C’était il y a un siècle tout juste. 1921. Lucienne Velu s’apprête à pousser la porte d’un stade. Une première pour la jeune Parisienne qui, à 19 ans, n’a encore jamais fait de sport et pour cause. À l’époque, exploits et compétitions sont la chasse gardée exclusive des hommes.
Aux – rares – femmes qui souhaiteraient empiéter sur leurs plates-bandes, il est vivement conseillé de se rabattre sur la culture physique, occupation des plus ennuyeuses, certes, mais plébiscitée par un corps médical d’accord, dans son ensemble, pour la juger plus adaptée à leur nature frêle et délicate.
Un message on ne peut plus clair qui semble néanmoins, au grand dam de certains, n’avoir pas été bien entendu par toutes les aspirantes sportives. Dans leur sillage, des clubs réservés aux seules femmes ont commencé à éclore de-ci, de-là, sur tout le territoire.
Avec le temps, ce mouvement balbutiant s’est étoffé et structuré pour donner naissance à une fédération – la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF)* – dont la direction a été confiée à l’énergique Alice Milliat.
Grâce aux efforts combinés de ces courageuses dissidentes, la femme sportive est parvenue, en l’espace de quatre ans, à s’imposer comme une réalité avec laquelle il faut désormais compter.
De quoi titiller la curiosité. Et donner, à son tour, l’envie à Lucienne Velu de sauter le pas. L’adhésion est immédiate. En 1922, elle rejoint les rangs de La Ruche Sportive où elle se met à pratiquer avec assiduité le football-association et l’athlétisme. Il ne fait aucun doute que la jeune femme est douée. Mieux encore, elle progresse vite.
En septembre 1924, elle est logiquement retenue par la FSFSF dans les rangs de l’équipe de France chargée d’affronter la Tchécoslovaquie sur la cendrée du stade Pershing.
La Parisienne, quatrième seulement au poids, va se rattraper au disque. Son jet à 30.225 mètres la propulse en tête du concours, record du monde de la spécialité à la clé !
Lucienne Velu a 22 ans et vient de se faire un nom. Elle ne va plus cesser, dès lors, de le faire briller. Il faut dire que la demoiselle est polyvalente. Adroite aux lancers, elle est également redoutable sur piste.
60 mètres, 80 mètres, 200 mètres, aucune distance ne semble vouloir lui résister et, en vingt ans, « la reine du stade », surnom dont l’a affublée la presse de l’époque, va cumuler pas moins de 33 titres de championne de France, disque, poids et vitesse confondus. Un palmarès remarquable qui ne s’arrête pas aux seules disciplines athlétiques.
En 1925, Lucienne Velu quitte la Ruche Sportive pour rejoindre les Linnet’s de Saint-Maur où évoluent des pointures de l’acabit de Georgette Gagneux et de Marguerite Radideau.
Elle, l’athlète reconnue, la footballeuse émérite, va s’y prendre de passion pour une autre discipline : le basket-ball.
Deux ans plus tard, le 20 novembre 1927, la prolifique arrière est sélectionnée pour participer à la première rencontre internationale de basket féminin qui oppose la France au Luxembourg au stade Pelleport. Un triomphe pour Lucienne Velu et ses coéquipières qui s’imposent avec autorité 22 à 5.
Forte de ce succès, Lucienne Velu persévère. Et monte en puissance. Sacrée sept fois championne de France entre 1928 et 1938 avec son club, elle ajoute à son interminable collection de trophées le titre de championne d’Europe 1930 après une victoire face aux Polonaises à Strasbourg 33 à 17.
Quatre ans plus tard, la capitaine et meneuse de troupe mène les siennes sur le toit du monde à Londres en effaçant des tablettes les redoutables Américaines 34 à 23 lors de la quatrième et dernière édition des Jeux Mondiaux Féminins, une première dans l’histoire du sport féminin français.
Pionnière parmi les pionnières, Lucienne Velu la touche-à-tout poursuivra la pratique du haut niveau jusqu’à ses 40 ans passés. Figure incontournable de la scène sportive française, elle entrera définitivement dans l’Histoire en 1928 en participant aux épreuves d’athlétisme comptant pour les Jeux Olympiques d’Amsterdam, rendez-vous jusqu’alors interdit aux femmes, tennis et natation mis à part.
Disparue en 1998 à l’âge de 96 ans, elle restera, des décennies durant, l’athlète française la plus titrée de tous les temps**.
Un règne extraordinaire qui durera presque quatre-vingts ans avant de prendre fin cette année, battu par une autre discobole, Mélina Robert-Michon, désormais 35 titres de championne de France à son actif.
©Dessin Ph.Biard/Le Vieux Saint-Maur
* À l’époque, la FSFSF gère diverses disciplines parmi lesquelles l’athlétisme, le football-association et le basket-ball
** Au niveau hexagonal
Ouverture ©Bnf