Louise Kergomard : « Je suis la seule fille au chantier, mais je n’ai jamais ressenti de pression machiste »Ingénieure en agroalimentaire, responsable logistique de Benjamin Ferré sur le Vendée Globe 2024, 27 ans.

Louise Kergomard FB
Elle est ingénieure en agroalimentaire de formation, passionnée par le milieu de la voile, et c’est elle qui a la responsabilité de l’avitaillement dans l’équipe du skipper Benjamin Ferré qui prendra le départ du Vendée Globe le 10 novembre prochain. Confidences d'une fille habituée à vivre dix journées en une.

Propos recueillis par Sophie Danger

Publié le 05 novembre 2024 à 9h36, mis à jour le 05 novembre 2024 à 17h38

« J’ai rejoint l’équipe de Benjamin Ferré en mars 2023. Ce n’est pas lui qui est venu me chercher, c’est moi qui ai initié la démarche. Moi je suis ingénieure agroalimentaire de formation mais je baigne plus ou moins dans le milieu de la voile depuis que je suis gamine. À l’époque, j’avais bien en tête qu’il y avait des marins qui faisaient le tour du monde à la voile, mais ce que je ne savais pas, c’est qu’il y avait des gens qui travaillaient pour eux.

Et puis un jour, je suis allée voir une Route du Rhum avec mes parents et, en passant sur les pontons, je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de monde qui s’affairait. C’est là je me suis dit qu’il y avait moyen pour moi de faire quelque chose dans ce domaine plus tard. Pour autant, à ce moment-là, je poursuivais mes études et il était évidemment hors de question que je me barre en plein milieu alors j‘ai commencé à faire du bénévolat en parallèle, notamment à l’école de voile des Glénans. Les Glénans pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont des îles et la partie logistique est très importante : il faut gérer l’approvisionnement en nourriture, la gestion des déchets, la sécurité en mer…

Mes études terminées, j’ai trouvé un stage chez Mer Concept. Pendant deux ans et demi, j’ai fait de la com’, des relations partenaires, du marketing et un peu de logistique mais sur la partie événementielle. Est arrivé un moment où je me suis dit qu’il fallait que je rejoigne une équipe où je toucherais, cette fois, à la logistique purement technique pour pouvoir atteindre mon but, à savoir faire de la gestion de projet. C’est une copine qui m’a avertie qu’il y avait une place à prendre dans l’équipe de Benjamin. Nous nous sommes retrouvés dans un resto à PortlaForêt pour discuter et c’est parti comme ça.

Depuis, je suis responsable logistique. C’est un poste assez diversifié avec trois grands axes : ce qu’il y a à faire lorsque le bateau n’est pas en mer (approvisionnement du chantier, gestion fournisseurs et des prestataires, réparation et révision de pièces…), tout ce qui concerne la préparation des courses en amont avec de la logistique pure (comment déplacer toute l’équipe, réserver des billets d’avion, des hébergements, s’occuper de nourrir tout le monde…) et puis les périodes de course proprement dites.

Parmi mes attributions, il y en a une qui me tient particulièrement à cœur, c’est l’avitaillement. Pour le Vendée Globe, nous avons fait un vrai travail de recherche sur le sujet avec Benjamin afin d’améliorer la nourriture qu’il embarquera. La bouffe en mer, ça reste hyper compliqué et avec le Vendée, il y a un petit challenge en plus puisque ça dure 80 jours et qu’il faut que ce soit varié pour ne pas qu’il se lasse, il faut également qu’il ait suffisamment d’apports énergétiques et ce, peu importe la zone qu’il traverse.

Il sera à la barre pendant les fêtes de fin d’année alors j‘ai demandé à sa copine ce qu’il aimait manger à cette occasion afin de lui préparer quelques repas un peu sympas, j’ai essayé de chercher des mets originaux et j’ai trouvé, reste à voir si ça lui plaira ou pas. Il a un sac de nourriture par semaine et nous avons également prévu des surprises, des petits mots de tout le monde, son album panini… On a fait en sorte de l’occuper. 

Ce qui est génial avec ce travail, c’est que je suis en relation avec plein de gens et qu’aucune journée ne se ressemble, ce qui peut être perturbant parfois parce que tu es en permanence en train de switcher de sujet, et particulièrement en ce moment d’ailleurs. Hier par exemple, je suis tellement passée du coq à l’âne que, lorsque je suis arrivée chez moi le soir, je me suis dit que si je devais écrire ce que j’avais fait, ça n’aurait aucun sens. J’ai eu l’impression de vivre dix journées en une, mais je trouve ça hyper stimulant et je mesure le gap en termes de compétences entre le moment où je suis arrivée et là, c’est assez fou.

Au quotidien, je suis la seule fille au chantier. Moi qui ai toujours évolué dans des environnements hyper masculins, ce n’est pas quelque chose qui me dérange. Pour autant, les gars aiment bien m’expliquer des trucs, il leur arrive de me dire : « Tu es sûre de la façon dont tu as fait ça ? » mais je ne sais pas si c’est parce que je suis la seule à être là tout le temps sans avoir un profil purement technique ou si c’est parce que je suis une fille et qui plus est, la plus jeune de l’équipe

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais ressenti cette espèce de pression machiste qu’il peut y avoir parfois dans ce genre de milieu et, s’il m’arrive parfois de m’énerver et de dire aux gars d’arrêter avec leur égo masculin mal placé, je ne débarque pas le matin en me disant que je vais encore me prendre plein de réflexions toute la journée, tout le monde se respecte.

Ça n’empêche pas le syndrome de l’imposteur. La voile est un tout petit milieu, ça fonctionne beaucoup en réseau avec des gens qui sont là depuis des années, alors quand tu débarques, tu as forcément peur de ne pas savoir faire, peur de manquer d’expérience, ce que je ressens beaucoup moins aujourd’hui parce que, même si ça ne fait qu’un an et demi que je travaille avec Benjamin, j’ai l’impression d’avoir fait une formation sacrément accélérée et d’être plus solide sur mes appuis.

Le 10 novembre prochain, quand il s’élancera pour le Vendée Globe, j’aurai la responsabilité du Zodiac assistance et c’est moi qui serai chargée de récupérer les gens qui descendent du bateau après l’avoir préparé dans la phase de pré-départ. Si on m’avait dit ça il y a cinq ans, j’aurais dit : « N’importe quoi ! » et ce d’autant plus que les pilotes de Zodiac sont le plus souvent des hommes. Je me souviens lorsque je l’ai fait lors du départ de la Jacques-Vabre : je n’avais pas envie, j’avais peur même, mais un an a passé depuis et je suis beaucoup plus sereine sur le sujet. Je pense, malgré tout, que la veille et même le matin, du départ du Vendée, je ne vais pas faire la maligne.

Sur les départs, il y a une toujours ambiance particulière : c’est souvent tôt le matin, toutes les équipes sont concentrées, tu sens la tension dans l’air, tu sens l’excitation aussi. Quand Benjamin sera parti, ça va être un peu particulier. Je vais à la fois être soulagée parce que ça voudra dire qu’on est arrivé au bout de ce qu’on pouvait faire mais, d’un autre côté, ça va être hyper triste.

Aujourd’hui, Benjamin ne sait pas encore ce que sera l’après Vendée Globe pour lui, ce qui signifie qu’on ne sait pas trop ce que notre équipe va devenir. Potentiellement, on ne travaillera plus les uns avec les autres et je pense que ça va me mettre un petit coup au moral. Je vais être à la fois très heureuse car c’est son rêve qu’il va le réaliser et qu’on a tout fait pour que le bateau soit opérationnel, mais ça signe aussi la fin de l’aventure, sans compter que le bateau ne sera plus là et que mon activité va s’arrêter. J’ai à la fois hâte et pas hâte.

Je ne serai pas dans la cellule de crise à proprement parler mais, s’il y a un problème, il est évident que je décrocherai mon téléphone et ce, même si je suis en vacances à l’autre bout du monde. Si d’aventure Benjamin se lance dans un nouveau projet et que ce dernier ne concerne pas la voile, je ne le suivrai pas, non pas parce que je ne lui fais pas confiance, mais parce que j’ai envie de rester dans ce milieu, c’est une vraie passion pour moi. S’il se relance dans un projet voile, c’est différent. Je considère que c’est rare d’avoir un lien comme celui qui nous lie et avec lui et avec le reste de l’équipe.

Ce que je fais, c’est plus qu’un simple boulot pour moi, il y a une cohésion entre nous qui fait que tu es très impliquée, et ça, ça peut m’inciter à continuer à ses côtés. » 

Elles aussi sont inspirantes...

Noëlie : « Quand je roule, c’est un sentiment de liberté et de joie qui m’anime. »

Noëlie : « Quand je roule, c’est un sentiment de liberté et de joie qui m’anime. »

Maman d’un enfant en bas âge, la trentenaire Noëlie n’a pourtant jamais lâché le guidon et s’est fait une place de choix dans le monde du vélo. Son prochain défi ? La course reine de l’ultra-cyclisme, la RAF 2500km, sans assistance et en totale autonomie. Avec sa coéquipière Elsa, elles seront le premier duo féminin de toute l’histoire de la RAF. De vraies Indiana Jones au féminin !

Lire plus »

Vous aimerez aussi…

Manon Genest : « Avec mes victoires est revenu l'espoir, j'ai su que l'avenir pouvait être grand. »

Manon Genest : « Avec mes victoires est revenu l’espoir, j’ai su que l’avenir pouvait être grand. »

Les épreuves, elle connaît. Elle a pris des coups, elle est tombée, mais jamais elle n’est restée à terre. Manon Genest, championne du monde de para-triathlon avant de se tourner vers le para-athlétisme, compte bien briller devant sa fille lors des Jeux Paralympiques de Paris. Le sport de haut niveau, le burn out, la maternité, les doutes… elle n’ élude rien. Rencontre avec une championne d’exception.

Lire plus »
Football

Une mère, une fille et des sports dits « de mecs »

Le Podcast signé Aïda Touihri ,« Tu seras une femme », qui explore la féminité sous l’angle de la transmission familiale, propose dans cet épisode à deux voix de revenir sur une histoire sportive générationnelle, celle d’une mère footballeuse et de sa fille rugbywoman. Et c’est à écouter (aussi) sur ÀBLOCK!

Lire plus »
Wilma Rudolph

Wilma Rudolph, la « Gazelle Noire » du ghetto devenue athlète de légende

Une antilope semble courir sur la piste des JO de Rome, en 1960. Des jambes élancées au tonus impressionnant, une course d’une vitesse époustouflante alliée à une grâce d’exécution sans pareille. Cette tornade délicate, c’est Wilma Rudolph, ancienne infirme devenue athlète à 20 ans. Elle remportera trois médailles d’or au sprint. Surnommée la « Gazelle Noire », elle s’est bâti une destinée de légende à la force de ses jambes et de son mental d’acier.

Lire plus »

Manon : « J’ai longtemps cru que certains sports étaient réservés aux mecs ! »

Sportive tous azimuts depuis toujours – de l’équitation au tennis en passant par la course à pied, Manon n’aurait cependant jamais pensé soulever de la fonte un jour. Dans son esprit, c’était du « sport de mecs ! ». La passion communicative de son copain lui a fait pousser la porte d’une salle de CrossFit et, depuis, elle se sent plus forte. Un joli parcours d’ouverture d’esprit et d’émancipation par le sport.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner