Ta passion des rallyes et du désert te vient de ta famille. Une transmission logique pour toi ?
Mon père, Jean-Jacques Rey faisait les Paris-Dakar ou encore les Rallyes des Pharaons en Égypte, je baigne donc dans ce monde assez masculin depuis que je suis toute petite. J’ai participé à des rallyes avec lui. C’est une histoire de transmission, oui. Et de passion.
Mon père m’a transmis des valeurs qui sont toujours d’actualité : l’authenticité, le partage, l’action. Je travaille avec lui, mais aussi avec mon frère et mon mari. C’est devenu une affaire de famille.
Un souvenir intense avec ton père pendant une aventure sportive ?
Un souvenir assez traumatisant plutôt : un tonneau en voiture. Mais qu’on a bien géré. Mon père nous a dit, tranquillement : « Mettez vos mains au plafond et suivez le tonneau ». Il était plus inquiet pour moi que pour lui !
La première fois que tu as mis les pieds sur une piste, tu avais 14 ans ?
Oui, c’était mes premières pistes. J’ai de très bons souvenirs de Dakar où j’ai appris à conduire dans une école de pilotage et au Pays Basque où je faisais un peu de moto. Tous les week-ends étaient consacrés à faire de la moto en famille.
Encore aujourd’hui, j’aime l’odeur et le bruit de la moto, ça me rappelle ma jeunesse !
Enfant, tu étais quel genre de sportive ?
Petite, je pratiquais beaucoup la randonnée au Pays Basque, parce que quand mon père et ses amis motards allaient en montagne, j’y allais à pied pour les retrouver avec le reste de la famille.
J’ai aussi deux autres passions que je pratique depuis vingt ans : la danse africaine et le yoga. Je suis d’ailleurs une formation depuis quatre ans pour devenir prof de yoga. Mon premier réflexe le matin, c’est de faire une séance.
Ses bienfaits me sont utiles dans mon rôle d’organisatrice, notamment dans le relationnel, on rencontre beaucoup de monde dans ces événements. Ça me permet aussi de pouvoir me recentrer lors des moments de stress, grâce à quelques respirations. Pour moi, le yoga est un outil quotidien.
Tu es à l’origine de la création de 3 rallyes 100% féminins dont le Trophée Roses des Sables. Elle venait d’où cette idée ?
En 1997, quand j’ai intégré la société familiale Désertours, c’était davantage des raids aventures. On faisait le Biarritz-Dakar, le Biarritz-Maroc, le Venezuela, le Mexique, les USA, l’Okavango. C’était un milieu assez masculin. Il y avait quelques femmes, mais elles n’étaient que copilotes. Il était rare, qu’elles prennent le volant.
Tout naturellement, j’ai eu envie de proposer un rallye 100% féminin, de dédier ce genre d’aventures aux femmes. Il y avait déjà le Rallye des Gazelles, mais le concept était totalement différent : il s’agissait d’aller chercher des balises. Nous, nous avons choisi de garder la pure tradition du rallye-raid, avec boussoles et roadbook.
Lorsque nous avons lancé notre premier Trophée Roses des Sables, il y a vingt ans, nous avions 18 équipages au départ, on en compte plus de 200 aujourd’hui.
Quel regard ont porté les hommes sur ce rallye uniquement féminin lorsque tu l’as lancé ?
Assez dubitatif au début. Pour certains, le fait qu’un petit bout de femme vous donne des ordres, ce n’est pas toujours évident. On a essuyé des moqueries du style « Les femmes ne sont pas capables » ou « Elles vont passer la marche arrière au lieu de passer la marche avant ». Depuis quelques années, je pense que ça disparaît petit à petit. Mais il faut du temps.
Ce regard-là, ce peut être un frein pour les femmes ?
C’est certain, elles n’osent pas toujours entrer en sport auto à cause du regard des autres. Alors que sur les rallyes, elles sont exceptionnelles ! Elles sont toutes en douceur et à l’écoute, ce qui n’est pas toujours très masculin.
Je dirais qu’elles sont plus stratégiques et moins fonceuses. Pour la plupart, elles terminent le rallye et il y a peu de casse. Aujourd’hui, je trouve que les femmes sont beaucoup plus à l’aise dans le milieu automobile et davantage respectées.
Ce trophée, il est aussi là pour faire passer un message ?
Oui, que les femmes sont capables de se surpasser. Qu’elles ne sont pas que des mamans ou des infirmières ! Beaucoup d’entre elles aiment l’automobile et conduire, elles sont très joueuses, la partie navigation/orientation leur parle !
Je prends beaucoup de plaisir à les voir grandir, évoluer et surtout prendre confiance en elles. Cela leur permet souvent par la suite d’affronter des choses de la vie avec une force supplémentaire, en se disant : « Je suis capable d’avoir bouclé un budget et d’avoir affronté le désert et ses difficultés. »
Sans oublier l’aspect solidarité …
Nous avons toujours essayé de voyager utile et d’aider les peuples que l’on rencontre. On a monté plus de vingt écoles dans le désert, marrainé plus de cent enfants. Chaque année, on a de nouveaux projets.
Cette fois, on va aider des femmes qui se lancent dans la cuisine et leur apporter du matériel.
Pour la Rose des Andes, en Argentine, on est sur de l’équithérapie : on soutient les enfants handicapés grâce à l’équitation. Tous nos événements ont une importante valeur solidaire, une journée est consacrée à ça, les participantes viennent aider et participer à ces actions.
Qui sont-elles ces participantes, des baroudeuses ?
L’objectif de ce Trophée, c’est de faire un rallye raid sportif en essayant de le rendre accessible à toutes. Qu’elles soient néophytes ou confirmées. Mais la plupart de nos participantes sont des néophytes. Certaines n’ont jamais fait de 4X4 ou alors très peu.
Évidemment, une fille qui a fait 2-3 rallyes va être beaucoup plus motivée pour gagner. Mais toutes les femmes peuvent se lancer, il suffit d’être âgée de 18 ans, d’avoir son permis de conduire et d’être deux : une pilote et une copilote.
Dans le rallye Roses des Sables, on aime le fait d’accueillir des « Madame tout le monde ». On est toutes sur un pied d’égalité dans notre trip de désert. Il n’y a plus de barrières sociales.
Que ressentent les femmes, une fois la ligne d’arrivée franchie ?
De la fierté, beaucoup d’émotion et de joie. Une libération, en fait ! Je crois qu’elles se sentent « capables », libres et fières d’avoir pu se dépasser !
Dans l’organisation de ces rallyes, qu’est ce qui te fait vibrer ?
J’aime bien toute la partie mise en place, ce qui relève de l’organisation et de la logistique. C’est important pour moi. Les filles ne doivent pas être déçues. La satisfaction des participantes compte beaucoup pour moi. Elles doivent profiter de leur rallye à chaque instant !
Les multiples rencontres humaines me font aussi vibrer. On rencontre des femmes et des hommes exceptionnels. C’est enrichissant pour nous, organisateurs, d’avoir la chance de rencontrer toutes ces femmes qui se battent, qui ne lâchent rien, qui pleurent, qui rient. À la fin d’un rallye, on devient une grande famille !
Une rencontre humaine qui t’a marquée ?
J’ai fait de belles rencontres, je ne saurais dire laquelle m’a le plus marquée. À chaque édition, je rencontre des personnes formidables. Je réfléchis…
Je suis admirative des équipages ayant des handicaps. Je pense à Maria, qui malgré un handicap a bouclé son rallye Roses des Sables, avec sa copilote Virginie. La copilote avait tout donné pour l’accompagner sur les bivouacs ! Les femmes avec des handicaps qui participent aux rallyes m’impressionnent et je suis toujours bluffée !
Je suis aussi admirative des doyennes. L’année dernière, une québécoise de 73 ans a fini son trek portée par ses 2 copilotes pour franchir l’arche ! Les motardes aussi m’impressionnent ! Un jour, une motarde s’est blessée deux jours avant le départ, elle tombait souvent. À l’arche d’arrivée, on l’a toutes attendue ! On l’a aidée à remonter sur sa moto pour franchir la ligne. Ce sont des moments d’émotions incroyables !
Pour faire le Rallye Roses des Sables en moto, il faut quand même être costaud et gonflée. Et c’est souvent des petits bouts de femmes qui touchent à peine le sol !
Tu l’as déjà testé ce rallye ?
Malheureusement, comme j’organise depuis vingt ans, je n’en ai pas eu l’occasion. Mais par contre, quand j’organise, je mets un point d’honneur à prendre la piste tous les jours, d’évoluer avec elles, du matin au soir. Je fais tout le parcours au milieu des participantes, que du bonheur !
Comment les encadres-tu ? Il y a tant à gérer, des émotions, des doutes, des peurs…
Oui, ça nous arrive de devoir gérer tout ça à la fois. Parfois, on a des filles qui craquent parce qu’elles sont fatiguées ou alors parce qu’avec la copilote ça ne se passe pas bien par exemple. C’est arrivé plusieurs fois, j’essaie alors de faire comprendre aux filles que ça va passer, que le lendemain matin elles seront une nouvelle personne. Une personne qui aura envie d’en découdre, une nouvelle fois ! Ce qui est souvent le cas.
Donc oui, on doit gérer, ça fait partie de notre métier. Mais on l’exerce depuis plus de trente ans, et notre staff est expérimenté. Sur nos bivouacs tout est prévu : ostéopathe, Croix-Rouge, médecins, mécanos etc. C’est assez cocooning et très familial.
Le stress, comment tu le gères ?
Ça aussi, c’est l’expérience. Quand on a vingt-cinq ans d’expérience de 4L Trophy à 3000 personnes chaque années, des étudiants de 18 à 22 ans, c’est très formateur pour tout le reste !
Mais ce n’est pas que du stress, on prend aussi beaucoup de plaisir. Après, chacun gère à sa manière. Moi, c’est avec mes méthodes de yoga ou en échangeant beaucoup avec les autres. Quand nous sommes confrontés à des incidents plus graves, il faut garder son sang-froid et prendre les meilleures décisions le plus rapidement possible.
Tu as reçu le prix « Monte-Carlo Femme de l’Année » dans la catégorie « sport ». On ressent quoi à ce moment-là ?
Le syndrome de l’imposteur ! Non, je plaisante ! « Femme de l’année à Monaco »… j’ai été surprise ! Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais avec d’autres femmes qui pour moi méritaient aussi le prix.
Ça m’a fait très plaisir, et j’étais contente car mon papa était très fier, mes amis aussi. Donc maintenant, à mon bureau je suis « Femme de l’année de Monaco » !
Au-delà de l’organisation de ces rallyes féminins, qu’est-ce que ça t’apporte personnellement ?
Organiser ces rallyes m’a apporté une certaine confiance en moi, et puis, un certain recul par rapport aux choses, ce qui est important, ce qui l’est moins. Voilà, du recul et de la confiance !
Mais ces quatre dernières années avec tous ces événements à gérer, cela fait beaucoup de voyages, de stress, des employés à gérer. Je travaille avec mon mari et ça nous arrive souvent de continuer à travailler chez nous. Ce sont de longues journées, du non-stop. Parfois, on frôle le burn-out.
Le mot de la fin ?
Puisque l’on parle à des femmes, le mot de la fin serait : « Continuez à être ce que vous êtes, surtout de ne lâchez rien dans la réalisation de votre rêve, quel qu’il soit ! »
Toutes les infos sur les rallyes 100 % féminins de Géraldine Rey et notamment sur le Trophée Roses des Sables sur le site Désertours.