« Ça fait maintenant près de deux mois que j’ai passé la ligne d’arrivée de la World’s Toughest Row Pacific* et je suis encore un peu sur mon nuage. Pour le moment, je n’arrive pas pleinement à réaliser que j’ai terminé la course, que j’ai un record du monde à mon nom et que ce n’est que le début de mes aventures !
Ce projet a germé dans ma tête en suivant les aventures de Liz Wardley, ma coéquipière, pendant qu’elle traversait l’Atlantique. C’était une combinaison parfaite de voile et d’aviron, deux disciplines que je pratique, et je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? ». Lorsque Liz a fait savoir qu’elle recherchait quelqu’un pour s’attaquer au Pacifique, j’ai tenté ma chance et j’ai été choisie.
Pourquoi moi et pas une autre ? Elle m’a expliqué qu’elle avait bien aimé le fait que je sois forte physiquement, que j’ai déjà une expérience dans ces deux disciplines, aviron et voile, et que je sois en équipe de France pour les deux. Elle aussi, lorsqu’elle avait mon âge, avait tout un tas de projets mais personne ne lui avait donné sa chance.
Avant de nous projeter dans notre course, nous avons eu deux obstacles à surmonter : le premier était que, à ce moment-là, les règles de la course spécifiaient que les mineurs ne pouvaient pas prendre part à World’s Toughest Row Pacific ; le second était que je devais passer le baccalauréat et qu’il fallait trouver un moyen de décaler l’examen au mois de septembre. C’est Liz qui est entrée en contact avec les organisateurs de la course. Elle leur a exposé notre problème et ils ont accepté de modifier la règle qui stipule désormais que les participants peuvent prendre part à la course l’année de leurs 18 ans.
À l’idée de me laisser traverser un océan, ma mère avait très peur, ce qui n’était pas le cas de mon père. Lui savait que Liz était quelqu’un de très professionnel ce qui l’a rassuré, il pouvait lui faire confiance. Et puis, les parents de mon père, mes grands-parents donc, étaient explorateurs polaire et la première fois qu’il les a suivis sur leur bateau, il avait 15 ans ce qui fait que, pour lui, l’âge ne signifie rien. De mon côté, je nourrissais moi aussi quelques craintes avant de me lancer, notamment celle de ne pas aller au bout.
Il faut savoir que, pendant la première semaine de la World’s Toughest Row Pacific, on longe la côte américaine, ce qui laisse la possibilité de revenir sur terre et donc de renoncer si on trouve que c’est trop difficile. Je craignais d’être trop dans le mal, de me dire que tous ces efforts ne valaient pas la peine et de demander à Liz de rentrer. Mon autre appréhension était plus tangible : j’avais peur de tomber par-dessus bord, ce qui a failli arriver plusieurs fois avant que ma Liz ne me rattrape à la dernière seconde.
En tout et pour tout, nous n’avons eu que quatre mois pour nous préparer et ça été assez intense. De mon côté, je devais combiner ma prépa avec mes cours et les Championnats de France d’aviron. Pour bien faire, nous nous sommes réparti les tâches, nous avons essayé de trouver des sponsors… Pour ce qui est de l’entraînement, j’ai essayé de garder mon rythme de deux sessions, une le matin, une le soir, avant et après les cours. Je dois avouer que quelque fois, j’ai été au bout du rouleau, heureusement que mon père m’a aidée à rester motivée ! C’est un peu grâce à lui d’ailleurs que nous sommes parvenues à concrétiser notre projet.
Avec Liz, nous avons réussi à nous entraîner ensemble durant deux semaines. C’était pendant les vacances de Pâques, en Angleterre, et nous avons profité de ce moment pour qualifier le bateau. Pour cela, il fallait passer 120 heures à ramer, 36 heures consécutives de nuit, 24 heures en mer. Ça nous a bien préparées aux conditions qui nous attendaient pour le départ en Californie : il faisait très froid et c’est à ce moment-là que nous avons pu commencer à véritablement faire connaissance l’une et l’autre, savoir comment chacune fonctionnait, ce qui nous faisait tenir…
Le 8 juin, jour du départ, j’étais un peu stressée. Je n’avais jamais fait de traversée océanique, encore moins à la rame, et je ne mesurais pas vraiment ce qui m’attendait. Dans le même temps, j’étais très excitée à l’idée de prendre part à cette course, nos quatre mois de travail intensif avaient enfin payé, on y était. Notre périple a duré 37 jours, 16 heures et 33 minutes. Je m’étais imaginé que ce serait intense physiquement et ça l’a été mais pas comme je le pensais. J’imaginais que le plus dur, ce serait les tempêtes mais non, c’est surtout le manque de vent et de courant qui a été le plus contraignant physiquement : nous avons dû ramer tous les jours et, le soir, nous faisions des quarts de trente minutes.
Ceci mis à part, il y a eu plein de moments merveilleux durant notre traversée. Celui qui m’a le plus marquée, c’est le jour où, alors que nous avions un peu le moral dans les chaussettes, j’ai entendu du bruit derrière moi et j’ai vu deux énormes rorquals sortir de l’eau ! A contrario, le moment où nous avons eu le plus peur, c’est lorsque nous avons croisé un bateau de la marine néo-zélandaise en plein exercice militaire, il était sur notre route de collision mais n’apparaissait pas sur notre GPS. De loin, nous avions imaginé que c’était une plateforme pétrolière et nous n’avons réalisé ce qui se passait que lorsque nous l’avons vu se rapprocher à 500 mètres de nous !
Nous avons passé la ligne d’arrivée, à la 3e place du Général, la 2e du classement féminin et la 2e également des équipages en double et pour ma part, je suis devenue la plus jeune personne, tous sexes confondus, à avoir traversé le pacifique. C’est assez fou de se dire que l’on a fait tout ça !
Il nous reste un tout petit peu d’amertume à l’idée de ne pas être titulaires du record du monde alors même que nous l’avons battu, ça se joue à 5 heures, ce qui paraît à la fois rien et beaucoup. Cette aventure, pour moi, a été quelque chose d’incroyable. Ça m’a appris énormément, notamment en ce qui concerne l’organisation et l’anticipation qui sont des facteurs clefs dans la réussite d’une telle course. Je me suis rendu compte également à quel point je pouvais être résiliente, résiliente à la fatigue physique, à la fatigue mentale pour réussir les objectifs que je m’étais fixés et pousser jusqu’au bout… même si parfois, je me disais : « Si seulement j’étais dans mon lit en ce moment, avec mon téléphone ! »
Le prochain défi sur ma liste, celui que je garde en tête, c’est de traverser l’Atlantique, en solo probablement sauf si quelqu’un veut m’accompagner. C’est en décembre, il n’y a pas beaucoup de temps pour se préparer une fois encore mais, comme pour le Pacifique, je vais me pencher sur la question et voir comment faire pour passer du stade de projet à celui d’aventure concrète. »
* La The World’s Toughest Row Pacific est considérée comme la course d’aviron la plus difficile au monde. Le but, rallier Monterey à Hawaï – soit 4 444 kilomètres – en passant par le Pacifique central.
Ouverture : ©️World's Toughest Row