Léa Labrousse « J’ai envie de marquer mon nom dans l'histoire du trampoline français. »

Léa Labrousse : « J’ai envie de marquer mon nom dans l'histoire du trampoline français. »
Vice-championne du monde par équipe en 2023, vice-championne du monde en synchronisé l’année d’avant, Léa Labrousse, également médaillée d’argent et de bronze en individuel aux Europe, manie comme personne l’art du rebond. La trampoliniste de bientôt 27 ans est bien partie pour réaliser, aux JO de Paris, son défi : aller encore plus haut.

Par Sophie Danger

Publié le 24 mars 2024 à 20h22

Le trampoline, c’est une histoire en deux temps pour toi. Tu découvres la discipline à la faveur de tes entraînements de gymnastique et tu t’y consacres pleinement à partir de la 6e. Comment ça s’est passé ?

Je faisais de la gym et j’étais passionnée, ma sœur aussi en faisait et le mercredi, comme nos parents travaillaient, c’est elle qui m’y emmenait. Mon entraînement à moi commençait à 18h30 or, j’étais dans la salle dès 14h et je m’ennuyais. C’est comme ça que l’on m’a proposé de faire du trampoline…pour passer le temps.

Tu te souviens de ce que tu as ressenti par rapport à la gym pour que, peu à peu, le trampoline prenne toute la place ?

J’ai choisi le trampo avant tout parce que je pouvais faire plus de résultats. Le fait que ça me permettait de rester plus longtemps à la maison a également joué, c’est même surtout cela qui a été déterminant dans mon choix.

©Thomas Schreyer/FFGym

Qu’est-ce que tu entends par rester plus longtemps à la maison ?

J’adorais les deux disciplines mais les filles qui font de gym partent souvent plus tôt de la maison, moi, avec le trampoline, je ne suis partie en pôle à Rennes qu’à 14 ans.

Tu vas commencer à collectionner les titres en catégorie benjamine. Tu es sacrée championne de France de trampoline pour la première fois en 2007. Est-ce que ce sacre, bien que tu sois très jeune, a eu une incidence sur la façon d’envisager ta pratique ?

Peut-être pas aussi jeune. Ce que je retiens de ce titre, c’est avant tout l’ambiance : on était un groupe d’amis, il y avait les parents, c’était vraiment incroyable. Pour le reste, ça a changé en 2008 quand je suis passée dans les catégories Elite.

Je me souviens également qu’avant ce rendez-vous, il y avait eu des Coupes nationales, j’avais terminé deuxième, battue par une Belge – la compétition était Open – et ça m’avait un peu énervée alors les France, c’était un peu ma revanche.

©FFGym

Est-ce qu’avec des premiers résultats, tu ne te sens pas, à ce moment-là, rattrapée par la pression du résultat, à sentir que l’on commence à attendre beaucoup de toi ?

Non, je n‘ai jamais ressenti ça comme ça, la pression, c’est plus quand on passe senior. À ce moment-là, on se prend une petite claque parce qu’alors, on n’est plus la meilleure et c’est ça qui est le plus dur je trouve.

Mes années juniors, je les ai super bien vécues mais quand on bascule de catégorie, on passe d’une période où l’on a gagné plein de médailles et on se lance dans le monde des grandes avec des filles qui ont dix-quinze ans de plus. Là, tu n‘es plus personne, tu repars de zéro et c’est compliqué.

©FFGym

Tu évoquais le fait de partir tôt de la maison, tu vas quitter le nid à 14 ans pour aller à Rennes. C’était une décision familiale ?

Je suis restée cinq ans à Rennes, j’ai passé mon bac en deux ans et après, je suis partie au CREPS d’Antibes où je suis restée là aussi cinq ans. La décision a été collective.

Tout le monde savait que je devrais partir à un moment donné, la seule chose c’est, que moi, dans ma tête, c’était prévu pour la seconde or, mon entraîneur m’a annoncé qu’il arrêtait et je suis finalement partie un an plus tôt.

Je suis quelqu’un d’assez carrée et ce décalage a fait qu’au début, ça a été assez compliqué mais, avec le recul, je ne regrette pas du tout, ça s’est très bien passé et j’ai eu de très belles années à Rennes.

©FFGym

Tu l’as vécu comment ce départ avancé ? Comme un sacrifice obligatoire ?

Je ne dirais pas que c’était un sacrifice, mais c’était difficile parce que d’un coup, tu te retrouves toute seule, loin de ta famille : j’habite Clermont-Ferrand, je me retrouve à Rennes, ce n‘est pas la porte à côté. À partir de ce moment-là, le trampoline est devenu mon quotidien, j’enchainais écoletrampo, école trampo.

J‘adorais ce rythme et en plus, j’avais moins de cours plus de techno par exemple des horaires aménagés et ça, c’était très bien.

©FFGym

En 2014, tu es rattrapée pour une réalité que tu n’avais pas connue jusqu’alors, la blessure et ses conséquences puisque tu vas devoir observer six mois d’arrêt. Lors de ton retour, tu doutes

Oui, je me suis fait une rupture partielle des croisés mais elle n’a pas été détectée immédiatement. Au mois d’août, je suis partie trois semaines à Capbreton afin de faire de la rééducation.

Après ça, j’ai repris mais, à la reprise, j’ai eu des problèmes de figures, j’avais un peu peur, c’était compliqué dans ma tête or il y avait les Championnats d’Europe junior de 2014 qui approchaient, Championnats d’Europe qualificatifs pour les Jeux olympiques de la jeunesse, et ce rendez-vous représentait la concrétisation de mes années juniors.

La période n’était pas facile mais j‘ai quand même réussi à me qualifier.

©Thomas Schreyer/FFGym

Ce sentiment de peur, tu ne l’avais jamais ressenti auparavant ? 

Ce n’est pas vraiment de la peur, peur de la hauteur ou autre, c’était plus que je n’arrivais pas à visualiser certaines figures. Je n’avais pas peur d’aller haut, je savais faire mes figures mais c’est quelque chose qui se passait dans ma tête. Ça arrive souvent dans le trampoline.

En ce qui me concerne, ce n’était pas des pertes de figures mais une peur de ne plus savoir faire mes figures même les plus simples, comme si j’avais perdu mes repères 

Tu parviens malgré tout à retrouver de la sérénité et, en 2015, tu décroches ton premier titre de championne de France en sénior, en 2016, tu remportes l’or en synchronisé lors des Championnats d’Europe de Valladolid en Espagne avec Marine Jurbert. Jamais le trampoline français n’avait remporté de titre continental avant celui-ci, ça fait quoi de marquer les annales de son sport ?

C‘est cool, mais je ne commence à en prendre conscience que maintenant seulement ! Lorsque j’étais jeune, je ne me rendais pas compte de tout ça. Je vis avec Allan Morante et, lui, il dit souvent vouloir marquer l’histoire de son sport.

Quand on parle de ce moment, quand j’y repense, je me dis que c’est gratifiant et que j’ai encore plus envie de marquer mon nom dans l’histoire du trampo français

Léa Labrousse et Marine Jurbert…©Club Levallois

La même année, tu es désignée remplaçante pour les Jeux olympiques de Rio. Ce rendez-vous, tu en parles comme d’un rêve. Ça représente quoi pour toi ?

J‘étais du voyage à Rio, j’étais remplaçante et j’étais à ma place. Je savais qu’il y avait meilleure que moi et j’étais bien dans mes baskets, contente d’être au Brésil. Ceci étant, on ne se rendait pas vraiment compte que l’on était aux Jeux Olympiques, on était à l’hôtel et c’est un séjour qui s’apparentait plus à des vacances.

En revanche, j’ai participé aux Jeux olympiques de Tokyo mais il y avait le Covid et je n‘ai pas pu engranger de l‘expérience parce qu’il n’y avait personne dans la salle.

On va voir ce que ça donne à Paris mais c’est vrai qu’au Japon, je n‘ai pas senti cette pression, c’était une édition assez bizarre.

Deux ans plus tard, tu brilles de nouveau sur la scène continentale avec l’argent par équipes aux Championnats d’Europe de trampoline de Bakou en Azerbaïdjan. En synchro, en revanche, pas de nouvel exploit, tu te blesses en finale, ce qui t’empêche de pouvoir défendre tes chances. Cette année-là, tu buttes plusieurs fois sur le même enchaînement et le doute s’insinue. Comment as-tu remédié à ça ? 

Pendant plusieurs compétitions, je suis tombée sur le même enchaînement et ce qui est compliqué, c’est surtout d’arrêter d’y penser, de se focaliser dessus parce que, plus on est focus dessus, plus on va faire la faute.

