« Chaque fois que l’on se retrouvait seules à la maison, on courrait vers la plage et on se mettait à l’eau. Mais quand on se faisait attraper, on prenait des gifles. » Khadjou Sambe est une force de la nature, la rage chevillée à la planche.
Le surf a toujours été son moyen à elle de prendre le large. S’éloigner d’une famille trop stricte, enfermée dans des traditions qu’elle ne comprend pas. Plonger coûte que coûte.
Et tant pis si dans son village de pêcheurs, ça ne se faisait pas. Pendant près de trois ans, ses parents lui ont interdit d’aller dans l’eau. Pour elle, seul le kayak était autorisé.
Le surf, sport masculin par excellence au Sénégal, n’est pas convenable pour une jeune fille : « Ici, les filles doivent finir l’école, se marier, rester à la maison, cuisiner et faire des enfants », explique-t-elle au magazine Outside.
À 13 ans, c’est donc sur le sable de son île près de Dakar que Khadija ou Khadjou pour les intimes, regarde évoluer les hommes dont ses oncles et ses cousins. Ils prennent le large, elle reste sur le bord.
Jusqu’à ce que l’appel de la vague soit la plus forte. Et qu’elle fasse le mur pour retrouver la mer : « J’ai fait ça jusqu’à devenir une bonne surfeuse, raconte Khadjou Sambe à wiwsport.com. Mais mes parents n’étaient pas contents. Beaucoup de membres de ma famille disaient : « Pourquoi est-elle toujours avec des garçons ? » J’ai commencé à avoir des problèmes avec ma famille, alors j’ai arrêté de surfer pendant environ deux ans et j’ai travaillé dans un restaurant. Mais je m’encourageais tous les jours : « Khadjou, non, tu n’as pas besoin d’arrêter de surfer, n’écoute pas ce que les gens disent, continue à suivre tes rêves, bas-toi pour toi-même. » Je suis retournée au surf. »
Sa rencontre en 2016 avec Rhonda Harper est décisive. L’Américaine, coach et fondatrice de Black Girls Surf, une école de surf pour les femmes de couleur, l’invite en Californie. Un autre monde.
Khadjou Sambe n’a pas un sou en poche, ne parle pas anglais, affiche un style libre, sauvage, bien loin des codes du surf. Ce sera un voyage initiatique. Et un retour avec Rhonda Harper dans ses bagages. Qui commence à l’entraîner pour décrocher la sélection aux prochains JO de Tokyo : « Je veux représenter ma famille, les femmes aussi », dit la surfeuse devenue pro.
Une surfeuse qui compte inspirer les autres jeunes filles sénégalaises. Dont le message est aujourd’hui, à 24 ans, toujours le même : « N’écoutez pas ce que les gens ont à dire sur vous et combattez pour tout ce que vous voulez dans la vie. L’industrie du surf est compliquée, il faut donc être fort et avoir confiance en soi. Si vous écoutez les gens, vous perdrez de vue ce qui est important et vous vous sentirez déprimé. Tout ce que vous pouvez contrôler, c’est ce que vous faites. Et vous devez toujours vous respecter. Dans mon cas, c’est respecter mon entraîneur et la mer. »
Faire évoluer les mentalités, abattre les barrières de genre, est l’une des deux missions que se donne Khadjou Sambe.
La deuxième est d’ordre émotionnel, presque sensuel : partager avec sa génération cette passion de la vague et de la liberté : « Je ne me sens jamais déprimée quand je suis dans l’eau. J’ai cette sensation incroyable à l’intérieur… J’oublie mes problèmes. Je dis toujours aux gens que la planche est mon amour, les vagues sont mes amis et la mer est ma deuxième famille. »
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