Rechercher

Alexandra Lucas : « Moi qui n’avais jamais navigué, j’ai bouclé la Mini Transat ! » Ingénieure et ministe, voileuse, 37 ans

Alexandra Lucas : « Moi qui n’avais jamais navigué, j’ai bouclé la Mini Transat ! »
Elle est Parisienne, ingénieure de formation et, en 2019, à 32 ans, sans jamais avoir navigué, elle se met au défi de prendre le départ de la Mini Transat 2023, une traversée de l’Atlantique en solitaire et sans assistance. Pari relevé pour l'audacieuse Alexandra Lucas qui a été choisie pour être l’une des porteuses de la flamme olympique.

Propos recueillis par Sophie Danger

Publié le 26 mai 2024 à 17h31, mis à jour le 03 juin 2024 à 11h10

« Je suis née et j’ai grandi dans la banlieue ouest de Paris, loin de la mer. Les vacances d’été, je les passais plutôt du côté de l’Eure-et-Loir à faire du vélo et du roller, le bateau est venu bien plus tard, lorsque j’étais en école d’ingénieur. À cette époque, j’ai rejoint une asso et j’y ai rencontré un pote qui était à Centrale Marseille or à, Marseille, il y a la mer !

Un jour, en 2016, il me propose de le rejoindre pour un week-end bateau dans les calanques et, trois mois plus tard, il m’invite à participer à la Rolex Giraglia, une régate disputée dans la baie de Saint-Tropez. Je ne savais absolument pas naviguer mais j’ai trouvé exceptionnel d’évoluer au milieu de ces bateaux tous plus beaux les uns que les autres. Nous avons recommencé l’année suivante et puis, en 2017, je suis à La Défense où je travaille et je croise un garçon, Timothée, qui m’explique qu’il prépare la Mini Transat, à savoir, la traversée de l’Atlantique en solitaire sur un bateau de 6.50m.

©Alexandra Lucas

À son retour, on déjeune ensemble et il me dit : « Mais toi, tu fais quoi de ta vie ? ». Mauvaise question, j’avais des journées à rallonge, des horaires de con, je m’étais séparée quelques temps auparavant de mon compagnon et je n’étais pas tout à fait remise…

Bref, peu de temps après ce repas, je croise un autre énergumène, Jean-René, avec qui j’avais navigué sur la Rolex Giraglia et qui, lui aussi, s’apprête à faire la Mini Transat. Je commence à cogiter et, en 2018, un peu aidée par Timothée, je me lance : je mets une option sur un bateau et je décide, moi aussi, de traverser l’Atlantique.

©Alexandra Lucas/Facebook

C’est comme ça que je me suis retrouvée à faire de la voile. Je n’avais, à mon sens, encore jamais rien fait par moi-même mais j’ai toujours aimé la mer, le bateau, la Mini Transat, ça avait l’air dingo. J’avais également des attaches aux Antilles, terre d’arrivée de la course, et puis il y avait cette sensation que tout ce que j’avais en tête s’évaporait dès que je posais un pied sur un bateau.

Moi qui ai un gros complexe de l’imposteur, je suis partie du principe que, comme je ne connaissais rien à ce sport, j’avais tout à me prouver. Sur ce, je reçois mon bateau en novembre 2019 et là, les débuts sont particulièrement ingrats.

©Manon Le Guen

J’étais basée à Lorient et j’étais à des années lumière des autres skippers qui naviguaient depuis qu’ils étaient tout petits. Je me suis néanmoins organisée comme je le pouvais pour venir le plus souvent possible, j’ai également participé à des entraînements encadrés par un coach renommé mais j’avais l’impression d’être inscrite à un concours d’éloquence alors que je ne savais ni lire, ni écrire, c’était assez étrange !

Quelque fois, il m’est arrivé de me demander ce que je faisais là-bas mais, heureusement, les gens ont été accueillants : la classe mini réunit des amateurs qui ont envie de vivre quelque chose d’exceptionnel et ça, c’était chouette car tout le monde essaie de s’entraider.

©Alexandra Lucas

En 2020, c’est le coup dur, le Covid arrive et je ne peux pas beaucoup naviguer. Quand on peut enfin reprendre, je me mets un coup de pied aux fesses entre mars et mai 2021, je descends à Lorient tous les quinze jours. À cette époque, je suis en liste principale pour faire la Transgascogne en double avec un skipper chevronné qui a déjà traversé l’Atlantique sur un mini mais, finalement, ça ne se fait pas et je décide de partir seule.

Moi qui n’avais jamais passé une nuit seule en mer, j’avais un stress incroyable, mais la course s’est bien déroulée et ça m’a permis de me débrider : il s’est passé mille choses mais ça a été mille premières choses qui m’ont fait prendre confiance en moi. Après cette péripétie et bien d’autres, je parviens finalement à me qualifier pour la Mini Transat.

©Alexandra Lucas

Les mois qui précèdent le départ, je panique pas mal, heureusement, mon copain est un bon coach pour gérer les moments où je suis complètement paumée, où ça ne va pas. Le grand jour est programmé pour le dimanche 24 septembre. Le samedi, j’ai l’estomac complètement noué.

Ma famille est là, mes parents, mes deux grands-mères de 90 ans, mon oncle, ma tante et mes cousins et on déjeune tous ensemble. Je suis contente de les voir même si ça rajoute un peu de stress au stress et je passe par toutes les émotions possibles et imaginables jusqu’au moment où on me dit : « Tu ne pars pas ! » La météo n’était pas favorable et le départ est reporté au lundi.

©Manon Le Guen

Le lundi, lorsque je m’élance enfin, je suis malade tant et si bien que je vomis dans le chenal. La première étape de la Mini Transat est un peu rude. Je commence vraiment à être dans la course à partir du troisième jour, lorsque je vais mieux physiquement. Là, on se paye un bon front, une trentaine de nœuds, et je me sens vivante comme jamais. Au total, je mets douze jours, j’arrive dans les derniers avec un seul regret : ne pas m’être fait confiance assez tôt, ce qui m’a joué des tours.

Pour autant, je n’ai eu aucune embuche technique, seulement des embuches psychologiques : tu craques parce que tu n‘as pas de vent, tu craques parce que tu vois que le gars d’à côté va un nœud plus vite que toi et tu te dis que tu es trop nulle, tu te demandes ce que tu fous là.

La 2e étape, elle, se passe extrêmement bien même si je l’ai trouvée un peu longue sur la fin, mais je kiffe les surfs sous spi (Un spi ou spinnaker, type de voile hissée à l’avant d’un voilier lorsque le vent souffle depuis l’arrière du bateau, Ndlr), les nuits étoilées… je suis juste rattrapée par mes peurs lorsque je réalise que je suis au milieu de l’Atlantique et qu’il vaut mieux qu’il ne m’arrive rien mais je mesure, en même temps, la chance incroyable qui est la mienne. 

©Alexandra Lucas

Cette aventure, c’était l’année dernière et j’en tiré un film documentaire et une exposition photos. Maintenant, quand on me demande : « Alors, Alexandra, tu fais quoi de ta vie ? » … et bien j’ai de quoi répondre, même je suis encore un peu ennuyée parce que mon sponsor, la région Île de France, m’a posé une autre question difficile : « On fait quoi après ? ». Pour le moment, je n’en sais rien si ce n’est qu’il faut que je retourne travailler, d’abord parce qu’intellectuellement, j’aime ça, et puis parce qu’il y a des factures à payer.

Je sais également que j’aimerais avoir des enfants, un projet auquel on travaille avec mon copain. Je pense que renaviguerai un jour, que je ferai encore quelques projets rock’n’roll, pourquoi pas une Jacques-Vabres ou une CapMartinique à moins que je ne grimpe le Kilimandjaro où que j’aille livrer je ne sais quoi à des gamins malheureux.

©Manon Le Guen

Pour être honnête, à part ça, je ne sais pas trop de quoi demain sera fait, mis à part cet été puisque j’ai été choisie pour porter la flamme olympique. C’est dingue !

Ce sera vraisemblablement le 20 juillet, a priori dans le 77, je suis hyper fière et depuis, je m’entraîne à porter des objets… Je vais d’ailleurs peut-être tenter un moonwalk pour faire durer le plaisir ! » 

©Marc Hervouet

Ouverture ©Manon Le Guen

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Elles aussi sont inspirantes...

Noëlie : « Quand je roule, c’est un sentiment de liberté et de joie qui m’anime. »

Noëlie : « Quand je roule, c’est un sentiment de liberté et de joie qui m’anime. »

Maman d’un enfant en bas âge, la trentenaire Noëlie n’a pourtant jamais lâché le guidon et s’est fait une place de choix dans le monde du vélo. Son prochain défi ? La course reine de l’ultra-cyclisme, la RAF 2500km, sans assistance et en totale autonomie. Avec sa coéquipière Elsa, elles seront le premier duo féminin de toute l’histoire de la RAF. De vraies Indiana Jones au féminin !

Lire plus »
Jessica Vetter : « Le CrossFit, c’est le girl power absolu ! »

Jessica Vetter : « Le CrossFit, c’est le girl power absolu ! »

Aussi solaire que son Sud natal et dopée à l’énergie du sport-passion, elle envoie du lourd. Mais désormais, c’est tout en douceur. Ou presque. La coach Jessica Vetter, ex-gymnaste et championne de CrossFit, désire aujourd’hui aider les autres à se sentir bien dans leur corps, sans jamais se départir de son humour communicatif. Les muscles n’ont qu’à bien se tenir !

Lire plus »
Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »

Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »

Elle a donné un an de sa vie pour la Transat Jacques Vabre qui vient de s’élancer du Havre. Elle, c’est Charlotte Cormouls-Houlès, 27 ans, navigatrice passionnée qui n’aurait jamais imaginé pouvoir s’embarquer dans pareille aventure. Nous l’avons rencontrée deux jours avant son grand départ. Avec sa co-skippeuse Claire-Victoire de Fleurian, la voilà à flot pour voguer vers un rêve devenu réalité.

Lire plus »
Hélène Clouet : « En tant que fille, on n’est pas moins légitime qu’un homme quand on veut faire de la course au large. »

Hélène Clouet : « En tant que fille, on n’est pas moins légitime qu’un homme quand on veut faire de la course au large. »

Elle a déjà eu mille vies. Océanographe, éducatrice sportive en voile légère et croisière avant de travailler sur un chantier d’IMOCA pour finalement se lancer dans le commerce de voiles. Hélène Clouet, 34 ans, n’a de cesse, à travers ses aventures, d’assouvir sa passion pour la navigation. Engagée au départ de la Mini Transat en 2021, la Caennaise, Rochelaise d’adoption, a monté une association, « Famabor », afin d’inciter d’autres filles à se lancer !

Lire plus »

Vous aimerez aussi…

Ouvrons la voix, une opé rugby carrément ÀBLOCK!

Ouvrons la voix, une opé rugby carrément ÀBLOCK!

Attention, première ! Une rencontre internationale de rugby commentée uniquement par des femmes, c’est le programme de ce 16 mars. Cette initiative forte, Ouvrons la voix, soutenue par la fédé du ballon ovale, entend prouver que l’expertise est tout autant du côté des filles que des gars. Alors, girls, marquons l’essai !

Lire plus »
Pink Power Team

Stéphanie : « Le permis moto, ça a été le début de mon émancipation. »

Rien ne prédestinait Stéphanie à devenir une motarde semi-pro rugissante. Pourtant, même une grave blessure n’aura pas abîmé sa passion de la vitesse. Cheveux roses, motos qui dépotent, elle ne lâche pas son rêve et le transmet à d’autres filles qui, comme elle, roulent des mécaniques sur les circuits amateurs mais, cette fois, en karting. La Pink Power Team est de sortie, faites place !

Lire plus »
Marie-Amélie Le Fur, une vie (sportive) à cent à l’heure

Marie Amélie Le Fur, une vie (sportive) à cent à l’heure

La présidente du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF) était très attendue pour ces Jeux Paralympiques de Tokyo, ses derniers. La reine française du saut en longueur et ambassadrice du handisport n’a pas démérité et a remporté sa neuvième médaille paralympique, venant couronner une carrière buffante.

Lire plus »
Eve Périsset, à force de détermination

Eve Périsset, à force de détermination

La constance paye. Grâce à ses années d’expérience dans différents clubs, Eve Périsset est toujours à la lutte pour une place de titulaire avec les Bleues. Sa polyvalence, ses ambitions et sa (déjà) grande connaissance du terrain ont fait la différence.

Lire plus »
Lucie Bertaud

Lucie Bertaud, jamais aussi libre que dans une cage

Voix rauque et débit de mitraillette, Lucie Bertaud est une passionnante pipelette. Cette figure de la boxe féminine française, aujourd’hui championne de MMA (arts martiaux mixtes), se raconte comme elle combat : sans triche et sans artifice. Sur le ring, dans une cage ou dans la vie, elle donne tout ce qu’elle a. Échanges percutants.

Lire plus »
Nantenin Keïta, la fusée française du tour de piste

Nantenin Keïta, la fusée française du tour de piste

Elle est une incontournable du para athlétisme. Trois fois championne du monde du 200 et 400m, championne paralympique du 400m aux Jeux de Rio 2016, Nantenin Keïta, 36 ans, ultra-déterminée avec un mental de lionne, s’est élancée pour la finale du 400m T13 femmes ce samedi après avoir terminé première de sa série pour les qualifications. Son objectif ? Aller chercher une médaille, peu importe la couleur.

Lire plus »
Monica Pereira

Monica Pereira, le sport pour sortir de l’ombre

Une jeunesse dans les quartiers difficiles, un parcours chaotique et…le sport. Monica est une survivante. Et c’est parce qu’elle s’est bougée, dans tous les sens du terme, qu’elle est aujourd’hui, à 43 ans, en phase avec elle-même. Depuis un an, elle épouse sa reconversion de coache sportive avec jubilation. Pas peu fière. Elle nous raconte ce qui la raccroche à la (belle) vie. Témoignage précieux.

Lire plus »
Clarisse Agbegnenou

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Un nageur artistique et une pilote moto confrontés tous les deux au sexisme, une boxeuse ambitieuse ou encore 5 infos clés sur l’une des meilleures judokates mondiales, Clarisse Agbegnenou (sur notre photo), c’est le meilleur d’ÀBLOCK! cette semaine. Enjoy !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner