Tu as commencé le karaté à trois ans et demi, ce qui est plutôt rare…et tu n’as jamais arrêté ! Quel a été le déclic ?
Mon frère et ma sœurs aînés pratiquaient le karaté dans un club du Var, tout près de chez nous, j’ai simplement dit à mes parents : « Je veux essayer ! » J’étais toute petite, mais j’étais déjà sérieuse, disciplinée, ce sont des qualités importantes en karaté.
Lorsque les entraîneurs m’ont vue la première fois, ils ont dû sentir que j’avais un potentiel, j’ai été prise tout de suite. J’étais le petit samouraï du club, une mascotte. Je crois que c’est le karaté qui m’a choisie et non l’inverse !
Tu dis avoir trouvé beaucoup d’épanouissement personnel dans cette discipline, qu’est-ce qu’elle t’apporte ?
Quand on est combattante, il y a quelque chose de l’ordre du dépassement, d’une bataille contre soi-même. Mes entraineurs m’ont toujours dit que j’avais la hargne, l’envie, et j’ai entretenu ça. Dans les sports de combat, le travail mental est primordial, mais plus encore dans le karaté, car il s’agit d’affrontement direct : on ne bat pas un chrono, on bat un adversaire. Et puis il y a un code moral auquel j’adhère : le courage, le respect des règles et des consignes du maître, le sensei.
Lire aussi : Sports de combat, bien plus qu’un exutoire
Le respect des règles en karaté, c’est notamment ne pas porter ses coups. Le contrôle sur soi, c’est aussi ce qui te plaît dans ce sport ?
Nous sommes dans un art martial, il ne peut pas y avoir d’hostilité. Le contrôle est important : on ne touche pas l’adversaire, on ne frappe pas au visage, on n’est pas là pour le massacrer. Si on a envie de lui faire la misère, on le fait dans les règles. C’est particulier de vouloir taper sur quelqu’un, mais ça défoule.
Petite, j’étais introvertie, ça m’a aidé à relâcher ce trop-plein d’énergie intérieure. Le karaté est un exutoire, surtout au début. C’est aussi un sport très complet : il est physique car on utilise le corps entièrement, ce corps qui se déplace sur un jeu de rythmes ; il est mental et stratégique car le combat demande de la réflexion. Quand on place un beau coup de pied, qu’on marque une belle technique, c’est une grande émotion.
Aton, un ancien membre du GIGN que nous avons interviewé sur ÀBLOCK! nous disait avoir débuté le sport par le karaté, mais l’avoir finalement laissé tomber au profit de la boxe. Le full contact lui manquait. Tu n’as jamais envie de porter vraiment tes coups ?
Je le comprends, j’ai déjà entendu ça. Mais ce n’est pas mon cas, ce n’est pas frustrant pour moi de ne pas pouvoir porter les coups. Parce que c’est justement ce que j’aime, c’est toute la subtilité : garder le contrôle de mon geste pour ne pas blesser l’adversaire, c’est là que c’est beau. Je sais que je peux faire très mal si je lâche mon coup, mais le challenge c’est de s’arrêter au moment où on a terminé son geste, qu’il est bon, qu’on a su gérer la distance.
Lire aussi : L’interview d’Aton, ex-héros du GIGN
C’est une représentation de la bagarre et on entend parfois que ce n’est pas un sport de fille…
Dans les esprits, c’est un sport de combat donc ce n’est pas féminin. C’est pourtant faux de dire qu’une fille n’est pas féminine lorsqu’elle fait du karaté. Mon coach dit toujours : « On va à la bagarre ! », mais il n’y a aucune recherche de virilité. D’ailleurs, je ne ressens pas le fait d’être une femme dans un sport d’homme.
Le karaté compte 250 000 licenciés en France et on atteint, je crois, la quasi-parité. Je me suis toujours entraînée avec des garçons, un entourage qui ne m’a pas stéréotypée. J’ai beaucoup de chance, sans doute.
Tu as toujours eu l’intention de devenir une championne ?
Alors…non ! J’adorais ça, je voyais que j’étais pas trop mauvaise et j’adorais gagner. Mais la compétition, c’est venu petit à petit : j’ai participé et gagné à 9 ans mon premier Championnat de France et je n’en ai jamais perdu un seul par la suite, jusqu’à mes 18 ans. A 14 ans, j’ai été sélectionnée en équipe de France et j’ai participé aux Championnats du Monde où j’ai décroché la médaille de bronze, à Rabat.
Lire aussi : Lucie Décosse, 5 infos pour briller sur le tatami
Tu confies avoir eu envie de pleurer sur le podium, mais pas parce que tu avais gagné…
Oui, parce que j’étais en bronze et que je voulais l’or ! On m’a fait comprendre que pour un début, c’était une belle performance, mais je ne l’entendais pas comme ça. C’est naturel pour moi de vouloir être la meilleure, c’est une exigence envers moi-même, je veux toujours plus.
J’ai relativisé par la suite grâce à mon entourage, mais ça reste frustrant de ne pas être au top, j’ai toujours cette arrière-pensée de me dire « J’aurais pu faire mieux ». Je sais pourtant que chaque défaite, chaque expérience, t’apprend. Pour autant, la plupart du temps, je n’ai pas le sentiment d’avoir un niveau en dessous des autres, c’est pourquoi je suis le plus souvent déçue quand les résultats ne suivent pas.
À 17 ans, lors du Championnat d’Europe 2012 Junior, non seulement tu rafles le titre, mais tu bats la championne du monde en finale. Là, il se passe quoi dans ta tête ?
La performance était belle, je recevais ce pourquoi j’étais là. Il y a eu un déclic : ça y est, c’est parti ! J’ai eu la sensation d’un aboutissement, la récompense d’un travail long et acharné.
Ce fut aussi une prise de conscience du potentiel que j’avais : j’ai ressenti des émotions énormes, comme on en vit rarement au quotidien, c’était rare, c’était fort. Autant que de voir la joie de ma famille, de ma mère qui m’a toujours accompagnée, y compris à l’entrainement dans mon club à Marseille lorsque j’étais plus jeune et alors qu’il y avait près de deux heures de route aller-retour.
La sensation de partage, c’est puissant. Ce sont tous ces proches, cette équipe, ces gens qui t’entourent et te soutiennent que l’on récompense dans ces moments-là.
Puis il y a eu les championnats d’Europe suivants, entre tes 18 et 21 ans, tous gagnés, ce qui représente encore aujourd’hui un record. Et entre temps ton passage en catégorie sénior. Un passage qui s’est fait plus rapidement que prévu…
Une semaine avant les Europe senior, la Numéro 1 française se blesse, le staff de l’équipe de France m’appelle : « Est-ce que tu veux la remplacer ? » Je venais tout juste de passer senior, je n’avais pas eu le temps de me préparer, j’y suis allée avec mon insouciance, et j’ai décroché la médaille de bronze. Finalement, c’était pas mal, vu les circonstances…
Parallèlement à tes entraînements, aux compétitions, tu as toujours pris soin de ne pas délaisser les études. Tu as décroché un bac S avec mention très bien et tu t’es lancée dans des études d’ingénieur : tu avais déjà en tête une reconversion ?
J’ai toujours eu à cœur de réussir aussi mes études. J’avais un peu de mal à tout concilier au début mais, aujourd’hui, je suis en quatrième année d’école d’ingénieur et je parviens davantage à m’organiser, les deux s’équilibrent très bien. Je ne sais pas ce que je ferai plus tard, mais s’il est difficile de vivre du sport de haut-niveau, j’aimerais bien pouvoir transmettre mon savoir.
Il y a quatre ans, tu as été opérée d’une hanche, ce qui t’a empêché de revenir à la compétition pendant un an. Un temps de repos forcé pendant lequel tu n’as pas pu faire de karaté. As-tu eu peur de ne pas pouvoir revenir ?
L’année 2016 a été un temps mort. J’avais un problème de hanche incompatible avec mon sport et découvert tardivement. J’en souffrais, mais je passais outre la douleur.
Lors de mon dernier championnat d’Europe espoirs, j’avais tellement forcé dessus que j’arrivais difficilement à marcher. Il a fallu opérer.
Six mois sans m’entraîner, ça a été très dur à vivre. J’étais dans l’incertitude : « Est-ce que je vais réussir à revenir à haut-niveau ? » Un des entraîneurs de l’équipe de France m’a dit : « Tu endures tout, tu gagnes tout, revenir après une telle opération, voilà un challenge à ta hauteur ! » C’est donc comme ça que je l’ai vécu. Un an après l’opération, j’ai fait mon retour en compétition et j’ai gagné.
Cette pause, ça t’a fait grandir ?
Oui, beaucoup. J’ai pris en maturité, j’ai compris à quel point ce sport était une passion. On accepte ce que beaucoup n’accepteraient pas, en termes de douleurs par exemple, et là je me suis rendu compte que je le faisais pour quelque chose qui m’apportait énormément. Ça a décuplé mon envie, j’avais encore plus la hargne. Et j’ai su que je ne voulais pas que ça s’arrête.
L’an dernier, tu as remporté un nouveau titre de championne d’Europe, ton premier titre majeur en sénior. Ce qui a dû te conforter dans cette idée que tu avais encore de belles choses à vivre dans le karaté, non ?
C’était la récompense de trois ans de travail acharné pour revenir à ce niveau-là et on ne m’y attendait pas forcément. L’émotion en a été décuplée, d’autant que je venais de battre la numéro 1 en Europe de ma catégorie Elite, c’était exceptionnel !
C’était le fruit d’un travail mené sur toute la saison, de la mise en place d’une stratégie, d’une réflexion nouvelle. Ce jour-là, tout était aligné parce que j’avais tout fait pour.
Aujourd’hui, tu espères te qualifier pour les JO de Tokyo, là où le karaté va se disputer pour la première fois aux Jeux. Et peut-être pour la dernière fois car vous avez eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’il n’est pas retenu en 2024 à Paris…
Jusqu’à maintenant, ce n’était pas une discipline olympique. Avec son entrée aux JO de Tokyo, c’est devenu un objectif, l’aboutissement d’un projet de vie sportif. Ce sont des qualifications très sélectives puisqu’en karaté, il y a cinq catégories de poids, mais seulement trois sont olympiques. Je suis en -50 kg, mais la catégorie olympique est -55 kg. Ça va donc être compliqué, mais évidemment je vais me battre !
Surtout que ce sera peut-être en effet la seule occasion de relever le défi. On a appris brusquement que la discipline ne serait pas maintenue en 2024, c’est comme si on nous permettait enfin d’entrer aux JO et qu’on nous le retirait aussi vite !
D’où cette bataille qui s’est engagée pour sa réintégration…
C’est illogique qu’il ne soit pas aux JO alors que le karaté est une discipline populaire, parmi les cinq premières les plus pratiquées au niveau mondial, et qu’on l’a fait évoluer pour coller aux contraintes des Jeux… Malgré tout, on nous dit non, vous ne serez pas là !
Nous savons que dans ce sport, en France, nous sommes pourvoyeurs de médailles…nous nous battons donc pour que le karaté soit réintégré. Notre prestation aux JO 2021 sera d’autant plus importante, elle pourrait conditionner la décision du CIO pour 2024. Mais, franchement, ne pas pouvoir disputer les Jeux à la maison…quelle frustration !
Cela ne conditionnera pas pour autant ta retraite des tapis ?
Non, la seule chose qui conditionnera ma retraite, ce sera mon sentiment que j’ai réalisé tout ce que j’attends de moi, que je suis allée au bout de cette passion. J’arrêterai lorsque je serai complètement accomplie. Pour l’instant, j’ai encore beaucoup à vivre et je me donne à fond !