Isabelle : « Continuer le sport fait partie de ma lutte contre le cancer du sein. » Crossfiteuse, professeure des écoles, 43 ans
Il y a six mois, elle apprenait qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. Battante, Isabelle Grego, passionnée de CrossFit, a décidé de continuer à bouger pour donner du rythme à ses journées. Mais aussi pour entretenir son mental et rester femme. Témoignage.
Propos recueillis par Sophie Danger
Publié le 16 novembre 2022 à 15h58, mis à jour le 11 octobre 2023 à 7h32
« Mon histoire avec le sport a commencé très tôt. J’ai débutépar la natation et, vers 16 ans, je suis devenue championne de France du 100 mètres dos et vice-championne de France 200 mètres dos, niveau national 3.
Mes parents étaient dans l’enseignement et les études, pour eux, ont toujours été une priorité. Il se trouve qu’à l’époque, les nageurs n’avaient pas à disposition des structures permettant de concilier parcours scolaire et entraînements aménagés. J’ai donc été réorientée vers un cursus classique au lycée et j’ai peu à peu lâché la natation au profit du triathlon.
Par la suite, j’ai rencontré mon mari, poursuivi mes études pour être professeure des écoles, fait deux enfants, construit notre maison… Pendant quinze ans, j’ai arrêté le sport. J’ai arrêté par nécessité – les études et les enfants demandent beaucoup de temps – mais aussi par envie, je n’avais plus forcément la motivation pour aller aux entraînements.
J’ai eu envie de m’y remettre en 2017. J’ai commencé par faire de la salle, de manière très classique, mais il me manquait quelque chose : la notion de chronomètre. C’est mon mari qui m’a dit de me tourner vers le CrossFit. Dans cette discipline, il y a cette notion de chronomètre, cette notion de challenge que je recherchais.
J’avais également envie de me dépenser, de dépenser mon énergie et j’ai vu, après avoir essayé, que terminer les séances au sol, fatiguée, essoufflée, répondait parfaitement à mes attentes.
Enfin, le CrossFit était aussi pour moi un choix logique dans le sens où, je n’avais pas énormément de cases libres dans mon emploi du temps pour des séances d’endurance comme le triathlon par exemple.
Il y a six mois environ, j’ai appris que j’avais un cancer du sein. Dans un premier temps, j’ai pensé à ma survie, à mon avenir avec ma famille. Et puis, peu à peu, je me suis renseignée, j’ai vu les statistiques et ça m’a rassurée.
On sait aussi que le mental est hyper important pour combattre la maladie. Il se trouve que le mental, en CrossFit, on le travaille toute l’année. Les armes, dans ce domaine, on les a déjà. J’ai décidé de reprendre l’entraînement, mais il m’a cependant fallu baisser en intensité. Il fallait que j’adapte ma pratique à ma maladie, au planning de mes soins et à la réaction de mon corps.
Quand tu vas au CrossFit, tu sais que tu vas subir, que tu vas être en souffrance, mais cette souffrance-là, une souffrance musculaire, c’est toi qui la réclame car elle te permet d’oublier celle que la maladie t’impose.
Durant mes séances, pendant que je luttais pour ne pas m’arrêter pendant le Wod (Workout of the day, Ndlr), je luttais contre la maladie et la souffrance qu’elle t’impose.
Je n’en ai pas parlé à mes médecins. Du moins, j’ai parlé sport avec eux mais en termes génériques. Je leur ai demandé si je pouvais continuer à faire du sport, si je pouvais continuer à m’entraîner. Tout le monde m’a répondu oui et avec entrain même, car il est prouvé, études scientifiques à l’appui, que l’activité physique est très bénéfique dans ce genre de situation.
Je n’ai néanmoins pas spécifié que je faisais du CrossFit ni à quel niveau et à quelle intensité. J’ai malgré tout entendu dire que l’intensité n’était pas une bonne chose. Je ne suis pas inconsciente, alors j’ai décidé de m’adapter. Pendant les exercices, s’il y avait trente répétitions à faire et qu’au bout de dix, j’étais super essoufflée, je m’arrêtais, je respirais et je repartais. Je ne me mettais pas dans le rouge, contrairement à ce que je pouvais réaliser toute l’année.
Je n’ai pas averti les adhérents de ma maladie, mais ils s’en sont aperçus car je me suis faite opérer et quand tu as un sein en moins et une énorme cicatrice, ça se voit. La perte de tes cheveux aussi est un des stigmates visibles de la maladie. J’ai pris le parti de dévoiler tout ça sur mon compte Instagram. Je n’ai pas fait ça pour montrer l’importance du sport dans la maladie mais, avant tout, pour montrer que le cancer du sein est une maladie qui touche beaucoup de monde. Une femme sur huit est concernée, c’est énorme.
Moi, le sport m’a aidée à continuer à vivre. Continuer à faire du sport fait partie de ma lutte. Au début, ça représentait un challenge : je voulais rester musclée pendant ma chimiothérapie. J’ai vite vu que ce n’était pas si facile. Pourtant, si la chimiothérapie est dévastatrice pour le corps, ce corps est capable de ressources énormes.
Je n’ai pas pensé à moi avant de publier ces photos, j’ai penséà mes enfants. Moi, j’assume complètement et ça ne m’a pas coûté de me montrer de cette façon, mais j’ai reçu, en retour, plein de témoignages de femmes qui n’arrivent pas à assumer, qui ne veulent pas se montrer sans perruque devant leurs enfants.
J’ai aussi reçu des témoignages de femmes qui ne sont pas touchées par la maladie mais qui se « lamentent » – je reprends leur propre terme – sur ces petits aléas du quotidien qui, pour elles, représentent des montagnes et les empêchent de se bouger, de faire du sport. Il y a des choses plus graves, c’est ça aussi le message que je veux faire passer.
Six mois après avoir appris ma maladie, je viens de passer un PET Scan. Mon oncologue m’a dit que les résultats étaient très propres et c’est une super nouvelle. Je ne suis pas en rémission pour autant, il faut attendre cinq ans pour pouvoir dire cela.
Quel rôle a joué le CrossFit pour moi durant cette période ? Je dirais qu’il a rythmé mes journées. Je l’intégrais à mon planning pour éviter la répétition soins-repos. Je n’ai pas vu dans la discipline uniquement un moyen de lutter contre le cancer mais aussi un moyen de me permettre de me sentir femme.
Le CrossFit m’a fait du bien mais il m’a aussi fait du mal. Quand tu pratiques, tu es face à toi-même et tu te rends vite compte que tu es moins performante, moins mobile, tu te sens vite asphyxiée, tu es en position de faiblesse. Je ne suis pas tombée des nues, je m’en doutais, mais c’est dur. Tu mets du temps à performer et tout cela part à une vitesse folle !
Au début, quand je voyais les copines de ma catégorie s’entraîner, je serrais les dents et je me disais : « Les filles, je vais revenir et je serai encore plus forte que vous .» Mais j’ai appris, il y a un mois, que c’était impossible. On m’a retiré vingt ganglions du bras et il m’est interdit de faire des répétitions sur ce bras. Si j’en fais, mon muscle va congestionner et si je ne parviens pas à évacuer la lymphe que j’accumule, mon bras va se bloquer, devenir gros et c’est irréversible.
Mon médecin m’a mise en garde et j’ai compris que je ne pourrai jamais refaire de compétitions comme avant. Ça, c’est terminé pour moi. Depuis, je suis dans le flou. Je me cherche soit un nouveau sport, soit un nouvel objectif. C’est un peu un chantier dans ma tête, c’est un deuil qu’il faut faire et ce n’est pas facile.
Aujourd’hui encore, j’étais à l’entraînement, j’étais super bien mais je ne pouvais pas lâcher les chevaux car je n’en ai pas le droit. C’est frustrant, il va me falloir trouver une discipline où je peux lâcher les chevaux. Je découvre progressivement comment vivre avec la maladie, comment adapter ma pratique du sport pour éviter d’être sédentaire.
Mon médecin m’a expliqué que l’intelligence, c’était de s’adapter. Alors, j’essaie d’être intelligente. »
Pour suivre et mieux connaître Isabelle, direction son compte Instagram @isa_ronda_grego
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