Tu as 47 ans et, derrière toi, plus de trente ans d’aventures, pour ne pas dire d’exploits, en montagne. Pour autant, tu sembles n’être jamais rassasiée. Quel est ton moteur ?
Je pense que c’est la curiosité et aussi le fait que j‘aime le challenge de façon générale. Je trouve que l’on grandit, que l’on apprend lorsque l’on se confronte à des situations nouvelles. J’ai un passé de compétitrice, j’étais en équipe de France d’escalade de l’âge de 16 ans à 24–25 ans et puis, j’ai eu un accident qui a fait que j’ai un peu arrêté de grimper. Durant cette période, j’ai découvert d’autres sports. Je suis revenue à la montagne il y a une quinzaine d’années, j’ai passé mon guide très récemment et, encore plus récemment, je suis allée pour la première fois de ma vie en Himalaya sur un 8 000 mètres.
C’est ça aussi mon moteur, faire des choses qui m’animent et qui ont du sens pour moi. Sans compter le goût du dépassement : j’aime bien quand les choses sont un peu compliquées, un peu difficiles sinon j’y trouve peu d’intérêt. Au bout de tout cela, il y a cette question : est-ce que je vais être capable de ? Est-ce que je vais réussir ? Pour autant, je ne me mets pas de pression. Si je ne réussis pas, ce ne sera jamais un échec car je sais que j’aurais tellement appris tout au long du processus de préparation et au moment du projet en lui-même que l’expérience sera toujours positive, riche, intéressante et qu’elle me fera grandir, qu’elle me transformera.
©Aurélie Gonin/Sea to Summit
Lorsque l’on s’arrête sur ton parcours, ce qui frappe en premier lieu, c’est ton appétence pour la montagne de manière générale. Tu la dégustes avec gourmandise à travers l’escalade, le parachute, le base jump, le parapente, le ski-alpinisme… Comment peut-on te qualifier, est-ce que sportive de haut niveau, dans ton cas, ce n’est pas réducteur ?
Pour moi, un sportif de haut niveau est un athlète qui s’entraîne six ou huit heures par jour, cinq à six jours par semaine. C’est une notion qui est également très liée à la compétition. En ce qui me concerne, je ne suis plus vraiment dans cette case même si, pour pouvoir faire le K2, j’ai pris un coach avec lequel j’ai travaillé six jours sur sept mais sans pour autant avoir une échéance comme les Jeux Olympiques au bout. Moi, j’avais « simplement » une montagne à grimper ce qui fait que, contrairement à un sportif de haut niveau, je vis tout cela sans pression. Si je n’avais pas fait pas le K2 cette année, j’aurais pu y retourner l’année prochaine par exemple à condition de trouver les financements pour.
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Tu te décrirais comment alors ?
Les gens ont un peu de mal à me mettre dans une case parce que j’ai ce passif de sportive de haut niveau, de compétitrice et de de championne. Je crois, pour ma part, que je suis une touche-à-tout des sports de nature. Je suis née dans un village de montagne, j’ai appris à skier très jeune. Mes parents ne sont pas de grands alpinistes, mais ils m’ont emmenée marcher en montagne, dormir en refuge dès l’âge de 5 ans. La montagne m’a toujours nourrie, elle m’a toujours émerveillée.
Pendant des années, je n‘ai fait que de l’escalade, j’ai rêvé escalade, dormi escalade, mangé escalade… Et puis j’ai décidé de m’ouvrir à d’autres choses. Le temps passant, je ressens de plus en plus le besoin de me connecter, de me reconnecter à la nature pour la découvrir, la redécouvrir à chaque fois avec, pour pimenter le tout, un petit côté challenge. J’aime me lancer des défis.
Tu évoques tes premiers pas en ski. Tu n’as jamais pris de cours, jamais fait de courses, ce qui donne la sensation qu’au début de ton parcours, la compétition n’était pas importante pour toi, que le sport est avant tout un moyen de te dépenser physiquement.
J‘aurais aimé aller au ski–club mais j’ai une maman très protectrice qui n’a jamais voulu que ni mon frère, ni moi y allions car elle trouvait que c’était trop dur, trop physique… Il y aussi le fait que l’un de ses frères était athlète de haut niveau – il a participé aux Jeux de Séoul en 86 – et je crois qu’elle trouvait que le sport de haut niveau, c’était trop difficile, que ça impliquait trop de sacrifices. Tout ça a fait qu’elle nous a plutôt poussés, mon frère et moi, à ne pas faire de compétition. Quand j’ai commencé l’escalade et que j’ai participé à mon premier Championnat de Savoie, elle s’est néanmoins dit que ça allait, que ce n’était pas un sport trop physique et elle m’a soutenue.
