Tu es née et tu es licenciée à Mont-de-Marsan. Pour autant, tu dis de tes parents qu’ils ne sont pas réellement sportifs. Quel rôle ont-ils néanmoins joué dans ta pratique ?
J’ai trois frères et sœurs et l’activité physique était quelque chose de très important pour mes parents. Nous avons tous été initiés à la pratique sportive très très jeune, c’est une chose auquel ils tenaient, principalement mon père d’ailleurs. Pour lui, le sport est un passage obligé, c’est ce qui permet de se maintenir en forme et ce, dès le plus jeune âge. C’est mon père qui m’a incitée à faire du sport et c’est comme ça que je suis venue à l’haltérophilie.
Tu as débuté l’haltérophilie à 9 ans, est-ce que tu as pratiqué d’autres disciplines avant ?
J’ai commencé l’athlétisme très jeune, à 6 ans, et ça me plaisait beaucoup. Quand on débute, on nous oblige à toucher un peu à tout mais peu à peu, je me suis spécialisée à la perche. J’ai également pratiqué le judo pendant un an, j’ai commencé les échecs – ça fait maintenant sept ans que j’en fait – et puis la gymnastique, ça, c’était l’année dernière. Je me souviens avoir voulu faire du foot et du basket aussi, mais ça ne s’est pas fait parce que, tout cumulé, ça aurait fait beaucoup.
©Alex Ortéga/Stade Montois Haltérophilie
Il est encore assez rare pour une petite fille de se diriger vers un sport de force très jeune. Qu’est-ce qui t’a conduite à cette discipline, tu évoques souvent ton grand-frère, Makary, qui a pratiqué lui aussi.
Je suis venue au club parce que mon grand frère, Makary, faisait en effet de l’haltérophilie et mes parents m’ont proposer d’aller tester avec lui. Lors de mon arrivée au club, la tranche d’âge des pratiquants était comprise entre 18 et 25 ans et moi, j’en avais 9. J’étais la seule petite fille jusqu’à ce que Daria, une coéquipière, arrive. Ça s’est passé environ un mois après mes débuts. Daria avait 11 ans à l’époque et c’est le fait de me retrouver avec elle qui m’a vraiment donné envie de continuer dans ce sport de force. Je n’étais plus toute seule et toutes les deux, on s’amusait beaucoup, c’est ça qui m’a plu parce qu’à 9 ans, on n’est pas impliqué à fond dans le sport.
Si Daria n’avait pas été là, tu penses que tu aurais laissé tomber ?
Franchement ? Je pense que oui !
Outre Daria, qu’est-ce qui t’a fait accrocher, physiquement, avec l’haltérophilie que tu n’avais peut-être pas ressenti avec d’autres sports ?
L’haltérophilie est un mélange de technique et de force. Quand on débute, on a tendance à progresser très vite : on monte rapidement en charge et on améliore rapidement nos records. Moi, j’allais tous les soirs au club et tous les soirs, je battais mon record soit à l’arraché, soit à l’épaulé-jeté. Tous cela faisait que j’étais tous les jours un peu plus forte et je crois que c’est cette notion de surpassement qui m’a vraiment fait accrocher.
Quelle a été la réaction de tes parents quand tu as annoncé vouloir suivre l’exemple de ton frère ?
Mes parents sont assez ouverts d’esprit. En ce qui concerne mon père, c’est lui qui voulait que j’essaie l’haltérophilie et qui m’a emmenée à la salle. En ce qui concerne ma mère, au début, elle n’était pas trop d’accord, mais elle n’était pas contre non plus et elle s’est vite ravisée. Maintenant, tous les deux me soutiennent à fond.
Tes débuts en compétition vont également jouer un rôle dans ton implication.
Oui, totalement. Ma toute première compétition n’avait pas trop d’enjeux, c’était juste une compétition départementale. La première vraiment importante, c’était en 2019, les Championnats de France des moins de 13 ans. J’avais 11 ans, j’avais terminé deuxième et ça m’avait beaucoup frustrée. Après ça, je m’étais entraînée encore plus pour ne plus être deuxième !
Cette résolution de ne plus être deuxième a été déterminante pour la suite de ton parcours ?
Oui parce que, petite, dans ma région, comme j’étais très légère et petite, j’étais la plus forte. En revanche, quand je suis arrivée aux France, je me suis retrouvée en compétition avec des filles que je ne connaissais pas et je me suis rendu compte très vite qu’il allait falloir que je travaille plus si je voulais finir première.
C’est à 13 ans, quatre ans seulement après tes débuts, que tu décides de te consacrer pleinement à ta discipline. Ça signifie quoi se consacrer pleinement à sa discipline ?
