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Melina Robert-Michon « J'aime la personne que je suis devenue. »

Melina Robert-Michon : « J'aime la personne que je suis devenue. »
Elle est un monument de l’athlétisme français. Vingt-quatre ans après avoir disputé ses premiers JO à Sydney, la reine du disque, Melina Robert-Michon, s’apprête à repartir en campagne pour ses 7e Jeux Olympiques, à Paris… avant de rempiler en 2025 avec, en ligne de mire, les Championnats du monde de Tokyo. On ne change pas une athlète qui gagne.

Par Sophie Danger

Publié le 13 décembre 2023 à 11h20, mis à jour le 13 décembre 2023 à 17h32

Le sport est une pratique qui t’a accompagnée très jeune, tu as fait du judo, du volley, du hand…Ce sont tes parents qui t’ont initiée au sport ou bien c’est toi qui en as manifesté l’envie ?

Mes parents voulaient que nous, leurs enfants, fassions du sport. On pouvait pratiquer la discipline que l’on voulait mais il était important que l’on pratique. Mon papa a fait du rugby durant sa jeunesse, ma maman, elle, n’a pas pu faire de sport parce qu’elle est issue d’une génération pour qui ce n’était pas forcément systématique. Je pense qu’elle en nourrissait quelques regrets et que c’est aussi pour ça que c’était un sujet important pour elle.

Tu n’as pas été inspirée par une sportive ou un sportif ?

Non. J’ai commencé le judo parce que mon grand-frère en faisait et que je le suivais à l’entraînement. Je pratiquais le volley en club, le hand c’était au collège, en UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire : Ndlr) et c’est un peu comme ça d’ailleurs que j’ai commencé l’athlétisme : la saison UNSS se terminait en mars-avril et mon prof m’avait expliqué que, après, on enchaînait avec l’athlétisme.

On était une petite équipe et on s’est dit : « Pourquoi pas ? »

©Wikimedia

L’athlétisme est arrivé dans ta vie par accident finalement et, au début, tu n’étais pas totalement convaincue…

J’aimais bien ça au collège, mais de là à m’inscrire dans un club, non. À cette époque, il n’y avait pas trop de disciplines qui me tentaient, je connaissais l’athlétisme sans plus et puis, aucune de mes copines nen faisaient.

Mon prof de l’époque, Henri Sillans, m’avait pourtant encouragée à m’inscrire dans un club, il m’avait présenté un entraîneur, Claude Jacuszin, à l’occasion d’une compétition UNSS. Cet entraîneur n’a pas lâché l’affaire, il est revenu plusieurs fois à la charge pour que je vienne essayer, que je m’inscrive et j’ai fini par sauter le pas en entrant au lycée parce que le club était juste à côté.

Si le club n’avait pas été à côté, tu n’aurais pas tenté l’aventure ?

Pour dire vrai, la discipline commençait quand même à me plaire un peu et je me suis dit que ce serait bien d’aller voir de quoi il retournait, comment ça se passait et d’essayer. Ça se joue à un rien, finalement. Si, à un moment donné, il n’y a pas cette rencontre et cette personne qui me dit de m’inscrire dans un club, je ne l’aurais peut-être jamais fait.

©Fédération Française d’Athlétisme

En athlétisme, on commence par pratiquer toutes les disciplines avant de se spécialiser. Comment en es-tu venue au disque ? 



J’ai vite compris que tout ce qui était demi-fond et long, ce n‘était pas ce qui me plaisait. Moi, il fallait que ça aille vite, que ça explose. Au collège, j’avais remarqué que le sprint, la longueur étaient des disciplines qui me convenaient et dans lesquelles je me sentais le plus à l’aise, pareil pour les lancers.

La suite est de nouveau une histoire de rencontre. Mon entraîneur m’a fait essayer un peu tout avant de me présenter Jean-Marc David, un coach plus spécialisé disque. Il avait un groupe d’athlètes qui étaient déjà de bon niveau parce qu’ils faisaient les Championnats de France. J‘étais très impressionnée de pouvoir m’entraîner avec eux mais aussi de les voir à l’œuvre. Le disque, quand c’est bien fait, c’est joli et j‘étais admirative de la beauté du geste, de la manière dont ils arrivaient à le maîtriser.

Par la suite, tu vas partir à Lyon t’entraîner sous la houlette de Serge Debié qui va rester ton entraîneur durant des années. Comment es-tu passée de ton club à celui de Lyon. Il fallait que tu puisses intégrer une structure capable de t’accompagner plus loin ?

C’est plus simple que ça. J’ai eu le bac et, normalement, j’aurais dû poursuivre mes études à Grenoble sauf que, l’année précédente, au mois d’avril, j’ai eu l’occasion de faire un stage d’entraînement et l’entraîneur national de l’époque, Monsieur Pelgas, m’a dit que si je voulais combiner études et entraînement, ce serait mieux que je sois à Lyon. C’est lui qui m’a présenté Serge.

Est-ce que tu nourrissais déjà quelques ambitions en athlétisme ?

Oui, parce que, l’année de mon bac, je fais 3e aux Championnats de France et je réussis les minima pour les Europe. Finalement, je n’y participe pas parce qu’il n’y avait que deux places et les deux premières des France ont été sélectionnées. Ça a été une petite déception mais ça m’a permis de réaliser que j’aurais bien aimé en être, que ça me plaisait.

Je suis allée à Lyon parce que je voulais passer un cap. Cest là, si l’on peut dire, que j’ai vraiment commencé à m’entraîner sérieusement. 

Avec Serge, tu vas passer de deux à six entraînements par semaine et améliorer ton record personnel de dix mètres. En 1998, après un an de collaboration, tu deviens championne de France junior et vice-championne du monde junior. Tu te rends compte de ce qui se passe ou est-ce que ça va trop vite ?

Non, je ne me rends pas forcément compte de ce qui se passe, mais je réalise que tout ça me plaît, que je veux continuer à faire des sélections, à gagner des médailles. C’est un peu un déclic pour moi.

Cette même année, tu es invitée à participer aux Europe de Budapest. C’est ta première expérience en équipe de France séniors et elle est assez mitigée.L’ambiance est froide et tu concoures contre des filles qui ont des records personnels bien au-delà du tien. 

Cette première expérience a été dure. Je suis passée d’un championnat junior où c’est un peu la colonie de vacances, à une compétition en équipe de France séniors où il y avait beaucoup de clans.

En championnat jeune, c’est fun, tout le monde se parle, se connaît, rigole ensemble et, là, j’intègre une équipe où je ne connais personne, sauf pour en avoir vu certains à la télé. Je ne me sentais pas à ma place.

©Nike

Durant les douze années qui suivent, tu vas continuer à progresser, devenir la référence nationale au disque et tracer ta route. Une route qui va être jalonnée de nombreuses participations aux Jeux Olympiques à commencer par Sydney. Tu as 21 ans et tu débarques au bout du monde pour la plus grande compétition sportive au monde. Ça représentait quoi pour toi ?

Cette année-là a été un peu folle. Ma qualification aux Jeux Olympiques a été compliquée : j’avais fait les minima mais seulement un jour avant la période de sélection. Sur toutes les compétitions qui ont suivi, j’en étais tout près et il m’a fallu passer en comité de sélection. J’ai appris que j’allais à Sydney au dernier moment.

Je m’apprêtais alors à passer trois semaines au bout du bout du monde, sans mon entraîneur, ça a été une sacrée expérience.

Les qualifications ont lieu le matin, non pas devant des gradins clairsemés mais devant 100 000 personnes, ce qui va te faire sortir quasi immédiatement de ton concours.Quels souvenirs tu gardes de cette expérience sur le plan personnel et sportif ?

Les tribunes étaient pleines et c’est vrai que ça m’a déstabilisée. Il devait être 9h du matin, le stade était plein, un stade qui, si je me souviens bien, fait 110 000 places ! Je me suis pris un bon coup de pression.

Le premier jet, je le mets dans la cage et j’entends le « Aaaah » dans les tribunes. Là, je me dis que tout le monde me regarde et je m’écroule un peu.

Sur le volet sportif, ce n’est pas un bon souvenir, mais en ce qui concerne l’expérience générale, c’était fou de découvrir le village olympique, de découvrir la magie des Jeux et ça m’a donné envie de revivre des trucs comme ça.

Tu la décrirais comment cette magie des Jeux ?

Je dirais que c’est grandiose. On n’imagine pas à quel point tout était grand. À Sydney, le village était composé de petites maisons, il était hyper étendu, on prenait le bus pour aller au resto.

La magie, c’est aussi le fait d’être tous réunis au même endroit. Je me souviens d’avoir mangé à côté de Gustavo Kuerten qui, à ce moment-là, était LA star du tennis !

Je ne saurais pas vraiment expliquer en quoi consiste cette magie, c’est un concentré d’émotions, un concentré de plein de choses.

La beauté des Jeux n’est pas uniquement une question de performance. Est-ce que tu dirais que participer à ces Jeux était alors pour toi une réussite en dépit du résultat ?

Il est vrai qu’aux Jeux, les émotions ne sont pas uniquement liées à la performance sportive mais ça donne envie quand même. Pour moi, à ce moment-là, il y avait ceux qui faisaient des médailles et les autres. Moi, je faisais partie des deuxièmes et je ne savais pas si je serais capable, un jour, d’intégrer l’autre camp. Pour moi, on ne faisait pas tous partie de la même planète.

Après Sydney, il y aura Athènes et puis Pékin, ta première finale olympique. Tu fais de bonnes qualifs mais tu ne parviens pas à reproduire ta performance en finale, ce sera une 7e place. Finaliste aux Jeux, ça reste un résultat important. Tu as senti que tu avais franchi un cap ?

Ça a été un premier gap et ça a été aussi mes premiers questionnements pour savoir si je continuais ou si j’arrêtais. Je me suis demandé si j’étais capable de faire mieux qu’une finale olympique mais je commençais également à avoir besoin d’avancer sur ma vie de femme, d’avoir des enfants.

En parallèle, j’ai réalisé que, si je décidais de continuer, j’étais arrivée au bout de mon système et qu’il fallait que je change quelque chose si j’avais envie de progresser. À ce moment-là, je travaillais encore à mi-temps et j’ai choisi de me consacrer exclusivement l’athlétisme. Je ne pouvais plus rivaliser avec des filles qui étaient professionnelles alors que moi, je courais dans tous les sens.

Je me suis laissée un an, deux maximum, pour voir ce que cela allait donner.

Deux ans après Pékin, en 2010, tu décides de faire une pause et, à 31 ans, tu donnes naissance à une petite fille. La grossesse, à l’époque, est un sujet tabou dans le sport de haut niveau. Comment ta décision a-t-elle été accueillie par ton coach, par la Fédération ?

J’avais la chance d’avoir un entourage sain et qui me connaissait puisqu’on travaillait ensemble depuis dix ans. Lorsque j’ai pris cette décision, je l’ai prise pour moi et mon compagnon. Je n’appréhendais pas d’en parler à mon entraîneur car je savais que j’en avais besoin, que c’était important pour moi, je savais aussi qu’il me connaissait suffisamment pour savoir que c’était quelque chose de réfléchi.

J’avais plus d’appréhension par rapport à la Fédération mais j’ai eu la chance à ce moment-là d’avoir Ghani Yalouz pour DTN. Je me souviens encore de notre conversation, c’était après les Championnats du monde de Berlin en 2009. Ghani me demande comment je compte m’organiser pour la saison prochaine, je lui fais part de mon envie d’avoir un enfant. J’étais un peu stressée parce que je ne savais pas trop comment ça allait se passer et il m’a dit : « Pas de souci, c’est important la famille. » Cette phrase a été un soulagement pour moi.

Cette coupure, tu dis qu’elle était nécessaire pour toi : tu avais envie d’un bébé mais tu avais aussi besoin de faire une pause. Tu étais fatiguée de l’athlé, du sport de haut niveau ? 

Cette pause m’a permis de faire le point, de prendre du recul. Les saisons s’enchaînent et parfois, on perd un peu le fil, on ne sait plus vraiment pourquoi on fait les choses. Cette pause m’a permis de me demander si l’athlé me manquait, si ça me plaisait toujours, pourquoi je faisais ça

J‘ai continué à m’entraîner, à m’entretenir pendant ma grossesse, mais j’ai aussi pu faire d’autres choses, prendre du temps pour moi, ma famille, mes amis… tout ce qui manque un peu dans une vie d’athlète de haut niveau et puis, au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’avais envie d’y retourner.  J’étais consciente qu’il ne me restait plus longtemps à évoluer à ce niveau, qu’il fallait que je profite de tout ça, que j’avais de la chance de pouvoir vivre toutes ces émotions-là, de pouvoir vivre cette vie-là. Tout cela a contribué à modifier mon état d’esprit et je suis revenue encore plus motivée. 

Après ta première grossesse, tu sembles plus confiante en toi et les gros résultats arrivent. Il y a d’abord les Jeux de Londres, tu te rapproches du podium olympique avec une 5e place.

Londres, ce sont mes premiers « derniers » Jeux olympiques. Je m’étais déjà posé la question de continuer ou d’arrêter après Pékin. À Londres, je me suis que c’était bon, j’avais ma petite fille, après ça, j’arrêtais. J’ai vécu ces Jeux comme les derniers, dans ma tête, c’était clair, je n’avais pas de doute et puis, avec cette 5e place, je me dis : « Wow, je suis toute proche, ça y est, je fais partie des athlètes qui peuvent prétendre à un podium mondial » et ça a été un déclic. Je ne pouvais pas m’arrêter aussi près, je ne pouvais pas avoir fait quinze ans de haut niveau en m’entraînant pour ça et m’arrêter si près du but.

J’ai décidé de repartir pour encore au moins un an et après, ce serait terminé, j’avais prévu de reprendre des études, de faire autre chose Et puis il y a eu Moscou qui a été le début d’une nouvelle carrière.

Moscou, l’année suivante, où tu deviens vice-championne du monde. Est-ce que c’est la maternité qui t’a autorisée à te dire que tu pouvais prétendre à de grandes choses ?

Je pense que ça m’a aidé à prendre conscience de mes capacités, de mes envies, et puis le fait d’avoir retrouvé la motivation, le plaisir, d’avoir fait le tri dans mes pensées m’a également aidé à passer le cap, à me dire que, moi aussi, j’étais en capacité de rivaliser avec les meilleures mondiales.

À la suite de ça, tu enchaînes, tu es vice-championne d’Europe l’année suivante à Zurich et, en 2016, vice-championne olympique à Rio. Il te reste quoi de ce magnifique triptyque en argent ?

Il me reste beaucoup de plaisir, beaucoup de bonheur, la certitude que ça valait le coup d’attendre pour vivre tout ça.

Quand on vit ce genre de moments, on oublie la difficulté du sport de haut niveau, on comprend pourquoi on a fait tout ce travail, on comprend que ce sont ces moments-là que l’on attend.

À Rio, tu es la première Française depuis Micheline Ostermeyer et Jacqueline Mazéas en 1948 à ramener une médaille et tu entres définitivement dans l’histoire de ton sport. Ça fait quoi de passer à la postérité ?

C’est une fierté de se dire – et de montrer, qu’il n’y a pas de fatalité. On m’a souvent répété qu’en France, on n’était pas bons dans les lancers et c’est quelque chose qui m’avait beaucoup marquée, beaucoup déplu. Là, c’était l’occasion de démontrer que si, en France, on peut aussi être bons.

On m’avait également souvent dit, après que je sois passée à côté de certains rendez-vous, que je n’étais pas une femme de Championnat et ce sont aussi des choses qui marquent. Indirectement, ça m’avait piquée et c’était une manière, pour moi, de prouver que je pouvais être une femme de championnat.

En 2017, après avoir ramené le bronze des Mondiaux de Londres, tu fais une deuxième pause bébé avec l’idée, cette fois, de repartir à l’assaut d’une autre médaille aux Jeux de Tokyo. Est-ce que cette ambition-là a fait que tu as vécu cette grossesse différemment ? 

