« Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs… »
Si l’important est de participer, pourquoi Pierre de Coubertin, rénovateur des JO de l’ère moderne en 1894, barrait-il la route aux athlètes de sexe féminin ?
La pasionara du sport féminin – comme la nomma légitimement son biographe André Drevon* en 2005 – tint tête à l’éminent baron et aux caciques misogynes du Comité International Olympique (CIO) proclamant allègrement par voie de communiqué : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte ! »
Si, depuis les Jeux de 1900, les femmes ont fait leur apparition sur le terrain, la reconnaissance du sport féminin a été un parcours du combattant semé d’obstacles…
« Elle a beaucoup morflé et a été énormément combattue, y compris par des femmes. »
Ulcérée par les propos des hommes du CIO et suite à leur refus catégorique d’intégrer les sportives aux Jeux Olympiques, cette femme moderne avant l’heure qui ne s’en laissait pas compter, créa, en parallèle aux jeux classiques, les Jeux Internationaux Féminins. Ils eurent lieu en 1922, à Paris, et rencontrèrent un franc succès.
« Alice Milliat s’est heurtée à l’hostilité de Pierre de Coubertin qui ne voulait pas de femmes. Elle a combattu les idées reçues voulant que le sport n’était pas bon pour les femmes, que le sport féminin était un symbole homosexuel ou de dévergondage… Elle a beaucoup morflé et a été énormément combattue, y compris par des femmes », expliquait l’auteur du livre « Alice Milliat, les 20 ans qui ont fondé le sport féminin », Stéphane Gachet**, à Ouest-France en janvier 2020.
« Farouche défenseure de l’égalité homme-femme, elle avait vraiment la très belle conviction que les femmes devaient faire du sport avec les hommes et pas en étant contre », rappelle Marion Salace, ex-secrétaire générale de la Fondation Alice Milliat, reconnue d’utilité publique.
Faute d’être considérée par les hautes instances sportives, cette féministe d’avant-garde démontra la valeur des femmes avec cette réussite des JO féminins de 1922 et s’en félicitait dans les colonnes de L’Auto daté du 15 février 1923 :
« C’est une victoire sur la routine, les préjugés et…l’esprit de monopole de nos frères sportifs. L’opposition masculine vient d’un vieil esprit de domination, du désir de tenir toujours les femmes en tutelle, de la crainte de les voir devenir autre chose que des objets utiles ou agréables à l’homme. (…) La femme a encore beaucoup à lutter pour faire admettre sa valeur dans les différentes catégories de la vie sociale. Dans le domaine du sport comme dans tous les autres, elle s’est trouvée aux prises avec l’atavique esprit de domination masculin. »ex-
Une femme de leadership, très moderne et universelle…
Qui donc était cette femme providentielle pour le sport féminin ?
« C’était une femme de leadership, très moderne et universelle. Elle a été cofondatrice de la Fédération des sociétés féminines et sportives de France (FSFSF) pour rendre le sport plus accessible aux femmes. Elle a vraiment pris le sujet à bras le corps, elle a osé mettre en place les jeux féminins malgré les obstacles, rien ne l’a arrêté, elle avait une conviction profonde et de sacrées idées derrière la tête. » Marion Salace exprime ainsi à quel point le sport féminin actuel doit son ancrage à cette femme d’influence du XXe siècle.
Née nantaise en 1884, elle devient enseignante à la vingtaine et s’exile à Londres avec son mari où elle y exercera sa noble profession.
Veuve à peine quatre ans plus tard, en 1908, sans enfants, elle voyagera beaucoup, élargissant considérablement ses compétences linguistiques, vivant comme elle l’entend, telle une rebelle cosmopolite.
Si elle n’est pas une athlète de haut niveau, elle est une championne d’aviron – elle est capable de ramer 80 km en moins de douze heures – une nageuse et une hockeyeuse et, plus que tout, une fervente défenseure de l’accès au sport pour ses semblables.
Le premier championnat de France féminin de foot en 1920, c’est elle !
Celle qui écrit aussi des articles pour des magazines sportifs réclame bien vite l’admission des sportives à toutes les épreuves des Jeux, rappelant que le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale invalide l’argument d’une « fragilité naturelle » avancé par leurs adversaires.
À la tête de la FSFSF, elle organise plusieurs compétitions féminines en foot et est à l’initiative du premier championnat de France féminin en 1920.
C’est ainsi, qu’en 1921, elle crée et se hisse à la tête de la toute première Fédération sportive féminine internationale (FSFI). Une présidence d’envergure puisqu’elle donnera lieu aux JO féminins de 1922.
Vingt mille personnes viendront contempler les exploits sportifs des championnes de cinq pays dans onze compétitions sportives.
Les autres éditions se poursuivront en 1926, en Suède, en 1930, à Prague, en 1934, à Londres… En 1936, faute de subventions, c’est la fin des JO féminins fondés par Alice Milliat qui se retire de la scène internationale.
Grâce à Alice Milliat, les sportives peuvent aujourd’hui participer, à l’égal des hommes, à la compétition la plus prestigieuse du monde sportif.
Malgré cette fin précipitée, le sport féminin était enfin considéré et ce grâce à Alice Milliat, les femmes n’avaient-elles pas obtenu une petite place aux JO de 1928 à Amsterdam avec les premières épreuves féminines d’athlétisme ? Magnifique victoire !
Car l’objectif était atteint :
« Quand Alice Milliat décide d’organiser des Jeux mondiaux féminins sur le modèle des Jeux olympiques masculins, son objectif réel n’est pas de créer une compétition parallèle pérenne (…) mais de prouver aux dirigeants du CIO les capacités sportives des femmes afin d’être admises dans l’intégralité du programme olympique », détaille l’historienne Florence Carpentier dans un article de La Revue d’Histoire.
Les sportives lui doivent aujourd’hui de pouvoir participer, à l’égal des hommes, à la compétition la plus prestigieuse du monde sportif.
Ainsi, durant la Première Guerre mondiale et entre les deux guerres, cette femme de poigne et de convictions a mené le combat pour imposer le sport féminin, démontrant son intérêt par le succès des jeux féminins et sa valeur via des athlètes féminines exceptionnelles dont l’incroyable Violette Morris.
Personnage incontournable du patrimoine français, Alice Milliat est pourtant morte dans l’anonymat, le 19 mai 1957, son nom ne figurant même pas sur sa tombe, au cimetière Saint-Jacques de Nantes.
* « Alice Milliat, la pasionara du sport féminin », André Drevon, Vuibert, 2005
** « Alice Milliat. Les vingt ans qui ont fondé le sport féminin », Stéphane Gachet, Compagnie du livre, 2019.