Elle gagnait des points, elle avançait à vitesse modérée, mais régulière, vers un rêve un peu fou, un rêve apparemment saugrenu, déraisonnable pour une fille.
Sharni Pinfold ne rêvait pas d’aller sur la lune ni de transformer le monde. Sharni Pinfold rêvait de devenir pilote professionnelle de moto, d’entrer dans le petit cercle des Grand Prix comme Ana Carrasco, championne du monde de vitesse, qui s’exclamait il y a peu : « La moto, ce n’est ni féminin ni masculin. La moto est un véhicule et nous sommes ceux et celles qui le dirigeons. Piloter est une question de technique et de savoir-faire. »
Ce savoir-faire, Shani l’avait, ne lui restait qu’à le développer. On ne lui en a pas laissé le temps. Laminée, dépitée, usée, dit-elle, par la misogynie d’un monde qui ne l’a jamais acceptée, celui des sports mécaniques ou plus précisément de la moto.
Malgré sa détermination, sa foi en ses capacités, sa ténacité, cette énergie positive, salvatrice, déversée cinq années durant pour devenir elle. Simplement elle.
Non pour prouver qu’elle était capable de battre des gars sur l’asphalte, mais pour se dépasser, s’étourdir de vitesse, d’adrénaline, se sentir pousser des ailes. Sharni Pinfold n’a pas agi par militantisme ni dans l’idée de prouver qu’elle « en avait » dans la combi de cuir.
Et c’est bien pourquoi, à 25 ans, elle a fracassé son rêve sur le bitume, décidant d’abandonner la compétition. La pilote dénonce « le manque de respect et les traitements désobligeants réservés aux femmes » qu’elle a subis si souvent qu’elle ne parvient plus, aujourd’hui, à les digérer.
Il n’est pas question de clouer au pilori tous les adeptes de la bécane. Les pilotes moto ne sont pas tous d’affreux machos qui roulent des mécaniques. C’est d’ailleurs un homme qui m’a envoyé l’info et a partagé avec moi son incompréhension et sa tristesse. Reste à constater qu’il y a encore du chemin à faire sur le terrain de l’égalité.
Et me reviennent en mémoire les mots d’une consœur journaliste alors que je préparais un supplément 100 % sport au féminin pour L’Équipe : « Je suis contre ce genre d’initiative, c’est ghettoïser les femmes dans le sport, on n’en est plus là… »
Alors, on en est où ? Cet argument, « ghettoïser les femmes », je l’ai entendu maintes fois, comme si parler de nous, les femmes, et seulement de nous, était malsain, contre-productif. En quoi ?
A-t-on jamais trouvé anormal, problématique, l’entre-soi des hommes, le fait que l’actualité sportive tourne autour d’eux depuis des lustres ? Il faudrait donc aujourd’hui ne pas trop faire de bruit, s’immiscer discrètement entre deux articles consacrés à des champions, avancer, certes, mais sans trop bousculer l’ordre établi. Ne pas s’effacer, mais ne pas faire de vagues non plus.
Or prendre la place qui nous revient consiste à nous faire entendre. Et nous n’avons pas tous et toutes les mêmes façons de procéder. Pour autant, la finalité est toujours la même : parvenir à une égalité de traitement entre hommes et femmes, et ici entre sportifs et sportives.
« À quel moment notre société va-t-elle considérer que la femme a autant sa place dans le sport que dans un bureau ou à la maison ? », s’interroge un encadrant sportif dans le film de Marie Lopez-Vivanco, « Sportives : le parcours médiatique des combattantes ».
Oui, quand ? Lorsque nous aurons su nous mettre en lumière, nous dépêtrer de ce « syndrome de l’imposteur » qui nous plombe. Et à force de ne pas accepter le sexisme, la misogynie, celle qui veut minimiser le talent et a annihilé le rêve de Sharni Pinfold.
« Il faut que les gens sachent que derrière ce mot plus ou moins tabou qu’est le sexisme, il y a des gens qui souffrent, explique la sociologue du sport Béatrice Barbusse. C’est pas juste un mot, pas seulement un concept, mais des femmes et des hommes qui sont des êtres humains qui souffrent et qui souffrent parfois tellement qu’ils finissent par abandonner. »
Voilà où on en est.