Tu es née à Pau, entre océan et montagne, il y a bientôt vingt-quatre ans, et ton sport prédilection, enfant, c’était la danse. Tu as commencé quand ?
La danse a été, pour moi, une véritable passion. Dès l’âge de 3 ans, je demandais à ma mère de m’emmener faire du classique. Finalement, j’ai commencé à 7 ans et j’ai pratiqué pendant dix ans dont la moitié au conservatoire. Arrêter la danse n’a pas été une volonté de ma part mais, à un moment donné, j’ai été contrainte de faire un choix : j’avais caché à ma prof de danse que je faisais du ski, ce qui était interdit au conservatoire, même pour s’amuser. Un jour, elle est tombée sur un article qui parlait de moi…
Tu laisses tomber la danse pour le ski, le choix n’a pas été trop cornélien ?
Je n’ai pas vraiment abandonné la danse, mais j’ai arrêté de pratiquer à hauteur du niveau qui était le mien. Quoi qu’il en soit, la danse est toujours très présente dans mon quotidien, j’aime beaucoup skier avec du rythme par exemple, je lui dois également beaucoup en ce qui concerne mon cardio, et je sais au fond de moi que j’y reviendrai un jour.
©Marie-Charlotte Iratzoquy/Facebook
Ta pratique était ce que l’on peut qualifier d’intensive. Tu n’as jamais eu envie de rentrer à l’opéra ?
Mes parents me laissaient pratiquer autant de sport que je le souhaitais à condition que les études suivent, ce qui fait que j’avais pris toutes les options possibles et, le soir, j’enchaînais avec la danse jusqu’à 22h. J’avais également deux cours de danse le mercredi et, quand c’était terminé, j’allais faire mon VTT pour le ski. Le week-end, c’était relâche pour la danse et ces jours-là, je faisais des allers-retours dans les Alpes pour pouvoir chausser de nouveau mes skis.
Malgré tout, je n’ai jamais eu envie de tenter l’Opéra. Je n’avais pas le niveau et puis je n’ai jamais souhaité faire de mes pratiques sportives mon métier. Dans ma famille, mes parents ont toujours pratiqué beaucoup de sport mais en loisir, pour le plaisir. La perspective de transposer ça dans un cadre professionnel n’entrait pas du tout dans mes cadres imaginaires de l’époque.
Qu’est-ce qui a fait pencher la balance du côté du ski ?
Nous avions un chalet en montagne dans lequel nous allions le week-end et les vacances et nous avons toujours baigné dans ce milieu, mais davantage via le trail que pratiquait mon père. Il pratiquait également le ski de rando et, pour être honnête, à l’époque, je trouvais ça assez stupide : les remontées mécaniques existent alors pourquoi faire sans ?! Et puis mon frère s’y est mis et ça a commencé comme ça.
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Ça s’est plus fait par hasard. Mon frère était dans une équipe de ski alpinisme dans les Pyrénées. Un jour, avec ma mère, on l’a accompagné pour qu’il puisse participer à ce que l’on appelle une verticale, à savoir une course qui se résume à une montée sèche. L’idée de l’attendre dans la voiture ne me réjouissait pas alors je me suis dit que j’allais m’inscrire moi aussi. Dans ma tête, le tracé devait faire une certaine distance mais en réalité, ça faisait le double. Peu importe, même si je n’étais pas équipée pour, je me suis bien amusée et j’ai gagné des filles qui étaient inscrites au club et faisaient déjà des résultats nationaux.
On t’a proposé d’intégrer le club par la suite ?
Oui, trois mois après cette verticale, j’ai commencé à faire les entraînements avec l’équipe. La première fois que j’ai chaussé les skis, qui sont très différents de ceux que l’on utilise en alpin, ça a été une catastrophe. Il faisait super froid, moins 10 peut-être, c’était terrible mais quand j’ai rejoint ma mère dans la voiture, je lui ai dit : « C’était super ! ». L‘histoire a débuté comme ça. À la base, je devais simplement faire des verticales parce que les descentes étaient atroces pour moi et puis, finalement, durant l’année, j’ai participé à ce que l’on appelle des individuelles, c’est-à-dire des courses avec plusieurs montées et plusieurs descentes.
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J’ai lu un entretien dans lequel tu disais avoir une appétence pour le haut niveau, c’était ça le but avec le ski alpinisme ?
