Ethelda Bleibtrey La nageuse qui fit tomber le maillot… des conventions

Ethelda Bleibtrey
Première nageuse américaine à être sacrée championne olympique en 1920, Ethelda Bleibtrey fit des vagues. Faisant fi de l’interdiction aux femmes de montrer leurs gambettes pour aller faire trempette, cette sirène de compét’ fit trembler le patriarcat et libéra ses semblables.

Par Claire Bonnot

Publié le 12 mars 2021 à 18h04, mis à jour le 29 juillet 2021 à 14h14

Mais qui est donc cette naïade en petite tenue qui choqua l’opinion puritaine en enlevant ses bas pour faire un plouf, en 1919 ?

Elle s’appelle Ethelda Bleibtrey, elle est Américaine et vient de fêter ses 17 printemps. Ethelda nage depuis deux ans. Une activité sportive qui l’aide à soigner sa poliomyélite. Alors qu’elle est sur une plage de Manhattan Beach en Californie, la jeunette un brin rebelle n’hésite pas à retirer les bas imposés aux nageuses et femmes américaines. Une obligation qu’elle prend visiblement par-dessus la jambe.

Couvrez donc ces belles guiboles que nous ne saurions voir ! Considéré comme un acte répréhensible de nudité, Ethelda Bleibtrey est arrêtée.

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L’affaire fait grand bruit et change le cours de l’histoire : « La publicité qui en a résulté et l’opinion publique se prononçant en sa faveur ont non seulement évité à Ethelda de faire de la prison, mais aussi offert aux femmes de nager sans bas », peut-on lire dans sa biographie au « Temple de la renommée internationale de la natation », le célèbre musée sportif américain (l’International Swimming Hall of Fame,« ISHOF »).

Est alors acté l’abandon des bas en tant qu’élément conventionnel des maillots de bain pour femmes. Déjà, le destin d’une pionnière se dessine avec un jeu de jambes à faire plier une nation. Et, bientôt, le monde entier…

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Car Ethelda est une tête bien faite dans un corps de championne : en 1920, à l’âge de 18 ans, elle remporte tous les titres des épreuves inscrites au programme de la natation féminine lors des Jeux d’Anvers. À savoir : trois médailles d’or en 100 mètres nage libre, 300 mètres nage libre et en 4×100 mètres nage libre, battant et améliorant, à chaque fois, les records du monde.

Un exploit historique puisqu’elle devient ainsi la première nageuse américaine à être sacrée championne olympique, inspirant « des générations d’athlètes féminines » soulignera le CIO. Et elle aurait pu faire plus…

Cette tornade des bassins expliquera plus tard que si elle n’a pas pu remporter quatre médailles d’or à Anvers, c’est tout simplement qu’elle n’en a pas eu l’opportunité : « À l’époque, je détenais le record du monde en dos, mais il n’y avait que la nage libre au programme de ces Jeux. »

Pour autant, Ethelda Bleibtrey reste encore aujourd’hui la seule femme à avoir jamais balayé toutes les épreuves de natation en une seule compétition olympique.

Une première qui entre dans les annales tant le combat des femmes pour concourir aux épreuves olympiques a été long.

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Car les femmes n’ont pu accéder à l’arène olympique qu’à partir de 1912, aux Jeux de Stockholm, et seulement dans deux épreuves en natation : le 100 m nage libre et le relais 4×100 m. Cette discipline était tolérée car « décente » pour les sportives qui ne devaient pas perdre leur féminité (sous peine d’atteinte à leur fertilité), avoir une silhouette transformée et donc peu esthétique…

Transpirer était donc proscrit : « Parce que [la natation] se déroule dans l’eau, les yeux des hommes ne seraient pas confrontés à la vue de femmes qui suent : elles gouttent simplement d’eau fraîche avec élégance », écrit ainsi le journaliste sportif David Miller dans « Athènes à Athènes: l’histoire officielle des Jeux Olympiques, 1894-2004. »

Malgré cela, les Etats-Unis ne transigèrent pas. Aucune nageuse américaine ne fut envoyée aux Jeux de Stockholm, les femmes américaines n’étaient alors autorisées à participer qu’à des épreuves dans lesquelles elles pouvaient porter des jupes longues… jusqu’à ce que Ethelda Bleibtrey envoie balader ses bas.

Forte de sa renommée et de ses exploits, la « sirène » des bassins devenue professionnelle en 1922 – comme la presse surnommait les nageuses à cette époque – continua son combat aquatique : « Mlle Bleibtrey a poursuivi sa croisade et a passé la majeure partie de sa vie à enseigner la natation à des jeunes handicapés de New York et à essayer de construire davantage de piscines dans la ville », peut-on lire dans sa notice nécrologique.

Adepte des coups d’éclats, la voilà qui, en 1928, plonge dans le réservoir de Central Park à New York malgré l’interdiction. Elle est alors arrêtée et passe, cette fois-ci, une nuit en prison.

Résultat ? Une piscine est créée à Central Park. Le plouf prohibé était un coup de pub pour l’Association internationale des nageurs professionnels qui voulait convertir le réservoir en piscine publique ! Well done.

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La plus belle victoire d’Ethelda Bleibtrey ? Avoir contribué à accroître la popularité de la natation chez les femmes.

Elle en fit son cheval de bataille : « La natation est le meilleur sport au monde pour les femmes. Lorsqu’une fille s’adonne au basket, au tennis ou au golf, elle est épuisée à la fin du match. Mais après qu’une fille a bien nagé, elle se sent détendue, fraîche, ses muscles sont en ordre et tout son « make-up », à la fois physique et mental, est au repos et en paix avec le monde. », expliquera-t-elle dans le New York Times.

Elle devient pour de longues années une coach réputée à New York et à Atlantic City. Entrée en 1967 au panthéon de la natation en devenant membre de l’International Swimming Hall of Fame, la pionnière américaine disparaît le 6 mai 1978, à l’âge de 76 ans.

Le nom d’Ethelda Bleibtrey est aujourd’hui gravé dans le livre d’or des Jeux Olympiques comme l’une des figures les plus marquantes de la natation au féminin. Une plongée assumée dans la modernité à l’image de ses consœurs australiennes, la très engagée contre le sexisme Fanny Durack, première championne olympique de natation en 1912 et Annette Kellermann, star des bassins et des écrans, qui popularisa le premier maillot de bain moderne pour les femmes. C’était en 1905 et c’était so shocking

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