Tu as commencé à rider en BMX au début des années 80, époque où cette pratique sportive était très en vogue…
J’habitais dans l’Essonne, en région parisienne. Il y avait une piste de race ouverte à quinze minutes de chez moi, on y allait avec mes potes, on y passait des heures. J’ai découvert très vite que ce sport individuel se pratiquait en fait en collectif, pour l’émulation et l’adrénaline que cela procure de rider ensemble.
J’en ai fait pendant six ans puis j’ai déménagé à Montpellier où le BMX était moins populaire qu’en région parisienne. Et puis, nous étions au début des années 90, la tendance BMX, skateboard… c’était passé. Au début, c’était un phénomène de mode plus qu’autre chose. On y est revenu après.
Une fois en bord de mer, j’ai donc délaissé le BMX pour la planche à voile. En 1995, quand je suis rentré à Sup de Co Montpellier, j’ai monté une association de planche à voile qui s’adressait à tous les étudiants de cette école de commerce. C’est un sport qui t’apporte beaucoup dans la vie : pour progresser il faut être prêt à chuter, prendre un peu de risque, ne pas avoir peur, s’appuyer sur ses copains pour avancer, sortir de sa zone de confort, savoir chuter aussi.
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Tu as créé le FISE en 1997, c’était un projet d’école, une sorte d’étude de cas de ton école de commerce et ça fait plus de vingt que ça dure !
Oui, j’étais en 2e année et j’ai eu l’idée de créer un évènement qui regrouperait plusieurs sports dans le but d’attirer le maximum de personnes à qui faire découvrir des disciplines souvent méconnues, leur prouver par des démonstrations que ces sports sont ouverts à tous, qu’ils sont accessibles. Je souhaitais lancer un festival qui soit aussi un lieu de rencontre, de fête, the place to be. Un festival gratuit, financé par des sponsors.
Tu le lances avec des copains étudiants en mars 1997 et c’est à la fois un gros succès et un gouffre financier…
Trente mille personnes, une météo exceptionnelle, un partenariat avec un media local, un budget de 120 000 francs à l’époque (20 000 euros) grâce à un sponsor et à l’école… la mayonnaise a pris rapidement. Nous avions 200 riders sur du BMX, skateboard, wakeboard et planche à voile, on avait réussi à faire venir quelques champions : Robby Naish en planche à voile, Parks Bonifay en wakeboard ou encore Alex Jumelin alors espoir en BMX Flat.
Mais s’il y avait foule, on s’est retrouvés avec un gros déficit à la fin, les copains ont lâché l’affaire.
Moi, j’y croyais. Mes parents aussi : ils m’ont prêté de l’argent. J’ai créé mon entreprise Hurricane en septembre 1997 et dans ma chambre j’ai installé mon bureau avec fax et ordi. J’ai décroché des marques comme Adidas, Playstation, Orangina, dès la 2e année.
J’étais un passionné, c’était ma grande force ! On a vu en moi ce passionné, prêt à braver toutes les difficultés pour créer cet événement qui avait du potentiel, avec un public de tous âges. Je n’avais pas forcément l’ambition d’être très pointu, mais fédérateur.
Tu as testé plusieurs sports depuis la création. Aujourd’hui, il y en a 7 en compétition, du BMX au Parkour en passant par le skateboard ou le breaking. Comment les as-tu choisis ? En fonction de leur popularité, de l’intérêt des sponsors ?
Il y a un équilibre à trouver entre l’intérêt des fans, des pratiquants et les sponsors. On teste à travers des démonstrations certains sports, comme le mountain bike il y a quelques années qu’on a finalement fait sortir pour en prioriser d’autres. On doit faire certains choix.
En revanche, je suis toujours un passionné et si par exemple le wakeboard ne revêt pas beaucoup d’intérêt pour les annonceurs, je tiens à le garder. C’est aussi une façon d’essayer à la fois de faire découvrir des pratiques qui apportent un nouveau souffle à l’univers sportif et d’être en phase avec l’univers des riders.
Te présenterais-tu comme un homme « engagé » ?
Complètement ! On me prend pour un fou, mais mon but c’est que tous ces sports d’action réunis soient plus populaires que le foot ! Et on y travaille aujourd’hui activement avec les fédés. Ça n’a pas toujours été facile.
Pourquoi ? Les fédés ne veulent pas se développer ?
Il y a dix ans, ces sports étaient anti-fédés. Le rider était un peu plus extrême dans son way of life, il défendait sa discipline, le reste… il ne voulait pas en entendre parler. Un BMX pouvait dire « Fuck le roller ! » et vice-versa. Peu à peu, les fédés se sont structurées.
Aujourd’hui, on essaye de faire cohabiter tout le monde, de faire comprendre que partager permet d’avoir davantage individuellement. On essaye donc d’être des chevilles ouvrières, de réunir les différentes fédés. Après vingt-cinq ans d’expérience dans ce monde, on sait parler aux riders, on s’est adaptés, on maîtrise.
À l’époque, j’ai progressé seul avec mes copains, sans encadrement. Aujourd’hui, il y a enfin des clubs, des académies, de nouveaux brevets d’état, en BMX par exemple, pour donner des cours. Si on ne progresse pas, on se démotive. Les villes s’équipent en parcs, s’en préoccupent. Ça avance…
Les prochains JO vont mettre à l’honneur quelques-uns de ces sports comme le skateboard ou le breaking, ça doit te plaire !