À 13 ans, je suis arrivée en U15 et en U15, on peut déjà participer aux compétitions internationales. À partir de ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je mette tout en œuvre pour pouvoir m’imposer à ce niveau-là. J’ai réduit mes entraînements d’athlétisme, j’ai commencé, même si c’est un bien grand mot, à faire un peu attention à ce que je mangeais, surtout avant les entraînements, afin de pouvoir être en forme. J’ai également commencé à faire attention à mon sommeil et à tous les à-côtés pour essayer d’aller le plus loin possible.
À 13 ans, tu es suffisamment mûre pour envisager ton sport autrement que comme un simple loisir, ce qui implique des sacrifices. Est-ce que tu as vécu tes éventuels renoncements comme cela ?
Non. L’entraînement faisait partie de mon emploi du temps, j’y allais tous les soirs et s’il m’arrivait d’en manquait un, c’était comme si je ratais un rendez-vous. C’est comme cela que je voyais les choses, pas comme un sacrifice. Je prenais beaucoup de plaisir à aller à la salle. En revanche, quand arrivait le week-end -et c’est toujours le cas aujourd’hui-, j’essayais toujours de sortir pour voir ce qui se passait ailleurs, pour voir d’autres gens. C’est vraiment un principe auquel je tiens parce que, si on ne reste que dans le sport, à un moment, on devient fou !
Il y a seulement une fois où j’ai eu la sensation d’un sacrifice. J’avais 13 ans et j’étais partie deux semaines en stage à l’autre bout de la France pour préparer mes premiers Championnats d’Europe. J’avais un peu raté mes vacances à cause de cela et notamment les fêtes de villages qui ont lieu l’été dans le Sud-Ouest, ça avait été dur pour moi, mais c’est, je pense, la seule fois.
En ce qui concerne ta pratique sportive, quels changements as-tu mis en place à ce moment-là ? Est-ce que tu as, notamment, augmenté tes heures d’entraînement ?
Quand je pratiquais encore, en parallèle, le judo et l’athlétisme, je m’entraînais à la salle deux-trois fois par semaine. À l’âge de 13 ans, j’ai rajouté quelques entraînements pour pouvoir progresser plus rapidement. Le rythme est passé à quatre-cinq fois par semaine : j’y allais tous les tous les soirs, à part le mercredi car j’avais toujours l’athlétisme à ce moment-là.
Quand est-ce que tu as décidé d’abandonner l’athlétisme ?
Courir n’est pas conseillé quand on est haltérophile alors, peu à peu, il est devenu compliqué de mener les deux disciplines en parallèle. J’ai décidé d’arrêter l’athlétisme lorsque ça a commencé à devenir vraiment un facteur limitant à ma performance en haltérophilie. Je me suis dit qu’il fallait que je mette toutes les chances de mon côté et ça, ça passait par le fait d’arrêter l’athlétisme. C’était il y a deux ans, deux ans et demi, un an après mes premiers Championnats d’Europe.
Tu évoquais les Europe. Il y a une date importante dans ton parcours : l’année 2022. Tu participes aux Europe U15 chez les – de 45 kg, ça se passe en Pologne et tu rentres avec trois médailles : le bronze à l’épaulé-jeté, l’argent à l’arraché, le bronze au poids total. Ce premier coup d’éclat international, tu l’as vécu comment ? Tu aurais préféré l’or ou tu étais surprise par tes résultats ?
Pour moi, à cette époque, participer aux Europe, c’était quelque chose d’incroyable et je ne partais pas dans l’optique de faire une médaille. En revanche, quand je suis arrivée dans le match et que j’ai vu que j’avais mes chances, c’est devenu différent. Ces trois médailles m’ont prouvé que j’étais capable de m’imposer au niveau européen et ça a été une motivation pour continuer à m’entraîner afin d’être en capacité de faire mieux lors des échéances suivantes.
En 2023, tu te classes 7e à l’arraché des Monde jeunes organisés en Albanie pour lesquels tu es surclassée. La saison suivante, 2024 donc, tu décroches deux médailles de bronze mondiales – une à l’arraché et une au total – une première pour une Française.
Les Monde, c’était fou, le niveau est encore plus élevé qu’aux Europe. J’étais très contente parque que, l’année d’avant, j’avais fini 7e à l’arraché et 11 ou 12e au classement général si mes souvenirs sont bons. Ça m’avait frustrée parce que je n’avais pas du tout réussi à faire ce que je voulais, je n’étais pas dans mon match. Lors de l’édition suivante, je décroche cette 3e place et j’étais très heureuse d’être parvenue à revenir.
