Monica PereiraLe sport pour sortir de l’ombre

Monica Pereira
Une jeunesse dans les quartiers difficiles, un parcours chaotique et…le sport. Monica est une survivante. Et c’est parce qu’elle s’est bougée, dans tous les sens du terme, qu’elle est aujourd’hui, à 43 ans, en phase avec elle-même. Depuis un an, elle épouse sa reconversion de coache sportive avec jubilation. Pas peu fière. Elle nous raconte ce qui la raccroche à la (belle) vie. Témoignage précieux.

Par Valérie Domain

Publié le 13 mars 2020 à 18h41, mis à jour le 13 janvier 2025 à 18h00

Tu as toujours été sportive  : le sport dans ta vie, c’était une évidence ou un besoin ?

Les deux. Une évidence car c’était une échappatoire, et un besoin car c’est le sport qui m’a permis de sortir des difficultés. En fait, le sport et moi on a toujours été parfaitement alignés  : je tiens au sport parce qu’il me tient.

Quand j’étais jeune, je me suis essayée à tout : la natation, le basket, le hand, la course… j’en changeais tous les ans. Mais j’étais surtout accro à la danse. Le hip-hop était mon univers, avec sa musique, avec le rap. Je baignais dans cette culture.

Monica Pereira

Tu as un sacré caractère, c’est le sport qui t’a endurcie  ?

C’est plutôt lui qui m’a sauvée. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence dans une cité en Seine-Saint-Denis, une banlieue chaude comme on dit. Ma mère nous élevait seule, j’ai cinq frères et sœurs, elle était aide-ménagère, c’est peu de dire que les fins de mois étaient compliquées !   

Quand j’ai eu 17 ans, en 1994, les « tournantes » commençaient dans les cités, j’ai failli en être victime. À cet âge-là, j’ai en effet commencé à me maquiller, à porter des jupes…et à avoir des problèmes. Parce que, dans les cités, si t’es trop féminine, c’est pas bon pour toi. Avant, j’étais un garçon manqué, toujours en survet, c’était ma carapace, on me laissait tranquille.

Le déclic, ça a été ça aussi. Le sport était le moyen de sortir de la cité.

Parce que le sport c’est dur, tu transpires, tu vas au bout de toi-même, quand tu termines, t’es rincée. Je me disais : «  Ta vie est difficile, tiens bon, tu es capable de te dépasser dans le sport, tu sauras t’en sortir dans la vie. »

Monica Pereira

On parle beaucoup de la difficulté des filles à pratiquer du sport dans les quartiers, ça n’a jamais été un frein pour toi  ? 

Non, j’ai toujours fait ce qu’il faut pour y aller, même si j’étais assez seule : mes copines n’en faisaient pas.

C’était la zone, mais je voulais oublier ma misère, je devais m’évader.

Mais c’est vrai qu’on se met beaucoup de barrières dans les cités, il y a des codes, faut pas les transgresser, beaucoup de clichés aussi :  par exemple, la gym, la danse classique ou le tennis, ce sont des sports pour les riches. Les sports « nobles » c’est le foot, le basket, surtout les sports Co. Les filles font pas grand-chose, elles n’y ont pas leur place.

Les bénéfices du sport sur le mental, c’est ce qui t’a aidé aussi à reprendre des études  ?

Les études, c’était pas mon truc quand j’étais jeune, mais je ne voulais pas offrir à mes enfants la vie que j’avais eue dans la cité.

J’ai eu une fille à 21 ans, que j’ai élevé seule pendant un temps, j’ai gardé le cap grâce à elle. Un enfant si jeune, pour s’en occuper, il faut se lever tôt, aller travailler.

J’ai donc fait une formation d’assistante de direction puis de chargée de communication. J’ai terminé à un poste important dans une grosse boite, chez Engie. J’étais fière, je me disais : « Toi Monica qui vient de Seine-Saint-Denis, tu travailles avec des hauts dirigeants, au 35e étage d’une tour de La Défense. »

Monica Pereira

Pourtant, il y a deux ans, tu décides de tout quitter et de devenir coache sportive, pourquoi  ?

Quelque chose n’allait pas, j’étais contente d’en être arrivée là, mais le monde de l’entreprise n’était pas fait pour moi.

J’ai donc repris le chemin des études, j’ai fait une formation de coaching certifié. J’avais 41 ans, j’étais la doyenne du cursus. Ils avaient tous une vingtaine d’années.

Quand je suis arrivée, ils me regardaient un peu bizarrement. Et finalement, c’est moi qui les soutenais. Je leur répétais  : « Tu vas réussir, bientôt tu seras libre. »

Tu n’avais donc pas cessé de faire du sport  ?

Je n’aurais pas abandonné la pratique, ça m’aidait à m’aérer la tête.

Je continuais à faire de la musculation, du footing, mais aussi de la boxe anglaise.

La boxe, j’ai commencé tardivement. Une fille ne combat pas dans une cité, je n’y avais jamais pensé. Un jour, je me suis dit « Et pourquoi pas ? ». 

J’ai poussé la porte d’un club, j’ai commencé à m’entraîner.  L’entraîneur m’a dit : « Tu as de la rage en toi, tu devrais combattre. » J’ai dit non. La boxe, c’est fort, ça t’endurcit, mais je préférais taper dans un sac que d’affronter une adversaire en championnat sur un ring.