L’escalade, tu commences lorsque tu as à 12 ans. À cette époque, tu insistes pour accompagner ton père qui part souvent en randonnée en montagne avec des amis et l’histoire va débuter comme ça…
Mes parents ont toujours fait beaucoup de marche, beaucoup de ski de rando et vers l’âge de 10-11 ans, j’ai pris conscience que mon père partait souvent le week-end en montagne avec ses copains et ça m’a donné envie de le suivre. À l’époque, le matériel pour une petite fille de mon âge n’existait pas, alors il a bricolé mes skis de piste, il m’a taillé des peaux et on est partis comme ça.
J‘ai adoré être en montagne, découvrir qu’il y avait parfois de petites parties rocheuses, de petites arrêtes à grimper pour arriver au sommet. Tout cela m’a donné envie de faire de l’escalade. J’ai appris, à ce moment-là, que Picou, un guide de haute montagne, venait tout juste de créer un club à Bourg-Saint-Maurice. Au début, on était que cinq gamins. Il y avait une super ambiance et surtout, il nous a tout de suite fait découvrir l’escalade en milieu naturel, et non pas uniquement sur les murs d’un gymnase, et ça, c’était super.
Tu as renoncé au piano pour l’escalade. Ça a été un choix compliqué pour toi ?
Je ne faisais pas beaucoup de piano, mais j’en faisais. Or, les cours de piano se déroulaient au même moment que les cours d’escalade et j’ai dû faire un choix, ça n’a pas été un gros renoncement. Mes parents ont néanmoins fait appel à une prof de piano indépendante et j’ai continué avec elle un moment.
Tu as 15 ans lorsque tu te mesures pour la première fois au Mont Blanc accompagnée par ton père. Cette envie, elle te vient, entre autres, de tes lectures, principalement des histoires d’alpinistes célèbres.
C’est un peu ça. Quand je suis rentrée au collège, je me suis mise à lire beaucoup de livres de montagne et j’ai été complètement attirée, voire magnétisée par ce monde et par ces hommes – c’était principalement des récits d’hommes – qui faisaient preuve d’une force et d’un courage assez phénoménaux. Toutes ces histoires ont impacté mon imaginaire, elles m’ont donné envie d’aller me confronter aux éléments, d’aller, moi aussi, sur les plus hauts sommets et, quand on est enfant, le plus haut sommet auquel on puisse se mesurer dans les Alpes, c’est le Mont Blanc.
Avant cela, nous avions fait tous les sommets de Haute Tarentaise avec mon père. Quand je lui ai parlé du Mont Blanc, il savait que j’avais largement le niveau physique et technique, mais j’ai quand même dû insister. J‘ai eu cette chance de partager ce haut sommet avec lui et, même si on n’a pas eu une super météo, même si on n’a pas vu grand-chose au sommet, j’étais très contente d’avoir pu partager ça avec lui.
Dès lors, l’escalade devient une passion dévorante. Tu es dans une section sport-études au lycée, tu te construis un mur d’escalade dans ton grenier et puis, à 16 ans, tu intègres l’équipe de France. Tes résultats vont aller crescendo : première victoire en Coupe du monde à 18 ans, l’année suivante tu remportes le Général. Tu réitères la prouesse en 1998 et 2000 et tu t’offres également deux titres de championne du monde, l’un en 1997, l’autre en 1999. Tu expliques néanmoins que tu as un rapport particulier à la compétition, tu y participes avant tout pour te prouver quelque chose à toi, pas pour gagner, ça tu ne te l’autorises pas…
Plus que le fait de ne pas m’autoriser à gagner, je crois surtout que j’avais du mal à imaginer que je pouvais gagner, j’avais du mal à visualiser que je pouvais être championne du monde. Je pense que j’ai compris assez vite que je n’étais pas là pour être en compétition avec les copines autour mais que j‘étais là pour savoir si j’étais capable d’aller au sommet d’une voie finale donnée, savoir si j’étais capable de me dépasser, d’atteindre la dernière prise…
J‘ai toujours abordé la compétition comme un moyen de me dépasser le plus possible et fonctionner comme ça m’a enlevé de la pression et permis d’aborder les compétitions de manière assez légère. C’était aussi une source de motivation parce que, lorsque je sentais que j’étais allée au bout de moi-même et que j’étais battue par une fille plus forte que moi, cela signifiait qu’il fallait que je m’entraîne encore plus, que je devais progresser pour être encore plus forte la fois d’après.
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Pour toi, gagner est quelque chose qui s’apprend. Une fois que c’est intégré, il n’y a plus qu’à reproduire la recette. Est-ce que tu peux nous la partager ?
Gagner, c’est un processus. Au début, quand on arrive en Coupe du monde, personne ne nous connaît, on est outsider, sans pression, si ce n’est celle de bien faire. Par la suite, quand on commence à se rapprocher des cinq premières, que l’on va en finale … il y a une phase pendant laquelle on n’est plus outsider mais on n’est pas non plus encore une championne. C’est une position un peu fragile et pas toujours confortable mais, quand on en vient à bout, que l’on finit par faire un podium, puis deux, on vise un cran au-dessus en termes de résultats. À partir de ce moment-là, on est au sommet de son art, le flow est là et c’est du pur plaisir. On sait que les autres aussi sont fortes, qu’elles s’entraînent elles aussi dur, mais on sait également que, si l’on ne commet pas d’erreur, on va aller loin.
C’est un processus qui s’apprend, un processus avec plein d’étapes. Trouver son flow, trouver sa bulle de concentration, c’est accepter de perdre, c’est accepter de gagner, c’est gérer son stress, c’est savoir tout de suite apprendre de ses erreurs au lieu d’en faire de grandes frustrations. Il y a des gens qui ont le flow tout de suite, souvent ce sont des gens hyper doués, hyper talentueux, pas forcément de gros bosseurs. Moi, je suis plutôt une grosse bosseuse mais j’ai eu la chance de comprendre plein de choses sur la compétition et sur moi-même et tout cela a fait que j’ai eu des déclics à plein de moments lors de la phase outsider et de la suivante.
En 1994, tu franchis un nouveau cap. Tu as 17 ans et tu t’attaques à une voie qui s’appelle « Sortilège », une 8B, dans le Cimaï. J’ai lu que tu avais longtemps hésité à te lancer car tu ne t’étais jamais sentie véritablement à l’aise en falaise. Qu’est-ce qui t’a décidée à sauter le pas ?
J’ai toujours fait de la falaise, Picou nous y a emmenés assez vite lorsque l’on était jeunes et j’avais une grosse expérience dans le domaine. Ceci étant, Sortilège était la voie la plus dure que je n‘avais jamais faite jusqu’alors, une de mes premières voies dures en 8B avec, qui plus est, un contexte assez particulier car j’étais filmée. Or moi, j’étais un peu timide, mal à l’aise avec les caméras, les journalistes. Il y a aussi le fait que j’étais avec Patrick Edlinger, qui était un peu notre idole à tous, et que j’avais envie de bien faire.
Six ans plus tard, en 2000, tu grimpes ton premier 8c+ aux US. Tu deviens alors la deuxième femme après l’Espagnole Josune Bereciartu à atteindre ce niveau en escalade. Est-ce que, selon toi, l’escalade est avant tout un monde d’hommes, à l’époque du moins, ou est-ce qu’il y a une vraie différence entre les sexes quand il s’agit de s’attaquer à des voies extrêmement complexes ?
Disons qu’à l’époque, il y avait toujours plus de garçons que de filles, ça c’est sûr. Tu le voyais en compétition notamment où lorsqu’il y avait quarante femmes engagée pour une Coupe du monde, tu avais entre soixante-dix et quatre-vingt hommes. Pour autant, l’escalade est un sport dans lequel, en termes de niveau, les femmes pouvaient être très proches des hommes. Personnellement, j’ai beaucoup grimpé avec des hommes et je compensais le physique par plus de technique, plus de souplesse… C’est pour ça que l’escalade m’a tout de suite séduite d’ailleurs, parce que les femmes pouvaient grimper quasiment les mêmes voies – voire les mêmes voies que les hommes pour certaines – et je trouvais ça assez intéressant.
Tu n’as jamais eu à pâtir du fait d’être une femme ?
Non même si, et c’est un peu paradoxal, malgré le soutien, les encouragements et la belle entente qui régnait avec les garçons, certains avaient parfois tendance à minimiser nos performances. Quand on réussissait une voie dure, certains disaient que la cotation n’était pas la bonne par exemple. Et puis, à l’époque, tu croisais souvent des couples avec la nana qui passait la journée à assurer son chéri.
Je crois que ce n’est plus du tout le cas maintenant. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a de plus en plus de femmes qui grimpent très bien et qui ne sont pas là pour assurer leurs petits copains mais pour elles, pour grimper, ce qui fait qu’on voit plus de femmes en falaise.
Tu vas connaître quelques coups durs durant ces années, le plus marquant date de 2001. Tu es aux États-Unis, tu envisages de t’attaquer à ton deuxième 8c+ et là, une grimpeuse américaine fait une erreur d’assurage, elle te laisse tomber et tu te blesses au dos et aux nerfs. Le plus rude, ça va être de digérer les conséquences d’un point de vue mental et, jusqu’en 2007, tu vas avoir du mal à grimper. Comment tu expliques cette déflagration chez toi ? Est-ce que c’est la peur qui, d’un coup, prend le dessus et envahit tout ?
C’est ça, elle a fait une erreur d’assurage et elle m’a laissé tomber, j’ai chuté jusqu’au sol. J‘ai galéré physiquement pendant neuf mois mais mentalement, ça a été beaucoup plus dur parce que je ne faisais plus confiance à la personne qui m’assurait, ce qui fait que je n‘osais plus grimper. Quand on est montagnard, la corde, c’est ce qui nous relie, ça signifie : j’ai ta vie entre mes mains et toi, tu as ma vie entre tes mains et ça, c’était cassé.
À cette époque, je ne ressentais plus du tout de plaisir, je n’arrivais plus à grimper à mon niveau parce que j’étais complètement bloquée, alors je me suis dit qu’il fallait passer à autre chose et que si le plaisir de la grimpe revenait, je regrimperai mais qu’il ne servait à rien de forcer, d’être dans la lutte. Je pense que si, à cette époque, on avait eu à disposition des techniques de déconditionnement comme l’EMDR, ça m’aurait aidée, mais ça n’était pas le cas et j’ai géré complètement seule, personne n’arrivait vraiment à m’accompagner ou à m’aider là-dessus.
Tu vas explorer d’autres univers et tu reviendras à l’escalade en 2007. Ça s’est passé progressivement ou tu t’y es remise sur un coup de tête ?
C‘était progressif. Il me fallait du temps pour évacuer, pour cicatriser. Peut-être que le fait de pratiquer d’autres sports et de me remettre au parapente, soit autant de choses qui me procuraient de la joie, m’a aidée car quand on ressent de la joie dans une discipline, on est capable de la retrouver ailleurs. Si on est dans la frustration, si on est dans la lutte, il est difficile d’apprécier d’autres choses en parallèle. Un jour, je me suis dit : « Allez, vas-y, regrimpe. C‘est ta passion première, ce que tu aimes le plus, il faut essayer. »
Je n‘ai pas voulu recommencer par ce que je savais déjà faire, parce que j’aurais forcément été déçue par mon niveau, mais par une autre facette de la discipline : du Big Wall. C‘était hyper intéressant et ça m’a redonné le goût aux rochers, à la liberté que procure l’escalade et puis, peu à peu, je me suis remise à faire de la falaise et de jolies voies qui me plaisaient.
En 2017, tu te lances un défi fou, celui de gravir les quatre-vingt-deux sommets alpins de plus de 4 000 mètres sans utiliser de remontées mécaniques et avec une descente à skis ou en parapente. Tu voulais laisser une trace dans ta discipline ?
Sur les quatre-vingt-deux 4 000, je ne cherchais pas du tout la performance, je cherchais à vivre un grand voyage partagé avec vingt-deux compagnons et compagnes de cordée, je cherchais à remettre de l’humain et du local dans ma pratique : pourquoi partir en Chine, en Patagonie ou au Pakistan alors que l’on a un terrain de jeu incroyable à la maison ? Sur les quatre-vingt-deux 4 000, j’en connaissais peut-être vingt avant de tous les faire, ça m’a fait découvrir des vallées, des refuges sans compter que sur le plan humain, c’était hyper riche parce j’ai partagé ça avec des gens qui avaient parfois une autre vision, une autre culture et qui m’ont aussi apporté beaucoup.
©Aurélie Gonin/Sea to Summit
On a la sensation que ce qui te guide après tes années de compétition, c’est de jouir au maximum de tous les plaisirs que peut te procurer la montagne.
C’est vrai qu’il y a la notion de plaisir là-dedans même si elle est particulière en montagne parce que les journées peuvent être hyper dures, longues, avec peu à boire et à manger sinon on est trop lourd, avec du froid, du stress… Malgré tout, notre mémoire est ainsi faite qu’elle oublie vite les moments difficiles pour ne garder que les plus fous : le lever et le coucher de soleil, le bivouac au sommet, le partage avec l’autre…
Pour ce qui est de l’utilisation des skis ou du parapente pour la descente, comme je sais faire du parapente, que je sais faire du ski, je me suis dit que ce serait bien d’utiliser tout ça pour faire en sorte que ce soit moins fatiguant, plus fun et moins dangereux aussi parce que finalement, quand on a décollé et que l‘on est en l’air, le parapente est moins dangereux que de passer sept heures à redescendre dans un glacier avec des crevasses et des chutes de pierres…
Cet été, tu es allée encore plus loin : avec Zeb Roche, ton compagnon, vous vous êtes attaqués au K2, le 2e plus haut sommet du monde, ce qui fait de toi la deuxième Française, après Chantal Maudui, à en atteindre le point culminant sans oxygène. La descente, elle, elle s’est faite en parapente biplace, une première pour un tandem. Comment vous est venue l’idée ?
