Claire Barbier-Essertel « Le skate se démocratise, aujourd’hui il y a des gamines qui déchirent tout ! »
Elle est une des pionnières, une de celles qui a permis au skate féminin d’éclore en France. Depuis ses débuts, à la fin des années 90, Claire Barbier-Essertel n’a eu de cesse de vouloir fédérer, rassembler et pousser la scène féminine. Rencontre avec une fille engagée.
Par Sophie Danger
Publié le 24 novembre 2022 à 9h50, mis à jour le 22 octobre 2024 à 15h39
Avant le skate, pour toi, il y a eu le football. Tu as commencé ton parcours sportif en t’inscrivant dans un club. Qu’est-ce qui t’a poussée à te lancer ?
Je crois que j’ai fait un peu de natation avant mais, quoi qu’il en soit, j’ai commencé le football vers 11-12 ans.
J’habite à Saint-Etienne, j’y ai grandi et, là-bas, il y a le club de l’ASS. Mon père était fan de football, il m’y a emmenée dès que j’ai su marcher. Lui, il a fait partie des Magic Fans, il a été de ceux qui ont monté ce groupe de supporters et moi, je suis rentrée dans ce truc.
J’allais au stade tous les week-ends, j’ai grandi dans un stade. J’ai connu le côté énervé du football des tribunes et je m’y sentais bien.
Le football est un sport que j’aimais beaucoup et j’aimais également aller là où on ne nous attend pas en tant que fille, aller là où, moi aussi, on ne m’attend pas.
À l’époque, j’étais très timide, je n’avais aucune personnalité, j’étais transparente et j’ai aimé me lancer dans ce sport qui est certes un sport de masse mais qui l’était beaucoup moins en ce qui concerne la pratique féminine.
C’était un club mixte ou y avait-il une section féminine ?
On était une équipe de filles mais on était la seule, ce qui fait que l’on jouait contre des garçons. Ça ne me dérangeait pas, je me fichais un peu du regard que l’on portait sur nous.
Les garçons pouvaient bien nous dire : « On ne joue pas contre elles, elles sont nulles », ils le disaient jusqu’à ce qu’on leur mette dix buts et après c’était terminé.
Ton passage au skate va venir un peu plus tard, à la fin de l’adolescence. Tu as 17 ans et tu croises des garçons qui pratiquent dans ta ville, ça te donne envie de faire comme eux. Qu’est-ce qui t’a séduite dans cette discipline ?
J’ai vu ces garçons faire des figures or, je n’avais jamais vu personne faire de figures en skate. Pour moi, skater c’était juste pour descendre dans la rue et, du jour où j’ai vu qu’on pouvait faire des figures, j’ai eu envie d’essayer.
Je suis allée acheter une planche. Une amie m’a accompagnée mais elle, elle n’a pas spécialement accroché. Ce qui fait que je me suis assez vite retrouvée seule sur le spot. Les garçons étaient assez surpris de me voir là.
Lorsque j’ai vu que je n’étais pas très bien accueillie, j’ai décidé d’y aller plutôt le samedi matin quand il n’y avait personne, tout en espérant ne pas croiser du monde et, petit à petit, j’ai fini par rencontrer des gens bienveillants qui m’ont invitée à venir avec eux.
C’est comme ça que ça a commencé à devenir un peu plus sérieux.
Dans le documentaire « Bande de skateuses », Marion Desquenne, la réalisatrice, revient sur ces débuts. Vous n’étiez alors qu’une poignée de pratiquantes en France.
On était en effet très peu. On était peut-être une par grande ville et encore ! C’était compliqué de trouver d’autres filles et c’est pour ça que moi, j’ai commencé à bouger, à prendre le train et à faire des compétitions.
L’idée de base c’était d’aller voir si je trouvais d’autres filles ailleurs.
La compétition n’était finalement qu’un prétexte pour avoir accès aux autres filles ?
Oui, c’était pour trouver d’autres filles, mais également montrer que les filles étaient capables de faire du skate. Si, dans le public, il y avait une fille qui se disait qu’elle aimerait bien en faire mais qu’elle n’osait pas, elle pourrait, en nous voyant, se dire : “Elles, elles en font bien, pourquoi pas moi ?”.
Ta pratique et ton militantisme ont tout de suite été intimement liés ?
Oui, je ne trouvais pas normal qu’il n’y ait pas de filles, j’en voyais au skatepark mais c’était souvent les copines des skateurs, ou des filles qui avaient des planches mais qui étaient plus là pour les garçons, il n’y avait pas de passion.
Moi, je me disais que, si en montrant que nous aussi nous pouvions en faire, d’autres pouvaient se dire la même chose, ce sera déjà ça de gagné.
Qu’est-ce qui peut expliquer, selon toi, que les filles étaient si peu présentes dans ce milieu ?
Je ne sais pas trop, j’ai quelques petites idées mais sans être vraiment certaine que ce sont les raisons qui expliquent la situation.
Je dirais, en premier lieu, que le skate est un sport qui fait mal et tout le monde n’est pas prêt à ça.
C’est aussi une discipline qui demande beaucoup d’abnégation car il faut répéter cent-cinquante fois la même chose pour finalement y arriver une fois sur cent-cinquante. Il faut en vouloir, il faut être endurant.
C’est également un sport qui, à l’époque, se pratiquait dans la rue car il n’y avait pas encore de skateparks. Il ne fallait pas trop avoir peur de la rue et des gens qui y traînaient or, la rue est un endroit dans lequel les femmes n’ont pas trop leur place.
Enfin, il y a aussi le fait que, bien souvent, si on ne connaît personne qui pratique, on n’ose pas y aller, de peur de se faire rejeter.
Est-ce que cet état de fait est propre aux sports extrêmes ou le skate tient une place à part ?
Je pense que, pour ce qui est du skate, il y a vraiment cette particularité d’être une discipline pratiquée dans la rue et donc difficile d’accès. En ce qui concerne les parents par exemple, il faut au moins que les enfants soient adolescents pour les y laisser.
C’est aussi ça qui explique, aujourd’hui, ce boom de gamines qui ont entre 7 et 13 ans et qui déchirent tout : les clubs se sont démocratisés, il y en a dans toutes les villes, et ce sont des endroits sécuritaires, ça fait une grande différence.
Outre la compétition, tu as également essayé de rassembler les filles via un forum internet. Comment est venue cette idée ?
À force de faire des compétitions et de croiser des filles à droite et à gauche, tu créés des affinités et, pour rigoler, on a décidé de se filmer, de prendre des photos.
Nous avons monté un site internet que nous avons appelé ‘poseuses crew’, poseuses comme un pied à ceux qui pensaient qu’on n’était que ça, qu’on ne venait que pour les mecs.
Quand on partait en compétition, en général le contest avait lieu le dimanche parce que nous n’étions pas assez nombreuses. Ça nous laissait le samedi pour skater dans la rue. On filmait et on photographiait nos sessions, nos contests et je postais tout ça sur le site pour montrer aux filles qui n’étaient pas là et à celles qui avaient envie de se lancer qu’il y avait une scène française et que c’était cool.
Comment ton initiative a-t-elle été reçue ?
Ça a très bien marché, on a eu du succès. Sur certaines compétitions, européennes notamment, il y avait des filles qui venaient à notre rencontre en nous disant : « Vous êtes du poseuses crew ? », c’était assez drôle.
Il y avait même des Américaines, notamment Lisa Withaker, qui était venue sur Paris avec son team et qui nous avait contactées pour aller skater ensemble. On avait passé des journées à skater avec les pros américaines et c’était super.
Et les skateurs, comment vous ont-ils accueillies ?
Une fois que l’on était « là », pour eux, il n’y avait plus de débat. On n’était pas une secte de filles, on skatait avec eux, tous ensemble.
Ces compétitions elles vont te permettre de décrocher le titre de championne de France en 2003 et de vice-championne d’Europe l’année suivante. Ça validait quelque chose pour toi ?
Franchement, non. Moi j’y allais juste pour skater. Après, que j’arrive première ou cinquième, je m’en foutais. Pour moi, ça ne veut rien dire car il y avait des filles bien plus fortes que moi qui n’étaient pas là le jour où j’ai gagné.
Il reste néanmoins que ces titres ont de la valeur dans le sens où j’ai une association de skate et que, dans ce cadre, je suis en relation avec la mairie. Ça fait une ligne de plus à mettre à mon parcours qui, pour eux, est importante, mais pour le reste, ça ne l’est pas tant que ça.
Outre tes efforts pour développer la pratique, il y a un autre moment clé dans le développement du skate au féminin, c’est l’intégration de la discipline aux Jeux. Tu l’as ressentie cette bascule ?
Oui, parce qu’il a fallu que les fédérations trouvent des femmes pour monter des équipes. Moi, j’ai travaillé bénévolement dessus avec Florent Balesta, l’entraîneur national, je me suis occupée du collectif filles pendant quelques années. C’était les prémices de l’équipe de France.
L’idée était de créer une petite équipe, de partir avec quelques filles qui faisaient de la compétition et avaient envie de s’engager dans cette voie, de créer un collectif, une émulation, et de voir jusqu’où on pouvait aller.
C’était un peu à l’arrache au début, les filles se déplaçaient elles-mêmes, il n’y avait encore rien. Nous, on se calait une semaine de skate en mini-bus à partir sur les routes avec un vidéaste et un photographe pour faire des images.
La perspective n’a pas forcément réjoui tout le monde. Tu aurais aimé avoir la possibilité de participer à un tel rendez-vous ?
Je n’ai jamais pensé pouvoir y participer tout simplement parce que je n’aurais jamais pensé qu’un jour le skate arriverait aux Jeux Olympiques.
Personnellement, je n’avais pas d’avis spécial sur la question. En skate, il y a la Street League, les X-Games et pour moi, c’est la même chose. Les Jeux Olympiques, ce n’est qu’une compétition de plus, même si elle est importante car elle ouvre des perspectives vis-à-vis du grand public.
Elle permet de montrer que l’on n’est pas un sport de petits cons. Elle permet aussi à tous les clubs qui existent, à tous les professionnels qui y travaillent, de montrer qu’on est là, qu’il y a quelque chose derrière, que le skate n’est pas qu’un loisir, que c’est plus que ça, une culture en soi : en parallèle du skateboard proprement dit, il y a tout un univers avec de la musique, des arts, et ça, c’est hyper important, il ne faut pas que ça s’efface au profit du sport.
C’est très bien que ce soit aux JO, mais il faut que le skate reste le skate et que toute cette culture qui lui est propre soit aussi connue des gens. Notre rôle à nous, passionnés, est de bien mettre ça en avant.
Est-ce que, au-delà des pratiquants, tu as constaté une évolution dans le traitement par l’industrie, les sponsors, les médias… ?
Oui, je trouve que, depuis sept-huit ans, il y a une démocratisation du skate. Les femmes ont pris leur place et font partie intégrante de l’industrie même si c’est encore difficile.
Il faut voir le document de Netflix sur Leo Baker, ça te remet dans le truc, c’est encore hyper difficile.
Cette première expérience fédérale va en appeler une autre. Depuis presque deux ans, tu es présidente suppléante à la présidence de la commission nationale skateboard au sein de la Fédération Française de Roller et Skateboard. En quoi consiste ton rôle ?
Avec Vincent Pasqualini, qui en est le président, notre rôle est de donner une vision du skate à la commission et de travailler sur des projets sportifs comme des championnats de France par exemple, des évènements à destination des plus petits, en bref, d’aider au développement du skate en France.
Est-ce que, comme dans d’autres disciplines, je pense au football par exemple, on manque aussi de représentantes féminines dans les instances pour aider le développement de la pratique féminine ?
Non, ça commence à être pas mal. En ce qui concerne le skate, il y a pas mal de filles engagées au niveau fédéral.
Il y aussi beaucoup de filles qui travaillent dans l’ombre, qui n’ont rien à voir avec le milieu fédéral, et qui œuvrent pour le développement du skateboard comme Lisa jacob par exemple qui est à la tête d’une ONG qui fabrique des skateparks dans les zones de guerre. Elle a un impact bien plus fort que moi. Ce qu’elle fait est fou et a vraiment du sens.
Tu t’impliques aussi sur le terrain, tu es présidente de School Yard Riders, une association qui vise à promouvoir la discipline à travers des cours, des évènements à Saint-Etienne. Vous allez d’ailleurs ouvrir prochainement un skatepark.
C’est une association mixte qui a été créée en 2016. J’en ai pris la présidence en 2018. Notre skatepark couvert devrait ouvrir dans un mois à Saint-Etienne.
C’est un skatepark associatif, on se débrouille tout seuls, on n’a pas de subvention, c’est très compliqué mais c’est un choix et un vœu que l’on a de développer le skate pour tous les habitants de la région.
Pour nous, c’est important de prendre ce risque et d’ouvrir ce skatepark. C’est un lieu couvert dans lequel on va pouvoir développer plein de projets.
Moi, ce que j’aimerais c’est développer des évènements autour du skate féminin mais aussi de l’art, de la musique.
Cette pratique, tu dirais qu’elle a évolué comment depuis tes débuts ?
Plus l’accès est simple et sécuritaire, plus les gens ont confiance et permettent à leurs enfants de pratiquer. Quand on ne skatait que dans la rue, laisser son enfant de 6 ou 7 ans pratiquer n’était pas possible.
Je trouve qu’on a réussi notre pari lorsque l’on voit les gamins venir skater pendant les heures de cours du club et que je les retrouve après en train de skater avec leurs potes.
L’idée est de leur mettre le pied à l’étrier. Ce qui est chouette, c’est aussi quand certains de nos élèves veulent bien donner un peu de leur temps pour le club et se forment pour devenir initiateur.
Dans le documentaire de Marion Desquenne, on se rend compte que les toutes jeunes filles qui arrivent dans les skateparks ne connaissent pas l’histoire de celles qui les ont précédées. C’est important de transmettre ce que vous avez fait, de transmettre ce pan de l’histoire du skate ?
Je trouve que le documentaire de Marion est chouette parce que ça permet de montrer l’évolution de notre sport et je me dis, et ce n’est qu’une supposition, que si on n’avait pas fait tout ça, peut-être que nous n’en serions pas là.
Comment tu envisages l’avenir du skate féminin, tu vas continuer à t’engager ?
Moi, le skate, c’est ma passion, je ne me vois pas continuer sans, ça fait partie de moi. Aujourd’hui, je pratique beaucoup moins parce que je n’ai plus le temps, que j’ai peur de me faire mal et, comme je suis indépendante, si je me fais mal, je ne peux plus répondre aux demandes de mes clients.
J’ai aussi des enfants et il faut que j’en m’en occupe. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment je pourrais me détacher du skate, c’est impossible.
J’espère, à l’avenir, que les filles vont plus encore prendre confiance en elles, qu’elles vont encore plus s’imposer sur la scène mais j’ai l’impression que l’on est sur la bonne voie : aujourd’hui, quand une fille arrive sur un skatepark, on ne la regarde plus aussi bizarrement qu’avant.
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