Mais, après ça, je fais de très beaux Championnats du monde et c’est ce qui m’a redonné le sourire 

Comme pour les saisons 2014 et 2015, lorsque tu as un coup dur, tu réponds quelques mois plus tard avec une médaille. 2019 est un grand cru pour toi. Lors des Jeux européens de Minsk tu décroches ton premier titre individuel. La reconnaissance à titre personnel, c’est un cran au-dessus de ce que tu as vécu jusqu’alors ?

Oui, complètement. C‘était un titre individuel, en plus aux Européens, un rendez-vous qui rassemble beaucoup de monde, qui est reconnu, c’était vraiment bien.

En novembre, je me classe 5e en individuel aux Monde de Tokyo et je décroche un quota pour les JO. Je n’y pensais pas trop en y allant, ce n’était pas vraiment dans ma tête mais j’étais vraiment prête, ma préparation était parfaite, je me sentais très bien, en forme, et tout s’est enchaîné.

En finale, je fais trois triples rotations, j’étais la seule à le faire, je pense que je rate la médaille de peu. 

©FFGym

Ce quota te sera attribué pour Tokyo mais avant cela, en 2021, tu deviens vice-championne d’Europe à Sotchi, la meilleure performance de de l’histoire du trampoline féminin français. Par rapport au titre des Jeux européens, tu la vis comment cette médaille d’argent ?

C‘était différent parce que je n‘étais pas dans un bon état d’esprit. J‘étais un peu blessée, je commençais à avoir mal à la hanche ce qui fait que j’avais pas mal de doutes, je n’étais pas non plus amplement satisfaite de ma préparation. Je suis toujours contente de décrocher une médaille mais celle-ci, je ne m’en souviens pas comme celle des Européens par exemple.

Pour le bronze par équipe que l’on a également décroché à Sotchi, c’est différent parce qu’il y a une copine qui se blesse, on doit, nous, rebondir et toutes réussir pour elle mais la médaille individuelle, c’était assez compliqué.

Tu enchaînes avec les Jeux de Tokyo qui ne vont malheureusement pas se passer comme tu l’aurais souhaité avec une élimination en qualification. Tu expliques que tu avais trop d’envie

J‘étais très stressée les jours qui ont précédé, pas très bien. On avait fait un stage d’une semaine à Kobe avant et les toiles étaient nulles, c’était du bois, on ne pouvait pas sauter dessus, c’était vraiment pas facile et ça a fait que, pendant une semaine, on ne s’est pas trop entrainé.

À Tokyo, j’arrive en en salle d’échauffement, je ne suis pas fan non plus des toiles, les toiles de compet arrivent la veille et je les aime bien, je les ressens bien, je suis contente.

Le jour de la compétition, je savais qu’il allait falloir que je fasse un gros score en « L1 » pour espérer aller en finale. D’habitude, je regarde les scores des autres, là, je me suis dit que je n’en avais pas besoin, je savais qu’il fallait que je prenne des risques, j’ai voulu pousser, je me suis mise en sur-rotation et je suis tombée.

Cette déception, tu la laisses assez rapidement derrière toi, ces deux dernières années, tu remportes le bronze en individuel aux Europe de Rimini en Italie, l’argent en synchronisé avec Marine Jurbert aux Monde de Sofia en Bulgarie. Tu recommences en 2023 avec l’argent en trampoline par équipe à Birmingham en Grande-Bretagne. Qu’est-ce qui manque pour franchir l’ultime marche qui te sépare de l’or ? 

Pour ce qui concerne l’individuel, ce qui me manque encore c’est de réussir à reproduire en compétition ce que je fais à l’entraînement

En compétition, je suis plus petite, un peu sur la retenue et c’est sur quoi j’essaie de travailler. J’essaie de lâcher prise.

Pourquoi ? En compétition, je sais que je suis capable d’aller en finale, mais comme je pouvais le faire en étant petite, ça me suffisait mais, pour aller à la médaille, il faut que je sois encore au-dessus et c’est ça qu’il faut que je travaille.

©FFGym/Club Levallois

La grosse échéance cette année ce sont les Jeux olympiques de Paris. Tu t’es préparée en faisant un stage en Chine. Qu’est-ce que ça t’a apporté ?

On a fait un stage en Chine et on y retourne au mois de mai. Je suis partie avec Allan, sans entraîneur, on était à la fois avec l’équipe et livrés à nous-mêmes. On s’entraînait sur notre trampo, à côté des autres athlètes mais Dong Dong, qui est la légende du trampo, nous donnait des conseils.

En revanche, à l’extérieur, on était totalement intégrés, on a fait des restos avec eux par exemple… Techniquement, j’ai bien progressé sur certains détails : eux aiment avoir de grandes extensions, ce qui fait que je n’arrêtais pas de tirer mes jambes.

©Laurent Daufes

Comment te sens-tu à cinq mois de l’échéance ?

En ce moment, je suis un peu blessée, une entorse du genou, et je fais tout pour revenir pour les Championnats d’Europe. On verra mais, logiquement, pour les Jeux de Paris, je serai prête.

Pour les Europe, ma préparation ne sera pas optimale, mais j’aimerais bien gagner…

Ouverture ©Thomas Schreyer/FFGym

Vous aimerez aussi…

Claire Supiot : « Mon parcours peut faire évoluer le monde du sport et au-delà. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une question qui tue les clichés, une olympienne historique (Claire Supiot, nageuse valide puis handi sur notre photo), un escape game sportif, une fille musclée et fière de l’être et une descendante du rénovateur des JO, récap’ de la semaine sur ÀBLOCK!

Lire plus »
La question qui tue

En sport, la récup, c’est obligé ?

On les adore ces séances où on pète la forme, où tous les exercices nous semblent easy, où on se dépasse en mode “même pas mal“. Forcément, ça donne envie de recommencer. Vite, trop vite. Et c’est là que la récupération joue son rôle. Pas convaincu ? Lis plutôt la réponse de notre coach, Nathalie Servais !

Lire plus »
Shaikha Al Qassemi

Shaikha Al Qassemi, celle que le CrossFit a émancipée

Le CrossFit lui a permis de faire la paix avec son corps. À 32 ans, Shaikha Al Qassemi a puisé, dans la discipline, la force de suivre sa propre voie et de s’épanouir physiquement, loin des stéréotypes et des diktats qui régissent la norme. Désormais à l’aise dans ses baskets et bien dans sa tête, l’athlète émiratie n’a qu’une envie, servir d’exemple quitte, en levant des poids, à soulever des montagnes.

Lire plus »
Laëtitia Guapo, la GOAT tricolore du basket 3*3

Laëtitia Guapo, la GOAT tricolore du basket 3*3

Place de la Concorde, le basket 3*3 fait se lever les foules. Il faut dire qu’avec une joueuse comme Laëtitia Guapo portant le maillot bleu, l’ambiance ne peut être que bouillante ! Ancienne meilleure joueuse de la planète et championne du monde, il ne manque qu’un titre au palmarès de la tricolore…

Lire plus »
Quand je fais du sport, je m’hydrate quand ? La question qui tue

Quand je fais du sport, je m’hydrate quand ?

Il parait que « l’hydratation, c’est la clé », mais la clé de quoi ? On nous dit de ne pas boire pendant l’effort, on nous dit de ne pas trop boire avant l’entraînement… mais moi, le sport, ça me donne soif ! Du coup, on fait comment ? Pose cette gourde, ABLOCK! t’explique tout.

Lire plus »
Diane de Navacelle de Coubertin : « Coubertin n’était pas là pour faire un débat sur la place de la femme dans la société, pourtant c’est ce qu’on lui reproche. »

Diane de Navacelle de Coubertin : « Coubertin n’était pas là pour faire un débat sur la place de la femme dans la société, pourtant c’est ce qu’on lui reproche. »

Elle est l’arrière-arrière-petite nièce du Baron Pierre de Coubertin. Diane de Navacelle de Coubertin, membre du bureau de l’association Familiale Pierre de Coubertin, a pour mission de s’assurer que l’idéal olympique imaginé par son glorieux aïeul continue à être respecté. Alors que nous venons de boucler les Jeux Olympiques d’hiver et juste avant que ne soient lancés les Jeux Paralympiques à Pékin, elle revient sur les rapports, parfois complexes, entretenus par le rénovateur des Jeux avec la femme sportive.

Lire plus »
Sophie Danger « De grandes figures sportives féminines, il y en a plein, mais Alice Milliat est celle à qui on doit tout ! »

Sophie Danger : « De grandes figures sportives féminines, il y en a plein, mais Alice Milliat, c’est celle à qui on doit tout ! »

Les JO de Paris 2024 seront paritaires, enfin ! Et l’on parle de la matronne du sport féminin, enfin ! Dans son livre, « La femme olympique », la journaliste Sophie Danger retrace la vie de cette femme secrète et méconnue, Alice Milliat, qui organisa en 1922 les premiers Jeux féminins. Un livre qui nous embarque dans une folle épopée, une enquête aussi rigoureuse que poétique.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner