Morgane Bourgeois« Dans le rugby, on est en train de construire quelque chose de beau et de grand. »

Morgane Bourgeois : « Dans le rugby, on est en train de construire quelque chose de beau et de grand. »
Depuis sa prestation de haute volée au dernier Tournoi des Six Nations, elle est une valeur sûre du rugby tricolore. Morgane Bourgeois, 22 ans, arrière de l’équipe de France féminine et du Stade Bordelais, a su transformer l’essai après une saison blanche. Bien dans ses crampons, celle qui tire au pied plus vite que son ombre est un atout majeur pour la Coupe du monde féminine de rugby 2025 qui se déroule en Angleterre du 22 août au 27 septembre.

Par Claire Bonnot

Publié le 19 août 2025 à 7h53

Tu as 22 ans, et tu as débuté le rugby à l’âge de 10 ans près de Bordeaux, là où tu as grandi. Pourquoi avoir choisi le rugby et quelle sportive étais-tu, enfant ?

En fait, j’ai grandi dans une famille qui était très rugby. Mon père y a toujours joué et il est fan de ce sport. Mon petit frère, lui aussi, s’est vite mis au rugby. C’était presque dans les gènes. Et de manière générale, nos parents nous ont fait grandir dans un milieu plutôt sportif, j’ai toujours beaucoup fait de sport. J’ai débuté par du multisports parce que j’avais vraiment besoin de me dépenser. Et après, je suis passée au football. Déjà, parce que c’est un sport collectif et que ce que j’aime avant tout dans le sport, c’est partager les émotions à plusieurs. Et puis, parce que je n’aurais jamais pu faire de sport individuel : je suis trop mauvaise perdante pour ça !

Sans doute aussi, parce qu’on jouait beaucoup au foot à l’école alors je me suis dit : « Pourquoi ne pas m’inscrire dans un club ? ». J’ai voulu un club entièrement féminin parce que, dans la cour, même si ça se passait bien avec les garçons qui étaient mes copains, on me regardait beaucoup, j’étais comparée aux garçons, etc. Je suis de tempérament timide donc j’étais un peu mal à l’aise dans ces conditions-là. J’étais acceptée par les garçons, mais c’est quand même pas évident comme posture d’être la seule fille ou presque. Il faut se faire une place et montrer qu’on mérite cette place. Quand j’ai commencé en club féminin, ça m’a bien plu et donc, j’y suis restée quatre ou cinq ans.

@Cyril Perronace

Et pourtant, tu étais la seule fille dans ta toute première école de rugby. Ça s’est passé comment ?

Même après avoir joué au foot, j’avais toujours le rugby en tête, on regardait sans cesse les matchs à la télé en famille. Alors, à 10 ans, je me suis dit qu’il était temps : j’ai passé le cap, je me suis inscrite dans une école pour voir. Au tout début, c’est vrai que j’étais la seule fille au milieu des garçons. Mais, l’année d’après, on a été deux et c’était un peu plus facile. Ceci dit, j’avais retrouvé mes copains de l’école maternelle avec qui je jouais dans la cour, avec qui j’avais grandi, donc c’était plutôt sympa. J’étais aussi plus mature, j’avais un peu moins peur de jouer en public, j’étais un peu moins stressée.

Comme ça s’est super bien passé dès le départ, je n’ai plus arrêté depuis. Ces quatre années à jouer avec des garçons m’ont beaucoup apporté, ça m’a beaucoup formée, parce que j’ai voulu prouver que je méritais d’être là. On a un petit peu cet ego qui nous pousse à essayer d’être toujours meilleure, on veut leur montrer que ce n’est pas parce qu’on est une fille qu’on ne sait pas jouer au rugby !

©DR

Qu’est-ce qui te plaisait dans le rugby ?

Je crois que c’est vraiment le côté sport collectif. Dans le rugby, c’est une valeur primordiale. On donne tout pour l’équipe ! Il n’y a aucune ambition individuelle dans une équipe de rugby. C’est ça qui m’a plu. Après, c’est difficile de répondre à cette question parce que, quand on fait ça par passion, on ne sait pas bien expliquer ce qu’on aime. Mais, avec le recul, je dirais que c’est aussi parce qu’on n’est jamais face aux mêmes situations. On apprend toujours. On continue de progresser sans cesse.

Dès la 4e, tu choisis de faire sport-études rugby et, à 15 ans, tu intègres l’académie Pôle Espoir des Lionnes du Stade Bordelais, ton club actuel. Tu as su très vite que tu voulais en faire une carrière ?

Au tout début, je ne me suis pas vraiment posé la question parce que c’était le plaisir de jouer qui me faisait avancer. Je savais que je voulais continuer tant que ça me plaisait. C’est quand j’ai vu que je commençais à être plus à l’aise sur le terrain avec les garçons dans ma première école que je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. Et là, c’est rentré dans un petit coin de ma tête. D’où le sport-études. Et, comme là aussi ça s’est plutôt bien passé, j’ai pensé plus loin… Ça marchait bien pour moi sur le terrain, donc je me disais que je pouvais y arriver. Et comme je me disais que je pouvais y arriver, je me donnais les moyens d’y arriver. Ainsi de suite. Un cercle vertueux ! C’est ce mécanisme qui a construit cette ambition d’atteindre le plus haut niveau possible.

©DR

Et tu as été repérée, j’imagine, pour intégrer l’académie Pôle Espoir ?

Oui, des sélectionneurs venaient régulièrement voir nos tournois. Et on peut être appelé pour des journées de sélection où on est observé toute la journée sur différentes situations sportives. Un ou deux mois après ces « tests », j’ai été appelée : « Félicitations, vous êtes admise au Pôle Espoir ». Et j’ai débuté l’internat et les entraînements tous les jours.

À cet âge-là, ce n’est pas simple de s’engager dans un tel projet. Qu’est-ce qui te drivait dans les moments difficiles ou de découragement ?

Je pense que le noyau central, c’est la passion, parce qu’on peut se perdre un peu dans l’entraînement à outrance. On est très exigeant avec soi-même et on court après la performance mais, finalement, le plus important, c’est le plaisir. En tout cas, j’espère que tous les gens qui font ça au plus haut niveau prennent du plaisir à ce qu’ils font. De mon côté, ça s’est toujours plutôt bien passé dans mes premières années, je n’ai pas eu vraiment de moments de « down ». Je me suis quand même demandé pourquoi je faisais ça et la réponse c’était que j’aimais vraiment beaucoup ça. C’était donc plutôt « simple » pour moi de mener ce double projet. Je vis comme ça depuis ma 4e, j’ai dû m’habituer et m’organiser ainsi depuis longtemps.

©DR

Tu sembles être posée et cadrée dans ton caractère, ce qui doit t’aider sur le terrain et en équipe…

Oui, je suis plutôt quelqu’un d’organisé. Quand, en plus, on entre en section sport-études assez jeune, on ancre ce rythme et cette exigence qui nous permet de combiner les deux parcours assez naturellement.

Jeune, là encore, à 17 ans, tu intègres l’équipe première des Lionnes du Stade Bordelais et au poste de demi d’ouverture. Que disent de toi tes entraîneurs et ceux qui t’ont repérée, quels sont tes points forts ?

Je pense que j’étais une joueuse avec, déjà, beaucoup d’ambition, qui avait beaucoup travaillé. C’est une qualité, je pense, qui a fait pencher la balance en ma faveur quand on m’a repérée, et je crois aussi qu’on a voulu me récompenser de mon implication dans mon projet. Et puis aussi, à l’époque, j’étais une joueuse qui ne se posait pas trop de questions. Chose que j’ai un peu perdue avec le temps finalement. Je crois qu’à l’époque, je me disais que je n’avais rien à perdre. Et j’avais aussi une bonne vision du jeu et un bon jeu au pied.

©Stade Bordelais/Declick-Photo

Tu sais pourquoi tu as été placée à ce poste clé de demi d’ouverture ?

Au début, j’ai commencé avec les garçons, au centre, et puis, j’ai rapidement basculé à l’ouverture. Je pense que c’était dû à ma vision du jeu et à mon passé de footeuse qui m’a beaucoup apporté. Par exemple, sur ma facilité à jouer au pied et à ma vision globale du terrain car je jouais défenseure centrale. Je pense aussi qu’on m’a dirigée vers ce poste pour ma qualité technique assez propre. Je suis très heureuse d’avoir débuté en demi d’ouverture parce que ça permet de sacrément se développer : c’est un poste assez complet et formateur. Aujourd’hui, je suis arrière.

Avec les Lionnes du Stade Bordelais, c’était la première fois que tu jouais en équipe exclusivement féminine : qu’est-ce que ça a changé pour toi ?

C’était des filles que je connaissais parce que je les rencontrais en tournois lors de rassemblements effectués par le département ou la région. Donc, c’était un plaisir de les retrouver. Ça n’a pas changé grand-chose, je pense, de me retrouver exclusivement avec des filles. Après, peut-être que j’avais acquis un peu de leadership en jouant avec les garçons. Le fait d’être la seule fille, ça forge le caractère. En tout cas, c’est un passage qui s’est fait très naturellement pour moi. Je ne joue plus avec les garçons depuis l’âge de 15 ans – à ce stade-là, les différences morphologiques font que ça peut devenir trop dangereux, mais je continue à faire des exercices sans contact avec eux pendant les entraînements. Ça fait énormément progresser : on est obligé d’élever notre niveau de concentration et d’exigence pour essayer de s’aligner à ce qu’ils proposent.

©DR

En 2021, à 18 ans, tu es convoquée à un stage de l’équipe de France avec les moins de 20 ans. Qu’est-ce qu’il se passe en toi quand tu apprends que tu es sélectionnée en équipe de France ?

À partir du moment où on commence un peu à performer, notre nom circule. Il y a des gens dont c’est le métier, des sélectionneurs, qui viennent régulièrement voir les différents tournois, qui nous croisent, qui commencent à nous connaître. On est donc suivis au fur et à mesure de nos performances et de nos matchs. Et puis, un jour, on nous appelle pour nous annoncer qu’on va participer à un rassemblement avec l’équipe de France. Et là, c’est une immense fierté.

Avant l’équipe de France, il y a d’autres échelles de sélection. En passant chaque « grade » à chaque fois, on est de plus en plus heureux et fier. Et puis alors, quand on nous dit qu’on va porter le maillot de l’équipe de France, c’est assez indescriptible comme sentiment. Sur le coup, je dois dire que, moi, j’ai eu du mal à réaliser. C’est vraiment un rêve de gosse qui se réalise. Et c’est aussi la récompense de tout un travail. C’est vrai qu’atteindre ce niveau est rapidement devenu un objectif dans mon parcours. Donc, quand on m’a appelée, j’étais vraiment super fière. On se dit que l’objectif est atteint, mais en fait, ce n’est que le tout début… On dit souvent que le plus dur, ce n’est pas d’être convoquée, c’est de rester et de perdurer au plus haut. Et franchement, je dirais que c’est vrai pour le vivre actuellement.

©Stade Bordelais

Et donc, tu joues ton premier match avec la sélection tricolore, le 1er avril 2023, lors du tournoi des Six Nations. Ça a dû rester ancré dans ta mémoire ce moment…

Oui, évidemment, ça a été un moment super important, parce qu’une première sélection, c’est quelque chose d’inoubliable, qui n’arrive qu’une fois dans une vie. Je pensais même que ça ne m’arriverait peut-être jamais. Donc, c’est vraiment une grande fierté que je garde en mémoire. En plus, avant ça, j’avais joué un petit peu en moins de 20 (Morgane a été capitaine de l’équipe de France des moins de 20 ans en 2022, Ndlr), j’avais participé à différents stages avec les grandes mais sans jamais avoir de sélection. Et dans ces cas-là, on court un peu après cette sélection. Moi, ça a duré deux-trois ans. Donc, quand ça arrive, c’est le Graal ! C’est une arrivée et un départ, celui d’une autre carrière, entre guillemets.

J’avais signé un contrat professionnel avec la Fédération juste avant. J’avais fait la préparation à la Coupe du monde 2022 qui se déroulait en Nouvelle-Zélande, mais je n’avais pas été retenue pour la compétition. Et c’est dans la foulée qu’on m’a proposé le contrat, en décembre. Quelques mois après, je rentrais sur le terrain avec le maillot tricolore sur le dos.

©FFR

La pratique de ton sport te rapporte donc des revenus ?

C’est ça, je suis en CDD, de deux ans à peu près. Et en parallèle, je suis quand même étudiante en STAPS. Après avoir obtenu mon bac, j’ai continué mes études parce que le rugby féminin n’est pas professionnialisé, en tout cas, en championnat. C’est uniquement l’équipe de France, pour ses 32 joueuses, qui est professionnelle. C’est donc important de garder le double projet.

Côté pro, justement, je n’avais pas vraiment d’idée. Je partais un peu vers l’inconnu sans trop savoir ce qui me passionnait dans la vie, mis à part le sport à vrai dire. Comme j’avais pas mal de copines du rugby qui allaient en fac de sport et que ça permet d’avoir du temps pour s’entraîner, je me suis dit que même sans idée précise pour l’avenir, c’était le bon choix. J’ai validé ma licence 3, mais j’avoue que c’était plutôt une corvée pour moi d’aller en cours. Ça a un peu changé aujourd’hui parce que j’ai trouvé les études faites pour moi.

@Cyril-Perronace

Tu t’es lancée dans le journalisme, c’est ça ? Tu es passionnée par l’écriture et tu as déjà signé dans des médias.

Oui. Ayant des sélections en équipe de France, j’ai commencé à être sollicitée – et je le dis humblement – par les médias. J’ai eu l’occasion de rencontrer quelques journalistes et c’est un métier qui m’a intriguée peu à peu. C’était aussi une manière de rester dans le sport, mais de façon différente. Ainsi, je pouvais partager les émotions que je vivais sur le terrain aux gens. Plutôt que de continuer un master STAPS, je me suis dit que c’était le moment de tenter autre chose. Pour l’instant, c’est un pari plutôt réussi. Faire des études complètement différentes qui me faisaient découvrir d’autres choses, rencontrer de nouvelles personnes et sortir de ma zone de confort, je crois que ça a vraiment marqué un changement dans ma « jeune carrière » de rugbywoman. Ça m’a vraiment permis de trouver un équilibre dans la vie, et je pense que ça s’est fait ressentir sur le terrain cette saison.

©FFR

Tu rédiges des chroniques sur ton sport, notamment sur le site RugbyPass. En mettant des mots sur ce que tu vis, tu penses que ça t’aide à mieux performer sur le terrain ?

Quand on pose des mots, on réalise ce qu’on est en train de vivre et on se rend compte de la chance qu’on a. Parfois, on est un petit peu dans le jus, dans cette routine « entraînement, performance, entraînement, manger, dodo ». C’est pas qu’on est traitées comme des princesses, mais tout est à notre disposition pour que nous soyons dans les meilleures conditions possibles pour performer. En prenant du recul grâce à l’écriture, je crois que je profite mieux de chaque moment, je sais que ça ne durera pas toute une vie. Mais, pour l’instant, ça me rend certainement plus légère sur le terrain. Avec RugbyPass, je fais vivre les coulisses du rugby féminin en général, ainsi que mes expériences.

J’adore écrire, c’est quelque chose qui m’aide beaucoup dans mon quotidien. Depuis que j’ai trouvé cet équilibre entre ma vie personnelle, ma vie sociale, ma vie professionnelle et ma vie rugbystique, je vais beaucoup mieux. Quand j’étais en STPAS, j’étais obnibulée par la performance et le rugby, j’avais peu d’à-côtés. Aujourd’hui, je suis heureuse d’aller à l’entraînement parce que je n’ai pas attendu ça toute la journée, j’ai appris des choses qui me passionnent en journalisme. Ça a été un moyen de me libérer.

©FFR

Il y a de la concurrence sur chaque poste en équipe de France : en 2024, ton contrat fédéral n’est pas prolongé et tu n’es pas convoquée pour la deuxième édition du WXV, compétition internationale féminine de rugby à XV créée en 2021 par World Rugby. Comment as-tu vécu cela ?

Oui, forcément, en équipe de France, il y a énormément de concurrence, et heureusement pour l’équipe et pour le rugby en général ! C’est ça qui nous permet de nous surpasser, de nous tirer vers le haut. Après ma première sélection en avril 2023, je connais mon premier W15 en Nouvelle-Zélande, c’est un peu un rêve éveillé. Et puis un an plus tard, en juin 2024, on m’annonce qu’on ne prolonge pas mon contrat parce que mes performances ne sont pas à la hauteur des attentes. J’étais consciente que je ne réalisais peut-être pas la meilleure saison avec les meilleures performances. Mais ça m’a étonnée parce que j’avais vécu un tournoi en 2024 en tant que remplaçante donc je me disais que j’avais une petite place dans cette équipe. Ça a été quelque chose de difficile à vivre bien sûr, surtout à un an de la Coupe du Monde, mais ça fait aussi partie de la loi du sport. Il faut simplement passer à autre chose rapidement, encaisser le coup, et surtout repartir au travail pour se donner les moyens d’y arriver et de revenir.

Je ne suis donc pas convoquée pour la deuxième édition du W15 qui se déroule au Canada. À ce moment-là, j’ai deux options : soit j’abandonne tout et je me dis que l’équipe de France est finie ; soit, au contraire, je délivre tous mes efforts pour essayer de vivre cette compétition qui s’annonce incroyable. Je sais que je suis capable de faire mieux sur le terrain à ce moment-là, donc tout est une question de conviction et d’entraînement, finalement. Ce qui m’a permis de rebondir aussi, c’est qu’on était deux à se retrouver dans la même situation. Carla Arbez, qui joue numéro 10, a un peu vécu la même chose au même moment. On s’est aidées, on a tout fait pour se tirer vers le haut. On pouvait surmonter cet échec ensemble. Ça nous a plutôt souri à toutes les deux : comme moi, elle a fait son retour pendant le tournoi des Six Nations.

©FFR

C’était la première fois dans ton parcours que tu vivais une situation difficile alors qu’en parallèle, tu remportais par deux fois (2023 et 2024) le Championnat de France avec les Lionnes du Stade Bordelais. Comment tu gères ces up and down ? Est-ce que tu es coachée sur le plan mental ?

J’ai été accompagnée un peu plus jeune sur la gestion du stress et de mes émotions, notamment pour mon rôle de buteur, qui peut engendrer des situations assez stressantes et difficiles à gérer. Je me suis posé la question à la rupture de mon contrat car le mental est un aspect très important de la performance. Mais je n’en ai pas vraiment ressenti le besoin, je me suis sentie assez forte sur le moment, même si je pense qu’on n’est jamais invincible. J’ai senti que j’aurai les ressources pour rebondir. Individuellement, j’ai fait un gros travail mental, qui n’a pas été évident, mais qui m’a permis de revenir. Avec les titres de mon club, j’avais la sensation que l’année avait été plutôt réussie pour moi. J’ai même fini meilleure marqueuse de la saison. Mais c’est vrai que de perdre mon contrat m’a fait dire le contraire.

Après, au sein de l’équipe de France, on fait des séances de préparation mentale plutôt collectives : pour essayer d’apprendre à gérer nos temps forts, nos temps faibles, nos moments hors rugby. Un match de rugby, ça dure 80 minutes, mais sur les 80 minutes, il n’y a que 35 minutes de temps de jeu vraiment effectif. Tout le reste, c’est une attitude, c’est du replacement, du body language, de l’échange avec les autres. Tous ces moments hors action, c’est un travail tout aussi important que le reste et d’autant plus quand le niveau s’élève et que la pression de la compétition est plus grande.

©FFR

Pourtant, après cette saison blanche avec l’équipe de France, tu es revenue sur le devant de la scène, notamment lors du Tournoi des Six Nations de ce printemps. Tu es désormais incontournable dans le paysage rugbystique. Tu as donc su transformer l’essai !

Oui, c’est une année assez incroyable. En plus, côté club, on est à nouveau championnes cette année et j’ai été désignée meilleure réalisatrice du Tournoi des Six Nations (avec 73 points marqués, Ndlr). Je pense que je me connais mieux et j’ai gagné en maturité en vivant ces échecs. C’est un peu bateau de dire que ça m’a fait grandir, mais c’est vraiment quelque chose aussi qui m’a rappelé que l’équipe de France, ce n’est pas évident. Ça se mérite vraiment. Toutes ces expériences vécues, négatives ou positives, me construisent en tant que joueuse.

Je ne dis pas que ça a été une période facile, et bien sûr que ma confiance en moi a été ébranlée quand je me suis retrouvée face aux coachs et qu’on m’a annoncé qu’on ne me renouvelait pas. Mais avec le temps, le travail et les performances que j’ai faites cette saison, j’ai peu à peu retrouvé cette confiance et c’est ce qui m’a permis d’être là où je suis aujourd’hui. Quand j’ai été reconvoquée un an plus tard, j’ai compris que mes performances démontraient bien que j’étais capable de faire mieux.

©Stade Bordelais

Ils ne se sont pas trompés car, aujourd’hui, ton nom est sur toutes les lèvres après ton exploit au tournoi des Six Nations (plus de 81 % de réussite face aux perches). On parle de toi comme la « buteuse métronome », l’« artilleuse d’élite » ou le « sniper des Bleues ». Qu’est-ce que tu as ressenti ces derniers mois avant la Coupe du Monde qui débute dans quelques jours : excitation ou pression ?

Tout est allé très vite. Je me relevais d’un évènement assez difficile et, quelques mois plus tard, je suis reconvoquée en stage. Ça a déjà été une première étape de retrouver le groupe, ne serait-ce que pour m’entraîner. Et puis, à l’annonce de la première composition, je suis titulaire. Donc, c’était encore une étape de franchie. Après le premier match, je marque 15 ou 18 points sur la première rencontre. Et là, je vois que les médias s’emballent un petit peu. Moi, je partais d’un palier où je ne m’attendais presque plus à rien et je ne préférais pas me faire de faux espoirs. Et, au final, j’ai vécu un tournant assez exceptionnel.

Les médias parlent effectivement de moi et dans des termes qui me semblent un peu « trop », ça me met presque mal à l’aise. Mais je suis super heureuse. Et franchement, émotionnellement, c’était la meilleure façon de revenir après un tel échec. Après, oui, ça rajoute une petite pression parce que je me dis que maintenant que j’ai montré tout ça et avant la Coupe du Monde, on va en attendre beaucoup de moi…

©FFR

As-tu eu des retours similaires de la part de tes coachs ou de l’équipe ?

Franchement, ça a été super positif. Tout au long du tournoi, ils m’ont montré qu’ils me faisaient confiance et qu’ils étaient plutôt satisfaits, ne serait-ce que par le fait de me reconduire à chaque match. On n’a pas débriefé longuement sur ce tournoi ensuite et je pense que c’est bien aussi pour moi, pour que je garde les pieds sur terre et que je me concentre à nouveau sur les bases pour la suite sans m’enflammer. Et les filles aussi m’ont énormément mis en confiance. Ce climat très sain m’a permis aussi de m’épanouir sur le terrain.

Tu as eu 81,25 % de réussite au pied durant ce tournoi et tu racontes que tu aimes ressentir cette pression du « buteur ». Il se passe quoi dans ta tête au moment où tu tapes dans le ballon ?

Justement, pas grand-chose. J’essaie de penser le moins possible. Finalement, c’est un geste que je répète et que je connais par cœur. Il ne me demande pas une énorme concentration. Il est comme naturellement ancré en moi maintenant. Quand il y a plus de pression autour, notamment dans des matchs à niveau international, le plus important pour moi est de faire le vide et de faire comme si je me trouvais à l’entraînement. L’idée est d’avoir le geste le plus naturel, le plus relâché́ possible. C’est comme ça que je tape le mieux.

@Cyril Perronace

Alors, à quelques jours de la Coupe du monde justement, quel est ton état d’esprit ?

Sincèrement, je ne réalise pas que je prépare une Coupe du Monde. Quelle chance ! C’est la plus grande compétition, le graal pour les joueurs de rugby. J’ai hâte de rentrer sur le terrain et de représenter fièrement mon pays. Mon objectif est qu’on remporte cette compétition, j’ai la sensation que l’équipe s’entraîne pour gagner la Coupe du Monde, pour performer. C’est vraiment tout un travail global, celui des 38 filles qui se sont entraînées et des 50 personnes autour de nous qui font en sorte qu’on performe.

Est-ce que tu penses que les spectateurs vont être au rendez-vous et qu’est-ce que ça change pour vous sur le terrain ?

Oui, je pense vraiment que ça va être un événement qui peut faire basculer le rugby féminin dans une autre dimension. C’est en Angleterre en plus, là où il y a beaucoup d’attirance pour le rugby féminin et autour de son équipe nationale. Donc, je pense que les stades seront pleins et que les gens seront à fond. Et j’espère que ce qu’on produira sur le terrain et ce qu’on montrera en dehors, donnera d’autant plus envie de nous suivre.

©DR/Declick Photo

Penses-tu que la popularité du rugby féminin va en grandissant ?

Franchement, oui, il y a une énorme évolution. Je ne suis pas là depuis très longtemps, donc je n’ai pas forcément le recul sur les dix-quinze dernières années. Mais les plus anciennes le diront mieux que moi. Je pense que ça n’a rien à voir. Aujourd’hui, on a la chance d’avoir quelques matchs qui sont diffusés sur Canal + par exemple et l’équipe de France féminine est quand même très suivie. Nous, on sent vraiment qu’il y a une ferveur grandissante des supporters autour de l’équipe. Et au niveau des audiences, c’est plutôt bon. On est en train de construire quelque chose de beau et de grand pour la suite. Cette Coupe du Monde va vraiment beaucoup jouer en ce sens. C’est pour ça aussi qu’on a un petit peu cette pression-là de réussir pour donner envie aux gens de nous suivre, aux jeunes filles de s’inscrire et de préparer l’avenir du rugby féminin.

©Stade Bordelais

Quelles sont les évolutions à mettre en place pour le rugby féminin aujourd’hui ?

Alors, il y a encore du travail. On est encore loin du niveau des garçons et du Top 14. Il y a encore des inégalités par rapport au rugby masculin, bien sûr. À l’avenir, il faudrait que notre championnat soit entièrement médiatisé pour qu’il y ait vraiment une réelle euphorie autour de nos matchs. Parce que là, c’est un match de temps en temps. Et du coup, les gens ne comprennent pas forcément ce qu’ils suivent ni l’enjeu des matchs. Après, l’idéal serait la professionnalisation ou la semi-professionnalisation du championnat. Parce qu’il faut que les filles aient du temps pour s’entraîner, pour progresser, pour proposer encore mieux sur le terrain, pour faire évoluer l’équipe de France. Ça part de tout en bas finalement, chaque détail compte.

Est-ce que c’est important pour toi de devenir une ambassadrice pour le rugby féminin et qu’est-ce que tu voudrais transmettre à la jeune génération ?

Nous, on n’a pas forcément eu de modèles féminins au rugby dans notre génération car les joueuses n’étaient pas médiatisées donc il y avait moins d’engouement qu’aujourd’hui. C’est un rôle que les anciennes n’ont pas forcément pu avoir. Alors oui, c’est important pour moi et j’espère qu’on est déjà des modèles et des exemples pour les jeunes filles. J’espère tout simplement que je leur donne envie de faire du rugby en montrant ce qu’on fait et la chance qu’on a de vivre tout ça.

@Cyril Perronace

Dans le fond, qu’est-ce que le rugby t’a apporté dans ta vie ?

Tellement de choses, c’est difficile de résumer. Comme je l’ai dit, j’ai grandi avec le rugby. Ça va faire sept ans. Et j’ai vécu en communauté, à l’internat aussi. Donc au-delà d’être une aventure sportive assez incroyable, c’est vraiment une aventure humaine exceptionnelle. J’ai rencontré mes meilleures amies au rugby. On crée des liens très forts parce qu’on vit des émotions inoubliables à travers le sport et en dehors car il y a aussi une grosse partie de l’aventure qui se vit hors du terrain. Ça m’a un peu tout apporté, en fait : des rencontres, une évolution personnelle, des échecs, des réussites. Franchement, sans le rugby, je ne sais pas ce que serait ma vie aujourd’hui. Et je ne veux pas le savoir. Si on me proposait de changer, je ne changerais rien.

Ouverture ©FFR

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