Alfonsina Strada La diablesse en jupons qui fit scandale sur son vélo

Alfonsina Strada
Elle aimait la liberté avant tout. Faisant fi des conventions, Alfonsina Strada a passé sa vie à braver les interdits pour assouvir sa passion du vélo. En 1924, elle devient la première femme – et la seule encore à ce jour – à prendre part au Giro. Portrait d’une petite reine devenue grande.

Par Sophie Danger

Publié le 21 avril 2021 à 17h51, mis à jour le 29 juillet 2021 à 12h17

La vie d’Alfonsina Strada est un véritable roman. Issue d’un milieu modeste, la tornade italienne voit le jour le 16 mars 1891 à Riolo di Castelfranco Emilia, une discrète bourgade de la province de Modène.

La légende veut qu’elle ne soit âgée que d’une dizaine d’années lorsque son père, Carlo Morini, décide de troquer quelques-unes de ses poules contre un vélo. Un échange qui va bouleverser à jamais sa courte existence.

Mordue, Alfonsina Strada commence à parcourir la campagne alentours au guidon de ce qu’elle appelle sa « machine de liberté ».

Très vite pourtant, les balades ne lui suffisent plus. Alfonsina Strada veut se mesurer aux autres. Alors que ses parents la pensent à la messe, l’adolescente, elle, met à profit ses dimanches pour prendre part à quelques réunions locales.

L’exubérante Italienne commence à se forger une réputation et gagne le surnom de «  diable en jupons ». Son comportement, jugé, par beaucoup, scandaleux, pousse ses parents à lui chercher un époux.

En 1915, Alfonsina Rosa Maria Morini devient Alfonsina Strada après avoir épousé Luigi, ouvrier soudeur et, de surcroît, coureur amateur qui lui offre… un vélo conçu de ses propres mains en guise de cadeau de noces !

Tout juste mariés, Luigi et Alfonsina Strada partent s’installer à Milan. Loin de chercher à freiner les ardeurs de sa cycliste d’épouse, Luigi les attise et devient son entraîneur.

La môme Strada continue de rouler et franchit régulièrement la frontière pour se tester dans les Vélodromes de France et de Belgique. En 1917, alors que la guerre bat son plein, retenant une grande majorité des coureurs les plus en vue sur la ligne de front, la Milanaise demande à participer au Tour de Lombardie.

Requête acceptée pour « la Strada » qui se classe 29e et dernière d’un classement remporté par le Belge Philippe Thys. Peu échaudée pour autant, elle réitère l’année suivante et boucle le parcours à la 21e et avant dernière place.

Il faudra attendre l’année 1924 pour qu’Alfonsina Strada n’entre définitivement dans l’Histoire du cyclisme italien. La Lombarde, qui a alors 33 ans, se pique de participer au Giro.

Le contexte particulier qui entoure la tenue de cette 12e édition va jouer en sa faveur. Emilio Colombo, le directeur de course, est dans la tourmente. L’homme fort de La Gazetta dello Sport subit la fronde des grandes équipes professionnelles qui réclament rétribution pour aligner leurs vedettes. Colombo, persuadé que c’est bel et bien le Giro qui fait le champion et non l’inverse, refuse et décide d’ouvrir le peloton aux coureurs indépendants.

Alfonsina Strada saute sur l’occasion et s’inscrit sur les rangs sous le pseudonyme d’Alfonsin.

Le 10 mai 1924, dossard 72 sur le dos, elle devient la première femme à prendre le départ du Tour d’Italie. À ses côtés, 89 autres prétendants à la victoire, tous des hommes.

Les débuts sont difficiles pour Alfonsina Strada qui, fidèle à son caractère pugnace, s’accroche. Séduit par ce petit bout de femme que rien ne semble pouvoir arrêter, le public la plébiscite.

Plus la course avance, plus sa popularité grandit. La 8e étape manque, de peu, la couper dans son élan. Blessée au genou, la veille, à la suite d’une chute, elle boucle les 304 kilomètres qui séparent Foggia (Pouilles) de l’Aquila (Abruzzes) hors délais.

Bien décidé à profiter de sa renommée pour redorer le blason de « son » Giro, Emilio Colombo lui propose de finir la course à condition de renoncer au classement. Le 1er juin 1924, elle passe la ligne d’arrivée avec vingt minutes d’avance sur la lanterne rouge, son compatriote Telesforo Benaglia.

Revancharde, Alfonsina Strada prend rendez-vous pour l’année suivante. Colombo, de retour en grâce chez les professionnels, lui oppose une fin de non recevoir et le Giro redevient une affaire d’hommes.

Le « diable en jupons » ne renonce pas pour autant à sa passion. Désormais célèbre, elle continue de courir jusqu’en 1938. Quatre ans après le décès de Luigi, en 1946, elle épouse Carlo Messori, un ancien pistard, et monte, avec lui, un magasin de cycles à Milan.

De nouveau veuve sept ans plus tard, Alfonsina Strada solde les reliques de son glorieux passé pour s’offrir une moto et battre, encore et toujours, le rappel des compétitions, côté public cette fois.

C’est en revenant de l’une d’elles, « les trois vallées Varésines », qu’elle va trouver la mort. Alors qu’elle remise sa Guzzi avant de rentrer chez elle, cette dernière lui tombe dessus. Victime d’une crise cardiaque, elle s’éteint le 13 septembre 1959. Elle avait 68 ans.

Vous aimerez aussi…

Championnat du monde de para athlétisme, le récap'

Mondiaux de para athlétisme 2023, l’heure du récap’

Ils ont quitté la piste. Le 17 juillet, les athlètes handisport ont bouclé, à Paris, leurs Championnats du monde de para athlétisme. Dernière grosse échéance avant le rendez-vous des Jeux Paralympiques de Paris 2024, ces Mondiaux faisaient office de test avant le grand bain. Petit résumé de la compet’.

Lire plus »

Julie Cukierman : « J’aime transmettre le goût de l’effort, la volonté d’aller au bout de soi-même… »

Elle a le sport dans la peau. Une passion jubilatoire qu’elle transmet à merveille, elle qui rêve de prouver que nous sommes tous des sportifs dans l’âme. Préparateur sportif d’athlètes de haut niveau, Julie pratique un métier dans lequel les femmes sont peu nombreuses. Et elle s’y sent bien. Également coach (à ne pas confondre !), elle nous raconte son quotidien entre grands champions et sportifs amateurs.

Lire plus »
Lyli Herse, la révélation du premier Tour de France féminin

Lyli Herse, la révélation du premier Tour de France féminin

Elle a été LA « coursière » la plus en vue du premier tour de France. Avec deux victoires d’étape et deux deuxièmes places, Lysiane Herse, dite « Lyli », petit prodige venu du cyclotourisme, a définitivement marqué de son empreinte la première tentative de « Grande Boucle » au féminin. La Normande bouclera cette course inaugurale à la quatrième place du Générale, battue au temps par la Britannique Millie Robinson.

Lire plus »
Clémence Delavoipière, la para-escrimeuse qui fait mouche

Clémence Delavoipière, la para-escrimeuse qui fait mouche

À la fin de l’envoi, elle touche ! Clémence Delavoipière, 24 ans, est l’un des grands espoirs français de l’escrime fauteuil. Amputée d’une jambe, elle a découvert la discipline par hasard il y a trois ans et a déjà décroché l’or à l’Épée en Championnat du monde. La voilà en place pour disputer ses premiers Jeux Paralympiques, à l’épée, au fleuret et au sabre. Allezzzzz !

Lire plus »
Le skating ? Cékoiça ?

Le skating ? Cékoiça ?

On ne parle pas ici de skateboard, mais de sport de glisse. Les amateurs de ski de fond comprennent ce terme, mais les novices moins. C’est quoi, à votre avis ? Les sportifs et sportives, les coachs, ont leur langage, selon les disciplines qui, elles aussi, sont régies par des codes. Place à notre petit lexique pratique, le dico « Coach Vocab ».

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner