Marie Loiseau« M’entraîner avec des filles m’a ouvert les yeux sur un autre univers. »

Marie Loiseau
Ceinture noire de taekwondo, elle a découvert le MMA (Mixed Martial Arts) grâce à Tevi Say, pionnière française de la discipline. Une révélation pour Marie Loiseau, qui a choisi, depuis, de reprendre le flambeau. Combattante pro, elle milite pour ouvrir la pratique afin que les femmes se sentent, enfin, légitimes dans tous les sports. Rencontre avec une fille explosive qui s’apprête à disputer son premier combat en France à l’occasion du MMA Grand Prix.

Par Sophie Danger

Publié le 07 avril 2021 à 18h09, mis à jour le 01 octobre 2024 à 16h59

Tu es ceinture noire de taekwondo, tu en fais depuis toujours ?

Je fais du sport depuis que je suis petite. J’ai commencé par la gym, j’ai fait un peu de boxe, mais de manière irrégulière et puis du taekwondo et du MMA.

Je n’ai pas pratiqué de sport dans le cadre de mes études, mais en club. J’ai toujours fait des compétitions dans tous les sports. En taekwondo, j’ai fait quelques compet au niveau national, les Championnats de France, et internationales.

Le sport m’a permis de canaliser beaucoup d’émotions et de m’exprimer.

Comment es-tu arrivée au MMA ?

J’ai arrêté le taekwondo et je cherchais un sport de combat sans réussir à trouver.

Un ami m’a parlé d’une section entièrement féminine de MMA. Moi, j’en avais marre de ne m’entraîner qu’avec des garçons, je trouvais que je tournais en boucle avec ça, que ça ne me satisfaisait pas.

J’ai frappé à la porte de cette session, j’ai fait le premier cours et j’ai tout de suite accroché, autant pour la discipline que pour la pratique non mixte. Je me suis dit que c’était dix fois plus agréable de ne s’entraîner qu’avec des filles, il y a toute une pression qui est retombée et ça m’a ouvert les yeux sur un autre univers.

Qu’est-ce qui te dérangeait dans la pratique mixte ?

En tant que femme dans un sport de combat, il y a toujours cette idée de comparaison, cette sensation d’illégitimité. On ne te le dit pas de manière explicite, mais on a intégré – en tout cas pour ma part – que ce n’est pas forcément ta place.

J’ai l’impression que l’on ne peut pas complètement s’y exprimer et c’est sexiste. Quand tu n’es qu’avec des filles, tu les sens hyper épanouies, il n’y a aucun soucis en ce qui concerne le regard sur l’autre.

La partie au sol par exemple, tu es dans la proximité physique. Quand tu pratiques avec des filles, tu n’es pas en train de te dire que tu as les fesses dans la tête de ton adversaire, que c’est un peu bizarre comme situation et que ça peut renvoyer à des choses qui n’ont pas lieu d’être.

Avec des filles, tu t’en fous, tu te sens beaucoup plus libérée dans ta manière te t’exprimer, tu te poses moins de questions. Il y a une dimension un peu plus ludique, un peu plus légère.

Le taekwondo est pourtant une discipline que l’on peut considérer comme mixte et tu arrives à ressentir ce genre de choses ? C’est ça qui t’a poussée à chercher ailleurs ?

Je suis allée vers le taekwondo parce qu’il y avait plus de place laissée aux femmes. Ce n’était pas une discipline ultra virile, un sport de bourrins et puis c’est beau, esthétique, très aérien… Ça m’a renvoyée à des notions qui m’ont parlé à une époque.

J’ai cherché ailleurs parce que, à un moment, je commençais à vieillir et je sentais que j’étais arrivée au bout de ce que je pouvais donner. Le taekwondo est un sport très explosif et, physiquement, je sentais que j’étais un peu à la ramasse et, surtout, je ne m’amusais plus.

J’ai voulu changer, j’ai essayé la boxe thaï, la boxe anglaise et je ne me suis pas retrouvée dans ces ambiances un peu viriles, où les gens te testent, ce n’était pas agréable. Il n’y a que dans cette session non mixte de MMA que je me suis sentie à l’aise directement.

Tu parles d’âges mais tu n’as que 40 ans…

Oui et je le vis hyper bien. Je suis très fière de continuer à progresser malgré tous les à priori sur l’âge. Je me sens bien plus en forme maintenant qu’il y a dix ans.

Pourtant, le MMA n’est pas un sport dans lequel tu t’économises…

Le MMA, c’est une discipline dans laquelle les gens peuvent performer longtemps. Ce qui est cool, c’est que tu peux alterner différentes phases, les phases où tu es debout et où tu mobilises une filière énergétique particulière – l’endurance, l’explosivité – et les phases de sol – la préhension – lors desquelles tu vas puiser dans d’autres choses.

Le MMA, c’est tellement complet ! Tu peux jouer, trouver un équilibre en fonction de ta morphologie, de tes capacités, c’est hyper intéressant. Il y a plein de profils qui peuvent « fiter ».

Lors d’un combat, tu peux passer cinq minutes au sol et être dans un certain type d’efforts et cinq minutes debout et être dans un autre type d’effort, c’est passionnant comme sport.

C’est ce qui t’a plu avant tout quand tu as essayé ?

C’est le Saint Graal, c’est le summum, après ça, il n’y a plus rien. Avec le MMA, tu découvres un univers. Il y a plein de choses à apprendre, une fois que tu as appris quelque chose, tu travailles un autre domaine et tu l’intègres à ton jeu.

On dit souvent que les sports de combat et les arts martiaux, c’est l’apprentissage d’une vie mais, là, c’est encore plus vrai, tu apprends tout le temps et moi, c’est ce qui me stimule.

Tu as commencé quand ?

J’ai commencé il y a quatre ans et demi.

La pratique, en France, était encore interdite, du moins pour les compétitions. Tu as vécu ça comment ?

Tu sais qu’il est autorisé de t’entraîner, les contraintes concernent seulement les compétitions. Tu le sens à ce moment-là parce que tu es obligée de t’expatrier au bout de l’Europe pour faire un combat et te retrouver face à une Tchèque ou une Russe dans un pays que tu ne connais pas.

Dans ces moments-là, tu ne comprends pas pourquoi en France, ils n’ont pas légiféré avant pour organiser des compétitions. Le MMA traînait un peu cette image sulfureuse, clichée de fight club, avec des filles un peu « badass » qui font quelque chose de complètement illégal !

Des filles « badass » qui restent, visiblement, très attachées à véhiculer une image féminine de la pratique…

Les sports de combat sont généralement associés aux hommes alors y voir une fille, c’est bizarre, qui plus est une fille un peu apprêtée. C’est ce décalage entre l’image du sport et le fait que des filles le pratiquent, mais je pense que c’est une question d’éducation. Les filles peuvent pratiquer tous les sports même s’ils sont connotés masculins.

Malgré tout, je n’aime pas dire que, même si je fais des sports de combat, je suis féminine parce que je trouve qu’il y a différentes féminités. En ce moment, avoir un physique un peu « fité », musclé, ça renvoie à une force féminine et ça a le vent en poupe.

Je suis à fond pour féminiser la pratique, notamment dans les sports où on n’attend pas les femmes comme le foot, le rugby… Ça casse les clichés.

Le physique ne dit rien sur ce que tu es capable de faire en termes de performances. Que tu sois fille ou garçon, tu as besoin d’évacuer la pression, de t’exprimer et ce, quelque que soit le medium.

Et l’image de violence que renvoie le MMA, tu es à l’aise avec ? 

C’est violent, on ne peut dire le contraire. Le MMA, ce sont des coups, des percutions, mais c’est super cadré. Ça me terrorise moins que de me battre dans la rue.

Moi, je ressens de la violence, il faut que je l’exprime alors autant l’exprimer dans ce cadre-là, sécurisé, plutôt que de faire n’importe quoi ou de la retourner contre moi.

Je trouve que ça a une certaine utilité de pouvoir canaliser et cadrer ce genre de comportements.

Comment faire pour casser l’image encore un peu sulfureuse du MMA et faire comprendre que c’est une pratique sportive avant toute chose ?

Il faut informer, visibiliser, pour que les gens comprennent que c’est un sport. Il y a un côté spectaculaire dans le MMA, mais il faut éduquer à ça, ce qui va permettre de rendre cette discipline accessible de manière plus sereine.

La boxe anglaise, à un moment, était aussi une pratique illégale et maintenant elle est aux Jeux Olympiques parce qu’il y a eu éducation.

J’espère que le MMA va aller dans le même sens, c’est bien parti, je suis hyper optimiste et je suis contente que l’on en parle, il faut juste en parler de la bonne manière.

Tu as combien de combats à ton actif ?

En tant que professionnelle, j’en suis à 4 et j’ai dû en faire 5 amateurs avant. Je suis vite arrivée professionnelle.

Ça s’est fait sur un heureux hasard : j’ai remplacé une fille qui devait combattre dans mon club, c’était son premier combat pro et, quand tu fais un combat pro, tu ne peux plus revenir en amateur.

Ça a changé beaucoup de choses pour toi ?

Oui, dans le sens où tu es rémunérée et où le niveau change un peu, mais entre amateur et pro, en tout cas en France, il n’y a pas vraiment de différence.

Tu continues à travailler à côté malgré tout ?

Je suis bibliothécaire. Ce sont les deux faces d’une même pièce, c’est mon équilibre : je peux m’exprimer dans le sport avec une certaine vélocité et j’ai des moments calmes avec la lecture.

Je ne considère pas que combattante professionnelle soit un métier en France. Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je dis que je suis bibliothécaire !

Malgré tout, le MMA n’est pas un hobby parce que ça me prend énormément de temps. J’ai six jours d’entraînement par semaine avec de la prépa mentale, du yoga… C’est ce qui me fait vibrer et tout tourne autour du MMA.

Tu donnes également des cours…

Je donne des cours pour les filles, je fais du coaching… Tout alimente ma pratique professionnelle. Tevi Say m’a beaucoup inspirée et j’ai envie de perpétuer ça, j’ai envie de retransmettre ce que cette femme m’a offert dans ma vie.

Ce que j’ai ressenti en tant que femme qui avait envie de pratiquer un sport de combat, j’ai envie qu’une autre fille le ressente aussi, j’ai envie de lui donner cette possibilité, ça m’a vraiment marqué.

Ma carrière sportive est limitée dans le temps, si je peux offrir à une fille l’opportunité de se retrouver à la même place que moi ou même juste de se sentir bien, légitime dans sa pratique sportive, c’est un de mes objectifs dans la vie.

Tu vas affronter Laetitia Blot à l’occasion du MMA Grand Prix. Ce sera ton premier combat en France ?

En MMA, oui. C’est génial, je suis super contente. Quand tu pars à l’étranger, tu te sens loin de tes soutiens, tu as plein d’incertitudes : le voyage, la langue que tu ne comprends pas.

Là, c’est super confort et ça me rapproche des gens qui sont autour de moi. C’est un peu comme au foot quand tu joues à domicile, il y a quelque chose plus détente, c’est aussi une belle visibilité.

L’avenir, tu l’envisages comment ?

En MMA, tu peux performer plus longtemps que dans d’autres sports. J’ai encore vu une fille à l’UFC qui a 43 ans. L’âge, ce n’est pas réglementé, il n’y a pas de limite. C’est selon les capacités physiques de chacune et de chacun.

Tant que tu t’amuses et que tu te sens à l’aise dans ce que tu fais, tu continues. C’est chouette de se dire que, au-delà de 40 ans, tu peux encore performer, te challenger sur des trucs pro. Oui, c’est cool.

 

  • MMA Grand Prix, le 8 avril, combats à huit clos filmés et diffusés en direct, à partir de 19h, en pay per view sur www.mmagrandprix.com, au prix de 8,99 euros.

 

  • Marie Loiseau donne des cours de « fight Girl » à la NRFIGHT, 104 rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris

D'autres épisodes de "MMA, des combattantes en cage"

Vous aimerez aussi…

Alice Finot : « Les jalousies, la prise de risque, ont été des moteurs de ma performance en athlétisme. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une navigatrice toujours sur le pont, une athlète qui se joue des obstacles (Alice Finot sur notre photo), un bodybuilder qui étudie la puissance du muscle ou encore la petite histoire de l’haltérophilie au féminin à l’heure des Mondiaux, découvrez le meilleur d’ÀBLOCK!

Lire plus »
Margot Kochetova : « Devenir championne d'haltérophilie et entendre la Marseillaise, j'en rêvais ! »

Margot Kochetova : « Devenir championne d’haltérophilie et entendre la Marseillaise, j’en rêvais ! »

Elle a seulement 16 ans et collectionne déjà records et médailles. La Montoise Margot Kochetova, sacrée championne d’Europe d’haltérophilie en 2024 chez les moins de 17 ans, espère de nouveau goûter aux joies du podium lors des Europe qui auront lieu en Espagne, fin juillet. Un ultime rendez-vous avant des débuts à l’INSEP, premiers pas, peut-être, sur le chemin des Jeux olympiques de 2032 qui auront lieu à Brisbane, en Australie.

Lire plus »
Coralie Lassource

Coralie Lassource : « Tokyo, je veux en profiter et kiffer ! »

Rio lui avait échappé en raison d’une blessure. Elle ne laissera pas passer Tokyo. Coralie Lassource, 29 ans, s’apprête à disputer les premiers Jeux Olympiques de sa carrière de handballeuse, au Japon, du 23 juillet au 8 août. L’ailière gauche de Brest, toute récente finaliste de la Ligue des Champions, endossera, pour l’occasion, le rôle de capitaine de l’équipe de France. Rencontre avec une championne qui va droit au but.

Lire plus »
Le Q&A de la badiste Léa Palermo

Le Q&A de la badiste Léa Palermo

Elle vient de décrocher la médaille de bronze en double aux championnats d’Europe de badminton à Horsen, au Danemark, avec son partenaire de raquette Julien Maio. Léa Palermo, joueuse du Badminton Associatif Choletais, signe ainsi sa revanche après des moments de doutes et des blessures à répétition. Elle a répondu à notre Q&A express en vidéo.

Lire plus »
Championnat du Monde féminin de handball 2023, le récap'

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Des disciplines qui goûtent à l’olympisme, un docu pour breaker, un retour sur des Bleues qui ramènent la Coupe à la maison (nos championnes du monde de handball sur notre photo) et une combattante engagée, c’est le meilleur de la semaine sur ÀBLOCK!. Bon récap’ !

Lire plus »
Sophie Carpentier

Sophie Carpentier : « Dans la médecine comme dans le sport, il faut que les femmes y aillent ! »

Médecin de l’équipe féminine de rugby Rouen, elle a aussi été celui de l’équipe de France de rugby féminin. Militante du sport santé, Sophie Carpentier n’a pas hésité, il y a quelques années, à se spécialiser dans le sport pour apporter à son quotidien médical un souffle nouveau. Et de prouver que les femmes ont toute leur place dans un métier encore trop souvent conjugué au masculin.

Lire plus »
Cap Optimist, ou comment faire du paddle un acte de solidarité

Cap Optimist, ou comment faire du paddle un acte de solidarité

Elle est sauveteuse en mer et au-delà. Stéphanie Barneix accompagnée de cinq autres waterwomen rallient actuellement Monaco et Athènes en paddleboard. Un échauffement avant le défi Cap Optimist, qui se déroulera entre le Pérou et la Polynésie Française en janvier 2023. Un défi à la seule force des bras pour soutenir les personnes atteintes de cancer.

Lire plus »
Coupe du Monde féminine de rugby à XV 2022, la guerre des étoiles ovales

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

L’histoire des filles sur les tatamis, la présentation de la plus grosse compét’ féminine du ballon ovale, une accro au sport qui témoigne et tout sur la sortie du livre de la championne olympique de hand Cléopatre Darleux, c’est le meilleur de la semaine sur ÀBLOCK!. Enjoy !

Lire plus »

Bouger, j’aimerais bien, mais…

Avec le confinement, beaucoup tentent de saisir l’occasion de remettre leur corps en mouvement. Pas facile pourtant, surtout lorsqu’on est seul et que l’espace sportif se limite à ses quatre murs. Alors, généralement, on commence fort puis on se fatigue.
Mais pourquoi si peu d’enthousiasme, même en sachant que le bien-être est au bout de la séance ? Explications.

Lire plus »
Marie Le Net : « Gagner, c’est ce qui me motive le plus ! »

Marie Le Net : « Gagner, c’est ce qui me motive le plus ! »

Cycliste pro depuis 2019 au sein de la team FDJ-Nouvelle Aquitaine-Futuroscope, la jeune Bretonne a foulé le pavé d’une foule de courses emblématiques. Après ses premiers JO de Tokyo l’été dernier, la voilà qui prend pour la deuxième fois le départ de la désormais mythique Paris-Roubaix Femmes. Polyvalente, performante et fonceuse, Marie Le Net est une sportive 100 % ÀBLOCK ! Rencontre avec une fille à « la chaussette légère ».

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner