Animateur de télé, tu envoies tout balader en 1997 et tu te lances dans l’organisation d’une course 100 % féminine, le Raid Amazones qui verra le jour en 2001. Elle venait d’où cette idée ?
En 1996, j’ai eu un grave accident de moto. Savoir que tu as failli y laisser ta peau, ça change ta perception de la vie et du temps qui passe. La télé ne m’apportait rien, j’étais dans l’urgence de me reconstruire autrement, et le sport m’y a aidé.
J’étais le parrain d’une association qui s’occupe de mômes des quartiers, je suis parti avec eux en Guyane pour faire de la course à pied, du canoé, du VTT…
Là-bas, alors que les filles étaient plutôt silencieuses, en retrait, les garçons se la jouaient Rambo. Mais dans la forêt guyanaise, la nature est la patronne, t’es tout petit.
« Les filles ont fini par se rebeller, par invectiver les garçons. Elles voulaient vivre l’aventure à fond, jusqu’au bout. »
Au bout d’un moment, les garçons ont commencé à se plaindre, ils voulaient rentrer à la cité. Les filles ont fini par se rebeller, par les invectiver. Elles voulaient vivre l’aventure à fond, jusqu’au bout : les garçons devaient suivre et la boucler.
Le pouvoir était passé du côté des filles.
Là, j’ai eu l’étincelle. Je me suis rendu compte que ces nanas que je voyais soumises et qui se sont révélées, rien ne pouvait les faire plier dès l’instant où elles avaient décidé de prendre les choses en main.
Et tu es rentré avec l’idée de créer un événement autour du sport et de la femme…
C’est devenu le Raid Amazones, le premier Raid exclusivement féminin qui mixait sport et découverte d’un pays.
Au-delà du sport, j’avais envie d’inviter l’émotion, que les femmes s’enrichissent grâce à des aventures sportives mais aillent aussi à la rencontre d’une autre culture, parfois très loin de la leur. Pour finalement aller à la rencontre d’elles-mêmes.
Selon moi, la femme est la mieux à même de comprendre l’expérience humaine. Pourtant, souvent, elles ne savent pas à quel point elles sont fortes.
Une façon de t’engager sur le terrain de l’égalité femme-homme ?
Au départ, je ne l’ai pas fait pour rétablir quoique ce soit.
Je constatais juste que les femmes avaient une grande force mentale et qu’en général on louait davantage la force physique. Sur la longueur, c’est pourtant plus important.
Seulement, les filles sont souvent éduquées comme des petites filles fragiles, on les éloigne de leur nature profonde. Ça change aujourd’hui, mais il y a toujours cet héritage.
« Peut-être qu’après vingt ans d’aventures avec elles, j’ai l’impression de rétablir une injustice. »
J’avais envie de les aider à ouvrir des portes qu’elles ne soupçonnaient même pas, et oui, peut-être qu’après vingt ans d’aventures avec elles, j’ai l’impression de rétablir une injustice.
Avec le Raid Amazones, on apporte notre petit caillou pour l’édifice d’un monde meilleur. Et ce n’est pas du flan, j’en suis persuadé.
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Le premier Raid Amazones a eu lieu en Guyane, tu es revenu sur le lieu du crime…
C’est vrai, c’était un clin d’œil ! La première année, on avait 120 inscrites contre 300 aujourd’hui.
On avait récupéré, par l’armée, un camp de la légion, en pleine forêt.
J’avais demandé de l’aide à un colonel afin d’avoir les conseils de deux instructeurs de la progression en forêt.
Le colonel me dit : « Vous êtes sérieux ? Avec des filles qui n’ont jamais fichu les pieds en forêt amazonienne, les laisser vivre là ? Nous, on envoie nos légionnaires d’abord s’acclimater quinze jours à Cayenne avant de s’enfoncer dans la forêt ! Vous êtes un grand malade ! »
On était dans un film d’aventure. Un mixe entre Les Bronzés et Rambo.
Les nanas étaient là, gonflées à bloc, sans savoir ce qui allait leur arriver, excitées par la peur. Et ça chantait en forêt !
Le Raid Amazones, ça a tout de suite eu de la gueule !
Les femmes qui participent au Raid Amazones sont ce que tu appelles des « Madame Tout-le-Monde », c’est important qu’elles ne soient pas que de grandes sportives ?
Oui, car je ne l’ai pas créé uniquement pour la compétition, je l’ai créé pour réunir des femmes différentes, sportives ou non, valides ou ayant un handicap, jeunes ou moins jeunes, qui vont toutes se charger en ondes positives sur le chemin.
Dans certains des pays que l’on traverse, là où l’homme est roi, des femmes locales s’attroupent le long du parcours, se mettent à courir avec les filles en les tenant par le bras, elles dansent, elles rayonnent de joie.
On a l’impression qu’à travers elles, ces femmes se sentent reconnues. À vivre, c’est incroyable pour les Amazones.
Et pour moi, provoquer ça, c’est dingue, c’est une récompense.
Une récompense pour quoi ?
Pour tout le stress que l’organisation du Raid Amazones occasionne pendant un an ! Lorsque j’ai lancé cette course, je me souviens des moqueries. On disait : « Debanne, après la télé, a trouvé le bon plan : il part qu’avec des filles, au bout du monde, et ce sont elles qui payent ! »
Mais c’est la version scène, côté coulisses personne ne se doute que c’est digne d’une Opex (opération militaire extérieure, ndlr), que ce soit sur le plan logistique ou pour établir les relations avec les gouvernements, c’est très complexe à organiser.
« C’est tellement dur que je n’ai pas lancé d’autres événements de ce type… »
Pourtant, ma plus grande angoisse est ailleurs : les filles qui participent ont une attente énorme. Elles sont à fond quand elles arrivent à l’aéroport, elles préparent ça depuis longtemps, elles ont versé quatre mille euros pour dix jours.
On les aide à trouver des sponsors, mais ce sont elles qui font tout le boulot pour pouvoir partir. J’ai toujours peur de les décevoir, ça me stresse à l’année. C’est tellement dur que je n’ai pas lancé d’autres événements de ce type, je veux faire ça bien.
A l’arrivée, ça donne quoi ?
Des larmes qui coulent ! Allez voir sur les réseaux sociaux ce qu’elles en disent, c’est beaucoup d’émotions, une vraie révélation. Le truc dont je suis le plus fier c’est la façon dont les filles en parlent. D’ailleurs, tous les ans, je suis surpris de leur transformation, leur regard si différent au début de la course et lorsqu’elles rentrent. Ce Raid Amazones, c’est la vidange de l’âme.
Le Raid Amazones s’apprête à fêter ses 20 ans, tu parles beaucoup d’enrichissement pour celles qui te suivent, et toi dans cette histoire, ça t’apporte quoi ?
L’impression d’être utile à toutes ces nanas, de leur donner l’occasion de découvrir ce qu’elles ont en elles, et c’est très gratifiant.
Le Raid, c’est un message avant d’être un business.
Le dernier jour de la course, les Amazones font une haie d’honneur à l’équipe, je leur réponds : « Vous ne le devez pas à nous, mais à vous. Vous en avez chié pour trouver l’argent, pour sortir tout ça de vous. Vous ne nous devez rien, vous l’avez gagné cet accès à vous-mêmes. »
Tout au long du parcours, on se fond dans le décor, on gomme tout problème qui pourrait les empêcher de gâcher un seul moment, on est là pour ça.
L’organisation du Raid, c’est une affaire de mecs ?
C’est une équipe mixte, mais c’est vrai qu’il y a plus de mecs que de filles.
Je suis à 1 000 % pour le girlpower, mais cette course, c’est un service logistique lourd, nous sommes confrontés à la difficulté du terrain, on a des containers à vider, des canoés à transporter, il faut de la force physique.
« je suis un des mecs qui connait le mieux la planète filles ! »
Naturellement, le mec a plus de muscles que la femme ; là-dessus, la parité n’est pas un sujet. Car la femme a d’autres forces qui équilibrent la balance. Je le sais, après des années passées avec elles, à apprendre d’elles, je suis un des mecs qui connait le mieux la planète filles !
Comment tu résumerais cette planète filles ?
Les femmes mentalement sont plus fortes que les mecs, les femmes ne lâchent pas l’affaire.
Le sport est pour elles un moyen et non une finalité. Lorsque l’une tombe, les autres s’arrêtent et l’aident.
Chez les mecs, très souvent, lorsque l’un d’entre eux tombe, c’est une place de gagnée. Je suis admiratif de toutes ces nanas. Il faut qu’elles sachent ce qu’elles valent.
Avant le Raid, parfois, certaines nous disent : « Est-ce que je serai à la hauteur ? » Alors, que, clairement, elles n’ont rien à prouver.
Quand on regarde des femmes jouer au foot, y a des mecs qui lancent : « C’est pas féminin ! ». Ça me fait marrer. Je pense : « Bah, tiens, bouge pas ! »… et elles envoient !
Les filles peuvent pratiquer tous les sports, pourquoi non ? Ça prendra peut-être du temps pour que ce soit aussi médiatisé que ceux joués par des mecs, mais maintenant, c’est en route. Et c’est inéluctable.
Le Raid Amazones ou les aventures de 300 femmes qui s’en donnent à corps joie
Seules ou en équipes de deux ou trois, les femmes sont fans de ce périple où force mentale et émotions prennent souvent le pas sur la force physique.
Créé en 2001 par Alexandre Debanne, ce Raid, le premier exclusivement féminin, tient bon la route et s’apprête cette année à embarquer environ trois cents filles à bloc pour des étapes de trail, VTT, canoé, tir à l’arc ou chasse au trésor entre deux visites du pays.
Après la Guyane, l’Ile de la Réunion, l’Ile Maurice, le Kenya, Mayotte, la Malaisie, Bali, la Californie, le Cambodge, le Sri Lanka ou encore le Vietnam, la Thaïlande est au programme dès le 26 novembre prochain et jusqu’au 5 décembre puis du 10 au 19 décembre pour une deuxième session pour laquelle vous avez encore la possibilité de vous inscrire. Si on se faisait la belle ?
Toutes les infos sur le site du Raid Amazones
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