Non, je n’ai jamais eu d’appétence pour le haut niveau. Au contraire, j‘ai très souvent dû composer avec le syndrome de l’imposteur. En danse, par exemple, il y avait plein de filles avec beaucoup plus d’habilités que moi en termes de souplesse, de coup de pied et j’ai toujours dû beaucoup travailler pour essayer d’être au niveau. En ce qui concerne le ski, je ne pensais pas non plus remplir les critères qui m’auraient permis de me qualifier de sportive de haut niveau.
Quels étaient ces critères ?
Pour moi, être sportive de haut niveau désignait quelqu’un qui avait commencé la pratique dès le plus jeune âge, qui habitait en montagne, qui avait fait de la compétition. Moi, ce n’était pas ça, je me suis mise au ski-alpinisme sur le tard et il se trouve que ça a fonctionné mais ça m’est un peu tombé dessus. Il a fallu un long processus pour que je m’accorde le droit de me considérer comme une sportive de haut niveau et me présenter comme telle. Mon ambition principale n’a jamais vraiment été d’être première, de gagner ou d’écraser les autres. Quand je suis au départ, j’ai évidemment envie de gagner la fille qui est devant moi, mais ma motivation première est ailleurs.
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Ce qui m’attire beaucoup dans le sport de haut niveau et dans mes pratiques, c’est la recherche de la perfection, mais de la perfection vis-à-vis de moi. Je pense que je tiens ça de la danse classique. C’est un processus qui nécessite une introspection pour aller chercher tous les éléments, tous les petits détails qui, non seulement font la différence, mais qui plus est m’apportent également un équilibre.
C’est cette exigence, cette quête de toi, qui va te mener jusqu’en équipe de France…
Oui, j’y suis rentrée lorsque j’avais 18 ans je crois.
Ton parcours semble avoir été facile, c’est une impression ou c’est la réalité ?
En danse comme en alpinisme, je n’ai jamais été la meilleure, je n’ai jamais véritablement brillé mais j’ai toujours beaucoup travaillé pour arriver là où j’en suis arrivée. En ski–alpinisme par exemple, j’ai remporté une vingtaine de titres de vice-championne de France sans jamais avoir la même fille devant moi ! Tout n’a pas été simple, notamment mentalement, mais ça m’a permis d’être résiliente. Ceci étant, aujourd’hui, je ne suis plus en équipe de France et ce, depuis un an et demi.
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Je suis passée en catégorie senior où les critères sont de plus en plus difficiles et puis, le ski–alpinisme a été ajouté au programme des Jeux olympiques de Milan Cortina qui auront lieu en 2026 mais, uniquement en sprint. C’est une discipline assez nouvelle en ski-alpinisme, une discipline très visuelle mais qui, pour moi, ne correspond pas à l’idée que je me fais de mon sport. J‘ai décidé d’arrêter cette pratique parce que je n’y retrouvais pas les valeurs de ma discipline, que je n’aimais pas non plus les entraînements dédiés alors que l’on attendait plus de résultats de ma part dans ce domaine.
Tu participes néanmoins encore à des compétitions…
Oui, je participe encore aux Championnats de France et à d’autres compétitions internationales mais qui n’entrent pas dans le cadre de la Coupe du monde.
Y a-t-il néanmoins une compétition ou un rendez-vous qui, durant toutes tes années de pratique, a été marquant dans ton parcours ?
Ce qui m’a le plus marquée ce sont, je pense, des courses comme la Pierra Menta car elles symbolisent le plus la performance sportive telle que je l’entends, à savoir le fait d’aller au bout de soi-même. Les Coupes du monde, c’est totalement différent, ça dure une heure et l’idée est d’aller le plus vite possible et puis après, on n’en parle plus. Il n’y pas la même notion de souffrance dans ces deux rendez-vous. Quoi qu’il en soit aujourd’hui, ce qui me plait le plus c’est de faire des sorties qui, pour moi, ont du sens : à savoir, faire un tracé et essayer d’atteindre des sommets en empruntant tel couloir, avec tel type de neige. Ce sont des moments que je partage généralement avec des amis.
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Tu dirais que désormais la compétition est devenue secondaire pour toi ?
Non, ce serait mentir. C‘est simplement que je mesure plus ce qu’implique vraiment la compétition, en termes de déplacements par exemple, alors que les sorties dont je parle peuvent être juste à côté de la maison et permettre, elles aussi, de découvrir quelque chose d’énorme et de se dépasser physiquement.
C’est de là qu’est née ta prise de conscience en faveur d’un sport plus vert ?
Je pense que ma prise de conscience date de bien avant cela mais j’ai mis du temps à mettre les mots dessus, à mesurer toute l’importance du phénomène. Ça s’est fait progressivement. Je viens du Sud-Ouest et ça fait bien longtemps qu’on voit les glaciers disparaître dans les Pyrénées. Lorsque je suis partie dans les Alpes, les premières années j’allais skier tous les jours dans des lieux où, aujourd’hui, on ne plus aller qu’une ou deux fois par an. Il est également facile de voir que les glaciers fondent, que la montagne se modifie, qu’il y a moins d’oiseaux, moins d’insectes et tout ça permet, même à ma petite échelle, de prendre conscience de notre impact.
Tous ces changements ne sont pas sans conséquences sur notre pratique. Les conditions deviennent de plus en plus instables, ce qui rend la montagne de plus en plus dangereuse. Il nous faut être de plus en plus vigilant.
©Marie-Charlotte Iratzoquy
Est-ce que tu penses que tout cela t’a amenée à revoir totalement ta pratique ?
Je ne sais pas si quelque chose a vraiment changé parce que, dans mon quotidien, j’ai toujours beaucoup pris le train et les transports en commun, j’évite de prendre l’avion et si je peux également éviter de prendre la voiture pour aller skier près de chez moi, quitte à avoir de moins bonnes conditions, je le fais. J’ai néanmoins encore ce petit truc lié à la compétition qui fait que, pour honorer ces rendez-vous, si je dois faire deux heures de route pour aller m’entraîner afin d’être au niveau, je le fais aussi.
Comment parvient-on à apprivoiser ces injonctions contradictoires entre préservation de l’environnement et l’envie de continuer à performer sur le plan sportif ?
Aujourd’hui, la responsabilité que l‘on veut se donner est à hauteur de chacun. Ça peut être des petits gestes du quotidien ou un engagement plus poussé qui mène, peu à peu, à une transition morale. Il reste que c’est assez dur de se priver de ce que l’on aime – la compétition, les voyages… – et de voir que des politiques qui auraient le pouvoir de changer des choses ne le font pas forcément. On se demande pourquoi nous, dans ces cas-là, nous devrions le faire, ne serait-ce qu’en termes de légitimité. Je pense que l’important est de se sentir en accord avec soi-même sur ce sujet et d’essayer de faire prendre conscience au plus de monde possible de l’importance de ces enjeux.
©Marie-Charlotte Iratzoquy
Ça se traduit comment concrètement pour toi ?
J’essaie de prendre le moins possible ma voiture, d’avoir une alimentation raisonnée et durable sans forcément arrêter totalement la viande, de demander le moins d’affaires possible à mes sponsors… Tout cela prend du temps alors que ça devrait aller vite, ça génère de la culpabilité, de l’anxiété, mais il faut trouver le moyen de composer avec parce que nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé avant, mais nous le sommes de ce qui se passe maintenant.
Est-ce que les gens qui t’entourent te suivent ?
En ski–alpinisme, contrairement à d’autres disciplines, on voit très concrètement les impacts du changement climatique. Nous, s’il n’y a pas de neige à canon, on ne peut quasiment plus pratiquer notre sport, nos saisons sont de plus en plus courtes et il nous arrive fréquemment de skier sur des parcours bordés d’herbe. Nous sommes tous les jours au contact de la nature, on ne peut pas ne pas voir qu’elle change, c’est factuel et c’est pour cela, je pense, que beaucoup de monde se sent concerné.
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Quel avenir ont selon toi les sports de neige de manière générale et le ski-alpinisme en particulier ?
Ce qui est certain, c’est que notre pratique sera différente. Aujourd’hui, dans les Alpes, beaucoup de gens terminent de travailler à 18h et font une demi-heure de voiture pour trouver de la neige et skier comme si c’était un petit footing du soir. Ça, bientôt, ce ne sera plus possible. Il faudra monter encore plus haut, il y aura encore plus de stations désertes et il est fort probable que, sous peu, les Alpes connaissent les mêmes problématiques que les Pyrénées.
Comment vois-tu ton avenir de sportive ?
J’ai envie de continuer la compétition mais pour le plaisir. Je fais également du trail depuis longtemps et cette pratique est plus facile que celle du ski alpinisme, je pense que je vais me tourner vers des disciplines de cette nature-là, à moins que j’opte pour un retour à la danse.