Tu dis que rien ne te prédestinait à voler. Comment es-tu arrivée jusque dans les cieux ?
C’est simple, je viens d’un milieu social modeste et personne dans ma famille n’est dans l’aéronautique. Petite, j’ai fait un rêve dans lequel j’étais pilote. Le matin, quand je me suis réveillée j’ai dit à mon père que j’avais trouvé ce que je voulais faire : je serai pilote.
Petit à petit, s’est développé chez moi un engouement pour l’aéronautique. En grandissant j’avais toujours envie de voler, mais je n’aimais pas vraiment l’école. J’étais une enfant très active, je préférais m’amuser avec les copains !
Mon père me disait que pour être pilote il fallait être riche ou alors fille de pilote, ce qui n’était pas mon cas. Pour lui, cela relevait de l’impossible. J’ai donc grandi dans cette mentalité-là.
Mais tu n’as pas abandonné ton rêve…
À 25 ans, j’ai craqué. Je me suis dit qu’il était hors de question que je passe une seule minute du reste de ma vie à ne pas réaliser mon rêve. En 2014, je me suis inscrite dans un aéroclub et j’ai passé ma licence de pilote privé en six mois.
Quand j’ai commencé, j’ai su que c’était définitivement ce que je voulais faire, et je n’ai pas arrêté de voler.
Tu as ensuite obtenu la qualification voltige. D’où te vient cet engouement pour cette pratique qui n’est pas sans risque ?
Quand j’étais enfant, en lisant des magazines, je suis tombée sur un article parlant de Catherine Maunoury, la première femme au monde championne de voltige aérienne. Elle a été sacrée championne en 1988…mon année de naissance. J’ai dit à mon père : « Tu vois ça papa, c’est un signe, moi aussi je serai championne de voltige un jour ! ». Le rêve de petite fille, c’était l’avion mais surtout la voltige.
Il t’a tout de même fallu un petit peu de temps pour t’y mettre…
J’ai connu ma première panne moteur quelques mois après avoir été brevetée. Heureusement, tout s’est bien terminé. Mais ça m’a un peu retourné les tripes. Je me suis dit que ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas m’arriver. C’était le rêve de ma vie, je ne pouvais pas passer à côté.
En 2016, je suis partie faire un stage de voltige. Je me suis régalée ! Étant gauchère, j’ai dû réapprendre la totalité des gestes à droite. J’ai aussi appris la mécanique des avions, ça m’a permis d’être rassurée après la peur de la panne moteur.
Tu as été sacrée championne de France en 2017, qu’est-ce que tu recherches dans la compétition ?
Cette victoire était magnifique ! La compétition répond à un besoin, celui d’une enfant à qui on a dit que ce serait impossible, à une envie de prouver le contraire. Même si aujourd’hui, mes proches sont fiers de moi et me soutiennent, je veux toujours leur démontrer que je peux le faire !
Il y a aussi cette envie de dépassement de soi, pour devenir chaque jour meilleure. J’ai toujours le désir de m’améliorer. Je suis en compétition avec moi-même.
Pourquoi ne pas revenir un peu sur Terre ?
J’aime l’adrénaline que procure la voltige. Les choses extrêmes me permettent de me sentir en vie. Je trouve ça incroyable d’être libre dans toutes les dimensions. C’est de la liberté pure ! La voltige demande une grande précision et j’aime apprendre à maîtriser la machine pour parvenir à la perfection.
Et dans les airs que ressens-tu ?
J’ai l’impression d’être un dauphin dans l’eau, totalement libre de ses mouvements. Je vois la Terre à l’envers, c’est incroyable ! Et ce n’est pas que cette vue incroyable, tout le corps est à l’envers : ça fait des guilis dans le ventre.
Quand on prend des « G », on a le corps qui devient très lourd et on a l’impression d’avoir les cheveux qui poussent, le sang pique un peu à la tête !
En l’air, tu es seule, mais au sol toute une équipe s’active …
Au sol, il y un coach qui est là pour m’entraîner et m’observer. Les gens pensent souvent que c’est un sport qui se pratique seul mais tout se fait en équipe. Il faut s’occuper de la machine, de l’essence et s’installer convenablement.
Quinze minutes de vol équivalent à deux heures de préparation au sol avant et après. Tout est contrôlé, calculé, appris et répété, ça devient une musique. Je vole entre 350 et 400 km/h, je ne peux pas laisser place au hasard. Ce sont des machines ultra puissantes, des formules 1 des airs.
Dans la vie quotidienne, la pratique de la voltige t’a beaucoup apporté. Dans quel sens ?
La voltige demande une rapidité d’analyse et de mise en action incroyable. Dans la vie, je suis quelqu’un de déterminé. Aujourd’hui, je prends les décisions en moins d’une seconde. Parfois je ne prends pas les bonnes, comme tout le monde. Mais ce n’est pas grave, une fois qu’on a fait une erreur on s’adapte pour progresser.
Tu es l’une des rares femmes pilotes de voltige aérienne, comment se fait-on une place ?
J’ai un avantage : je suis petite et fine. C’est rigolo, quand je descends de cette grosse machine les gens sont surpris de voir un petit bout de femme d’1,58m pour 45 kg. Ce sont des Formules 1 avec des ailes, je dirais même que ce sont presque des fusées !
La machine pèse 650 kilos pour 330 chevaux. Avoir un physique de jockey est un avantage. Par contre, j’ai moins de force qu’un homme, alors j’essaie de compenser. Mais je suis persuadée que le mental sera toujours plus fort que le physique. Rien ne m’arrête !
Est-ce que tu dirais que la voltige aérienne reste encore un cercle fermé aux femmes ?
Une partie de la vieille génération nous regarde en pensant que nous sommes des extraterrestres. Mais aujourd’hui, dans l’aéronautique, ils sont fiers et font tout pour intégrer davantage de femmes. La nouvelle génération nous a totalement accepté, on entretient de très bons rapports.
Nos compétitions sont mixtes, et il existe un classement féminin pour nous mettre en avant. La Fédération Française Aéronautique organise également des stages exclusivement pour les femmes qui pratiquent la voltige en compétition. Actuellement, nous sommes une dizaine.
Tu as une chaîne YouTube où tu proposes des tutoriels et astuces, c’est important pour toi le partage ?
J’ai commencé à faire ces vidéos parce que je me suis éloignée de mes proches. Quand je parlais de ce que je faisais, ils ne comprenaient pas vraiment. Je voulais leur expliquer.
À travers cette chaîne, je veux aussi créer des vocations. La transmission et le partage font partie intégrante de ma vie. Pour cela, je fais des interventions dans les universités. Il faut booster cette discipline.
En plus de ma chaîne YouTube, je fais des shows aériens, des baptêmes, des séminaires et des journées en immersion. J’aime faire découvrir ma passion !
Que dirais-tu à une femme qui aimerait voler mais ne pense pas avoir les épaules ?
Mon message, c’est : « Peu importe d’où tu viens, tu peux le faire. » J’ai fait des sacrifices, mais j’ai tenu mes objectifs. Je n’avais rien à la base pour commencer. Je suis persuadée que quand on veut, on peut.
L’aéronautique c’est comme tout, il y a des moments où on va très vite progresser et d’autres où on aura l’impression de régresser. Mais c’est normal, il faut être patient et persévérant. Quand on a la volonté, c’est ouvert à tout le monde !
Cette année, tu as de gros objectifs…
Je me suis entourée des meilleurs pour participer au Championnat de France en septembre et à l’Open de France en octobre. L’objectif de ces compétitions, c’est d’intégrer l’équipe de France et ainsi participer aux Mondiaux en 2021.
À côté de ça, j’ai repris mes études car j’aimerais m’inscrire aux courses aériennes. Pour cela, il faut être pilote professionnel.
Comment tu fais pour mener tous ces projets de front ?
Je mène une vie à 400 à l’heure et j’adore ça ! Mais pour y arriver je vis en pleine conscience de tout ce que je fais.
Quand j’étudie, je ne fais pas autre chose. Quand c’est l’heure du sport, je ne fais pas autre chose. J’ai des objectifs et je m’y tiens.
J’ai perdu mon grand frère alors qu’il avait 21 ans. De cette épreuve qui a été la plus dure de ma vie est née une grande force intérieure.
Si je vis à 400 km/h c’est parce que je vis pour deux. Mon grand frère, c’est la seule personne de ma famille qui croyait en moi quand j’étais petite.
Aujourd’hui, il est ma plus grande force. Cette épreuve a fait de moi qui je suis.
La vie, je la dévore à 300 % et je me régale. Plus je m’amuse, plus je partage, plus je reçois. Et ça c’est incroyable.