Tes parents sont de grands sportifs, tu as suivi la cadence ?
Ma mère s’est mise au triathlon après ma naissance, mon père jouait au tennis. Ils m’ont d’abord inscrite à la piscine : j’ai tout de suite adoré ça. À 7 ans, j’entrais en club de natation à Saint-Etienne.
J’ai toujours eu le goût du sport, de la compétition, j’avais beaucoup de mal à perdre. Je me souviens d’une petite compétition départementale alors que j’avais 10 ans, je concourrais sur un 50 mètres nage libre et je me suis fait battre par une copine. Je ne lui en voulais pas à elle, mais à moi, j’en pleurais.
Déjà enfant, j’étais très exigeante avec moi-même, je n’aimais pas la défaite. Ce fut une remise en question, ça m’a donné encore plus l’envie de me battre.
Je faisais aussi des cross au collège et au lycée. Je me suis rendu compte que j’avais plus de facilités en course qu’en nage. J’ai commencé à y prendre goût et je sentais que de la même façon, à vélo, il se passait quelque chose, un bon feeling.
J’ai alors voulu faire comme maman : du triathlon. Le premier, j’avais 16 ans, à Vaulx-en-Velin. Je l’ai gagné.
Qu’est-ce qui t’a plu dans le triathlon ?
Le fait d’associer trois sports. On a tous nos qualités, nos défauts, mais la beauté du triathlon, c’est qu’il faut être complet, savoir jouer avec ces trois sports-là. Aussi, pouvoir nager, rouler et courir en extérieur plutôt qu’être enfermée dans une piscine, c’était magnifique.
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Quel est le summum du plaisir pour toi dans ce sport ?
Monter des cols, faire de la montagne. C’est le vélo que j’ai découvert le plus tard et qui m’éclate le plus. J’aime aussi la course : j’ai de la chance, je cours vite naturellement. Finalement, c’est la nage que j’apprécie le moins, ce n’est pas mon point fort, alors que j’en fait depuis que je suis toute petite.
Tu as commencé le triathlon par la distance olympique soit 1500 m de nage, 40 km de vélo et 10 km de course à pied, mais tu as rapidement laissé tomber pour passer sur des longues distances, pourquoi ?
J’ai fait du triathlon olympique jusqu’à mes 23 ans. Mais les distances étaient trop courtes, je n’étais pas assez rapide en natation pour ensuite pouvoir me rattraper sur le reste.
J’avais parfois une minute de retard sur les meilleurs, je n’étais donc pas dans le groupe de tête et c’était impossible à combler. Même si je courais vite, l’épreuve du vélo ne permettait pas de faire la différence, elle n’était pas très sélective, je ne pouvais pas m’y exprimer. J’étais frustrée.
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Tu as donc fait le choix d’abandonner ton rêve olympique…
Ce ne fut pas un choix trop difficile car j’ai senti que je n’étais pas faite pour cette distance. C’est un peu comme si on demandait à un marathonien de faire du 200 mètres haies ! Je préférais réussir sur une autre distance qui me convenait mieux que de m’entraîner en vain pour une compétition qui ne me ressemblait pas.
J’ai compris ça à l’Alpe d’Huez, sur un triathlon en longue distance. J’étais arrivée deuxième, derrière la championne olympique, et j’avais pris un plaisir fou ! J’ai donc décidé de tourner la page de la courte distance sur laquelle je ne me dépassais pas suffisamment. Le plaisir passait outre mes rêves olympiques.
Tu es passée par l’Half-Ironman (1,9 km de natation, 90 km de vélo et 21,1 km de course) avant de doubler la mise avec l’Ironman (3,8 km de natation, 180,2 km de vélo et 42,195 km de course), côté dépassement de soi, y a pas mieux !
Le Half, c’est déjà une belle distance et l’Ironman, c’est la distance reine. C’est vraiment très dur, mais j’adore ! Mon premier Ironman, j’avais 23 ans. C’était en 2010, en Floride, j’ai fini 5e. parmi les filles.
C’est tellement long qu’on passe par des émotions qu’on ne peut pas ressentir sur des courses courtes. Il faut savoir gérer les hauts, mais surtout les bas quand on se dit qu’on souffre trop pour continuer. On doit alors trouver des solutions, des ressources, pour remonter à la surface.
Ce sont des petits bouts de vie. C’est si fort de franchir la ligne d’arrivée, ça veut dire qu’on est allée au bout de soi-même, ça révèle une force mentale qu’on ne soupçonne pas.
Parfois, on se dit : « Mais, c’est pas possible, comment j’ai pu faire ça ? » On ne s’en serait jamais cru capable.
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Rapidement, en 2012, tu te lances à l’assaut des cols de montagne en participant à l’Embrunman dans les Hautes-Alpes, une course mythique. Ton entraîneur n’était pourtant pas convaincu…
La montagne, j’aime vraiment beaucoup ça. Ça me titillait, mais mon entraîneur ne me jugeait pas prête : je venais de participer aux championnats du monde de longue distance et j’étais arrivée 7e, la course ne s’était pas passée comme je le voulais.
J’ai fait le chat de Schrek à mon entraîneur, en mode « Allez, s’il te plaît… » et après des essais, il m’a dit : « Pourquoi pas ? »
Une bonne décision car tu as gagné. T’en es encore stupéfaite !
C’était tellement inattendu ! À 25 ans, c’était dingue, j’en revenais pas ! J’y suis allée de façon spontanée, je ne m’étais pas préparée pour grimper comme ça, je n’avais pas fait de préparation spécifique, mais en fait, j’étais forte, surtout dans ma tête. Ce fut presque plus mental que physique.
J’avais tellement envie d’y aller, avec le corps et le cœur, que ça a marché. Et ça a fait la différence. J’y suis retournée l’année suivante.
J’ai gagné aussi, mais, surtout, j’ai terminé 10e au classement général. Devant moi, que des hommes… S’ils sont plus rapides que les filles sur les distances courtes, ce n’est pas forcément vrai sur du long. Les filles ont la capacité d’être très endurantes.
Physiquement ou mentalement ?
Physiquement, les hommes sont plus forts, c’est un fait, mais mentalement, c’est moins le cas. Dans le Vercors, à la fin aout, il faisait très froid, il a beaucoup plu, c’était des conditions dantesques.
Pourtant, quasi toutes les filles étaient à l’arrivée quand beaucoup d’hommes avaient abandonné parce qu’ils avaient froid…ça m’a étonné.
Je trouve important de démontrer qu’on est aussi capables de réaliser des exploits, ne serait-ce que pour faire bouger les choses d’un point de vue financier : je n’ai jamais trouvé ça juste que nous ne recevions pas les mêmes primes. Ça commence à changer et ça fait plaisir. Le sport au féminin commence enfin à réellement exister.
Tu dis pourtant que dans le triathlon, l’ambiance est davantage à l’équité…
Le triathlon est une communauté, l’ambiance est bonne. Pour la simple raison qu’on sait tous qu’on fait quelque chose de difficile. Donc, on s’encourage, il y a beaucoup de respect. Quand j’ai commencé, il y avait moins de femmes, le pire étant dans les années 90. Aujourd’hui, de plus en plus de filles se lancent avec talent dans ce sport, avec un beau potentiel. Tout cela se démocratise.
Tu as connu plusieurs années difficiles suite à une blessure. Comment t’es-tu relevée ?
Mon problème est de toujours vouloir progresser, faire mieux, monter de niveau de difficulté. En 2014, à cause d’un surentrainement, je me suis blessée. Une fracture de fatigue au tibia…ça a été compliqué. On ressent de la frustration, de la culpabilité : on ne s’est pas écouté, on n’a pas su s’arrêter. J’avais tellement envie de bien faire que j’ai mal fait.
Se sentir indestructible, cela te pousse à avancer, coûte que coûte. Et puis, quand ça casse, on se rend compte qu’on ne l’est pas. Cela m’a beaucoup appris et j’ai décidé de davantage m’écouter, d’en faire moins, mais plus intelligemment. Outre mon entraîneur, j’ai un préparateur mental qui m’aide à mieux gérer les victoires, les défaites, les blessures… On peut faire de grandes choses avec notre force mentale !
Il t’a presque fallu deux ans pour, de nouveau, engranger de bons résultats, notamment sur l’Ironman. Ce qui t’a permis, en 2016, de te qualifier aux championnats du monde à Hawaï, un bon souvenir ?
Le sommet ! Hawaï, c’est le Graal du longue distance. Puis, un mois avant d’y aller, j’apprends que je suis enceinte, un gros chamboulement dans ma vie ! J’y suis allée quand-même, enceinte de presque quatre mois. Mais je n’étais pas très en forme, mentalement, je n’avais pas du tout envie de me donner : l’appréhension de perdre mon bébé ne me quittait pas.
J’ai arrêté alors qu’il me restait 17 km de course, je souffrais trop, ça ne valait pas le coup de risquer mon bébé, j’étais en mode protection.
Deux mois après la naissance de ta fille, en mars 2018, tu reprends la compétition, notamment sur un Half-Ironman, tu décroches la 3e place. Et de nouveau, la blessure…
Oui, l’an dernier, une douleur fantôme… Les médecins n’ont rien trouvé. J’avais changé d’entraîneur en 2017, je me suis rendu compte que mon ancien coach me manquait : j’avais besoin d’être de nouveau en confiance. Dans ma tête, j’ai relâché la pression, je n’ai plus eu mal : on ne change pas une équipe qui gagne.
J’ai donc repris progressivement la compétition avec mon précédent entraîneur, Yves Cordier. Hélas, avec la crise sanitaire, tout s’est arrêté. Lorsqu’on a su, l’été dernier, que le Championnat de France allait se tenir le 27 septembre, je me suis dit : « Allez, j’y vais ! ».
Et te voilà championne de France ! Un titre inespéré après toutes ces épreuves ?
Et huit ans après mon premier titre ! Je crois avoir mûri. Avec l’âge, j’ai acquis une certaine expérience, de la sagesse. J’avais une tendance à tout faire sur un coup de tête, je suis plus posée, je me gère mieux. C’est la seule façon de continuer à gagner. Car j’aime vraiment beaucoup ça. À chaque fois, j’ai des petits papillons dans le ventre. C’est une passion, ces trois sports !
J’ai un plaisir incroyable à m’entraîner et toujours cet esprit de compétition qui ne me quitte jamais. Dans compétition, j’entends : avoir du respect pour son adversaire, mais désirer être plus fort que lui. Le respecter et vouloir le battre, c’est un paradoxe, mais c’est magnifique.
Jeanne Collonge au micro du podcast “Ultra Talk” d’Armand Manzanini, en juin 2020.
- Le Championnat de France 2020 de Triathlon longue distance, organisé par l’US Cagnes Triathlon et Trigames, s’est disputé le dimanche 27 septembre à Cagnes sur mer.