Gabrielle Martin« Beaucoup d’hommes me voient comme un objet de curiosité. »
À 22 ans et après une adolescence en surpoids, celle qu’on surnomme la “licorne” s’est lancée dans la compétition de force athlétique, le powerlifting. Championnats de France, puis d’Europe, jusqu’aux championnats du monde en Finlande... En trois ans, Gabrielle Martin a raflé tous les trophées. À un tournant de sa carrière sportive, alors qu’elle souhaite se tourner vers le bodybuilding, cette powergirl résolument ÀBLOCK! fait le point sur son parcours.
Par Lise Famelart
Publié le 25 mars 2021 à 12h13, mis à jour le 29 juillet 2021 à 13h01
Vainqueure des championnats du monde en 2019, du championnat d’Europe en 2018… aujourd’hui tu collectionnes les titres, mais au départ qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le powerlifting ?
Après être partie de chez mes parents, j’ai commencé la musculation classique pour perdre du poids, pour avoir un physique plus joli.
Et j’ai tout de suite accroché à la force, j’ai vraiment aimé progresser dans les mouvements, les squats, le développé couché… ce sont des mouvements qu’on retrouve en force athlétique.
Et tu as rapidement commencé la compétition…
Oui, j’ai débuté par du strongman. C’est une discipline avec une foule d’épreuves différentes, il y a du retourné de pneu, du développé épaules avec des barres spéciales…
J’ai fait le grand prix international de strongman et j’ai terminé première Française et deuxième au classement international. Après, je me suis dit : “Pourquoi ne pas me tester en compétition de powerlifting ?“
J’ai commencé en 2018, gagné l’Open France en junior. Puis, j’ai participé au championnat européen et j’ai renouvelé la même expérience l’année d’après : j’ai remporté l’Open France et je suis arrivée première aux championnats du monde, en Finlande.
Tu as commencé la musculation à l’âge de 19 ans et tu n’as que 25 ans aujourd’hui, c’est une sacrée courbe de progression !
C’est vrai, j’ai commencé la musculation toute seule, dans mon appartement, avec deux petits haltères, un tapis et un banc de muscu.
En deuxième année d’études, j’étais apprentie, j’ai pu me payer un abonnement à la salle de sport.
J’aime la musculation, mon père en fait aussi et je pense qu’il y a une grande part de génétique dans tout ça. Il n’a pas fait de compétition, mais il s’est toujours entraîné. Quand j’étais toute petite, je le voyais pratiquer et je crois que ça m’a un peu conditionnée pour en faire autant.
Il est hyper content que je me sois professionnalisée dans ce milieu, que je sois devenue coach et que je fasse de la compétition.
Ça a été une fierté pour mes parents, moi qui n’étais pas très sportive à la base. Ils n’ont jamais eu de préjugé envers le powerlifting, donc c’est chouette, j’ai eu un vrai soutien familial.
Pourquoi avoir décidé de te lancer dans la compétition ?
Ça me donnait un objectif clair. Faire de la compétition nous aide à nous surpasser, on nous donne une échéance, il faut être prête pour le jour J.
Ça permet de nous comparer aux autres concurrents, et de faire un petit bilan sur nos performances.
Le podium, c’est addictif ?
C’est sûr, on a envie de faire toujours mieux ! Que ce soit en culturisme ou en force athlétique, on cherche toujours la progression.
Le jour de la compétition, les dés sont lancés, on connaît généralement les athlètes puisque c’est un cercle assez fermé.
On connaît déjà, à l’avance, les performances des adversaires, on sait à peu près ce qu’on donne à l’entraînement. Donc, le but, il est toujours très personnel.
Et puis tu sais que ne battras jamais une athlète qui a de meilleures prédispositions que toi.
Finalement, on essaye surtout de battre ses propres records ?
On se bat contre soi-même, en effet, parce que tout varie d’une personne à l’autre. Dans le powerlifting, les personnes de petite taille, par exemple, sont souvent avantagées.
Il y a aussi d’autres paramètres à prendre en compte. Par exemple, il suffit qu’on soit en période de règles et une concurrente en phase plus favorable à la performance pourra être meilleure que toi. Donc le principal, c’est de chercher à progresser par rapport à soi.
Pour l’anecdote, aux championnats d’Europe, en 2018, j’étais arrivée pour faire les trois mouvements de powerlifting, sauf que ma formation avait été compliquée, j’avais dû déménager, j’avais eu pas mal de soucis… donc mon squat n’a pas été accepté, j’avais été éliminée de la compétition.
Alors, j’ai voulu participer aux soulevés de terre seulement. J’ai décidé de m’inscrire malgré la fatigue, et j’ai sorti une barre à 160 kilos, ce que je n’avais jamais fait auparavant.
Ça m’a permis de repartir avec un bon souvenir des championnats d’Europe.
En 2019, tu étais aux championnats du monde en Finlande, ça fait quoi de se retrouver dans une compétition aussi prestigieuse ?
J’étais très contente, je n’y suis pas allée dans une optique de gagner parce qu’on sait que les championnats du monde, c’est une échéance énorme, il y a du très haut niveau surtout dans ma fédération, en WPC.
J’y suis allée pour l’expérience, j’avais moins de 24 ans donc j’étais encore en junior à l’époque, et je rêvais de ça. Je voulais me tester, même si mes paramètres n’étaient pas du tout optimaux : par exemple, je ne supporte pas l’avion, ça me rend malade et, en plus, j’ai eu mes règles, juste avant la compétition !
Rien n’était optimal, mais j’y suis vraiment allée dans une optique de ne rien regretter.
Et c’est ce qui s’est passé !
Je n’ai pas du tout fait les barres que je voulais faire, mais je suis contente d’être allée au bout de l’échéance, et même si j’avais été battue, je n’aurais pas regretté.
En plus, ça n’a pas été facile, la préparation a été compliquée, je ne m’entraînais pas dans une très bonne salle en France.
Quel a été le problème avec cette salle en France ?
J’habite dans une petite ville, en région lyonnaise, où il n’y a pas de club de powerlifting. Il y a bien un club à la Croix Rousse, mais c’est trop loin de chez moi. Malheureusement, je n’ai pas pu y aller et c’est dommage parce que c’est un club sympa et qui, bien sûr, a tout le matériel spécifique à la discipline.
J’ai dû m’entraîner dans une salle qui n’est pas adaptée : on m’a embêtée parce que je prenais de la magnésie, les barres ne convenaient pas au niveau de la prise en main, l’ambiance de la salle était aseptisée, très commerciale, avec une petite musique électro qui m’empêchait de me concentrer.
C’est une discipline où il faut être bien entouré : là, on me regardait un peu de travers, je ne me sentais pas la bienvenue. Pour performer, on a besoin d’être dans un super cadre, de se concentrer.
Après les championnats du monde, tu as voulu prendre une autre voie…
Oui, j’ai décidé de faire du culturisme, c’est un sport où on est jugé sur notre physique, on nous demande d’avoir une bonne masse musculaire, d’être symétrique… ma salle se prête plutôt bien à cette préparation.
Je voulais prendre un an pour me préparer, et je comptais me présenter avec la FCPCN (Fédération de culture physique et culturisme naturel, ndlr). L’échéance était en octobre.
Évidemment, elle n’a jamais eu lieu : on a eu deux confinements, la préparation a été assez compliquée.
En ce moment, je m’entraîne chez moi, je cherche à progresser sur les trois mouvements du powerlifting et je fais des exercices qui favorisent l’hypertrophie musculaire.
Ton coach, Yoann Albignac, est aussi ton compagnon. Ce n’est pas compliqué cette double casquette ?
C’est lui qui m’a préparée pour du powerlifting, en 2018 et 2019. Il a commencé en tant que boxeur puis il s’est orienté vers la musculation. Avec Yoann, on a trouvé un très bon équilibre.
Après, c’est vrai qu’en période de préparation, surtout à l’approche de grosses échéances, il y a certaines remarques à l’entraînement qui peuvent être un peu blessantes !
On va parfois les prendre de façon personnelle, mais l’équilibre vient avec le temps. Au début, on peut être un peu maladroit puis on retrouve un équilibre entre le coaching et la vie privée.
On peut sortir avec son coach, mais il faut se fixer un cadre et des limites.
Quel est l’accomplissement dans ton sport dont tu es la plus fière ?
Je me souviens de la plus grosse performance que j’ai fait au squat en salle, un squat à 147,5 kilos avec bandes de genoux, c’est la performance dont je suis la plus fière. Il y a aussi eu le développé-couché à 82 kilos à l’Open France.
Le powerlifting, c’est un sport où on se fait peur parfois ?
Oui, étonnamment, surtout du côté des femmes. On retrouve chez elles certaines barrières psychologiques, moins présentes chez les hommes, mais on peut casser ces barrières avec certains exercices.
J’ai remarqué en entraînant plusieurs femmes que la partie psychologique était hyper importante, c’est très compliqué d’aller sous certaines barres qu’on n’a jamais faites, mais c’est aussi ce qui fait l’excitation de ce sport.
Avec le powerlifting, tu as développé un corps très musclé. Est-ce quelque chose de difficile à assumer au quotidien ?
Au début, ça peut paraître un peu particulier, les gens ont tendance, surtout les hommes, à avoir certains préjugés, on pense qu’on est brusques, masculines… et puis il y a beaucoup d’hommes qui me voient un peu comme un objet de curiosité.
D’ailleurs, je reçois régulièrement des messages anonymes, sur les réseaux sociaux, d’hommes qui me demandent si je peux les dominer ou leur marcher dessus ! Ça attire la curiosité, ça produit même certains fantasmes.
Mon compagnon, lui, est dans le même univers que moi, mon corps lui apparait comme tout à fait naturel, mais ça peut sembler effrayant pour les hommes “lambda”.
C’est difficile de se faire sa place dans ce milieu en tant que femme ?
En France, je trouve qu’on est plutôt bienvenues. D’un œil extérieur, il y a pas mal de préjugés, mais dans le cercle des personnes qui s’entraînent, qui font du powerlifting, du strongman, du culturisme ou même de la musculation, les pratiquants sont assez contents, on est plutôt bien acceptées.
Et les fédérations sont ravies d’avoir de nouvelles licenciées féminines !
En compétition, on te repère tout de suite, parce que tu es coiffée de mèches roses, de couettes avec des nœuds roses. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’adopter ce look ?
Ce look date de ma première compétition de strongman. En fait, j’avais envie de colorer mes mèches en rose depuis pas mal de temps, et je me disais que ça pouvait être rigolo de faire ça pendant la compet.
Il y a eu beaucoup de bonnes réactions : on m’a demandé des autographes, les enfants voulaient se prendre en photo avec moi.
Lors de ma deuxième compet de strongman, j’ai décidé de recommencer. On m’appelait la licorne, je trouvais ça rigolo ! Ce petit look, je l’aime bien, je me démarque ainsi des autres, on me reconnaît dans les différentes compétitions.
Et c’était aussi une sorte de rituel, une manière de me déstresser. Au lieu d’angoisser, je m’occupais de mes cheveux, je faisais mes petites couettes ! Ça peut paraître bête mais ça m’aide beaucoup.
Tu es aussi coach sportive, qu’est-ce qui te plaît dans cette activité ?
J’ai été longtemps sédentaire. Adolescente, j’étais en surpoids avec une mauvaise hygiène de vie. Quand je suis partie de chez mes parents, en 2014, je me suis mise toute seule à la musculation.
Ensuite, je suis allée en salle, j’ai vu qu’on pouvait faire des choses extra, qu’on pouvait remodeler son corps. Et puis on est obligé de bien s’hydrater, de bien se nourrir, de bien dormir, quelle que soit la discipline.
Moi, c’est aussi le goût de l’effort qui m’a donné envie de devenir coach, j’aime transmettre ce que j’ai vécu, permettre aux autres d’avoir une meilleure hygiène de vie.
Pour moi, la base de l’entraînement, c’est l’adhérence, le plaisir qu’on a à s’entraîner.
Quels sont tes objectifs sportifs aujourd’hui ?
J’aimerais bien faire une compétition de culturisme, me préparer comme il faut, arriver avec une belle condition physique, et essayer de voir ce que je donne sur scène, avec l’éclairage, à côté des autres concurrentes.
J’ai voulu changer de discipline parce que le powerlifting, quand on travaille tout le temps, ça peut causer certaines blessures.
Il faut distinguer le sport santé du sport de compétition : le sport santé, on va vers une meilleure hygiène de vie ; le sport de haut niveau, on cherche la performance et on ne s’écoute pas toujours.
Si on a mal à l’épaule ou des douleurs à la jambe quand on fait nos squats, on devra continuer les squats. Alors que quelqu’un qui a une pratique santé ou de loisir, s’il a mal, il peut très bien changer de mouvement. On peut tout adapter chez le pratiquant loisir, ce qui est moins simple chez le pratiquant compétition.
L’idée pour moi, ce n’est pas forcément d’aller vers une meilleure hygiène de vie : la sèche qu’on nous demande en bodybuilding, c’est pas super sain, mais je vais pouvoir changer les mouvements, adapter des variantes.
Et puis, c’est quelque chose qui me tenait à cœur : aller chercher une esthétique particulière.
Tu auras toujours tes couettes sur les scènes de bodybuilding ?
On verra ! Je ne sais pas trop comment ça se passe sur scène : les femmes ont tendance à adopter un look très glamour, avec les cheveux très longs, des extensions, des faux ongles, un maquillage très prononcé… donc je ne sais pas si je referais mes couettes, je vais peut-être adopter un nouveau look…
Mais, ce sera un look particulier, ça c’est sûr !
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