance en moi alors j’ai toujours du mal à parler de ça, même si aujourd’hui je cerne mieux mes points forts : je crois que c’est ma régularité car je ne suis pas une rapide mais j’arrive à tenir un rythme régulier sur le long.
C’est ce qui me permet de remonter les classements même si je ne suis pas devant au départ. C’est assez grisant ! Du coup, je prends du plaisir sur les fins de parcours et je n’ai pas de coups de mou.
Comment te places-tu sur la compétition de trails et ultra-trails, tu es dans un classement mondial ?
C’est compliqué d’avoir un tel classement car il y a tellement de catégories de trails différents – Trail court, trail long, ultra trail, courses de montagnes. Mais il y a eu une mise en place d’une sorte de classement qui permet d’avoir une cote pour chaque coureur en fonction des courses. Même si j’ai été sélectionnée en équipe de France en 2015 – j’ai fait les Championnats du monde à Annecy – j’ai un peu du mal à être dans la compet’ et dans la comparaison.
J’ai fait pas mal de courses, de palmarès, beaucoup de championnats de France, et c’est le jeu bien sûr ! Mais c’est plutôt le challenge et le côté ludique qui m’animent ! On a beaucoup de choses à gérer qui boostent la performance : l’équipement, la gestion de l’alimentation, de l’hydratation, du sommeil – moi je suis du genre à faire des nuits blanches, je ne me suis jamais encore arrêtée pour dormir.
Ce que j’aime dans ce sport, c’est qu’il y a un tas d’autres choses exaltantes en dehors du fait de courir : la technicité du terrain, jouer avec les montées et les descentes, garder une agilité dans la performance… C’est pas simple parce que je tombe souvent !
Tu penses à quelque chose en particulier lorsque tu cours ?
C’est marrant, c’est une question qu’on nous pose souvent. On peut à la fois penser à rien et être hyper concentré. Je me rappelle d’une course où je me répétais une chanson en boucle.
Et, à la fois, dans la majorité des cas, on pense à plein de trucs, on fait du tri, même parfois je me dis que ce serait tellement pratique d’avoir un carnet pour prendre des notes parce que j’ai plein d’idées quand je cours !
Ça nous permet d’oublier quand on a mal. On est dans notre bulle, en fait. Personnellement, j’adore : c’est exaltant, hyper agréable.
Dirais-tu que le sport et ce sport en particulier est vital pour toi ?
Oui, le sport est un équilibre absolu, une grande part de mon bien-être. Sans sport, il manquerait quelque chose à ma vie. Ça m’a apporté de me connaitre mieux, d’aller chercher mes limites, de développer des qualités qui me servent dans ma vie de tous les jours comme l’abnégation, le courage, la régularité et la rigueur. J’ai fait aussi de très belles rencontres
Tu es une globe-trotteuse puisque tu fais des courses partout à travers le monde, Japon, Patagonie, Cambodge, Afrique… Une aventure particulière à nous raconter ?
Celle de l’Ultra Fiord en Patagonie, en 2015. Cette course avait été hyper dangereuse et difficile. J’avais terminé deuxième mais dans une souffrance physique et psychologique que je n’avais jamais connue. Je dois dire que je me suis fait très peur, j’ai flirté avec la mort.
Je suis partie avec des frontales pour la nuit mais aucune des deux ne fonctionnait. Je me suis retrouvée en pleine jungle patagonienne sans réseau, seule, avec le froid et sans rien à manger. J’avais perdu le balisage. C’était une situation ultra angoissante. J’ai crié, j’appelais à l’aide !
J’ai eu la chance incroyable de tomber sur un Chilien qui était placé sur une zone d’assistance à quelques mètres de là où j’étais. C’était la 1ère édition et le parcours n’était pas bien balisé, parfois même, il n’y avait pas vraiment de sentiers, il fallait se mettre à quatre pattes pour passer. La leçon ? Bien savoir dans quoi on se lance !
Tu es très suivie sur Instagram, près de 86 000 followers, partager tes expériences te motive ? As-tu envie aussi de devenir une sorte de rôle modèle pour d’autre filles passionnées ?
C’est vrai que beaucoup de personnes m’écrivent pour me remercier, me dire que je les ai inspirées à se lancer dans la course, que je les fais voyager… Ça me touche énormément et ça me booste. Je me dis que c’est un partage utile, vertueux.
Quelle est la place des femmes dans ce sport ? Sont-elles assez mises en avant, médiatisées, soutenues humainement et financièrement ?
Ça a un peu évolué. Fut un temps, on ne parlait que des hommes et pas des femmes qui étaient en tête de course… Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, il y a une mise en avant des performances féminines, une reconnaissance. Il y a le classement mixte, le scratch qui est non genré et déterminé uniquement par l’ordre d’arrivée des participants.
Courtney Dauwalter– « la fusée américaine » – par exemple, fait des courses incroyables et devant les hommes ! Sinon, même si parfois ça fait un peu rager les hommes quand on leur passe devant, ils sont vraiment dans l’entraide. Le milieu est très sain !
Quel est ton rêve de trail le plus fou ?
Je n’ai pas vraiment de rêve parce que lorsque j’ai eu des envies, j’ai fait tout ce que je pouvais pour les réaliser. Et je ne crois pas avoir de courses qui me font rêver en particulier sauf peut-être aller découvrir les trails aux États-Unis qui sont différents.
Mais, c’est vrai que voyager, découvrir des endroits uniques où on ne va jamais me motive à fond. Quand j’ai fait le Trail du Cap Vert, on a traversé toute l’île de Santo Antão, c’était dingue. On visite des coins de paradis, ça c’est un rêve éveillé.
Sylvaine Cussot sur Le Marathon des Sables en 2022
Le palmarès de Sissi : 3 fois vainqueur 80km EcoTrail Paris, 2 fois 2e Saintélyon (70km), Vainqueur Ultra du Cap Vert 2021 (120km), 2e Marathon des Sables 2022 (250km en 5 étapes), Sélection en équipe de france 2015, 32e aux mondiaux de trail, 4e Ultra Mont Fuji 2019 (160km), 4e CCC 2014 (100km), 4e diagonale des fous 2021 (170km), 5e diagonale des fous 2022 (170km), 2e UTCAM (ultra du Mercantour) 2020 (110km), 7e MIUT (Madère Ultra Trail) 2018 (120km), 21e UTMB 2019 (170KM).
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