Avec Zeb, on fait beaucoup de choses dans le massif du Mont-Blanc, ce que j’appelle de jolis nœuds alpinisme–parapente, que l‘on veut esthétiques et là, on avait envie de quelque chose d’un peu plus ambitieux. Lui, avait déjà gravi et décollé du sommet de l’Everest et il avait envie de faire le K2. Moi, s’il y avait un 8 000 que j’avais envie de faire dans ma vie, c’était celui-ci car c’est vraiment un gros triangle, une montagne qui n’est pas collée à d’autres et qui se détache vraiment dans le ciel. Et puis, pour des alpinistes pros qui veulent faire des sommets sans oxygène et sans moyens artificiels, l’Everest, ce n‘est plus possible, ce qui s’y passe est complètement délirant.
Tu n’as pas hésité avant de te lancer ?
J‘avais de gros doutes en effet parce que je n‘étais jamais allée au-dessus de 6 500 mètres alors j’ai proposé à Zeb de faire un 7 000 avant, et de décoller du sommet afin de voir comment ça se passait pour moi, comment la voile réagissait. Nous sommes allés au Népal à l’automne 2023 et nous avons finalement décidé, après cela, d’aller au K2 en biplace et non en solo pour être certains de rester tout le temps ensemble, ce qui était plus sécurisant pour nous deux. Cette décision a aussi été motivée par le fait que Zeb vole depuis plus longtemps que moi. Tous ses gestes sont automatiques alors que moi, j’ai encore un peu à réfléchir et à 8 600 mètres, sans oxygène, je me demandais si je serais capable de décoller toute seule.
Il faut savoir que l‘ascension d’un 8 000 sans oxygène, c’est hyper dur. À partir de 7 500 mètres, on parle de zone de la mort. Jusqu’à 8 200 mètres, ça va à peu près ; au-dessus, c’est la bataille : on est hyper lents, on a de grosses distorsions temporelles et on ne voit pas le temps passer, ce qui fait qu’on pense s’arrêter cinq minutes alors qu’on s’arrête en réalité une demi-heure. On peut également avoir des hallucinations assez facilement, tout notre corps appelle à dormir et il ne le faut surtout pas et puis, à la fin, on n’avance plus, on gagne cinquante mètres de dénivelé par heure, et on voit en plus que l‘on avance plus.
Est-ce que tout ça a décuplé les sensations lorsque vous vous êtes envolés ?
Arrivés là-haut, je me suis d’abord dit que c’était fou, que j’étais parvenue au sommet du K2 sans oxygène. Je crois qu’il n’y a que huit ou neuf femmes depuis la première, en 1986, qui ont fait le K2 sans oxygène et qui en sont redescendues vivantes. En presque quarante ans, d’un point de vue numérique, c’est rien ! Et puis, plein de nos copains nous avaient dit que c’était osé de tenter le K2 comme premier 8 000 sans oxygène, que nous n’y arriverions pas.
Une fois là-haut, il restait malgré tout à décoller. Comme il n’y avait pas beaucoup de vent, il fallait courir or nos corps ne répondaient plus. Nous avons eu la chance d’avoir de la neige dure et non pas de la poudreuse, ce qui nous a grandement aidés. Et là… Ça a été le vol le plus fou et le plus magique de toute ma vie ! On était tellement haut dans le ciel, au-dessus de toutes les autres montagnes, c’était fabuleux !
Ce sera quoi la prochaine aventure, est-ce que vous l’avez déjà programmée ou pas encore ?
Pour le moment, on travaille sur notre projet de film du K2 pour le printemps ce qui nous prend du temps. On est aussi à la recherche de financements. Dans ma tête, ça fourmille d’envies mais il faut trouver le budget, trouver des partenaires qui aiment ce que l‘on fait et qui ont envie de nous soutenir, d’aller plus loin avec nous.
Si ça marche, il y aura plein d’autres projets et si ça ne marche pas, on continuera à faire de la montagne de toute façon parce que moi, c’est mon moteur, c’est ce qui m’anime et on peut être très heureux sans forcément avoir à sa lancer dans de gros projets lointains.
Ouverture ©Nicole Schafer