Quelle petite-fille sportive étais-tu ?
Petite, je regardais beaucoup l’athlétisme, le patinage artistique et la natation à la télé. Donc j’aimais ça, le sport. Et puis, mes parents étaient quand même assez sportifs. Mon père a été militaire, chauffeur routier, et il a même créé un club de badminton. Ma mère a été sportive dans sa jeunesse. Avec les enfants, ça a juste été un peu plus difficile pour eux de garder le rythme !
Comment as-tu rencontré l’athlétisme et qu’est-ce qui te plaisait dans cette discipline ?
Je ne me souviens pas trop, mais je sais que dès la cour de récréation vers l’âge de 5 ans, j’ai démarré les courses. Et je gagnais les garçons ! Et ça, ça me plaisait pas mal. Au-delà de la compétition, le sport était pour moi une échappatoire.
Qu’est-ce qui te fait courir au tout début ?
Moi, depuis très jeune, j’avais le rêve olympique en tête. Je voulais porter le maillot de l’Équipe de France et faire les Jeux, que je regardais à la télé.
Une victoire en cross… ©DR
Tu es quadruple championne de France d’athlétisme dans les catégories jeunes (lancers de poids et javelot), comment s’est dessiné ton parcours sportif jusqu’à décrocher ces titres-là ?
En athlétisme, quand on est petit, on touche un petit peu à tout. Moi, je sortais du lot sur le sprint et les lancers. À l’époque, je faisais des traversées de gymnase, ce qui était assez impressionnant pour mon âge. Et je voyais bien que j’avais quelques mètres en plus par rapport aux autres filles.
C’est après le collège, à l’âge de 14 ans, que je suis partie à Niort en section sport-études. C’est vraiment à ce moment-là que je me suis plus orientée sur le javelot parce qu’avec la croissance, j’avais toujours des problèmes au talon d’Achille ou des périostites. Ça devenait compliqué de faire du triple saut. Je commençais à faire des performances, l’envie d’être sportive de haut-niveau se dessinait petit-à-petit dans ma tête.
Mes premiers titres, je les obtiens à 17 ans, en 2014. Je suis double championne de France cadettes, au poids, l’hiver, et au javelot, l’été. J’apprends, à ce moment-là, qu’il existe des matchs internationaux, au niveau européen. Je fais donc mon premier match en équipe de France en 2015, pour le javelot, et une deuxième sélection l’année suivante, au javelot là encore.
Comment es-tu parvenue à entrer en équipe de France ?
Il faut faire un podium aux championnats de France et ça a été mon cas. Après, pour ces deux matchs, je portais le maillot de l’équipe de France, mais je faisais seulement partie de ce que l’on appelle les « sélections ». C’est un autre mode de sélections pour les Championnats tels que les Europe ou les Monde.
Qu’est-ce que tu aimais dans ta pratique de l’athlétisme ?
Me dépasser. Le fait de voir que je me débrouillais bien et que j’étais performante, ça me permettait d’acquérir une confiance en moi, et de forcément y prendre goût, jusqu’à devenir une vraie compétitrice. L’athlé, c’est mon sport de cœur, une vraie passion dans laquelle je me suis toujours vue grandir.
Quelles disciplines te plaisaient particulièrement ?
J’ai vite préféré le lancer au sprint parce que la mentalité y est plus conviviale, plus saine, je trouve. Mais aussi parce qu’avec le lancer, tu as plus de temps ; tout peut se jouer durant le concours, sortir un seul jet ne suffit pas toujours. Avec le sprint, le mental et la perf doivent jouer direct, c’est de l’instant T, il faut montrer qu’on veut en découdre dès le départ.
Si je pouvais parler à la Talia d’avant, je lui dirais de s’assumer, de se montrer davantage. En France, quand on n’est pas humble, pas modeste, c’est mal vu. L’Australien Sasha Zhoya par exemple, nationalisé français, qui concourt en 110m haies, a ce truc un peu américain d’être sûr de lui, d’être un peu show-off. En France, certains disent qu’il a le boulard. C’est comme ça dès que quelqu’un assume clairement ses objectifs sportifs et encore plus si c’est un objectif ambitieux.
Mais c’est grâce à ça qu’on y arrive. Ça, je l’ai compris un peu tard. Parce que la modestie, on nous l’apprend tout de suite, c’est dans notre éducation. Aujourd’hui, je pense qu’on peut être sûr de soi, l’assumer haut et fort, tout en respectant ses adversaires. Après, chacun fait comme il veut.
Quel a été le moment où tu as senti que ton rêve était réalisable ?
Je n’ai pas forcément compris ça avec mon premier titre. C’est le lendemain, voire le surlendemain que tu réalises, en fait. Tu as une médaille, le titre de championne de France, quand même ! C’est ma deuxième médaille d’or, en javelot, l’été, qui m’a fait prendre conscience de mes possibilités. En plus, c’était vraiment un bon moment, il y avait ma maman, mon petit-frère, mon copain, ma belle-maman… Ils étaient très fiers de moi et ça, ça te porte. Je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter là.
Pourtant, tu opères un virage en 2020. Qu’est-ce qui a tout changé ?
J’ai fait mes études en STAPS, pour continuer d’évoluer dans l’athlé. Mes deux premières années se sont déroulées à Poitiers. Pour la troisième, j’ai dû partir sur Bordeaux pour pouvoir faire la spécialité Entraînement sportif. Ensuite, je suis partie sur un DEJEPS Athlétisme et Disciplines associées. Je me trouvais toujours à Bordeaux mais je remontais à Poitiers pour les semaines de cours.
C’était des semaines et des week-ends très rythmés, j’étais beaucoup moins investie dans ma pratique sportive. Même si ça me frustrait, j’étais super heureuse de ma formation. J’avais toujours rêvé de travailler dans le sport et, là, je faisais enfin du terrain. Et puis j’avais compris que je n’avais pas le niveau ni l’entrainement adéquat pour pouvoir faire les Jeux.
Championnat de France de Javelot à Valence…©DR
Comment le bobsleigh te fait remonter la pente à ce moment-là ?
En fait, tout débute en 2018. Je venais de reprendre le sprint, que j’avais stoppé il y a bien longtemps. J’avais besoin de nouveauté, le sprint me manquait. Je faisais des chronos sur 60m qui n’étaient pas mauvais pour une lanceuse puis on m’a parlé du bobsleigh pour la première fois. On m’a expliqué que Margot Boch cherchait à construire son équipage de bob à deux pour viser les JO 2022. À ce moment-là, je n’avais pas forcément le temps, et pas la tête à ça ; j’ai dit franchement que je n’en avais pas envie, et puis ça ne me parlait pas « le bob ».
Ce n’est qu’à l’été 2020, en revoyant une story Instagram de mon pote Antoine Riou, en plein stage de bob, que ça me revient… Mentalement, j’étais dans une optique totalement différente. J’étais bien dans mon travail, mais, niveau perso, je n’étais toujours pas alignée. Il me manquait quelque chose, je n’étais pas forcément heureuse. La Covid est arrivée et ça a été l’occasion de vraiment réfléchir à ce dont j’avais envie et besoin.
Je repensais enfin à moi, à cette période-là : j’étais en train de me remettre en condition physiquement, j’avais perdu du poids, je sortais d’une relation, je travaillais mon mental. Mon réflexe ? Envoyer un message à Antoine. Il m’a dit qu’il y avait un stage en août. C’était deux mois après. Ni une ni deux, j’ai écrit un message à mon employeur Johan du club de Poitiers pour pouvoir me libérer une semaine.
Avec Marion Boch…©Instagram
Et c’est le coup de foudre avec le bobsleigh…
Oui, ça a été un coup de cœur parce que c’était du sprint à fond les ballons sur une petite distance et beaucoup de muscu avec des grosses charges. Bref, un truc un peu bourrin, tout ce que j’aime ! Les qualités recherchées matchaient avec mes atouts et les entraîneurs étaient très réceptifs donc je me suis dit « Let’s go ! ». En plus, à cette époque, l’équipe Boch cherchait des pousseuses pour décharger Carla Sénéchal. Mais bon, j’avais un CDI avec l’EPA86 à Poitiers et je devais venir à Aix-les-Bains…
La suite ? Il fallait que je teste la vraie discipline : les descentes en bob ! J’étais impatiente. Et le jour J, j’apprends que je ne peux pas descendre avec Margot. Je me retrouve avec quelqu’un que je n’avais jamais vu, qui s’avère être Mathéo Grandjean. Je stressais beaucoup. J’avais jamais fait ça. J’avais juste vu le film Rasta Rockett et j’avais regardé des vidéos sur YouTube dont beaucoup de chutes…
Ça te faisait peur, le bobsleigh, mais tu n’avais qu’une seule idée en tête : foncer ?
Je me suis clairement dit : « Dans quoi je m’embarque ? ». Mais j’avais en moi la volonté de tenter un truc nouveau, de sortir de ma zone de confort. J’avais toujours été dans des sports où je ne risquais rien, c’était chill, il n’y avait pas vraiment d’adrénaline.
Qu’est-ce que tu as ressenti lors de ta première descente en bobsleigh ?
C’était chahuté, ça tapait pas mal… J’ai eu l’impression d’être un chewing-gum lorsque j’ai goûté à mes premiers G, et j’ai vraiment apprécié la descente. J’ai tout de suite voulu en faire une deuxième. Et ça a été la pire descente de ma vie…
Je pense que je savais un peu mieux à quoi m’attendre, alors, à la première bosse, je me suis sentie partir, et j’ai trop tenté de me tenir, j’étais ultra-tendue contrairement à la première descente. Après ça, le mental part vite dans tous les sens… Et comme je n’ai pas réussi à freiner parce que mes bras, à force de serrer, étaient comme endormis, ça a été un peu la panique. Le pilote m’a dit : « Freine, freine ! », j’ai répondu : « Je ne peux pas ! ». On a réussi à s’arrêter à temps, mais ça a été un vrai coup de stress. Mais bon, il ne fallait pas rester là-dessus. J’ai dit « Go pour la troisième » après une petite récupération, quand même. Et j’ai adoré. J’étais prête à me lancer dans ce nouveau projet.
Comment as-tu intégré l’équipe de France féminine de bobsleigh ?
On m’a proposé de venir avec l’équipe en Coupe d’Europe en Allemagne. Comme je bossais, j’ai demandé à reprendre une semaine de congés. C’était ok, j’ai eu une chance folle de ce côté-là. On n’a pas pu faire la compet’, à cause d’un problème technique, mais on a pu tester les descentes et c’est là où le staff m’a dit que j’avais du potentiel pour intégrer le projet olympique de l’équipe de Margot Boch. Ils cherchaient des remplaçantes pour Carla Sénéchal.
Il faut savoir qu’à chaque saison, en septembre, les cartes sont rebattues avec les tests de sélection. J’ai donc signé une rupture conventionnelle avec mon boulot et j’ai travaillé jusqu’en juin tout en reprenant les entrainements intensifs avec Georges, un entraîneur de Poitiers. J’ai aussi fait les stages fédéraux en mai-juin. Côté liste ministérielle en tant que sportive de haut niveau, j’ai été, dès 2021, en « collectif national ». Après, tu montes en fonction de tes performances.
Championnat d’Europe junior 2023…©DR
Donc c’est une nouvelle vie pour toi : tu donnes tout pour le bobsleigh ?
Oui, je me lance à 100 % à partir de juillet 2021, je quitte tout. Et ce même mois, je fais ma première chute à la poussée, je me fais une grosse brûlure sur la cuisse, un calvaire. Pourtant, début septembre, un peu sur un coup de tête et une intuition à la fois, je déménage à Aix-les-Bains. Et, dans la foulée, on part en Chine, avec Margot, pour les tests de préparation aux Jeux Olympiques. C’est vraiment là que j’ai engrangé le plus d’expérience dans la descente et en tant que pousseuse : j’étais la seule sur place et on descendait quasiment tous les jours, le tout pendant trois semaines.
Puis, j’ai fait une Coupe du monde en décembre parce que le staff voulait me voir en compétition. On se classe treizième. Ça restait correct, et, au niveau des chronos, j’étais pas loin des scores de Carla.
Test Event en Chine en 2021… ©DR
Quels sont donc tes atouts au bobsleigh ?
J’ai une dominante puissance-force, j’ai de la vitesse mais je suis un petit moteur, on va dire : je donne tout, tout de suite, sur une courte distance. Mais, par exemple, Margot, elle, elle est beaucoup plus en dominante vitesse. On est bien compatibles du coup.
Tu as déjà vécu des coups durs ?
Oui, juste avant les sélections des JO 2022 de cette année-là. Quatre jours avant, je me blesse en séance de sprint, à l’entraînement. Mon projet bobsleigh était mort puisque je ne pouvais pas faire les sélections et donc, derrière, pas de JO. Ça remettait tout en question parce que j’avais tout quitté pour le bob et j’étais au chômage… J’étais un peu la « SDF » du groupe et c’était pas facile mentalement.
J’ai pu déménager chez Marielle Berger (skieuse acrobatique française skicross, Ndlr), une athlète qui était dans le groupe de mon préparateur physique Massamba M’BAYE. C’est le premier coup dur de ma carrière d’athlète de haut niveau. Et là, tu doutes à fond, tu te poses toutes les questions. Heureusement, j’avais commencé la préparation mentale et j’avais atterri dans un environnement hyper sain, hyper sympa et serviable, c’était une chance. Marielle s’était fait les ligaments croisés. Je me suis retrouvée avec elle et un skieur de haut niveau à faire des jeux de société parce qu’on n’allait pas aux JO. Je côtoyais des Olympiens, quand même, et aussi les êtres les plus gentils qui soient.
Un coup dur qui t’a fait rebondir donc ?
Avec la prépa mentale, j’ai pu relativiser et comprendre ce vers quoi je devais me tourner : l’athlé, comme toujours. Du coup, j’ai fait la saison hivernale de compétitions élites. J’arrive à me qualifier et je fais mon record : je passe pour la première fois la barre des 15m en lancer de poids. Je me classe sixième ou cinquième. Ça me réconforte ! Mentalement, c’est ça qui m’a permis de switcher et de ne pas me poser trop de questions. Entre la prépa physique du poids et celle du bob, il y a beaucoup de similitudes, on est dans l’explosivité, donc je n’avais pas beaucoup perdu pour le bob. C’était une bonne alternative.
Mais il y a quand même une suite avec le bobsleigh…
Après cet hiver compliqué, je refais le point avec mon préparateur mental et mon préparateur physique. On adapte un peu les entraînements pour le bob, on repart quasi de zéro. Il faut savoir que les entraînements en bob, ce n’est que l’hiver ou un peu l’été avec le chariot, mais il faut vraiment avoir une activité d’entraînement pour la saison d’été. Je ne voulais pas lâcher le bob, j’avais tout donné pour ça !
Je passe donc les sélections de septembre 2022, Carla gagne et je me classe deuxième. Je suis donc remplaçante et je peux quand même faire une compet’ cette année-là. L’idée est de faire souffler la titulaire et de faire travailler la remplaçante. C’est la Coupe d’Europe et on fait championnes d’Europe juniors en Bob à 2 avec Margot, mon premier titre en bob ! Cette même année, en plus, on fait 5e aux championnats du monde – c’est Carla qui concourt pour ce que l’on appelle « la team Boch ». Là, c’est un sacré accomplissement !
Championnats du monde St Moritz 2023… ©DR
Tu fais partie d’une équipe mythique car il n’y avait pas eu d’équipe féminine depuis dix ans quand tes coéquipières, Margot Boch et Carla Sénéchal, ont ravivé la discipline. Tu es fière d’être l’une des pionnières féminines dans ce sport ?
Je ne me considère pas comme une pionnière parce que c’est vraiment Margot et Carla qui ont lancé le truc et puis, aux JO, avec Sandie Clair (cycliste française reconvertie en bobeuse, Ndlr). Ce sont elles trois qui ont remis le bob féminin français sur le devant de la scène. Mais c’est forcément flatteur pour moi d’avoir intégré cette équipe, oui. Surtout qu’en janvier 2024, on fait 4e en Coupe du monde, la meilleure place de l’équipe de France féminine dans cette compétition.
C’est donc toi qui es la pousseuse lors de cette Coupe du monde victorieuse ?
Même si j’ai encore été derrière Carla aux tests de sélection en 2023 (mais je bats mon record !), le staff me fait rentrer en Coupe du monde de janvier 2024 pour qu’on soit à égalité au niveau du nombre de compétitions. En plus du classement, on a fait une super poussée avec Margot par rapport aux autres équipages. Pourtant, en février 2024, je passe totalement à côté de mes sélections. Je suis arrivée un peu trop détendue. Et puis, en tant que remplaçante, je pratique très peu finalement, j’ai du toucher le bob et le chariot seulement trois fois de novembre à février et j’ai fait quatre compétitions en trois ans.
J’enchaîne les désillusions, je me sens stagner. Pour les championnats du monde à Winterberg, en Allemagne, qui se déroulent du 19 février au 3 mars 2024, je suis remplaçante. L’équipe se classe douzième.
Que fais-tu lorsque tu es remplaçante, en fait ?
Je suis toujours en déplacement avec l’équipe titulaire, mais je descends quasiment jamais. Je dois juste me tenir prête au cas où, si Carla se blesse. Je fais donc, à côté, de la musculation et du sprint. Et, dès que je le peux, de la poussée ou du chariot sur nos pistes d’entraînements. Mais j’habite à une heure et demi, donc ça rajoute des frais quand tu comptes les péages, l’essence… Donc, concrètement, mon entraînement à l’année, ça va être plus en salle de muscu ou dehors, avec les sprints. Et les poussées, ça va être surtout pendant la préparation estivale et durant les stages.
Si on résume, depuis mes débuts en bob, j’ai fait trois saisons : la première, je me suis blessée avant les sélections pour les Jeux, ma saison a donc duré deux mois. Et pour les deux saisons suivantes, j’ai été remplaçante. Donc, j’ai finalement très peu d’expérience en tant que pousseuse, à proprement parler.
Comment s’est passée la saison 2024-2025 ?
L’été 2024 a été une désillusion. On m’avait remis du volume d’entraînement, j’ai fait les mêmes chronos que l’année d’avant, voire moins bien…. Il y a quelque chose qui n’allait pas. J’arrivais à l’entraînement en faisant la gueule, je ne me sentais pas bien. Pour le rendez-vous de septembre, je me prends un dixième à mon propre record, c’est-à-dire que j’ai couru un dixième plus lent que l’année d’avant, ça ne va pas. Mon entraîneur me dit qu’on va alléger le volume d’entraînement en prévision des sélections un mois et demie plus tard, pour voir comment je réagis. Je reprends un peu de jus.
Aux sélections, je finis quatrième, mais à moins d’un dixième de Carla. On est toutes hyper serrées dans les chronos, au final. Je me sens satisfaite sans l’être vraiment… Cette saison, j’ai fait une seule compétition, une Coupe du monde, et puis quasiment une saison blanche, à la maison… On a toutes un souci au niveau de la poussée cette année donc on se pose des questions. On pensait faire mieux et en fait, non… Ça fait un peu peur à un an des Jeux de 2026.
Et donc là, toi, concrètement, tu fais quoi ?
On est tous off et puis on réattaque progressivement jusqu’aux stages fédéraux, qui reprennent en juin puis une fois par mois, où on pousse deux-trois fois par semaine.
En 2023, tu as intégré l’Armée des Champions, ça te permet d’être rémunérée comme une athlète professionnelle car ce sport n’est pas professionnalisé ?
C’est à la suite de notre cinquième place en championnats du monde de Saint Moritz en 2023 que j’ai été intégrée à l’Armée des Champions, sur dossier. Mes droits au chômage arrivaient à leur fin en mai 2023 donc ça tombait à point nommé parce que, sinon, faute de financements, j’aurais dû quitter le projet. Mais ça s’est fait à un cheveu. Je faisais beaucoup de baby-sitting pour tenter de m’en sortir et ce dispositif, c’est à la fois une libération parce que tu es payée pour faire ton sport et une reconnaissance. On croit en toi et en ton projet. Je signe à l’Armée des Champions en octobre 2023.
J’apparente un peu cette mission à un contrat d’image. Moi, je suis marraine du bataillon franco-allemand (BCS-BFA) du côté de l’Alsace. C’est une fierté de faire partie de l’Armée car, depuis toute petite, j’ai toujours été attirée par le côté militaire. J’ai même hésité à m’engager à un moment. Ce contrat me permet de réaliser mon rêve : être dans l’armée et être payée à faire mon sport. On est sur des contrats de deux ans – ça allait jusqu’en octobre 2025 pour moi – mais je viens tout juste d’apprendre que j’avais été renouvelée jusqu’à octobre 2026. C’est un grand soulagement. Après les Jeux 2026, si je n’ai pas fait un résultat probant, ils seront totalement en droit de me dire qu’ils ne renouvellent pas mon contrat.
Est-ce que tu as déjà pensé, en dehors de ton activité militaire, à un parcours professionnel au cas où ?
À la base, mon projet, c’est les Jeux Olympiques de 2026 et même 2030, si ma situation financière le permet. Dans tous les cas, après 2026, je pense que je vais faire une coupure et me réinvestir en tant qu’entraîneure. Je sens que ça me manque. J’en ai besoin pour mon équilibre personnel.
Qu’est-ce que ces expériences en sport de haut niveau t’ont apporté personnellement et en tant que femme ?
Je dirais que j’ai pris conscience de ma force et de ma capacité de résilience surtout grâce à mon entourage. C’est avec l’aide de mes proches que j’ai réussi à prendre du recul et voir que j’avais toujours réussi à rebondir. Et, finalement, je me suis rendu compte, comme le disait Marielle, que c’est le chemin qui compte plus que le résultat. J’essaye de me concentrer sur ça parce qu’avant j’étais beaucoup dans la performance.
Aujourd’hui, que représente le sport pour toi ?
Avant, c’était une échappatoire, maintenant, c’est devenu mon mode de vie. C’est ma bulle. C’est réellement mon quotidien. C’est toute une organisation : tu ne peux pas manger n’importe comment, tu ne peux pas faire la bringue ou aller à un mariage en plein mois d’août parce que le voyage ça fatigue. Tout ça, je ne le vois pas comme des sacrifices, mais plutôt comme des concessions pour atteindre mon rêve. Et si je n’étais pas aussi bien entourée, je n’aurais sûrement pas continué.
Tu partages ton expérience de sportive de haut niveau sur les réseaux en toute authenticité, tu penses que c’est important cette transparence pour motiver la jeune génération ?
Avant, je voyais beaucoup les côtés positifs du sport de haut niveau sur les réseaux et, quand je me suis blessée avant les Jeux, j’ai fait face à une grosse désillusion parce que tu as beaucoup plus de down que de up au final, beaucoup plus de moments de doutes que de moments où tu as confiance en toi. On commence à voir tout ça sur les réseaux, notamment grâce à la prise de conscience de l’importance de la prépa mentale.
Pour ça, j’adore Rénelle Lamote (athlète française, spécialiste du 800m, Ndlr) : elle est transparente sur son stress, ses règles, ses constipations… Les jeunes générations doivent savoir dans quoi elles s’embarquent sans pour autant que ça les bloquent. Moi, j’essaie de témoigner à mon niveau, mais c’est tout un travail. En tant qu’athlète, on doit faire notre communication pour attirer les sponsors et les partenaires, en plus de devoir gérer le reste. Ce n’est pas toujours évident
Qu’est-ce que tu dirais à des jeunes filles pour leur donner l’envie de prendre un virage dans leur vie, de ne pas avoir peur et de faire le sport qui les fait rêver ?
Si ça te fait plaisir, fais-le, même si c’est dur, car si tu as vraiment l’envie, ça veut dire que tu peux le faire. Ça peut paraître un peu cliché comme discours mais, au final, moi, en tant que lanceuse, je suis un petit gabarit, je ne pèse pas 100 kilos, et pourtant, j’arrive à me placer dans l’élite française… Donc, ce que je veux dire, c’est vraiment qu’il ne faut pas s’arrêter aux préjugés.
Moi, je complexais beaucoup, par exemple, parce qu’on me disait : « Tu es très musclée pour une femme » et on ajoute à ça le fait que je suis noire. D’une certaine manière, je ne rentrais pas dans les cases. Aujourd’hui, j’ai 28 ans, j’ai hyper confiance en moi et je fais exactement ce que j’ai envie de faire.
- On suit à la trace le parcours de Talia sur son compte Instagram @taalitude_ et son compte LinkedIn Talia Solitude.
- Palmarès en athlétisme : 2014, Championne de France cadettes au poids, l’hiver, et au javelot, l’été. 2015 : Vice-Championne de France junior au javelot, hiver, 3e au Championnat de France junior au javelot, été. 2016 : Vice-Championne de France junior au poids, hiver. 2017 : 3e au Championnat de France espoir au javelot, été. 2019 : Championne de France espoirs en salle au poids, l’hiver. 2019 : Championne de France espoirs au poids, l’été, vice-Championne de France espoir au relais 4x100m. 2020 : 3e au Championnat de France senior au poids, hiver
- Palmarès en bobsleigh : 2021, 13e en Coupe du Monde. 2022, victoire en Coupe d’Europe – Bob à 2, championne d’Europe Juniors Bob à 2, victoire en Coupe d’Europe – Bob à 2, athlète Pro grâce à l’armée des Champions. 2024, 4e place en Coupe du Monde – la meilleure place de l’Équipe de France féminine dans cette compétition.
Ouverture ©David Malacrida