C’était en 2001. Il y a vingt ans, Jutta Kleinschmidt mettait « à mâle » les sports mécaniques en inscrivant son nom au palmarès du Paris-Dakar. Première femme à remporter le plus célèbre des rallyes-raids du monde, elle continue, depuis, à militer pour la cause des femmes dans un domaine très masculin. Portrait d’une pionnière qui en a sous le capot.
Par Sophie Danger
Publié le 23 février 2021 à 9h38, mis à jour le 03 janvier 2024 à 15h39
Elle a été la première et reste, à ce jour, la seule ! En 2001, Jutta Kleinschmidt entrait dans l’histoire des sports mécaniques en devenant la première femme à remporter le Paris-Dakar.
Une consécration pour cette ingénieur allemande, 38 ans à l’époque, qui, non contente de soulever le trophée, marquait les esprits en s’imposant au terme d’un finish à suspense.
20 janvier 2001. Les 358 pilotes engagés dans le plus célèbre rallye-raid de la planète s’apprêtent à disputer la 19e et avant-dernière étape de cette 23e édition.
Après un départ en France, et presque 10 000 kilomètres parcourus en trois semaines à travers l’Espagne, le Maroc, la Mauritanie et le Mali, ils abordent la ligne droite, celle qui doit les mener de Tambacounda, la plus grande ville du Sénégal oriental, à Dakar, sa capitale. Au menu du jour, quelques 564 kilomètres dont 217 de spéciales.
Jutta Kleinschmidt, qui dispute son 12e Paris-Dakar, le 7e en catégorie automobile, est bien placée pour renouer avec la 3e place du podium, celle à laquelle elle a goûté avec gourmandise deux ans plus tôt.
Jean-Louis Schlesser, son ancien mentor, va, bien malgré lui, changer la donne. Erreur humaine ou coup de poker, nul ne le sait, mais le Français – deuxième du Général derrière Hiroshi Masuoka – et son équipier espagnol José Maria Servià anticipent le départ.
Le pilote japonais, décidé à tenter le tout pour le tout pour conserver sa place de leader, part à la faute en essayant de le doubler lors de la dernière spéciale, cassant, au passage, la rotule du bras de direction de sa roue arrière gauche.
La belle opération du double tenant du titre, désormais en tête du classement avec, respectivement, 45 minutes d’avance sur Masuoka et 42 sur Kleinschmidt, n’est cependant pas du goût des commissaires de course.
Après discussions, il est décidé de lui infliger une pénalité d’1 heure. L’ultime étape s’annonce donc décisive. Les trois prétendants à la victoire n’ont plus que 95 kilomètres – dont 25 de spéciales – pour se départager.
Le doublé du Team Schlesser ne suffira néanmoins pas pour offrir au pilote-constructeur nancéen un troisième succès de rang et c’est Jutta Kleinschmidt qui remporte la mise.
Si Schlesser goûte peu à l’exploit, reprochant à son ancienne protégée un succès au rabais, la native de Cologne n’en a cure et savoure pleinement le moment en compagnie de son co-pilote, Andreas Schulz. « J’étais tellement heureuse, se souvient-elle dans les colonnes de Paris Match. Vous réalisez une chose dont vous avez toujours rêvé. Ce n’était que de la joie. La veille, quand je suis rentrée après ma journée de course, la presse avait commencé à dire : « Oh, Jutta ne gagnera pas cette année ». Et finalement, lorsque vous passez la ligne d’arrivée et que vous savez que vous avez gagné, c’est un sentiment incroyable. »
Un véritable accomplissement pour la trentenaire qui vient ainsi couronner pas moins de quatorze années d’un parcours sans faute dédié au sports mécaniques. Car Jutta Kleinschmidt est en effet tout sauf une novice.
C’est en 1987 qu’elle fait ses débuts en compétition au guidon… d’une moto. L’année suivante, elle dispute son premier Paris-Dakar au volant d’une BMW R80. « J’ai suivi le rallye Paris-Dakar 87 en touriste, rappelle-t-elle sur son site officiel. Et puis j’ai su : je voulais y participer. Pour moi, c’est un mélange d’aventure, de technologie et de course. »
Après quatre autres éditions à moto entre 1991 et 1994, elle se lance au volant d’une Mitsubishi en 1995 et boucle le marathon de 10 109 kilomètres qui séparent Grenade de Dakar à la 12e place. C’est à cette occasion que Jean-Louis Schlesser la remarque.
L’année suivante, il lui confie le volant d’un de ses buggys. En 1997, elle devient la première femme à remporter une étape et entre dans le Top5. « Tous les pilotes, de toutes les écuries, sont venus m’embrasser, me féliciter, se réjouissait-elle à l’issue de la course au micro des organisateurs. À ce moment-là, en plus d’une énorme joie, j’ai ressenti une énorme amitié. Le Dakar c’est formidable ! »
Deux ans plus tard, alors qu’elle roule de nouveau pour Mitsubishi, le tracé entre Grenade et Dakar va, une fois encore, lui sourire. Troisième au terme de 15 jours intenses de course, elle commence à marquer l’histoire de son empreinte en devenant la première femme à prendre la tête du Général.
Il faudra attendre le siècle suivant et ce fameux jour de janvier 2001 pour la voir atteindre, enfin, le Graal. Définitivement mordue, Jutta Kleinschmidt s’alignera par six fois encore au départ, grimpant sur la deuxième marche du podium en 2002 et sur la troisième en 2005 avant de raccrocher à l’issue de l’édition 2007.
Quasi un quart de siècle plus tard, Jutta Kleinschmidt a tiré, sans regret, un trait sur la compétition, mais pas sur le sport automobile. Âgée à présent de 58 ans, l’Allemande a pris en main la destinée de la commission Rallye-Raid au sein de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) et travaille avec acharnement à une meilleure représentation des femmes dans les sports mécaniques.
Son but ? Encourager, coûte que coûte, les petites filles à se lancer à travers des épreuves spéciales comme le « Girls on track », projet lancé en 2018 afin de permettre à toutes les aspirantes pilote de s’essayer au karting lors de week-ends de slalom.
Une mission de longue haleine pour cette pionnière qui espère ainsi favoriser les vocations et dénicher celle qui, pour finir, lui succèdera au palmarès du Dakar. Un passage de flambeau qui pourrait néanmoins arriver plus vite que prévu.
Le 4 janvier dernier, l’Espagnole Cristina Gutiérrez mettait en effet fin à seize années de disette chez les féminines après s’être imposée au terme de la première étape de l’édition 2021 dans catégorie SSV T3 (véhicules légers).
Un premier pas de géant pour Jutta Kleinschmidt consciente, malgré tout, que le chemin à parcourir reste long et très probablement semé d’embûches. « Je crois vraiment qu’il y a beaucoup de femmes qui aimeraient se lancer mais qui se disent : « Ça va être trop difficile » ou « les types là-bas vont me battre de toute façon », prévient-elle dans Paris Match. Peut-être qu’il y aura toujours plus d’hommes que de femmes dans ce milieu, peut-être que c’est dans nos gènes d’être moins intéressées par la compétition et les courses, mais je crois que c’est bien moindre que ce que l’on pense. Et il ne s’agit pas seulement de la course. Il faut plus de femmes dans ce milieu, en général. Vous pouvez être une super coéquipière, ou encore une journaliste qui suit ce sport. Cela va plus loin que simplement les pilotes. »
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