L’exposition médiatique que les JO vont apporter à quelques-uns de ces sports d’action, va avoir un impact énorme ! Les riders sont les gladiateurs des temps modernes : dans l’arène, seuls face au danger, ils repoussent leurs limites. Ils méritent plus que ce qu’ils ont aujourd’hui.
Cette année, suite à la crise sanitaire, le FISE sera 100 % digital. Comment tu t’organises ?
Dans chacun des sports, BMX, Skateboard, Roller, Breaking, Parkour, Scooter, Wakeboard, les athlètes pros et amateurs s’affrontent dans une compétition vidéo en ligne sur la plate-forme E-FISE.com/Montpellier tout au long de l’été. Les vainqueur.e.s seront récompensé.e.s par un prize money d’un montant minimum de 150 000 euros.
Quant aux fans, ils pourront participer en tant que spectateurs sur le E-FISE avec au programme un “WEBSTIVAL” qui leur sera complètement dédié.
Il faut voir le bon côté des choses, cela permet d’aller chercher des athlètes parfois méconnus qui pratiquent au bout du monde et n’auront ainsi pas besoin de se déplacer
À travers ce festival, peut-on avoir une idée de la place des femmes dans ces sports ?
Sur le FISE Montpellier, nous comptons environ 40 % de femmes dans le public, c’est donc relativement équilibré. La pratique est moins féminine : 15 % tous sports confondus. Mais il faut savoir que ce n’était même pas 5 % il y a 10 ans.
Cela dépend aussi des sports. Le BMX n’est pas très féminin avec environ 5 % de filles, le skateboard en compte 25 %, mais avec le wakeboard, on atteint les 30 %, sans doute parce que c’est moins violent. Le breaking est le plus féminin de tous, avec au moins 40 % de femmes qui pratiquent.
Il y a dix ans, vous étiez les premiers à créer un Girl Contest, pourquoi un événement spécifiquement dédié aux filles ?
Pour les inciter à découvrir ces sports qui sont plus accessibles qu’on ne le pense. Voir des rideuses passionnées motivent, inspirent d’autres femmes. C’est leur dire qu’elles aussi peuvent rider. Les filles abandonnent souvent le sport à l’adolescence et on sait qu’on abandonne moins ces sports-là quand on les commence. Ils deviennent très vite addictifs.
Mais les filles vont moins vers l’extrême. Il faut donc populariser ces sports d’action, leur dire qu’elles sont capables de les pratiquer, en leur proposant de les initier et en leur donnant à voir des rôles-modèles.
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Le problème est peut-être aussi lié aux terrains de pratique, souvent trustés par les garçons ?
Je trouve qu’on est sorti de cet esprit extrémiste. Il y a quelques années, c’est vrai qu’une fille était peu acceptée sur le terrain d’un groupe de mecs, mais ça évolue. Un sport comme le skateboard a mûri, on voit beaucoup d’anciens qui leur donnent des conseils sur les parcs. Certains, comme moi, qui ont trente ans de pratique veulent partager.
Alors, oui, il y a toujours cette image testostéronée : le mec qui, lui, sait prendre des risques, ce qui est moins le cas des filles. Mais il n’y a pas que ça dans ces sports, une composante importante est le style. Et les femmes savent personnaliser les figures, elles ont une approche moins brutale, plus fine.
Le stéréotype de « Il faut des couilles pour en faire », il faut oublier ! Le féminin prend toute sa place, se développe à son rythme, et le rider qui a aujourd’hui une femme, une fille, a envie de partager sa passion avec elles.
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Pour autant, dans certaines catégories, les dotations sont plus importantes pour les garçons que pour les filles, il n’y a donc pas de parité au FISE ?
Il faut regarder la photo différemment : si on était aujourd’hui complètement à l’équité, ce serait au contraire un déséquilibre. Nous avons 150 pratiquants en pro parmi lesquels seulement 20, 30 femmes : le challenge n’est pas le même.
Aujourd’hui, on donne aux filles en prenant sur les prix des hommes. Elles partaient de zéro, et on a mis quinze ans pour arriver à une dotation de 20 000 euros pour elles. C’est donc moins que ce que remporte un homme, c’est vrai, et pourtant, c’est une avancée pour nous.
On tend peut-être le bâton pour se faire battre en faisant ça, mais on doit passer par cette non-équité pour aller de l’avant. Si on veut évoluer plus rapidement vers le 50/50, il faudrait pouvoir décrocher un sponsor très féminin, ce qui reste compliqué, on a du mal à convaincre.
Mais on aurait ainsi l’argent nécessaire et on pourrait leur donner autant qu’aux hommes. Ça prend du temps, la parité. C’est comme sur les parcs. Ces sports sont tirés par une élite avec une énorme communauté. Et cette élite, cette communauté, ce sont des hommes aujourd’hui.
Avec les JO, on peut espérer que ça change. Les Jeux Olympiques, c’est toujours une formidable promotion pour le sport et encore davantage pour ces sports-là qui vont donner de la visibilité aux femmes. Et, je l’espère, leur donner l’envie de nous rejoindre.
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