« J’ai toujours été sportive. J’ai fait du ski l’hiver, de la natation l’été. Et à côté de ça, on pratiquait un peu tout type de sports en famille : vélo, rando, VTT, vélo de route. Mon frère a d’ailleurs fait du VTT en compétition pendant plusieurs années. Mais moi, mon truc, c’était surtout l’équitation. Il y avait un centre équestre à côté de chez moi. J’aimais ça parce que j’habitais la campagne et que je restais dans cet environnement naturel avec un animal et parce qu’il y avait aussi toute cette dynamique de groupe, je retrouvais mes amis chaque semaine.
Le vélo, à fond, c’est venu beaucoup plus tard. En fait, tout a démarré parce que vers l’âge de 23 ans, j’ai eu envie d’avoir un objectif sportif, de prendre le départ d’une course qui soit un gros challenge. Je me suis dit que le sport le plus « simple », c’était la course à pied car il me fallait juste une paire de baskets. Du coup, j’ai pris mon premier dossard pour faire un marathon. Ce qui me drivait, c’était de savoir si j’allais réussir à finir la course. Depuis toute petite, c’est vrai que j’ai ce tempérament-là. Je fonce et je termine, coûte que coûte. Et cet état d’esprit m’a menée au vélo…
Mon lien avec le sport a vraiment évolué : pendant toute mon adolescence, je pense que faire du sport était associé avec le fait de rester en forme, d’avoir un joli corps. Ce n’est que plus tard que c’est devenu mon défouloir, le moyen de me sentir bien et de me prouver que mon corps est capable de faire des choses un peu extraordinaires. Les choses ont changé à mes 23 ans parce que je venais de finir mes études et qu’en tant qu’étudiante, je n’avais pas forcément de bonnes habitudes de santé, alimentaires, vie quotidienne, etc. Avoir un objectif sportif me motivait à prendre un petit peu plus soin de moi.
La sportive qui m’a inspirée pendant cette période, c’est Marine Leleu. Elle a accompli un tas de défis sportifs dingues comme traverser la Manche à la nage. Et je trouve ça cool aussi parce qu’elle partage toute son organisation pour en venir à faire de tels exploits. Parce que des challenges comme ça, ça se vit et se construit au quotidien, petit à petit.
Ma passion pour le vélo, c’est parti, tout simplement, d’un voyage à vélo en Alsace organisé avec une copine. En plus, on est partis avec des vélos pourris, des vélos de ville super lourds ! Assez rapidement, on s’est rendu compte qu’on n’hésitait pas, toutes les deux, à ajouter un peu de distance puis encore en peu… On était dans la même dynamique. Du coup, l’année d’après, on en a fait un deuxième avec des vélos plus adaptés. C’était une traversée des Pyrénées. Les gens qu’on croisait étaient à fond derrière nous : ils nous applaudissaient quand on arrivait en haut des cols. J’ai vite trouvé ça génial de pouvoir aller aussi loin, aussi vite, et d’être aussi libre. C’est presque des distances qu’on fait en voiture !
En juin 2024, j’ai fait mes premiers 500 kilomètres. C’était ma première course de vélo. Je m’étais mis un objectif perso de la boucler en moins de trente heures. J’ai réussi à appuyer sur les derniers kilomètres grâce à un coup de fil de mon père qui m’a dit que je pouvais faire un podium. Je suis arrivée troisième et à seulement quelques minutes d’écart de la deuxième. Donc, c’était assez fou. Je n’aurais jamais pensé en arriver là si vite : j’ai vraiment commencé le vélo il y a tout juste trois ans !
Pour la préparation du BikingMan, j’ai eu la chance de discuter avec un cycliste qui en a fait plusieurs. Il m’a donné un peu tous les tips. Il m’avait dit, pour l’entraînement, de ne jamais faire des sorties trop longues, mais d’enchaîner des sorties de maximum 200 kilomètres. Parce que, sinon, tu mets beaucoup plus de temps à récupérer. Moi, je suis allée faire du vélo aux Canaries sous le soleil, en février et mars, parce que là d’où je viens, en Savoie, il fait froid et il pleut très souvent, il y avait même de la neige à cette époque donc ça pouvait être dangereux.
Le BikingMan, pour moi, ça fait partie des courses profondément chargées en émotions qui nous emmènent aussi bien dans des grands moments d’euphorie que dans de la fatigue mentale et physique extrême. On va être super joyeux voire euphorique quand on sent qu’on a de la force, qu’on est bien et, tout autant au fond du trou quand on est épuisé et plus du tout motivé. Je voulais absolument faire cette course car le chiffre me faisait peur et rêver à la fois : 1 000 kilomètres. Et aussi pour l’aspect découverte d’un lieu dans son ensemble : la Corse, en l’occurrence, que je ne connaissais pas du tout. J’y étais allée petite mais je n’en ai plus aucun souvenir.