En 2024, c’est la consécration. Tu deviens championne d’Europe 2024 chez les moins de 17 ans, avec 75kg à l’arraché et 89kg à l’épaulé-jeté pour seulement 49kg de poids de corps.
Il faut savoir qu’avant la compétition, il y a une liste qui est publiée et sur laquelle il y a tous les toutes les barres engagées, cette liste figure en quelque sorte un pré-classement. J’étais première et la première pré-engagée, ce qui m’avait énormément stressée. Je me disais que si je ne faisais pas de podium ou si je me ratais, ça serait ridicule. Quand j’ai finalement réussi à décrocher cette première place, honnêtement, sur le coup, je ne m’en suis pas rendu compte. J’ai réalisé lorsqu’il y a eu la Marseillaise. Là, je me suis effondrée parce que j’ai compris que tout cela était vraiment réel.
C’est quelque chose d’important la Marseillaise à 15 ans ?
C’est très important, c’était quelque chose dont je rêvais. Là, c’était la première et ça a été un moment incroyable, je n’en ai que de bons souvenirs.
Tu expliquais, à l’époque, que ton ambition était, pour 2025, de remonter sur le podium aux Europe et aux Monde U17, mais cette fois en -55 kilos. Les Europe auront lieu en juillet mais avant cela, tu t’es illustrée lors des récents Championnats du Monde U17-U20 de Lima au Pérou avec le bronze à l’arraché. À chaud, tu expliquais pourtant être passée à côté. C’est une déception ce bronze mondial ?
En vrai, j’étais très contente de ma troisième place quand même parce que c’était inattendu. La compétition n’était pas faite comme l’année dernière, on était mélangé aux U 20 et j’ai tiré sur le plateau B. Ça signifie qu’après moi, quatre autres filles de mon âge et de ma catégorie de poids disputaient leur compétition ce qui leur donnait un avantage dans le sens où, elles ont pu voir ce que nous avions fait et ajuster leurs performances en fonction.
Si nous avions toutes disputé notre compétition en même temps, le match se serait déroulé de manière un peu différente. C’est pour cela que je n’étais pas déçue de ma médaille, je l’étais de mes performances en revanche, de ce que j’ai soulevé et qui était au-dessous de mes attentes.
Tu ne penses pas que tu es parfois un peu sévère avec toi ?
Je ne sais pas, mais je pense qu’il faut être un peu sévère avec soi-même si on veut progresser.
Comment tu appréhendes les Europe à venir ?
Ce sera dans les nouvelles catégories de poids, à savoir moins de 53. Mon premier défi est de perdre du poids parce que j’ai plus de 2 kilos à perdre et, pour ce qui est du résultat attendu, j’aimerais bien refaire un podium, ça serait un beau symbole pour refermer la parenthèse de mes années en moins de 17 ans. C’est ça mon objectif.
Ça sera aussi bientôt la fin de tes années lycée. Comment envisages-tu l’avenir ?
En septembre, j’intègre l’INSEP. C’est une décision à laquelle j’ai beaucoup réfléchi mais je me suis dit que, comme j’allais changer de catégorie d’âge et de de poids, je serais mieux encadrée à l’INSEP. Ceci étant, et même si le sport est très très important pour moi, je n’ai pas envie d’abandonner les études. J’ai envie de poursuivre ma pratique sportive, mais j’ai également envie, plus tard, d’exercer un métier qui n’est pas en lien avec le sport.
J’aimerais bien faire des études de droit mais, pour le reste, je n’ai pas encore vraiment d’idée.
Et d’un point de vue sportif, quelles sont tes ambitions, les Jeux Olympiques possiblement ?
Les Jeux Olympiques sont un rendez-vous qui est, je pense, dans la tête de tous les sportifs de haut niveau. En ce qui me concerne, je pense que Los Angeles 2028, ce sera un peu tôt car, pour y participer, il faut être Top10 mondial. La Californie, c’est un peu prématuré mais 2032, ça serait un bel objectif !
Tu n’as que 16 ans mais est-ce que tu as déjà réfléchi à ce que serait, pour toi, une carrière sportive accomplie ?
Quand j’étais petite, participer aux Championnats d’Europe et aux Championnats du monde, c’était déjà un rêve, quelque chose d’extraordinaire. En ce sens, j’ai déjà accompli beaucoup de choses dans ma carrière. Il reste qu’un vrai sportif de très haut niveau, c’est celui qui participe aux Jeux olympiques. Si j’arrive à y prendre part, ce serait vraiment le graal.
©Stade Montois Omnisports
Ouverture ©Wii Training
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