C‘était un peu différent, oui. Après les Mondiaux de Londres en 2017, j’étais épuisée nerveusement. J’avais enchaîné les médailles et le tourbillon, après Rio, m’avait vraiment fatiguée.

Avec mon compagnon, nous avions cette volonté d’avoir un deuxième enfant mais, si ça ne marchait pas tout de suite, j’avais en tête de m’arrêter parce que je n’en pouvais plus. Cette grossesse, encore une fois, m’a permis de prendre du recul, de me rendre encore que j’avais envie de reprendre, tout en sachant qu’il ne me restait plus beaucoup de temps dans ma carrière.

Tes enfants font partie intégrante de ta carrière et de tes résultats. L’aînée t’a permis d’avoir un déclic mental et la seconde de retrouver de la sérénité pour repartir à l’assaut d’autres médailles en somme.

Je pense que je n’aurais pas eu la carrière que j’ai eue sans elles. Avoir des enfants change une vie, ça change une personne aussi. Mes filles m’ont permis de revoir mes priorités, d’aborder mon sport différemment.

Elles m’ont permis de me réaliser aussi, d’avoir un équilibre entre ma vie personnelle et ma vie sportive, de m’accomplir en tant que personne.

Pour être bien dans son sport, je pense qu’il faut être bien dans sa vie.

C’est à cette période que ton équipementier te lâche. Est-ce que tu penses que c’est en raison de ta grossesse, que huit ans après être devenue maman pour la première fois, il est encore difficile pour une athlète de faire accepter qu’elle veuille être mère ?

Je ne pense pas, parce que, pendant que j’étais enceinte, ils m’ont gardée. Je pense que la cause était plus générale. C’était une période pendant laquelle ils ont fait beaucoup de tri chez les athlètes et moi, à l’époque, j’avais 39 ans. Je pense qu’il y a eu des contextes cumulés.

Entre tes deux grossesses, est-ce que tu as senti une évolution sur la question de la maternité des sportives ?

Oui et heureusement.  J’avais deux partenaires AG2R et GL Events à ce moment-là et quand j’ai re-signé avec eux, je leur ai parlé de mon projet de grossesse. Les deux m’ont dit qu’il n’y avait pas de soucis, qu’ils me suivaient. Ça a été un bonheur de constater que les choses avançaient et c’était bon de se sentir soutenue.

On te retrouve sur la piste dès mai 2019. Cette même année, tu décoches ton 20e titre de championne de France. Est-ce que régner sur sa discipline pendant vingt ans au niveau national n’est pas le signe dun manque d’adversité ?

Il y a eu des moments où il y a eu de l’adversité, d’autres non et ceux pendant lesquels il n’y en a pas eu assez, ça m’a desservie. J’étais la meilleure au niveau français et après, le gap était parfois un peu haut avec le niveau international. En France, je gagnais tout facilement mais, quand j’arrivais à l’étranger, je prenais dix mètres. J’étais dans un entre-deux pas évident à gérer.

Tu es de l’aventure à Tokyo. Pour la première fois depuis 2006, tu ne passes pas le stade des qualifications d’un championnat auquel tu participes et tu annonces repartir pour une Olympiade. Si cette contre-performance avait eu lieu durant des Monde par exemple, est-ce que tu te serais posé la question de continuer ?

Je pense que j’aurais eu du mal à arrêter sur un échec. Les Jeux de Tokyo, ça a été vraiment dur parce que, ne pas passer les qualifications n’était pas une contreperformance mais un résultat inenvisageable. Je ne voulais pas finir là-dessus et puis le contexte était particulier. Pour moi, Tokyo, ce n’était pas les Jeux que j’aime, les Jeux que je veux vivre.

Il y a aussi le fait que, derrière il y a avait les JO de Paris. Tout cela faisait pas mal de motifs pour me donner envie de continuer.

La prochaine échéance olympique, ce sera donc Paris l’été prochain. Si tu te qualifies, ce sera la première fois que tes proches pourront venir t’applaudir. Malgré tout, des Jeux à la maison, ça a la même saveur que des Jeux au bout du monde ? 

Pour moi, c’est une chance de pouvoir vivre ça, peu d’athlètes en ont la possibilité. Sur tous les Jeux que j’ai faits, à part mon compagnon, personne n’a jamais pu y assister. Ce sera l’occasion de faire entrer mes proches dans mon univers, dans ce qui a guidé ma vie ces vingt-cinq dernières années, j’ai donc hâte d’y être aussi pour cette raison.

Après, il faut bien prendre en compte le fait qu’il va y avoir beaucoup de pression et il va me falloir y être attentive. 

Tu as pourtant l’habitude de gérer la pression…

Je pense que c’est justement quand on croit que l‘on sait faire que l’on tombe. Il faut toujours être vigilant.

À Paris, tu auras 45 ans. Il est de coutume de célébrer la longévité des carrières quand il s’agit de sportifs, les sportives, elles, sont plus facilement ramenées à leur âge quand bien même les performances sont toujours au rendez-vous. Est-ce que ce n’est pas pénible ?

Au début, ça me saoulait parce que j’étais toujours obligée de parler de ça, mais maintenant, c’est moi qui devance la question. Il faut arrêter de se poser des limites, on est tous capables, c’est juste que l’on nous a conditionnés.

J’ai discuté avec des athlètes qui, à force d’entendre toujours ce même discours  « À ton âge, il faudrait faire autre chose » – ont arrêté. Beaucoup d’entre eux ont eu des entraîneurs qui se sont sentis impuissants : au lieu d’essayer de les entraîner différemment, ces entraîneurs se sont dit que le problème ne venait pas d’eux mais de l’âge de leur athlète.

Il faut savoir se remettre en cause, voir comment on peut améliorer les choses et entraîner autrement.

Toi qui t’es engagée sur le sujet de la grossesse, est-ce que tu penses le faire également en ce qui concerne la question de l’âge ?

La question avec tout ça est de savoir si l’on s’arrête sur une date de naissance ou si l’on réfléchit au-delà du chiffre pour se poser d’autres questions. Moi, j’ai la chance d’avoir des entraîneurs à mes côtés qui n’ont pas ces barrières-là.

En ce qui nous concerne, nous, les athlètes, c’est une question que l’on ne se pose jamais, on ne se demande qu’une chose : comment être encore meilleur ? Et ça vaut quand on a 20 ans ou 45 ans.

©Wikimedia

Est-ce que la plus belle preuve ce ne serait pas de prendre rendez-vous pour Los Angeles en 2028 ?

Je ne dis plus que Paris seront mes derniers Jeux parce que, à chaque fois que j’ai dit une chose comme ça, j’ai toujours continué ! Je ne sais pas et je ne me projette pas comme ça, c’est aussi pour ça que ça fonctionne, je fais les choses étape par étape et, tant que je prends du plaisir à ce que je fais, tant que je reste performante, tout va bien. On verra l’année prochaine.

Il y a parfois la sortie de trop, c’est quelque chose que tu as en tête ?

Non, moi je m’en fous. Tokyo, on aurait pu dire que c’était la compet’ de trop alors que finalement, là, avec la saison que je viens de réaliser, j’ai bien vu que non, que j’étais encore en capacité de faire de belles choses. On ne peut jamais savoir et je préfère avoir une compet’ ratée et me dire que j’en ai marre, que je n’ai plus envie ou que ça marche plus, plutôt que de me dire, plus tard, que j’aurais peut-être pu ou dû essayer. Comme ça, au moins, je n’ai pas de regret.

Je sais déjà que Paris ne sera pas ma dernière competition parce que j’ai envie de faire au moins la saison 2025 pour retourner à Tokyo à l’occasion des Championnats du monde, voir un stade plein et vivre un peu ce que j’ai pu rater sur les Jeux de 2021. 

Par rapport à tes premiers Jeux, tu es différente mais différente comment ?

Je me sens mieux parce que j’aime la personne que je suis devenue. Je me sens plus à l’aise maintenant que je ne l’étais sur mes premiers Jeux. Je n’aurais jamais imaginé, sur les premiers, être encore là aujourd’hui et être celle que je suis aujourd’hui.

Ça me plaît tout ce chemin parcouru.

Ouverture ©Fédération Française d'Athlétisme

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