Pas par peur, mais parce que je ne voulais pas abîmer mon visage. Je sais ce que c’est que de prendre des coups, j’en avais déjà pris, j’ai été agressée à l’âge de 16 ans.

Monica Pereira

L’idée du coaching, c’est venu comment  ?

J’ai ça dans les veines. La passion, le goût de bien faire m’anime.

Et j’ai l’impression de panser les blessures du passé en aidant les femmes à aimer le sport, en leur démontrant qu’on peut sortir du stress, du burn-out, des difficultés, avec autre chose qu’avec des médicaments.

Je suis très pro, carrée, c’est propre ce que je fais, c’est en tout cas ce qu’on me dit. La finalité est aussi d’inspirer les filles de banlieue, les aider à ne rien lâcher. Moi, je n’ai eu personne pour me guider, mais grâce à la force du sport, de belles portes peuvent s’ouvrir.

Tu dis aussi qu’une séance de coaching, c’est presque une séance de psy  ?

Le coaching individuel, c’est ce qui me plaît le plus, ça a un côté coach de vie  : les femmes me racontent leur histoire.

À partir de là, je sais sur quoi m’appuyer pour les aider à se dépasser. Je travaille bien sûr le physique, mais je n’ai pas le culte du corps. C’est le mental que je soigne, le corps suit.

Monica Pereira

Cette reconversion tardive, elle te pousse à voir encore plus loin  ?

J’ai déjà beaucoup avancé  ! On me voit comme une femme dynamique, drôle, souriante. Personne ne sait ce que j’ai vécu, ne connait mon passé, je reviens de loin.

J’en ai bavé mais je suis encore là. J’ai le sport dans le sang, mais j’ai aussi la foi. Je crois que je finirai par marier officiellement le sport et l’esprit, je terminerai coach de vie !

Vous aimerez aussi…

MARIE FRANCOISE POTEREAU

Marie-Françoise Potereau : « En matière de sport féminin, on est encore dans le trop peu ou le pas assez. »

C’est une militante. Depuis toujours. Marie-Françoise Potereau s’est engagée, très tôt, pour la reconnaissance du sport féminin. L’ancienne cycliste de haut-niveau, un temps à la tête de l’asso Femix ‘Sports, poursuit son ambition de faire bouger les lignes à travers ses casquettes de vice-présidente de la Fédération Française de Cyclisme et du CNOSF, en charge de Paris 2024 et de la mixité. Rencontre.

Lire plus »
Lucie Hautière, la para pongiste qui rêve de breloques

Lucie Hautière, la para pongiste qui rêve de breloques

Pour sa première participation aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, elle vise le podium. Tout simplement. Depuis des années, Lucie Hautière, 24 printemps, tape la balle par passion, elle qui s’entraîne sans relâche pour que le para tennis de table français vibre au son de la Marseille.

Lire plus »
Charlotte Yven : « En voile, il est urgent d'ouvrir les portes aux filles. »

Charlotte Yven : « Les courses au large, ça te transforme. »

Après avoir remporté la Transat Paprec, disputée en équipage mixte pour la première fois, elle vient de s’élancer pour sa 3e Solitaire du Figaro. Navigatrice professionnelle, membre du programme Skipper Macif, Charlotte Yven espère que son exemple ouvrira la voie à d’autres femmes, trop rares au départ des courses au large.

Lire plus »
Sandrine Alouf : « Mes photos de sportives, c’est une loupe sur une société ultra genrée. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une pionnière qui a le break dans le sang, une asso qui se bouge, des fonds pour donner une chance à mille petites filles, une photographe qui met à terre les préjugés et un nouveau mercredi spécial KIDS, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! Bon rattrapage !

Lire plus »
Laura Gauché, l'étoile bleue qui grimpe…

Laura Gauché, l’étoile bleue qui grimpe…

Atteindre des sommets, c’est ce qui l’a toujours fait vibrer. Depuis plusieurs années, skis aux pieds, Laura Gauché glisse vers un avenir glorieux. Les Championnats du Monde de ski alpin qui viennent de s’ouvrir à Courchevel-Méribel sont un jeu de pistes extra pour une enfant de la région.

Lire plus »
Le questionnaire sportif de…Lil’Viber

Le questionnaire sportif de…Lil’Viber

Le week-end prochain, elle fera vrombir sa bécane au Bol d’Or. Aurélie Hoffmann alias Lil’Viber formera avec sa copine des circuits, Patricia Audebert, l’unique team 100 % féminine de l’événement du Castellet pour la course du Bol d’Or Classic. Entre deux entraînements sur l’asphalte, elle répond à notre petit questionnaire de Proust à la sauce ÀBLOCK!

Lire plus »
Tanya Naville

Le best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une badiste qui nous a pris dans ses filets, une championne d’aviron qui ne nous cache rien, deux pionnières des Jeux Olympiques qui ont su briller dans l’eau et sur terre, une alpiniste engagée et ébouriffante (la preuve sur notre photo !) et une tenniswoman qui nous fait craquer…Régalez-vous !

Lire plus »
Greta Andersen

Best-of 2021 : les pionnières ÀBLOCK!

Pendant cette année 2021, ÀBLOCK! a rendu hommage à des championnes d’antan, pionnières dans leur discipline et dans le sport féminin tout court. Des filles qui ont fait bouger les lignes grâce à leur indépendance d’esprit, à leur force de volonté et à leur talent (comme la nageuse Greta Andersen sur notre photo). Retour sur les premières sportives à avoir été ÀBLOCK!

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner