Tu as toujours été sportive : le sport dans ta vie, c’était une évidence ou un besoin ?
Les deux. Une évidence car c’était une échappatoire, et un besoin car c’est le sport qui m’a permis de sortir des difficultés. En fait, le sport et moi on a toujours été parfaitement alignés : je tiens au sport parce qu’il me tient.
Quand j’étais jeune, je me suis essayée à tout : la natation, le basket, le hand, la course… j’en changeais tous les ans. Mais j’étais surtout accro à la danse. Le hip-hop était mon univers, avec sa musique, avec le rap. Je baignais dans cette culture.
Tu as un sacré caractère, c’est le sport qui t’a endurcie ?
C’est plutôt lui qui m’a sauvée. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence dans une cité en Seine-Saint-Denis, une banlieue chaude comme on dit. Ma mère nous élevait seule, j’ai cinq frères et sœurs, elle était aide-ménagère, c’est peu de dire que les fins de mois étaient compliquées !
Quand j’ai eu 17 ans, en 1994, les « tournantes » commençaient dans les cités, j’ai failli en être victime. À cet âge-là, j’ai en effet commencé à me maquiller, à porter des jupes…et à avoir des problèmes. Parce que, dans les cités, si t’es trop féminine, c’est pas bon pour toi. Avant, j’étais un garçon manqué, toujours en survet, c’était ma carapace, on me laissait tranquille.
Le déclic, ça a été ça aussi. Le sport était le moyen de sortir de la cité.
Parce que le sport c’est dur, tu transpires, tu vas au bout de toi-même, quand tu termines, t’es rincée. Je me disais : « Ta vie est difficile, tiens bon, tu es capable de te dépasser dans le sport, tu sauras t’en sortir dans la vie. »
On parle beaucoup de la difficulté des filles à pratiquer du sport dans les quartiers, ça n’a jamais été un frein pour toi ?
Non, j’ai toujours fait ce qu’il faut pour y aller, même si j’étais assez seule : mes copines n’en faisaient pas.
C’était la zone, mais je voulais oublier ma misère, je devais m’évader.
Mais c’est vrai qu’on se met beaucoup de barrières dans les cités, il y a des codes, faut pas les transgresser, beaucoup de clichés aussi : par exemple, la gym, la danse classique ou le tennis, ce sont des sports pour les riches. Les sports « nobles » c’est le foot, le basket, surtout les sports Co. Les filles font pas grand-chose, elles n’y ont pas leur place.
Les bénéfices du sport sur le mental, c’est ce qui t’a aidé aussi à reprendre des études ?
Les études, c’était pas mon truc quand j’étais jeune, mais je ne voulais pas offrir à mes enfants la vie que j’avais eue dans la cité.
J’ai eu une fille à 21 ans, que j’ai élevé seule pendant un temps, j’ai gardé le cap grâce à elle. Un enfant si jeune, pour s’en occuper, il faut se lever tôt, aller travailler.
J’ai donc fait une formation d’assistante de direction puis de chargée de communication. J’ai terminé à un poste important dans une grosse boite, chez Engie. J’étais fière, je me disais : « Toi Monica qui vient de Seine-Saint-Denis, tu travailles avec des hauts dirigeants, au 35e étage d’une tour de La Défense. »
Pourtant, il y a deux ans, tu décides de tout quitter et de devenir coache sportive, pourquoi ?
Quelque chose n’allait pas, j’étais contente d’en être arrivée là, mais le monde de l’entreprise n’était pas fait pour moi.
J’ai donc repris le chemin des études, j’ai fait une formation de coaching certifié. J’avais 41 ans, j’étais la doyenne du cursus. Ils avaient tous une vingtaine d’années.
Quand je suis arrivée, ils me regardaient un peu bizarrement. Et finalement, c’est moi qui les soutenais. Je leur répétais : « Tu vas réussir, bientôt tu seras libre. »
Tu n’avais donc pas cessé de faire du sport ?
Je n’aurais pas abandonné la pratique, ça m’aidait à m’aérer la tête.
Je continuais à faire de la musculation, du footing, mais aussi de la boxe anglaise.
La boxe, j’ai commencé tardivement. Une fille ne combat pas dans une cité, je n’y avais jamais pensé. Un jour, je me suis dit « Et pourquoi pas ? ».
J’ai poussé la porte d’un club, j’ai commencé à m’entraîner. L’entraîneur m’a dit : « Tu as de la rage en toi, tu devrais combattre. » J’ai dit non. La boxe, c’est fort, ça t’endurcit, mais je préférais taper dans un sac que d’affronter une adversaire en championnat sur un ring.
Pas par peur, mais parce que je ne voulais pas abîmer mon visage. Je sais ce que c’est que de prendre des coups, j’en avais déjà pris, j’ai été agressée à l’âge de 16 ans.
L’idée du coaching, c’est venu comment ?
J’ai ça dans les veines. La passion, le goût de bien faire m’anime.
Et j’ai l’impression de panser les blessures du passé en aidant les femmes à aimer le sport, en leur démontrant qu’on peut sortir du stress, du burn-out, des difficultés, avec autre chose qu’avec des médicaments.
Je suis très pro, carrée, c’est propre ce que je fais, c’est en tout cas ce qu’on me dit. La finalité est aussi d’inspirer les filles de banlieue, les aider à ne rien lâcher. Moi, je n’ai eu personne pour me guider, mais grâce à la force du sport, de belles portes peuvent s’ouvrir.
Tu dis aussi qu’une séance de coaching, c’est presque une séance de psy ?
Le coaching individuel, c’est ce qui me plaît le plus, ça a un côté coach de vie : les femmes me racontent leur histoire.
À partir de là, je sais sur quoi m’appuyer pour les aider à se dépasser. Je travaille bien sûr le physique, mais je n’ai pas le culte du corps. C’est le mental que je soigne, le corps suit.
Cette reconversion tardive, elle te pousse à voir encore plus loin ?
J’ai déjà beaucoup avancé ! On me voit comme une femme dynamique, drôle, souriante. Personne ne sait ce que j’ai vécu, ne connait mon passé, je reviens de loin.
J’en ai bavé mais je suis encore là. J’ai le sport dans le sang, mais j’ai aussi la foi. Je crois que je finirai par marier officiellement le sport et l’esprit, je terminerai coach de vie !