Pauline Courtois et Corentin Horeau« La mixité en voile, c'est prendre soin l'un de l'autre. »

Pauline Courtois et Corentin Horeau : « La mixité en voile, c'est prendre soin l'un de l'autre. »
Ils sont deux. Un gars, une fille. Pauline Courtois et Corentin Horeau s’élancent ce dimanche de Concarneau pour la 16e édition de la Transat Paprec, course au large dont la particularité, cette année, est d’avoir imposé la mixité à bord. Rencontre avec deux loups de mer qui n'ont pas peur de mettre les voiles ensemble.

Par Sophie Danger

Publié le 28 avril 2023 à 17h27, mis à jour le 28 avril 2023 à 17h34

Vous vous apprêtez tous les deux à prendre le départ de la Transat Paprec, ce dimanche 30 avril, à Concarneau. La spécificité de cette 16e édition est qu’il n’y aura que des équipages mixtes au départ, une première pour une Transatlantique. Qu’est-ce que cette cohabitation apporte à la course ?

Pauline Courtois  – C’est une super opportunité pour les filles. Moi, je ne viens pas du tout de la course au large. Habituellement, je fais du Match Racing, une discipline assez opposée qui consiste en des duels en 1 contre 1 dans le but de battre l’autre au terme de manches qui durent vingt minutes. Autant dire que moi, je fais du sprint et que la Transat Paprec, c’est plutôt du marathon. Entre cette course et la Plastimo, qui a également décidé de passer en mixte, ça créé des opportunités et on voit qu’il n’y a jamais eu autant de filles qui naviguent.  
 
Corentin Horeau J’ai la chance d’y avoir déjà participé avec Élodie (Élodie Bonafous, édition 2021, Ndlr). Pour moi, fille ou garçon, ça ne change pas grand chose. Si je prends du recul et que je reviens sur cette transat avec Élodie, mis à part, peut-être, le physique, il n’y a aucune différence. Je pense que si la mixité n’avait pas été obligatoire, je serais peut-être parti avec une fille !

©Vincent Olivaud

Lorsque tu t’es lancé avec Élodie, la mixité n’était pas imposée

Corentin Horeau Non, pas du tout. C’est Élodie qui m’a proposé de partir avec elle et j’ai trouvé ça top. Une fille, c’est toujours plus calme, plus réfléchi. On sort grandi de ces expériences et je pense que, , notre duo avec Pauline va être très complémentaire. Je suis impatient de partir.

Et en terme de navigation proprement dite, est-ce que le fait de se lancer en équipage mixte change quelque chose ?

Pauline Courtois – Ça ne change pas grand chose. En Match Racing, il y a un circuit féminin très développé. Après le Covid, il est reparti plus vite que le circuit open – le circuit masculin.

Ceci étant, toute l’année, nous nous entraînons avec des garçons. Les années précédentes, nous avons disputé pas mal de fois le championnat de France en mixte, nous avons également été sur le circuit mondial open…

Naviguer en mixte, ce n’est pas quelque chose qui nous pose question ou qui nous pose problème, ça s’est fait assez naturellement.  

Le premier titre de Championne du Monde de Match-Racing pour Pauline Courtois en 2021.

Que pensez-vous du fait que la mixité soit un exercice imposé et non un choix librement consenti. Faut-il en passer par , instaurer des quotas pour plus de représentation féminine en voile ?

Pauline Courtois – Il faut en passer par pour que les choses changent car, pour l’instant, on n’a pas trouvé d’autres solutions et on sait que celle-ci peut fonctionner. En Match Racing, la question s’est posée il y a quelques années et la réponse a été de créer un circuit féminin. Ça va faire dix ans que ce circuit existe et ça n’arrive que maintenant que les filles soient invitées sur les épreuves open de top niveau, on voit que ça prend du temps mais que ça porte ses fruits.

Personnellement, je ne suis pas hyper fan des quotas et je ne suis pas très à l’aise avec ça, mais pourquoi pas ? On voit que ça bouge et dans le bon sens. Par la suite, si ça ne fonctionne pas, il sera bien temps de se dire que ça ne suffit pas. Je pense qu’il ne faut pas voir cette mixité imposée comme une fin en soi et j’espère qu’à l’avenir, il n’y aura plus besoin d’imposer des règles comme celles-ci pour qu’il y ait des filles qui naviguent.    
 
Corentin Horeau – C’est vrai que le fait d’imposer me gène un peu. Si ça n’avait pas été imposé, il y aurait certainement eu plus de bateaux. A contrario, avec cette mixité, je suis persuadé que, sur les onze filles au départ, il y en a au moins trois ou quatre qui vont attraper le virus et que l’on retrouvera sur la Solitaire du Figaro dans un futur plus ou moins proche.

Avec cette mixité imposée, les filles vont voir que le circuit est accessible à tous, elles vont avoir envie de continuer et ça, c’est génial. Après, ce qui est un peu con, c’est d’imposer les choses.

Corentin, le manque de femmes en course, notamment dans les transatlantiques, c’est quelque chose que tu avais remarqué  ?

Corentin Horeau Non, parce que, même si le vivier n’est pas encore assez important, on voit de plus en plus de filles, des filles qui s’affirment et sont très fortes. On n’est pas à la parité, ça met un peu de temps, notamment en course au large mais, par les temps qui courent, ça évolue et je dirais que c’est plutôt un avantage d’être une fille dans cette discipline pour trouver des partenaires notamment.

Les femmes communiquent bien, elles ont une belle image, elles ont leur chance et il faut qu’elles la saisissent.   

Est-ce que vous lancer tous les deux dans une transat mixte est une manière pour vous de vous engager pour que les choses changent ? Une sorte de parti-pris militant ?

Pauline Courtois – Je ne sais pas si c’est militant mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aurait jamais eu toutes ces opportunités pour les filles sans cette règle. Personnellement, ce n’est pas un paramètre qui est entré en compte dans ma décision. En revanche, je suis consciente qu’il y a un certain nombre de projets qui ouvrent leurs portes aux filles, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. C’est quelque chose de très bien. 
 
Corentin Horeau Je ne revendique rien. Que ce soit une femme ou un homme, comme je l’ai dit ne change rien, l’important c’est l’humain en face de moi : réussir à trouver quelqu’un avec qui tu as un bon feeling, avec qui tu peux partager et passer dix-sept, dix-neuf jours de mer. 

Pauline, jusqu’à l’année dernière, tu n’étais pas du tout dans l’optique de te lancer dans la course au large. Qu’est-ce qui fait tu as accepté de te lancer aux côtés de Corentin ?

Pauline Courtois – Je ne l’envisageais même pas il y a deux mois et je n’y ai toujours pas réfléchi ! Moi, je fais du duel et ce que j’aime, c’est la confrontation avec les autres bateaux, le fait d’être proches, de matcher tout le temps.

Ce qui me fait un peu peur avec la course au large, c’est la durée, le fait qu’à des moments tu es tout seule. Corentin m’a rassurée sur ce point, il m’a expliqué que lors de sa dernière transat, il y avait tout le temps du monde à vue et que ça se battait très fort.

Le fait que l’on ait tous les mêmes bateaux sur la course apporte également une donne « bataille à armes égales » qui est sympa.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance : le fait d’être en duo ou le fait de partager une aventure avec Corentin que tu connais bien ?

Pauline Courtois – Les deux. Corentin et moi, on se connait depuis un petit moment. On s’est rencontrés sur un tour de France à la voile et on a fait du Match Racing ensemble.

La Transat Paprec, jamais je n’y serais allée de moi-même. Je l’ai fait parce que l’occasion s’est présentée à moi mais si ça n’avait pas été Corentin qui me l’avait proposé, je pense que je n’aurais pas forcément dit oui. Le fait que ce soit en équipage, une aventure partagée, est aussi quelque chose qui me plaît.

Je ne l’aurais pas faite en solo parce que je n’ai pas envie de me lancer dans le solitaire pour le moment. C’est une belle occasion, c’est une discipline que je ne connais pas et Corentin, lui, est très pointu dans ce domaine. Pour progresser, ça ne se refuse pas.

Comment te l’a-t-il proposé ?

Pauline Courtois – Il m’a envoyé un message en me disant : «  La Transat Paprec, ça te dirait ? » Je pense qu’il n’était pas certain que j’accepte parce que j’avais dit à tout le monde que je ne voulais pas faire de course au large tout de suite. Moi, je me suis dit « Oh la la » et puis j’ai dit oui.

Corentin, Pauline n’imaginait pas se lancer au large, tu étais certain, toi, qu’elle allait accepter ta proposition ? Comment ça s’est passé ?

Corentin Horeau – J’ai pensé à Pauline dès le début pour cette transat. Elle m’avait toujours dit qu’elle n’avait pas envie de faire ce genre de course, ce qui fait que je n’avais pas osé lui demander et puis, je me suis dit que c’était dommage de passer à côté car je pense qu’elle peut vraiment être à l’aise au large et en Figaro.

J’ai décidé de lui demander quand même et j’ai été agréablement surpris quand elle m’a dit : « Banco, si je ne teste pas, je ne saurai jamais, on va essayer ». Elle m’a demandé un mois pour voir si ça lui plaisait de naviguer de nuit et puis après, c’était parti, on a décidé de se lancer à fond et on verra ce qui va se passer à l’arrivée.

Quelles sont les qualités de l’un et l’autre qui font que votre duo est une évidence ?

Pauline Courtois – Corentin est hyper pointu dans le domaine de la course au large, il n’y a qu’à regarder son palmarès, il parle de lui-même. Et puis, humainement, je n’avais pas de doute sur le fait que ça puisse matcher. On a, à peu près, la même façon de voir les choses, on a, à peu près, les mêmes objectifs, je me suis dit que ça pouvait être bien sympa.  

Corentin Horeau – Je pense que, comme on se connaissait, on savait l’un et l’autre qu’humainement, ce serait bien, qu’on allait bien s’entendre, rigoler. Je pense que j’ai le contact facile, j’essaie de faire attention aux autres. Elle aussi, elle est toujours enthousiaste pour tout, elle a toujours le sourire, elle est toujours à fond, ce qui facilite les premiers échanges et les navigations.

Pauline sait aussi que ce projet commence à être abouti parce qu’on travaille sur le bateau depuis presque trois ans maintenant et je pense que ça l’a décidée aussi. C’est un tout. Je ne sais pas si elle serait partie avec quelqu’un d’autre. J’ai eu la chance qu’elle dise oui et c’est tant mieux pour moi. 

Et, inversement, pourquoi est-ce que Corentin, qui a déjà navigué en duo mixte sur la Transat Paprec, t’a choisie toi et pas une autre marin ?

Pauline Courtois – Il faut le lui demander mais je pense que, même si le Match Racing est une discipline complètement opposée à la course au large, on retrouve malgré tout des caractéristiques communes comme le fait d’essayer de faire avancer vite un bateau.

En Match Racing, les bateaux sont fournis par l’organisation, ce ne sont pas les nôtres et on en change à toutes les épreuves, ce qui nous demande d’être capables de nous adapter rapidement.

C’est un peu la même chose sur le Figaro pour moi. Je n’avais pas beaucoup de temps d’entraînement et il a fallu que je trouve assez vite les manettes du bateau pour être capable d’aller aussi vite que Corentin. Il m’a bien aidée pour ça et on a vu que ça ne fonctionnait pas trop mal sur la course de préparation que nous avons disputée. C’est cool.

Corentin, tu as déjà participé à la transat Paprec en mixte avec, à tes côtés, Elodie Bonafous. Tu en as retenu quoi ?

Corentin Horeau C’est une compétition intense. En Figaro 3, le niveau est élevé, homogène, et les bateaux sont toujours très proches. Il faut essayer de tirer son épingle du jeu par des petits coups stratégiques.

Sinon, ce que je retiens, à chaque fois que je fais une transat, ce sont les arrivées. Ce sont des moments magiques parce que, au-delà du classement, il y a l’aventure. Quand tu mets le pied de l’autre côté, tu te dis que ça y est, tu as fait quelque chose, tu as traversé. J’ai quelques transats à mon actif maintenant, cette émotion est toujours présente mais peut-être un peu moins intense.

Je sais, en revanche, que Pauline, elle, va prendre un gros coup en arrivant. La première transat, c’est quelque chose. Je pense qu’elle ne l’oubliera jamais. 

Pauline, toi qui va vivre ta première course au large, qu’est-ce qui t’impressionne le plus dans cette aventure ? La gestion du sommeil par exemple, le fait de ne plus pouvoir faire marche arrière une fois le départ donné… ?

Pauline Courtois – Pour moi effectivement, ce sera une première et il y a plein de paramètres que je vais découvrir. Mais la nouveauté n’est pas quelque chose qui me fait peur. Je me dis que si jamais ça ne me plaît pas, ce n’est que vingt jours et que ça va m’apprendre plein de choses.

Tout cela fait que ça ne peut être qu’une expérience positive. Tout le monde me dit que je ne commence pas par le plus facile mais, en même temps, à un moment, il faut se lancer.

Est-ce qu’avec la mixité imposée, la question de l’intimité se pose, question qui éventuellement peut vous interroger ?

Pauline Courtois – Non. Moi, j’avais bien plus peur de me dire que vingt jours c’était long plutôt que de m’interroger sur la partie pratique. Ça, ça ne me fait pas du tout peur. Nous sommes très souvent en déplacement avec des filles et des garçons, même si , l’espace est réduit, ça ne me pose pas problème. Je suis sereine. 
 
Corentin Horeau Plus que l’intimité, il y a toujours des moments en course on se demande ce qu’on fait mais dix-sept, dix-huit jours dans une vie, qu’est-ce que c’est ? Pas grand chose au final !

Ça va être à moi de prendre soin de Pauline et inversement durant la traversée. Quand on va voir que l’autre n’est pas très bien, qu’il manque de sommeil, qu’il commence à être un peu bougon, il ne faudra pas hésiter à lui dire de dormir un peu plus par exemple. S’il y a des trucs avec lesquels Pauline se sent moins à l’aise, je n’hésiterai pas à les faire à sa place, à détendre l’atmosphère avec un peu de musique ou à sortir la charcuterie et le fromage pour prendre un petit apéro au soleil !

Concrètement, entraînements mis à part, avez-vous déjà eu l’occasion de naviguer ensemble en course ? 

Pauline Courtois – Non, jamais. On s’est croisés sur les plans d’eau mais nous n’avions jamais navigué ensemble. 

Pauline, qu’est-ce que tu as ressenti sur ce bateau, comparé à ceux sur lesquels tu navigues habituellement ?

Pauline Courtois – Ce n’est pas hyper différent. Le bateau est à peu près dans les gabarits de ce sur quoi on navigue d’habitude, même s’il est un peu plus gros.

C’est un bateau lourd car il est fait pour faire un peu de route mais, ce qui m’a étonnée, c’est qu’il est hyper agréable à la barre. Souvent, quand les bateaux sont lourds, il y a un peu d’inertie. Ils ne sont pas toujours facile à barrer car il n’y a pas beaucoup de sensations à la barre. , le bateau est hyper vivant, il y a plein de réglages, ça nécessite d’être hyper pointu parce que les copains, à côté, ne vont pas nous attendre. Il faut être à fond tout le temps pour le faire avancer.   

Comment allez-vous vous répartir les rôles sur le bateau ?

Pauline Courtois – La question s’est évidemment posée et comme nous n’avons pas eu beaucoup de temps d’entraînement, il a fallu que l’on soit assez efficaces sur le sujet. On a trouvé tous les deux notre place naturellement. Corentin connaît très très bien le bateau, il gère l’aspect manœuvres et moi l’aspect barre. Il va aussi s’occuper de tout ce qui est météo. En fait, nous nous sommes répartis les rôles en fonction de nos préférences et de ce que l’on sait faire. 
 
Corentin Horeau On a eu une préparation assez courte, alors on a essayé d’aller au plus efficace, au plus rentable. Pauline barre très bien, c’est donc elle qui va barrer le bateau, moi je vais faire les manœuvres et la navigation. Ça va être une alchimie à trouver sur les temps de quarts, les temps de barre mais je pense que tout cela va se faire naturellement

Quelles sont vos ambitions sur cette course ?

Pauline Courtois – Sur les objectifs, nous sommes assez raccords. Il n’y a pas énormément d’équipages au départ, mais je pense qu’à cette échelle-là, tout le monde est capable de gagner. Nous allons essayer de naviguer le plus proprement possible, le plus vite possible pour arriver de l’autre côté en essayant de faire une belle trajectoire.

Ensuite, pour ce qui est du résultat, on verra. Il est difficile de se projeter sur une durée aussi longue, les options peuvent être différentes et on voit seulement à la fin ce qui paie. On va néanmoins jouer notre chance au maximum en essayant de prendre du plaisir ensemble. 
 
Corentin Horeau Cette année, je n’ai vraiment pas envie de me prendre la tête avec le classement. Nos ambitions, c’est de bien naviguer et de prendre beaucoup de plaisir, c’est notre état d’esprit à tous les deux. On s’attache plus à la manière qu’aux résultats.

Le but c’est d’essayer de profiter car souvent, en course, on n’a pas le temps de profiter de la mer, des beaux couchers de soleil, de la faune. En vieillissant (Corentin a 33 ans, Ndlr), on se dit quand même que ce qu’on fait c’est super et qu’il faut profiter de ces instants-.

Et personnellement ?

Pauline Courtois – Personnellement, c’est de découvrir ce qu’est la course au large. Je m’attaque à un bon morceau, je pense que j’ai plein de choses à apprendre de cette nouvelle discipline. Je suis certaine qu’à la fin de ces vingt jours j’aurai appris plein de choses sur moi et sur la course au large, ça ne peut qu’être bénéfique.

Ouverture ©Vincent Olivaud

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