Avant de devenir cette force de la nature, est-ce que tu étais sportive enfant ?
J’ai toujours baigné dans le sport : j’ai fait du ski en club, de la natation et du judo pendant très longtemps. Et puis de l’aviron, bien sûr ! C’était le sport de prédilection dans ma famille, je ne pouvais pas y échapper. Ma mère était en équipe de France d’aviron et mon grand-père était coach au club d’aviron d’Evian. J’ai donc commencé là-bas avec lui, vers l’âge de 8 ans, comme ma mère à son époque. Je suis toujours allée vers des sports très physiques. J’étais une petite fille très téméraire.
Qu’est-ce que tu as aimé dans l’aviron ?
C’est vraiment un coup de cœur pour moi : on s’entraînait l’été sur le lac Léman, il faisait beau, j’étais avec mes copines. En plus, c’est un sport que tu peux faire seule ou par équipe. Moi, j’adore cette émulation apportée par l’esprit de groupe. D’ailleurs, mon embarcation préférée, c’est du deux sans ou quatre sans barreur. En plus, quand t’es gosse, il faut avoir la motivation pour aller t’entraîner deux fois par semaine ! Et puis après, à force d’entraînements, tu sens que tu progresses, tu fais des compétitions et tout se fait hyper naturellement.
Tu es repérée assez jeune pour faire des stages en équipe de France ?
Oui, j’avais 14-15 ans. En première année de minimes, je fais une cinquième place aux championnats de France et en dernière année, je me classe deuxième aux mêmes championnats. En première année cadettes, je deviens championne de France avec mes trois autres coéquipières du club d’Evian. Je performe de mieux en mieux et donc je suis de plus en plus sélectionnée pour les compétitions. Ensuite, j’entre officiellement en équipe de France junior en 2019 pour le championnat du monde de Tokyo, où je suis remplaçante. Je suis partie trois semaines en stage pour la préparation de ce championnat. C’était une expérience de fou parce qu’en plus c’est juste avant les Jeux Olympiques ! Tu pars avec tes potes faire ce que tu aimes dans un endroit où il fait chaud. Et puis, je n’avais pas du tout l’impression d’être à l’écart des filles titulaires. Je voyais que j’apportais quelque chose au groupe, même en étant remplaçante. À ce moment-là, je me dis que j’ai un avenir dans l’aviron. Je rêve d’être titulaire l’année d’après.
Tu fais d’ailleurs de beaux podiums…
La même année, on fait un titre de championne de France en huit avec mon club. On était sur une lancée phénoménale à cette époque ! Et, un an après, je deviens vice-championne d’Europe avec ma coéquipière. J’étais en double préparation, c’était pas simple de switcher de l’un à l’autre : pour mon club en prévision des championnats de France et pour l’équipe de France pour mon duo avec Fleur. On a quand même réussi à faire une deuxième place aux championnats d’Europe et, une semaine après, à ramener le titre de championnes de France avec le club !
©Fédération Française d’Aviron/Damien Lataste
Quels sont tes atouts dans l’aviron ?
C’est vraiment le temps passé à m’entraîner qui penche dans la balance ainsi que ma force et mon explosivité. Mon désavantage, c’est d’être plus petite que la moyenne dans ce sport. Mais je compense avec tout ça.
Et côté mental, est-ce que tu as besoin de te renforcer, de te booster ?
Ce n’est que lors de mes dernières années, quand j’ai signé au Pôle France à Nantes, que j’ai eu accès à un coach mental. Avant, j’avais une psy. Mais il faut dire que le coach mental, ça a vraiment été un game changer. J’en ai eu besoin au moment où je sentais que ma carrière arrivait au bout. La psy m’avait déjà permis de voir que j’avais des portes de sortie devant moi. J’avais fait ce sport toute ma vie, c’était un sport de famille donc je me mettais la pression. Je pensais que je ne pouvais pas faire autre chose.
Tu finis par arrêter l’aviron. Comment as-tu fait pour passer outre tes angoisses ?
Déjà, je n’avais pas fait tous les résultats que je voulais. Et même si j’avais clairement les JO en tête, à la fin, mentalement, je ne tenais plus. Quand j’allais m’entraîner, j’avais la boule au ventre. Je devais me lever le matin pour aller ramer deux heures sous la flotte. Et franchement, je n’avais plus envie de faire l’effort. C’était pas du jour au lendemain mais progressivement que tout est devenu un fardeau. Je suis tombée malade aussi donc j’ai mis du temps à m’en remettre. Je savais que ma saison était morte…
J’ai dû faire une croix sur mes performances cette année-là même si j’ai quasiment réussi à atteindre mon niveau d’avant quand j’ai repris. Au cours des compet’, j’ai vite vu que je n’avais plus le niveau et, puis, il y a eu une conjonction d’événements démotivants. Ma coéquipière s’est fait une fracture de fatigue, alors on m’a proposé de faire du skiff. Mais je n’avais jamais eu envie de faire ça.
©Fédération Française d’Aviron/Damien Lataste
C’est quoi le déclic qui te permet de passer à autre chose ?
Je m’en rappelle très bien. C’était en pleine séance de rameur dans ma salle de sport en Haute-Savoie. Je pète un câble et je me mets à pleurer. Mon corps parlait. J’en pouvais plus, j’avais une overdose de sport. C’est ce jour-là que je me suis dit « Ça y est, j’arrête ». J’avais trop poussé, j’étais dégoutée du sport que j’aimais le plus au monde… J’ai envoyé ma lettre de démission au Pôle, ils m’ont demandé si j’étais sûre de moi, j’ai répondu que je n’avais jamais été aussi sûre de ma vie. Mais je n’étais quand même pas prête à la claque que j’allais me prendre juste après.
Eh bien, j’arrête et puis je me retrouve un matin dans mon lit à me dire « Je fais quoi maintenant ? ». Côté études, j’ai obtenu mon DUT et j’entre en école de commerce, à Grenoble École de Management, en programme sportif de haut niveau, donc, en cours à distance. Je m’étais inscrite en tant que rameuse de haut niveau mais je savais déjà à ce moment-là que j’allais faire une reconversion sportive. Quand j’ai eu mon projet pour la Force Athlétique, ça a roulé très vite. En un an, je leur annonçais que j’étais championne de France !
Comment tu as rencontré la Force Athlétique ou Powerlifting, ce sport un peu fou ?
Ça me fait rire parce que ce sport a été sous mes yeux tout ce temps- là. En fait, quand on fait de l’aviron, on a nos programmes d’entraînement sur l’eau et nos programmes en salle. Ça va être très intense en salle avec de la musculation endurante, principalement. On fait des circuits de 15 mouvements avec 30 à 70 répétitions. Mais l’hiver, on a des programmes de muscu en force où on touche un peu à l’haltérophilie et des mouvements basiques, genre le squat, le développé couché et le soulevé de terre, les trois mouvements qui sont le cœur même de la Force Athlétique…
Or, quand on enregistrait mes résultats, j’avais tous les records de France dans ces disciplines ! Je faisais aussi beaucoup d’haltéro en salle, j’étais forte et ça me plaisait. Donc, en gros, je voulais un sport où il y avait des poids à lever. Je me suis dit : c’est soit l’haltéro, soit la Force Athlétique. J’ai choisi cette dernière parce que j’ai gagné la compet’ au niveau régional… Le truc improbable !
©Emilie Mouchet/Instagram
Tu avais donc bien l’objectif de refaire du haut niveau avec un nouveau sport ?
J‘avais bien l’objectif de faire du haut niveau, mais j’ai laissé faire le temps dans le sens où ma priorité c’était de reprendre du plaisir dans une activité sportive. Parce que mentalement, j’étais fracassée, je n’avais plus confiance en moi, l’aviron était devenu un traumatisme. J’ai fait un gros burn-out. Ça a duré quelques mois, d’avril à août 2023, environ.
Comment se déroule cette compétition qualificative alors ?
J’ai fait bien plus que ça dans ma carrière de rameuse et pourtant j’avais un stress de fou, c’était la panique à bord. Mais j’ai tout réussi et j’ai pu prendre mes marques sur le fonctionnement de ce genre de compétition. Bref, ça a été une trop bonne expérience et j’ai trouvé ça kiffant ! Résultat : je me suis dit : « Ok, j’ai envie de faire ça ! »
Qu’est-ce qui te plaît dans la Force Athlétique ?
C’est vraiment de me rendre compte que mes limites sont bien plus loin que ce que j’imaginais. Comme ce sport, c’est toi et ta barre, tu t’en fous des autres, ton seul focus, c’est de pousser. Ça, ça m’a complètement aidée à reprendre confiance en moi : le fait de savoir que j’étais capable de faire tout ça toute seule. En aviron, j’étais souvent en équipe et je n’aimais pas être seule ! C’était le monde à l’envers.
Outre la force de pousser et la technique pour porter plus lourd, est-ce que le mental pèse dans la balance ?
Ah oui, c’est clair, quand tu vois que tu progresses au fur et à mesure, que tes barres se lèvent de mieux en mieux, ça aide à fond ! Et puis, l’ambiance dans ce sport aussi, ça fait tout : c’est la première fois que je suis amie avec des « concurrentes ». Ça ne m’était jamais arrivée en aviron. Ma concurrente internationale, une Norvégienne, est même devenue ma pote. C’est lunaire.
D’ailleurs, c’est comment l’intégration dans ce milieu quand on est une femme ?
J’ai été hyper bien accueillie dès le départ. À mon club, l’USCOV de Villepinte, il n’y a quasiment que des mecs et ils sont trop contents quand il y a des filles parce que ça crée une émulation pour celles qui sont déjà là. En Force, on cherche ça, on veut qu’il y ait de plus en plus de femmes badass !
Est-ce que tu as des rôles-modèles sportifs au féminin ?
Oui, il y en a plein. Par exemple, je suis totalement fan de l’Équipe de France féminine de judo : Clarisse Agbégnénou, Romane Dicko… mais aussi en gym à l’international avec l’incroyable Simone Biles ! Ou encore Violette Dorange, sur le Vendée Globe, qui, à 23 ans, fait le tour du monde toute seule… je trouve ça dingue ! Elles démontrent au monde entier que, nous, les femmes on est fortes, badass, puissantes… Moi, je dis toujours qu’on est des « femelles alpha » ! Nous aussi, les femmes, on peut faire de grandes choses.
De ton côté, tu es en quelque sorte une pionnière féminine dans ce sport. Est-ce que tu aimerais être l’ambassadrice de la Force Athlétique au féminin ?
Oui, mon projet serait de représenter les femmes en France dans ma catégorie junior, les -84kg. On n’est pas beaucoup de femmes dans cette catégorie même si ça commence à se développer. J’ai choisi cette catégorie de poids parce que les -76 étaient blindés et moi j’étais à 78 kg quand j’ai arrêté l’aviron. J’ai attendu de voir comment mon poids de corps évoluait. Comme en prenant du poids et du muscle, je me sentais bien, je me suis dit « bingo », je pars sur les -84kg. La place était libre pour que je fasse quelque chose !
Tu soulèves jusqu’à combien ?
En compétition, j’ai soulevé au maximum un total à 517,5 kg : 192,5 au squat, 120 au développé-couché, 205 au soulevé de terre. J’ai déjà validé 195 kg en squat aussi. Hors compétition, à l’entraînement, mes meilleures barres montent à 530 kg : 200 kg au squat, 125 au développé-couché et 205 au soulevé de terre.
Qu’est-ce qui te fait soulever ces barres… Tu ne flanches jamais ?
Rien, il faut y aller, il n’y a pas le choix ! Non, en fait, moi je le prends comme un défi lancé à moi-même. Je me dis « Ben, vas-y, on va voir si tu es capable ». Ça me stimule énormément de savoir où sont mes limites. Et quand bien même je n’arrive pas à soulever ma barre, je vais toujours chercher à savoir pourquoi. Et, cette manche, je vais l’avoir à la session d’après, je peux te le dire !
Qu’est-ce que t’apporte ce sport ?
Il me crée des sensations incroyables. Je ne sais même plus comment me contrôler tellement je suis stimulée, challengée. J’ai eu de l’électricité dans tout le corps pour la dernière manche du championnat du monde cette année. Je n’ai jamais ressenti ça en aviron. C’est littéralement un coup de foudre. Ce sport me fait vibrer, littéralement et symboliquement !
Qu’est-ce que tu dirais aux filles qui pensent que ce sport n’est pas fait pour des femmes ou, tout simplement, pour elles ?
Qu’elles peuvent y aller quelle que soit la catégorie de poids, que c’est un sport qui leur apportera la confiance en elles, et qu’elles verront que leurs capacités sont bien plus importantes que ce qu’elles imaginent. Au final, que tout est possible ! Si elles croient en leur projet, elles seront inarrêtables.
Quels sont tes objectifs cette année ?
Je veux tout gagner ! Les Championnats du Monde de Force Athlétique 2025, le Championnat de France de Force Athlétique Junior 2025, les Championnats d’Europe Junior 2025… et tous les records de France sur tous les mouvements dans ma catégorie Junior et Open. J’ai aussi envie de mettre mon club, l’USCOV de Villepinte, sur le plus haut niveau français et mondial parce qu’on a perdu notre coach cette année. Ce serait une manière de le faire vivre à travers nous et nos résultats, avec l’héritage de sa « Dreathoor Academy ».
C’est un peu prématuré parce que je viens de commencer, mais mon rêve serait de faire Sheffield, la plus grande compétition de powerlifting au monde, et les World Games, un équivalent des JO parce que le sport n’est pas olympique.
©Emilie Mouchet/Instagram
- Émilie envoie du lourd sur son Instagram. On suit ses exploits sur son compte.
- Le palmarès d’Émilie Mouchet – En aviron : Vice championne d’Europe (2020) à 17 ans / 5e Championnat du Monde (2021) / Remplaçante Championnat du Monde (2019) / 6x Championne de France / 1re place (2020) & 2e place (2021) aux tests nationaux / 3e Championnat de France Indoor. En Force Athlétique : Championne de France (2024) / Record de France Bench (2024) / Record de France Deadlift (2024) / Record de France Total (2024) / 3e Championnat du Monde Junior (2024) / 5e Euro Muscle Show (2024) / 2e française à l’indice
Ouverture ©Emilie Mouchet/Faebook