« Le prix fort » est votre sixième ouvrage, le premier à parler de sport. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous frotter à ce domaine en tant qu’écrivain ?
Le pari était de raconter cette histoire mais cette histoire, a priori, les gens la connaissent et elle se résume en une phrase : Monica Seles a été poignardée par un dingue.
Moi, j’avais envie d’y mêler des choses personnelles, des choses de la « grande histoire » pour mélanger tout ça, pour que ce soit un peu sympa à lire.
Mais pourquoi dans ce domaine, pourquoi une histoire de sport ?
Parce que… le sport et moi ! Dans la biographie du livre, j’écris que mon palmarès sportif se résume à avoir été dispensé de sport au bac et ça s’arrête à peu près là. Ceci dit, j’ai lutté pour avoir cette dispense !
Il reste que le sport et les écrivains, c’est toujours un peu la blague car nous ne sommes pas connus pour être de grands sportifs. En ce qui me concerne, le sport m’a suivi tout au long de mon parcours d’écrivain et de façon un peu bizarre.
Je me suis retrouvé, par exemple, à jouer par hasard des matches de football avec l’équipe de France des écrivains. Il y a eu plusieurs petits jalons comme celui-ci. J’ai également un intérêt de spectateur pour le sport. Ça m’amuse.
Et puis, pour un roman, c’est génial car le sport comporte tous les éléments de la tragédie et ça donne des histoires formidables à raconter.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, que le sport ne soit pas davantage matière à roman ?
Je pense qu’il y a des sports plus littéraires ou plus compatibles avec la littérature que d’autres. On peut citer le vélo par exemple. Il y aussi la boxe, étonnement, avec des textes sur le sujet : Jack London s’y est attaqué, plus récemment il y a Alban Lefranc. Il y a des sports qui accrochent de par leur dimension dramaturgique : un match de boxe, c’est deux types qui se battent jusqu’à la mort symbolique de l’un ou de l’autre. C’est très fort et à raconter, ça marche très bien.
Si on compare, il y a très peu d’écrits sur le football et, à mon sens, c’est parce que c’est un sport collectif, ce qui est très difficile à raconter.
Vous, vous vous êtes intéressé au tennis, qui plus est au tennis féminin, matière encore plus rare en littérature. Pourquoi ce sujet ? Parce que c’est un moment que vous avez vécu et qui vous a marqué en tant que spectateur ?
Exactement. Il y a eu deux déclencheurs : la discussion avec l’éditeur et un déclencheur personnel. J’avais 12-13 ans quand ça s’est passé et je me souviens très bien de cette agression. C’était une déflagration, ça avait choqué tout le monde. C’était un moment fort.
Il y a eu un avant et un après. Et puis il me semble, en ce qui concerne le tennis féminin, qu’à l’époque, c’était plus égalitaire d’un point de vue de l’intérêt, de la visibilité. La rivalité Graf-Seles n’était pas quelque chose de secondaire, elle était mise en avant au même titre que les oppositions masculines.
Aujourd’hui, le tennis féminin me semble plus en retrait par rapport au tennis masculin, il n’y a pas de grandes championnes qui s’inscrivent sur la durée ni de grands affrontements comme il peut y en avoir chez les hommes avec Nadal, Djokovic et Federer, cette génération qui a tenu plus de dix ans.
On peut évidemment citer Serena Williams mais Serena était seule au sommet. Après Graf-Seles, il n’y a plus eu d’oppositions inscrites dans le temps.
Votre livre met en scène Monica Seles et Günter Parche, un chômeur de l’ex-RDA, amoureux fou de Steffi Graf, sa grande rivale, et qui va tenter de l’assassiner. Vous avez travaillé sur des faits réels, avez-vous été tenté de parler à Seles avant d’écrire ?
Avant d’écrire, je me suis pas mal documenté sur cette affaire. J’ai consulté des documents journalistiques, les pièces du procès… J’aimais bien l’idée de faire un peu l’inspecteur, de creuser cette matière.
Seles a également écrit un livre juste après son agression et elle n’en a plus parlé après. On sent que la blessure est vraiment très forte. Moi, j’ai signé plusieurs romans, mais c’est la première fois que je m’attaquais à un personnage réel et c’est un peu sensible car, même si j’écris de l’extérieur, avec le plus d’empathie possible, j’écris sur un évènement dramatique qui, dans la vie, a touché quelqu’un.
Je marchais un peu sur des œufs. Je savais qu’elle ne voulait pas en parler et je ne suis pas certain qu’elle ait très envie que l’on revienne sur cette histoire ou d’être ramenée tout le temps à ça.
C’est pour cela que vous vous incluez dans la narration ?
Oui, c’est pour ça. Je parle à Seles et Parche comme si je leur écrivais une lettre. J’ai choisi cette narration pour faire comprendre que je ne suis pas là pour remuer le couteau dans la plaie ni pour raconter une histoire que plein de gens connaissent, je suis là, en qualité d’écrivain, parce que j’ai envie de comprendre, de me mettre à leur place.
La narration vient de ce positionnement pas évident au début mais c’est ce qui m’est venu de plus naturel, de plus juste. Dans le livre, je voulais montrer que Seles était quelqu’un qui était moqué, critiqué par la presse. Dans l’opposition avec Graf, c’est toujours elle qui avait le mauvais rôle.
J’ai beaucoup de sympathie sincère pour cette joueuse qui n’était qu’une gamine et je pense que ça se sent dans le livre.
La seule limite d’un écrivain, c’est son imagination. Qu’en est-il lorsque l’on est amené à travailler sur une histoire qui a réellement existé ?
Les éléments factuels du livre sont tirés de mon travail d’enquête, tout est juste et sourcé. C’était plus simple pour ce qui est de Seles car il y a beaucoup de matière, tout ce que je peux dire d’elle, je peux l’appuyer sur des éléments que je n’invente pas.
Pour Parche, j’essaie de faire comprendre au lecteur les passages dans lesquels j’interprète ou lorsque je suppose quelque chose. Toutefois, comme ce sont des personnages réels, j’évite de leur attribuer des pensées qui ne correspondent pas à la réalité.
Il reste que le livre est un roman, comment parvient-on à mêler le réel et ce qui relève de la littérature ?
En tant qu’écrivain, je m’autorise tout sur le regard que je peux porter sur quelque chose. C’est pour cela que mon point de vue est ultra visible dans le livre. Seles par exemple, je la trouve sympathique. C’est mon point de vue et en ce qui concerne ce point de vue, je me sens très légitime de penser ce que je veux et de l’écrire.
Je trouvais qu’il y avait une injustice terrible concernant Seles. C’est ce qui m’a frappé quand je travaillais sur le sujet. Sportivement, ce qu’elle a fait est unique, ça n’a plus jamais été fait depuis. Seles, c’est une comète qui est arrivée et qui a tout gagné en deux ans, c’est une performance incroyable, mais comme elle n’était pas attaquable sur le plan sportif, la presse a été terriblement injuste avec elle.
Aujourd’hui, on ne pourrait plus tolérer ce traitement médiatique.
Vous le pensez vraiment ?
Quand on voit des tabloïds mettre sa photo en Une, barrée d’un « Ta gueule Monica », c’est extrêmement violent ! Il y a des journalistes qui ont pris des détecteurs de volume pour mesurer le son de ses cris dans le seul but de se moquer d’elle.
On était dans la calomnie simplement pour monter une bonne histoire avec Graf d’un côté et elle de l’autre : la grande Allemande blonde, douée, contre la petite besogneuse serbe qui cogne fort. Tout cela, c’était juste pour créer une opposition et on lui a donné le mauvais rôle alors que c’était juste une gamine surdouée de 16 ans.
Vous dites que votre but était de comprendre comment tout cela a pu arriver. Qu’avez-vous compris a posteriori de cette histoire ?
Je suis fasciné par les sportifs. Quand tu vois ce qu’ils font, comment ils poussent leur corps, ce qu’ils vont chercher en termes de techniques, de performances, c’est insensé, ce n’est pas du tout la même chose que nous quand on fait un petit tennis le dimanche.
Les dix meilleurs joueurs du monde, ce sont des génies. Ce qui m’a frappé, et c’est ce qui a donné le titre du livre, « Le prix fort », c’est que, au-delà de ça, ils ont aussi à subir tout un environnement de pression : pression médiatique, pression des sponsors, des fans… Tu ne peux pas être un grand sportif si tu ne sais pas gérer ça aussi or Seles, elle, elle ne voulait qu’une chose : être la meilleure, faire du sport.
Elle a finalement été rattrapée par tout cet environnement hyper dur.
Vous avez des pistes pour expliquer ce traitement ou du moins pourquoi cette répartition des rôles entre elle et Graf ?
Il y a donc cette logique journalistique, ça construisait une bonne histoire, ce qui nécessitait que chacune ait un rôle.
Pourquoi ça a été distribué comme ça ? Je pense qu’il y a une part de sexisme très clair : on ne va pas donner le mauvais rôle à la grande blonde au jeu élégant. C’est pour ça que l’angle d’attaque, c’était ses cris et, ça, c’était des attaques franchement sexistes.
Pensez-vous qu’il y a un avant et un après l’affaire Seles ?
Il y a plein d’avants et d’après. Il y en a pour elle dans sa carrière, après cette agression, son élan a été cassé. Il y en a un dans les conditions de vie des joueuses en termes de sécurité : à l’époque tout le monde pouvait s’approcher d’elles, entrer dans les stades sans aucune sécurité et ça, ça a été terminé du jour au lendemain.
En ce qui concerne le traitement dans la presse, je ne sais pas. En France, nous n’avons pas la culture du tabloïd, je ne sais pas si c’est différent aujourd’hui en Angleterre et en Allemagne.
Monica Seles a aujourd’hui 49 ans.
Quelle place tient cet ouvrage dans votre bibliographie, est-ce que c’est une expérience à part ou est-ce qu’il s’inscrit dans la continuité de votre œuvre ?
J’ai adoré faire ce livre. Je me suis senti super libre dans le choix du sujet, dans l’écriture, c’était très plaisant. Pour moi, ce n’est pas un ouvrage à part.
On dit que l’on écrit toujours le même livre et je le raccroche à plein de choses que je traite dans mes autres livres par le biais d’un autre angle. Parche, ce mec solitaire, mal aimé, qui ne comprend rien à ce qui se passe est un personnage que l’on retrouve dans tous mes autres livres.
C’est pour ça aussi que je ne voulais pas raconter l’histoire de Seles mais l’histoire de Seles et de Parche parce qu’elle a eu des livres, des documentaires après cette histoire, lui n’avait pas le droit à la parole avant et n’a pas eu le droit à la parole après. On ne sait pas ce qu’il pense, on a d’ailleurs appris seulement récemment qu’il était mort il y a un an.
C’est un personnage très intéressant à écrire. Le but était de ne pas en faire juste un fou qui a tenté de tuer Seles, mais de lui redonner une identité, une vie, un parcours, de chercher là encore à comprendre pourquoi il a fait ça.
David Rochefort, « Le prix fort », éditions En Exergue
Véritable ovni du circuit féminin, numéro 1 mondiale avant ses 18 ans, Monica Seles s’est forgée dans l’adversité, au sein de ce qui allait devenir l’ex-République fédérale socialiste de Yougoslavie. Elle a remporté huit tournois du grand chelem en moins de trois ans.
En trois parties (crépuscule, nuit, aube), David Rochefort raconte le face-à-face entre Monica Seles et Günter Parche qui tentera de l’assassiner. Refusant d’accepter la chute de son idole, Parche va tout faire pour que Graf reprenne la première place. Par une narration incarnée, l’auteur nous replonge dans une époque (la chute du communisme en Europe) et un âge d’or du tennis féminin qui connut une fin tragique à Hambourg ce jour-là.
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