Hermine Bonvallet « Dans le monde du surf, pour performer, il faut s'avoir s’adapter. »
Surfeuse de Grosses Vagues et pilote de Jet Ski, la naïade philosophe de 28 ans partage sur ses réseaux sociaux son quotidien de rêve – et de labeur – entre palmiers, cocotiers et vagues impressionnantes. Rêvant de devenir pro, en à peine sept ans Hermine Bonvallet s’est déjà hissée dans l’élite mondiale du surf de grosses vagues. Aloha !
Par Claire Bonnot
Publié le 16 juin 2024 à 18h33, mis à jour le 17 juin 2024 à 13h13
Ton parcours est incroyable… Il y a sept ans, tu te hisses sur la planche, tu fonces direct sur les plus grosses vagues… Tu n’as pas eu peur de te jeter à l’eau ?
Tout est parti du jour où j’ai vu des vagues inoubliables àHawaïqui m’ont donné envie de surfer. Dès le début, j’avais en tête de faire du surf de Grosses Vagues mais la route pour y arriver s’est ouverte petit à petit, et finalement de façon assez fluide.
Je me suis concentrée sur moi-même, avant tout, sans avoir vraimentd’objectifs en tête. J’avais vraiment envie de savourerchaque étape. À certains moments, j’aurais pu me dire que je progressais plus en shortboard ou bien que j’allais aller là où il y avait plus de monde, mais bizarrement, et je pense que c’est dû à ma bonne étoile, j’ai pris une route qui me correspondait à chaque fois de façon intuitive.
Je suis toujours allée là où j’avais envie d’être et où je trouve ma place.
En 2023, tu intègres une équipe de surfeurs de Grosses Vagues dans le fameux spot de Nazaré au Portugal, tu peux nous expliquer ce que c’est exactement ?
C’est un sport d’adrénaline qui nous fait sentir dans le présent et qui demande beaucoup d’agilité physique et mentale. Car la remise en question est perpétuelle… Et comme beaucoup d’autres sports extrêmes, il demande une grosse préparation en amont.
En parlant d’adrénaline, tu fais ton premier « tube » en 2018, soit à l’âge de 22 ans, àTeahupoo, nulle autre que la vague mythique de Tahiti, qui sera la vague des JO Paris 2024.Peux-tu nous raconter cet exploit « de l’intérieur » (littéralement) ?
J’ai eu cette chance grâce à un ami tahitien qui venait rendre visite à sa famille. Il m’a fait découvrir le spot et m’a mis en relation avec un professionnel du monde du surf de grosses vagues sur place. C’est grâce à eux que j’ai pu surfer dans ce spot magique.
Il faut savoir que tout le monde est agglutiné et rame au même endroit, il faut réussir à faire sa place. Quand mes amis m’ont dit « Go ! », j’ai foncé, et ce jour-là, j’ai eu mes deux premiers tubes à Tahiti. C’était extraordinaire !
De l’intérieur, la vague m’a totalement couverte… J’étais placée à un endroit où elle est passée juste au-dessus de moi. Ma première pensée a été, « Ça y est, j’y suis ! ». J’ai même eu le temps de prendre conscience de la beauté qui m’entourait : à Tahiti, l’eau est tellement translucide qu’on voit le récif à travers la vague qui se casse en l’air, en transparence. L’eau se lisse tellement qu’on voit très loin et très clairement comme si on avait un masque de plongée. C’est splendide !
Ma première réaction à ce moment-là, c’est de me dire « Est-ce que je rêve ou je vois le paysage sous-marin ? ». J’ai été tellement époustouflée que j’ai perdu mes moyens et que je suis tombée dans la vague. Et la même journée, je suis repartie dans le tube pour la deuxième fois.
Des surfeurs arrivent à faire des sessions où ils prennent tube sur tube. J’ai essayé de prendre les miettes de ce que les meilleurs surfeurs mondiaux laissent.
Pas du tout, au contraire. J’ai eu très peur de la haute mer et des océans jusqu’à mes 6 ans. Je ne dépassais jamais le stade du sable et j’avais peur des poissons. Mais j’étais très à l’aise en piscine et j’ai fait de l’apnée ensuite. J’ai grandi dans un complexe hôtelier à côté de Chambord (mes parents étaient propriétaires) donc j’allais souvent nager en piscine.
J’ai toujours été très sportive, un peu plus « garçon » que fille, et j’ai toujours pris plaisir à faire plein de choses différentes, j’ai débuté par le ski à l’âge de 2 ans puis par la gymnastique à 4 ans (j’ai même fait sport étude en gymnastique) et enfin natation, danse et même de la moto. Je suis née hyperactive, le sport intense a été la solution pour mes parents autant que pour moi !
Tu as donc glissé vers le surf sans t’en rendre compte…
Oui, un jour, je me suis mise au surf. Je faisais un voyage linguistique à Hawaïpour parfaire mon anglais, je faisais des études dans le monde de la haute couture. Quand j’ai découvert les compétitionsde surf là-bas, j’ai été happée par le sport mais aussi son lifestyle. Le paraître s’effaçait pour laisser place à l’eau salée…
On était en 2013. À ce moment-là, j’essaye de trouver des alternatives pour appliquer ce mode de vie du surf dans la mienne mais je n‘ai que 16 ans. Je lâche donc mes études dans la mode en 2016. J’ai atterri sur ma petite île chérie àSaint Barthélemy et j’ai demandé à prendre mon premier cours de surf. À partir de ce jour-là, je n’ai jamais arrêté de surfer.
Comment as-tu réussi à t’intégrer en si peu de temps dans ce milieu du surf ?
J’ai bataillé tous les jours pendant ces cinq mois et j’ai toujours été motivée, souriante, à fond. Mon corps a changé : je suis passée de toute fine à une silhouette musclée. Je me suis ensuite installée à Hossegor et les expériences se sont enchaînées : des vagues de plus en plus grosses – je ne faisais que du free surf à l’époque, aucune compétition, Tahiti sur le chemin, et en 2018, une invitation à intégrer un groupe de surf tracté.
J’ai ainsi été formée au pilotage de jet ski. Les deux jours les plus importants de ma vie de surfeuse ont été les débuts en jet et la proposition d’intégrer l’équipe de surfeurs de grosses vagues de Nazaré en 2023. Je n’avais pas rien vu venir ! J’ai eu cette grande chance de croiser la route de gens qui ont cru en moi.
Entre 2018 et 2023, j’ai pourtant eu des heures de remises en question, de très grosses blessures, au dos et au pied, des conditions de surf très difficiles, une implication financière énorme mais toujours un amour inconditionnel pour ce sport.
Donc, quand j’ai ce véritable cadeau de Noël en 2023, tout s’aligne : on m’offre d’intégrer l’association de sportifs pro – les Red Herrings, surfeurs de grosses vagues. Cette structure fonctionne comme un incubateur, pour permettre à ces talents de se professionnaliser et de développer leur potentiel.
Le surf de grosses vagues est-il difficile d’accès pour les femmes ?
De mon côté, tout est arrivé avec beaucoup de bienveillance – mais pas sur un plateau non plus–, j’ai été encouragée, inspirée, aidée, soutenue. Ça a été extraordinaire. Mais c’est vrai que le surf de grosses vagues est encore assez restreint côté féminin.
Côté inspiration, tu as été boostée par le parcours de surfeuses connues ?
Récemment, je m’ouvre de plus en plus, je sors de l’ombre, et je vais voir d’autres surfeuses pour partager sur notre expérience au féminin. Justine Dupont a forcément une grande place dans mes inspirations. Elle est l’ovni du surf professionnel de grosses vagues, dépassant tout le monde, femmes et hommes confondus. Malheureusement, elle n’est pas « goofy » comme moi (quand un surfeur a le pied droit sur l’avant de la planche, ndlr), ce qui serait merveilleux pour regarder ses techniques.
Mais j’ai la chance d’avoirmon ami, Clément Roseyro,qui est « goofy » et ma plus grande inspiration du moment(star montante du surf de grosses vagues, 2e place en individuel au Tudor Nazaré Big Wave Challengeen 2024, Ndlr). Il est arrivé en même temps que moi à Nazaré et il m’a permis de rencontrer mon équipe actuelle à Nazaré.
C’est quoi le mental d’une surfeuse de grosse vague ?
Quoi qu’il en soit dans la vie, c’est la mise en paroles et la mise en actions.On m’a appris à tempérer parfois et à placer des objectifs à court terme. L’objectif lointain n’a pas lieu d’être sans ça, il faut faire un pas après l’autre. C’est très compliqué pour beaucoup de sportifs d’accepter les étapes et que ça prenne du temps.
Il faut aussi toujours se concentrer sur soi et pas sur les avancées des autres. Si j’avais écouté ce qu’on me disait il y a sept ans – « C’est impossible ! » – je n’en serais pas là : à Nazaré, en équipe pro, à la limite d’intégrer les compétitions mondiales annuelles. Il faut croire ensoi et continuer à travailler pour. Il ne faut pas forcer, juste donner les bonnes impulsions et la vie fera advenir les choses…
On te sent très imprégnée de ce qu’on imagine être la philosophie du monde de surf… Une sorte de carpe diem.
S’il y a une chose de sure chez nous dans notre univers, c’est l’adaptation.Notre vie dépend de la météo etde la persévérance.
Quelles sont tes peurs lorsque tu surfes ?
J’ai découvert la peur de la blessure sur mon parcours, ce qui est, je pense, inévitable. Malheureusement pour moi, je suis aussi encore à un stade où j’ai peur de gêner sur le spot et de ne pas être à ma place. Mais je pense que c’est assez sain et ça permet de garder les autres en sécurité. Et, au final, la peur de ne pas performer assez et de me décevoir.
J’ai commencé il y a sept ans donc il n’y a pas de secret, j’ai des lacunes, j’ai encore du travail côté technique. Mais je suis hyper bien entourée et hyper motivée. J’ai deux personnes pour la gestion de ma communication, deux coachs physiques et deux thérapeutes physiques, deux coachs mentaux… environ quinze personnes qui m’aident au jour le jour.
Quels sont tes objectifs aujourd’hui en surf de grosses vagues ?
Je veux être une des meilleures pilotes, masculin et féminin confondu, de jet ski et l’une des surfeuses de grosses vagues dans le monde – je crois que très peu de femmes ont cet objectif à l’international. Je suis d’ailleurs actuellement la seule femme surfeuse dans l’équipe des Red Herrings. Même si on a beaucoup de femmes dans l’entourage de l’équipe : notre spoteuse, notre chargée de communication et sponsoring ainsi que mes thérapeutes.
Cette année, en 2024, je souhaite participer au maximum de compétitions internationales de surf autour du monde, au Pérou, à Nazaré, et autres. Je viens d’ailleurs de signer pour un évènement de plusieurs mois à Nazaré. Je vais aussi concourir pour une compétition où il faut être polyvalent, surfeur et pilote.
Quel serait ton message pour booster les femmes à se jeter à l’eau – celle du sport et du surf en particulier ?
Il ne faut rien attendre de personne, déjà. Allez-y, si c’est que vous sentez, il n’y aura pas un bon moment, mais il faut juste en avoir vraiment envie ! Et vous n’avez pas la moindre idée de là où ça va vous mener…
J’espère pouvoir inciter des gens à vivre leurs rêves. L’étape entre rêver sa vie et la vivre, c’est déjà commencer par le dire à voix haute et oser y réfléchir, puis l’écrire et ensuite les choses se font assez bien si c’est ce qui nous fait vibrer !
Mon emploi du temps évolue avec la nature. Quand je me lève, je commence par aller courir, ensuite je fais une session de surf si les conditions le permettent, je vais aussi marcher, faire de la respiration et enchaîner les meetings avec mes coachs ou les entreprises avec lesquelles je travaille.
Nazaré est unique ! C’est très rare d’avoir un endroit qui offre toutes les conditions pour le surf de grosses vagues autant de jours dans l’année. En plus, c’est paradisiaque, entre la puissance de cette nature qui déferle, de cet océan qui se déchaîne, et la douceur du ciel couleur barbe à papa.
Teahupoo, aussi, au-delà du spot, est un village absolument merveilleux avec des gens simples, extrêmement gentils, intelligents, avec un cœur grand comme ça. Il faut vraiment respecter leur terre pour les JO à venir.
Si tu te retournes sur ton parcours, tu penses que ton ascension éclair est due à quoi ?
Je suis restée moi-même au plus profond : enfantine, amoureuse de la découverte. Ce qui m’a aidée à avoir le mental, c’est de comprendre que mon chemin était le plus important, quitte à me mettre des gens à dos.
Financièrement, l’engagement est colossal mais j’ai la chance d’être confortable sur ce plan-là et j’ai travaillé quand il le fallait. Je ne cherchais pas forcément ma place mais ça m’est tombé dessus. Et tout mon parcours prend sons sens depuis.
Aujourd’hui, je suis peut-être l’une des quatre femmes surfeuses de grosses vagues dans le monde à savoir aussi conduire un jet ski à Nazaré. Et c’est pas rien !
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