Gabriela Ramos« Le sport n'est pas un luxe, c'est un outil sociétal puissant. »

©Unesco
Ce 24 juillet, deux jours avant l’ouverture des JO, l’UNESCO réunit les ministres des Sports du monde entier pour une journée de discussions sur l’impact social du sport. Gabriela Ramos, sa Sous-Directrice générale pour les Sciences sociales et humaines, se bat pour démontrer que le sport peut changer la donne dans nos sociétés. Rencontre.

Par Valérie Domain

Publié le 24 juillet 2024 à 13h09, mis à jour le 13 janvier 2025 à 16h12

Vous êtes Sous-Directrice générale pour les Sciences sociales et humaines de l’UNESCO, vous supervisez les contributions de l’institution à la construction de sociétés inclusives, en quoi le sport est-il un outil pour faire progresser l’égalité des genres ? Pourquoi est-ce important pour l’UNESCO de s’emparer du sujet ?

L’UNESCO traite ce sujet du sport depuis sa création, ce qui montre que les funding fathers, ceux qui ont créé l’organisation, ont toujours pensé qu’il est un outil, comme le sont la culture et l’éducation. Parce que le sport n’est pas que loisir ou qu’organiser des événements, c’est aussi un élément qui nous rassemble, qui nous porte, qui nous aide à atteindre notre plein potentiel.

Récemment, nous avons lancé l’Alliance Fit for Life (« En forme pour la vie ») avec les ministres des Sports de nos états membres. L’objectif principal est d’activer le pouvoir du sport pour susciter des progrès sociaux, pour construire des sociétés plus inclusives, résilientes et pacifiques. C’est un programme phare pour nous.

©Wikipedia

Ce qui passe par le fait de faire évoluer la place des femmes dans le sport.

Je suis économiste et je travaille sur la question homme-femme depuis longtemps. Lorsque je suis arrivée à l’Unesco, notamment en charge des sports, j’ai constaté dans ce secteur les écarts dans la rémunération et la couverture médiatique ; j’ai aussi découvert la question de la violence, de la santé mentale, c’est pire que dans les autres secteurs économiques, mais aussi le fait que seulement 30 % des athlètes de haut niveau femmes aient un sponsor. C’est une réelle découverte pour moi, une prise de conscience.

C’est une priorité de développer la pratique chez les filles, parce que l’on sait que le sport est un élément d’autonomisation incroyable, le pire des stéréotypes étant que les femmes ne sont pas capables de faire quelque chose, le « ce n’est pas pour toi » ne doit plus exister et c’est valable aussi dans le sport.

©Unesco

On dit souvent que la France n’est pas une terre de sportifs. Depuis toujours, ici, le sport et les études ne font pas bon ménage, on oppose souvent le mental et le physique, est-ce que ça aussi c’est un stéréotype qu’il faut balayer ?

Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de mesurer le pouvoir du sport, sa magie. Je l’ai vu dans ma vie. Et de dire qu’on est moins intelligent, moins intellectuel, parce qu’on fait du sport, j’ai beaucoup de preuves vivantes que c’est faux. Pour moi qui ai toujours pratiqué la course à pied, chaque fois que j’ai dû faire un effort à l’école par exemple, j’ai pensé en sportive : « Allez, encore 1km, 1 de plus ! » Il faut donc changer notre vision des choses.

Il y a des pays comme le Royaume-Uni, comme les Etats-Unis, qui sont davantage préoccupés par l’appréciation de la contribution du sport. Dans beaucoup d’universités américaines, par exemple, on n’ignore pas les sportifs, au contraire. Car tout est lié. En France, il y a eu des progrès, mais il y a encore du chemin à faire pour valoriser la pratique au niveau de la scolarité. Je suis d’ailleurs heureuse de voir ce qui a été fait à l’occasion de Paris 2024 et de l’héritage des Jeux. Ça bouge.

Nous devons faire en sorte que ça change, que l’on puisse voir le sport comme un outil d’impact positif sur la personnalité mais aussi, plus largement, sur la gestion des conflits, sur la construction de communautés plus saines et, pour faire ça, il faut commencer par identifier les problèmes que nous voulons résoudre.

Nous savons que 80 % des jeunes au niveau mondial n’arrivent pas à faire les 3 heures de sport chaque semaine conseillées par l’OMS alors même qu’on sait depuis longtemps qu’il améliore l’aspect cognitif des enfants. Pourquoi finalement essayer d’aller chercher des solutions plus compliquées ?

En juin, lors de la réunion mondiale des ministres des Sports, ces derniers nous ont dit qu’ils étaient d’accords pour développer les infrastructures sportives, mais nous ont demandés de faire ce qu’on fait déjà avec l’éducation, la santé, le climat : essayer de comptabiliser tous les bénéfices intangibles du sport, son impact social, car si on ne le fait pas, quand on fait l’analyse coûts-bénéfices, le sport est toujours le dernier pris en compte dans les dépenses. On fera ainsi davantage d’investissements dans le sport si on comptabilise tout ce qu’apporte la pratique, de la santé mentale et physique à l’égalité homme-femme, en passant par l’impact social… Nous développons donc une méthodologie.

C’est un chantier énorme. Y a-t-il des chantiers majeurs pour vous ?

Je reprendrai ce que j’ai dit plus haut : le plus important est de faire changer les mentalités vis à vis du sport, commencer à l’intégrer comme élément essentiel des développements individuels et sociétaux. Les parents s’inquiètent aujourd’hui beaucoup du temps que les enfants passent sur leur mobile, du peu d’interactions sociales, de l’intelligence artificielle aussi, mais la meilleure manière de contrer ça, c’est le sport qui te structure.

Il y a une étude qui nous montre que 80 % des femmes chefs d’entreprise qui sont dans le Top mondial, font du sport. Parce que tu gagnes de la confiance en toi. Je me souviens du jour où j’ai bouclé un marathon, je me sentais la reine, quelle force !

Il faut donc parvenir à démontrer que le sport, ce n’est pas un luxe, que c’est essentiel pour la santé, même intellectuelle, de tous et en particulier de nos enfants. L’apprentissage de valeurs tels que le respect, la tolérance, mais aussi la culture de l’effort, ces efforts qui te permettent d’aller plus loin, de prendre confiance en soi, c’est important et c’est pourquoi il faut redonner au sport l’espace qu’il mérite pour construire des sociétés plus justes. Et puis, les gens qui font du sport sont plus heureux !

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Dans le cas de sociétés très traditionnelles, le sport représente notamment un espace où les femmes peuvent se retrouver, une porte ouverte sur une certaine indépendance, vous avez d’ailleurs un exemple en Afghanistan…

Oui, là-bas, nous avons eu une « task force » de femmes dans le sport qui était gérée par une afghane extraordinaire, Nelofar Sorosh. Elle est marathonienne mais ne pouvait pas sortir s’entraîner à l’extérieur, même avant que les Talibans n’arrivent, car à chaque fois qu’elle allait courir dans la rue, on lui lançait des pierres,  personne ne comprenait ce qu’elle faisait, si elle était folle, si elle s’enfuyait.

Elle a alors commencé à travailler avec les médias, des hommes qui la soutenaient aussi, pour créer un mouvement pouvant permettre aux femmes de pratiquer dans la rue. Elles portaient une couleur pour les identifier ; ainsi, pendant trois ans, elles ont pu faire du sport à l’extérieur. C’est une histoire magnifique qui a donné à beaucoup de femmes qui restaient chez elle une motivation, une possibilité de faire autre chose de leur vie. Depuis l’arrivée des Talibans, c’est terminé et Nelofar est réfugiée à New York, mais c’est un exemple de la puissance du sport.

Vous en savez quelque chose puisque vous êtes vous-même sportive, le sport a toujours fait partie de votre vie ?

Mon père a été champion de basketball mais la plus belle histoire est celle de ma mère, dans les années 60/70 au Mexique. Elle était un peu bipolaire et un jour, j’avais 16 ans, je courais beaucoup, je l’ai invitée à m’accompagner sur une course. Elle m’a suivie pendant quelques mètres puis elle s’est arrêtée, épuisée. Elle avait alors 44 ans et s’est sentie humiliée par sa fille de 16 ans. Sa réaction a été de s’entraîner.

Elle a alors découvert qu’elle était douée, elle a été repérée par les organisateurs d’olympiades pour les masters. Elle a pris un coach et jusqu’à l’âge de 74 ans, elle a participé à plusieurs olympiades dans le monde. Ce fut la plus belle période de son existence. On a fait le marathon de New York ensemble, j’ai fini en 4h et elle en 3h26. Le sport, ce sont des histoires de vie.

©Gabriela Ramos

On dit souvent que les parents sont les modèles des enfants, là ça a été l’inverse ?

Peut-être mais, en même temps, ma mère a toujours eu en tête que les femmes ont la capacité de faire ce qu’elles veulent dans l’existence. Elle l’a prouvé et cela m’a marquée. Plus tard, je me suis mariée avec un homme qui pratiquait le cyclisme, le vélo pour lui était très important. Je suis de mon côté 100 % sure que le sport a compté dans mon désir de faire bouger les lignes. C’est une attitude pour la vie.

Pour en revenir à votre action à l’UNESCO, comment travaillez-vous concrètement sur ces sujets et avec qui ?

Nous travaillons sur le sujet du sport depuis longtemps mais, désormais, nous avons une sorte de projet directeur avec cette initiative « Fit for Life » dont je vous parlais. Elle va nous permettre de travailler non plus seulement avec les gouvernement -même si nos contacts privilégiés restent les ministres des Sports -,  mais aussi avec des fondations, des marques, des acteurs du secteur privé qui s’impliquent sur ce projet. Par exemple, avec la fondation UN WOMEN, nous avons réalisé un manuel pour lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles dans le sport à destination des décideurs et encadrants du sport.

Autre exemple : en 2023, nous avons mené une expérience très positive avec la Cote d’Ivoire où il y a beaucoup de problèmes avec la jeunesse, la drogue… Nous avons lancé, avec eux, la « CAN des quartiers » en amont de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations de Football , Ndlr) qui vise à sensibiliser la population aux valeurs essentielles telles que le partage, la tolérance, le fair-play et la discipline grâce à la pratique sportive. On espère renouveler cette initiative dans d’autres pays d’Afrique et d’Amérique latine qui ont exprimé leur intérêt. Chacun contribue donc de son côté dans un même objectif.

©Wikimedia commons

Pour autant, le sujet du sport semble demeurer dans les sphères sportives, ne faut-il pas l’en sortir pour impacter plus de monde ?

Oui, notre ambition, c’est d’avoir quelque chose de plus systémique. Nous aimerions aller au-delà des ministères des Sports en travaillant par exemple avec les ministères des Finances pour mesurer les investissements dans le sport et ainsi démontrer qu’il y a des retours importants sur investissements.

Pour changer la donne, il faudrait aussi travailler avec les ministères de la Santé en analysant comment le sport peut réduire les coûts de la santé, faire davantage de prévention.

Plusieurs campagnes de santé publique ont été réalisées engageant les populations à bouger pour préserver leur santé, comment expliquez-vous que ce ne soit pas encore compris ?

Nous devons être plus éloquents, je crois ! Nous avons besoin de soutiens, de communiquer davantage, de témoigner très concrètement. Mais, dans la période actuelle, alors que l’humanité cherche de meilleures manières d’avancer, on doit être prêt à délivrer ce message du sport comme solution.

©Unesco

2024, année des JO de Paris, tout le monde semble vouloir s’emparer du sujet de la parité dans le sport, des politiques aux marques, mais dans la plupart des cas, est-ce un réel engagement ou une posture ?

Je crois qu’il y a une réelle volonté de faire évoluer les mentalités et de considérer le sport comme un outil important de changement sociétal. Pour nous, en tout cas, dans tout ce que nous faisons, le sujet de l’égalité homme-femme, c’est une règle d’or. Et à force de transmettre le message, grâce à la médiatisation accrue, en multipliant des actions concrètes dans ce sens, on fera prendre conscience de l’importance des femmes dans le sport.

Il faut profiter, là maintenant, de ces olympiades 2024, premières olympiades de la parité. C’est une immense opportunité qui nous est offerte de faire avancer ce sujet et, avec « Fit for life, nous sommes prêts. J’espère qu’on va aboutir.

  • Deux jours avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, l’UNESCO réunit des ministres des Sports du monde entier pour promouvoir l’impact social du sport : comment il peut être une force pour transformer les sociétés, améliorer la santé, l’éducation, l’inclusion et la participation des populations locales. Les fruits de cette conférence alimenteront le sommet des chefs d’État et de gouvernement organisé le lendemain par la France et le Comité international olympique.

 

  • L’UNESCO a pour mission d’instaurer la paix par la coopération internationale en matière d’éducation, de science et de culture. Leurs programmes contribuent à la réalisation des objectifs de développement durable définis dans l’Agenda 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2015

 

Ouverture ©Unesco

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