Je l’ai bouclée en 72 heures 38 minutes, ça fait à peine plus de 3 jours. J’avais fait un plan de départ précis de la course avant de partir et je m’étais mis comme objectif de faire 80 heures maximum. Et, à partir de ça, je notais où je devais être et à quel moment. C’est comme ça qu’on peut s’organiser au mieux, connaître la quantité de nourriture qu’il faut embarquer dans son paquetage, tout comme le nombre de pastilles d’hydratation et combien de stops sont à prévoir sur le parcours. Je pense que ce qui a fait pencher la balance en ma faveur, ce sont les heures de sommeil. Comme je savais à peu près combien de temps je pouvais dormir à chaque checkpoint, ça m’a permis d’être sereine. Et d’ailleurs sur 72 heures, j’ai dormi moins de 6 heures, réparties sur 5 dodos… J’ai donc fait mieux que mon plan.
C’est dans les 3-4 dernières heures de course qu’on sent qu’on va y arriver. Et franchement, j’étais vraiment pleine d’émotions. J’avais les larmes aux yeux. Je voyais les messages de mes proches sur le groupe WhatsApp qui me disaient : « Allez, c’est tes derniers coups de pédale. Profite jusqu’au bout ! » Quand je suis arrivée, je savais déjà depuis un petit moment que j’étais la première féminine à boucler le BikingMan. Aux trois quarts de la course, on pouvait déjà voir l’écart qu’il y avait entre la deuxième et moi, et il se creusait de plus en plus. Après, on ne sait jamais ! J’aurais pu avoir un gros problème, enchaîner les crevaisons ou autre. Donc, on attend quand même d’être arrivé pour pouvoir se dire que c’est bon. Mais, sur les derniers kilomètres, je savais que c’était moi. Et c’est incroyable de vivre ça, surtout dans un cadre aussi fou.
Je n’ai pas de team avec moi, c’est plus un groupe d’entraînements entre copains. Du coup, on était quatre à prendre le départ, mais quatre à la faire en solo. On a fait quelques entraînements ensemble parce qu’on habite tous à Chambéry, un beau terrain de jeu. C’est sympa d’avoir le même défi en tête parce qu’il faut des gens motivés : on part sur des sorties de 6-7 heures de vélo quand même… Et puis, il faut savoir que, sur ces courses, on est sans assistance, donc on n’a pas le droit à une voiture qui pourrait nous dépanner en eau ou nourriture.
Les moments les plus durs de la course ? Ça a clairement été un peu tout le temps ! À cause de la chaleur écrasante qu’il faisait là-bas et puis parce que j’ai eu mes règles en plein milieu… Je savais que ça arriverait, mais le résultat c’est que j’ai dû m’arrêter pour laver mon cuissard taché, prévoir davantage de pauses toilettes, etc… ça m’a pris du temps toute cette histoire ! Après, j’ai une vraie résistance à la douleur donc, de ce côté-là, ce n’était pas handicapant, c’était plus le fait que j’étais à fleur de peau.
J’ai aussi croisé tout un éventail de la faune corse… Beaucoup de cochons, mais aussi des ânes, des brebis, des serpents, des vaches. Moi, je ralentissais beaucoup parce qu’ils peuvent avoir des comportements inattendus, mais je passais à côté sans avoir à m’arrêter. Pendant la course, j’ai souvent pédalé en musique, à fond dans les oreilles. Ça permet de truquer le cerveau, de l’ambiancer. Parce que je pouvais pédaler jusqu’à 4-5 heures non-stop. Quand je suis sur mon vélo, il y a un million de trucs qui me passent par la tête : de la liste des choses que je voudrais absolument accomplir dans ma vie à des questions du type : « Où est-ce que je vais pouvoir manger et dormir ? » et « Est-ce que j’aurais assez à boire ? ». Manger, dormir, boire, ce sont nos trois préoccupations principales ! Et puis, c’est beau : un des moments forts de ma course, c’était ce lever de soleil sur les montagnes corses, à la fin d’un col… Sublime. Ça fait un peu office de thérapie le vélo, finalement.
Avec le BikingMan, j’ai pu aussi me prouver que j’avais réussi à bien m’entraîner et que j’avais fait les choses qu’il fallait pour réussir. Et sur le plan mental, je trouve que ça apporte beaucoup de confiance en soi et de satisfaction. La première place des féminines, pour moi, c’est la cerise sur le gâteau. Parce que c’est déjà extraordinaire de finir ce genre de courses, il y a beaucoup d’abandons. Bref, tu te dis : « Je peux vraiment faire des trucs de malade ! ». En moyenne, je roulais à 19 km/h – sur mes sorties, je suis plus autour de 23 km/h. J’ai plus tendance à être un niveau en dessous, ce qui est très utile dans l’ultra parce que le but c’est d’aller loin sans se mettre dans le rouge.
À la base, j’aime bien me mettre dans des situations où le mental va en prendre un coup et où il faut se redonner de l’énergie pour vaincre l’épreuve. Je pense que ce qui m’a beaucoup aidée à ce niveau-là dans la course, c’est que j’étais partie plusieurs fois seule en bikepacking faire des sorties que je n’avais jamais faites et assez difficiles. Plusieurs fois, j’ai eu des conditions pourries – vent, pluie, froid – et le seul truc que je me disais c’est : « Tu continues jusqu’en haut. Et si, une fois arrivée en haut, ça ne te plaît pas, eh bien, tu fais demi- tour. » Je me fais des petits arrangements avec moi-même, en fait, et je prends des décisions après chaque petite étape. Ça me permet de ne pas abandonner trop vite parce que je sais que nos émotions fluctuent beaucoup et que peut-être qu’en me motivant, même si j’ai la sensation de ne plus avoir de jambes, je vais repartir. Par exemple, au bout d’une heure et demie à pédaler, je vois bien que je peux continuer. La petite phrase qui me sert bien, c’est : « Rappelle-toi que ton corps est beaucoup plus fort que ton esprit ». Quand ça commence à flancher là-haut, en fait, t’en as encore sous la pédale.
Pour moi, l’ultra-cyclisme, c’est à partir du moment où tu passes une nuit dehors. C’est comme ça que je le vois. Parce que tu as des courses qui peuvent être considérées comme ultra parce qu’elles font des départs de nuit même si elles ne sont pas très longues (300 km). Moi, j’aime l’ultracyclisme (je peux monter jusqu’à 28 km/h) et le cyclisme sur route (presque 35 km de vitesse en moyenne). Ce n’est pas la même approche du sport ni les mêmes vélos. L’ultra, c’est plus un sport solitaire, un sport d’aventurier.
Si je devais donner un conseil aux filles qui n’osent pas se lancer dans le sport ou dans le vélo pour tout un tas de raisons, je leur dirais ce que je me dis à moi-même : quand quelque chose me fait à la fois un peu envie et un peu peur, il n’y a pas de souci car j’ai le droit d’avoir peur. Le but n’est pas de dire : « Je l’ai fait et je n’ai pas eu peur » mais « J’ai eu peur et je l’ai fait quand même. ». À mes débuts, je faisais juste des allers-retours sur la piste cyclable à côté de chez moi parce que j’avais peur de crever… Et puis, un jour, je suis partie plus loin, en me disant que s’il m’arrivait quelque chose, je demanderais de l’aide à quelqu’un. Petite à petit, en engrangeant de l’expérience, tu prends confiance.
Et puis, moi, ce qui m’aide aussi à foncer, c’est de voir d’autres filles tenter des trucs qui, au départ, me paraissaient impossibles et m’ouvrent la voie. C’est quand j’ai vu une copine faire un 500 km que je me suis dit que c’était possible aussi pour moi. Ça porte de voir qu’une femme de ton entourage est allée loin. J’ai moi-même inspiré une connaissance qui s’est inscrite pour sa première course de 300 km avec son chéri. Avoir des femmes qui font de tels exploits aujourd’hui, ça t’ouvre encore un peu plus les portes. D’autant que l’image de ces sports de l’extrême reste très masculine. Moi, j’ai la chance d’être dans un groupe plutôt bienveillant. Souvent, quand on programme des sorties, je suis la seule fille pour dix mecs. Je leur dis : « Les gars, on a dit tranquille le rythme ». Mais je sais qu’ils ne vont pas du tout rester tranquilles et on en rigole. Franchement, ils font vraiment attention à moi. Après, je n’ai jamais été dans un club donc je ne sais pas dire si c’est plus difficile pour les filles. J’ai des copines qui ont testé et qui m’ont dit que c’est pas toujours cool pour elles…
Dans ce genre de courses d’ultracycling qu’est le BikingMan, il y a moins d’hommes que de femmes mais, généralement, les hommes sont un peu impressionnés par celles qui prennent le départ. Je pense que l’un des freins des femmes vient souvent d’une auto-censure : elles se disent qu’elles n’ont rien à faire là. Le fait de passer les nuits seules par exemple peut être angoissant. On est des femmes, on sait bien qu’on ne peut pas se dire « Je dors sur le bord de la route, il n’y aura aucun problème ». Moi, j’ai souvent dormi dehors, mais je me trouvais des petits coins tranquilles comme la terrasse abritée d’une auberge. Après, je trouve que le fait d’être sur un vélo, ça fait moins peur que d’être à pied : on peut filer vite fait si jamais.
Mes objectifs pour finir l’année 2025 en beauté, c’est de partir en bikepacking sur deux ou trois week-ends. Côté compétition, la BikingMan Maroc me fait rêver. Ça ajouterait une nouvelle corde à mon arc, un challenge supplémentaire, car c’est à l’étranger et que c’est en gravel, un mélange de VTT et de vélo de route sur des chemins assez techniques. Il me faut donc un nouveau vélo, alors une petite phrase tourne dans ma tête depuis un petit moment : « Je rêve de me faire payer pour faire du sport ». Le vélo, ça coute très cher. Donc, si je pouvais avoir des sponsors grâce à mes performances, ce serait génial. Le message est passé ! »
- Le Palmarès de Diane Servettaz : 1re féminine Bikingman Corsica 1000km 2025 ; 3e féminine RAF 500km 2024
- On fonce suivre les conseils de la pro du vélo sur son Instagram @diane_ontheroad rempli de bons conseils