Tu fais de l’escalade depuis tes 5 ans, mais c’est tout de même sur le tard qu’il devient ton sport privilégié…
Tout à fait. C’est pour ma première année U16 que j’ai complétement basculé vers l’escalade, avant ça, je faisais beaucoup de gymnastique. J’étais en section sportive, donc j’avais jusqu’à vingt-cinq heures d’entraînement par semaine ! Mais je grimpais quand même à côté, avec ma famille, les week-ends surtout. Mes deux sœurs pratiquent, c’était de bonnes occasions de faire du sport ensemble.
Pourquoi passer de la gymnastique à l’escalade ?
J’aimais toujours faire la gym, mais l’ambiance ne me convenait plus vraiment. Il y avait beaucoup de compétition un peu malsaine, que ce soit entre filles ou même avec les entraîneurs. Ça m’a forgée et fait de moi l’athlète que je suis aujourd’hui, mais j’ai vite compris que ce n’était pas un univers dans lequel que je voulais m’investir plus longtemps.
L’escalade, c’est très différent. C’est un sport plus familial et d’après mon expérience la compétition y est moins malsaine… Tout ça explique mon choix. D’autant plus que cumuler gym et escalade avec des compet’ aurait été impossible.
La compétition est pourtant un sujet aussi en escalade, certains pensent que ce n’est pas dans l’esprit premier de la discipline, d’autres adorent… Elle a vite été importante pour toi dans cette discipline ?
Oui, ça a tout de suite été important quand j’ai basculé en U16. J’ai appris à grimper en salle, ce qui fait que le côté peut-être plus chill de la grimpe en falaise ne m’a pas trop influencée. Et puis, je faisais beaucoup de championnats avec la gym, j’aimais ça, et je voulais retrouver cet esprit de compétition en escalade également.
Aujourd’hui, tu es une spécialiste de la voie. Est-ce qu’il y a eu une hésitation avec le bloc* à tes débuts en U16 ?
Il y a carrément eu une hésitation ! Quand tu commences en compet‘, tu essayes forcément les deux disciplines. J’étais assez forte dans les deux, lors de ma première saison U16, je suis vice-championne du monde jeunes en voie et en bloc ! Mais dès la saison suivante, j’ai eu un peu moins de résultats en bloc. J’ai tout de même participé aux Championnats de France, à des étapes de Coupe d’Europe… Mais c’est vrai que mes qualités s’expriment davantage en voie, mes résultats en témoignent.
Tu t’entraînes aujourd’hui au Pôle France de Voiron, quand l’as-tu intégré ?
Après ma première année U16. Je suis rentrée en seconde à Voiron pour intégrer le Pôle France, j’ai été en famille d’accueil tout le temps de mon lycée. Aujourd’hui, j’ai déménagé à Grenoble donc je suis moins au Pôle. J’y vais deux-trois jours par semaine, notamment pour la préparation physique, il y a tout ce qu’il faut là-bas. Pour la grimpe, il y a des salles à Grenoble, Valence, Lyon…
Qu’est-ce que le fait d’entrer dans le Pôle France a changé pour toi ?
Cette rentrée dans le Pôle était dans la continuité de mon état d’esprit. Avant même de l’intégrer, lors de ma première année U16, j’avais un coach très compétent avec qui je suivais un programme pointu. J’étais déjà dans cette optique de la performance et du haut-niveau. Le plus gros changement avec le Pôle, c’est l’émulation qui se créée avec tous les grimpeurs et grimpeuses très forts qui t’entourent. Et bien sûr, tout le côté très structuré de l’organisation, avec un suivi très poussé.
La sociologue Aurélia Mardon que nous avons rencontré pour ses travaux sur les jeunes dans l’escalade, dit que les filles trouvent d’autres manières de grimper que les garçons afin de pouvoir les concurrencer, eux qui jouent beaucoup sur la force, qu’en penses-tu ?
L’escalade est un sport très complet. Tout le monde est en bas du même mur, avec les mêmes prises, mais le panel de possibilités pour arriver en haut est hyper large. Pleins d’aspects peuvent être mis à contribution, aussi bien physiques que techniques, de la souplesse comme de la force… Si généralement, les garçons sont très à l’aise dans des murs plus physiques, les filles vont l’être davantage dans des mouvements nécessitant pas mal de souplesse par exemple. Et chacun ou chacune va pouvoir essayer sa propre technique avec ses qualités principales. L’escalade englobe toutes les qualités qu’une femme ou un homme peut avoir.
Lors des entraînements, les groupes sont mixtes ou par genre ?
Plutôt mixtes. Dans mon cas, au Pôle France, nous sommes généralement quatre ou cinq par entraîneur, et dans mon groupe, on est deux filles et deux garçons. Nous suivons les mêmes séances. Il peut y avoir, notamment pour le bloc, des circuits pour les garçons et d’autres pour les filles, comme on le retrouve en compétition finalement, mais on se mélange très souvent, et on analyse de la même manière l’essai d’un homme et celui d’une femme.
Est-ce que cette mixité a pu créer une rivalité filles-garçons plus forte, ou au contraire, a-t-elle renforcé votre cohésion ?
Ça nous tire davantage vers le haut, avec l’émulation qui se créée. C’est déjà arrivé que des filles très fortes physiquement commencent à être meilleures que des garçons dans des exercices physiques, et les mecs ont réagi en s’entraînant encore plus. Personnellement, je ne l’ai jamais vécu comme quelque chose qui me tire vers le bas, au contraire, ça nous pousse tous ensemble à nous surpasser.
As-tu déjà été confrontée à des barrières, à des remarques négatives parce que tu es une fille en escalade ?
Je ne pense pas, je n’ai jamais ressenti ce genre de regards ou d’exclusion à ce sujet.
Est-ce qu’il y a eu un moment charnière où tu as senti que tu voulais faire de l’escalade à haut-niveau ?
J’ai toujours baigné dans l’univers du haut-niveau. Ma grande sœur a été en équipe de France d’escalade et j’allais avec elle sur des stages, je grimpais avec son groupe… Forcément, ça m’a inculqué un état d’esprit de compétition, de performance.
Mais ma première année U16 reste très particulière tout de même. En plus d’être ma première année durant laquelle je me suis complétement focus sur l’escalade, c’était également une année Covid. Beaucoup de compet’ sélectives ont été annulées, ce qui fait que les compétitions restantes portaient beaucoup d’enjeux, on intégrait très rapidement les championnats internationaux.
Quand j’ai eu de bons résultats à ces moments-là, j’ai compris que j’avais le niveau pour faire des choses vraiment sympas dans l’escalade. Les coachs me l’ont confirmé et, naturellement, mes exigences sont donc montées d’un cran. Ce sont plus des confirmations qu’un moment charnière précis, mais ça a tout de même changé pas mal de choses pour moi.
Entre 2021 et 2023, tu as cumulé trois médailles d’argent et un titre mondial chez les jeunes. Raconte-nous cette explosion au plus haut niveau de ta catégorie d’âge…
Ma médaille d’argent en bloc en 2021 m’a un peu surprise. Je voulais faire un podium en voie, pour le bloc, l’objectif était de se qualifier en finale. J’ai donc dépassé mes attentes sur ce point. Et avec ma médaille d’argent en voie, j’ai réussi mes premiers Championnats du monde avec la manière.
Après ça, je voulais donc logiquement gagner en voie, et réitérer ma perf’ en bloc. Lors des mondiaux 2022, je fais sixième en bloc, ce qui forcément me déçoit un peu par rapport à 2021. Et lors de l’épreuve de voie, je fais de nouveau deuxième, mais cette fois pour rien du tout. C’était extrêmement serré entre moi et la première. Cette situation m’a vraiment frustré, mais m’a aussi permis d’être énormément investie lors de la saison suivante. Je voulais ce titre ! Et quand j’ai bien gagné les Championnats du monde en 2023, c’était un soulagement. J’étais contente de voir que tout mon investissement avait porté ses fruits.
Lors des championnats du Monde jeunes de voie en 2023 à Seoul, Meije Lerondel a fini sur la plus haute marche du podium…©Dimitris Tosidis/IFSC.
En juillet 2024, tu participes pour la seconde fois de ta jeune carrière à une étape de Coupe du Monde avec les seniors. En 2023, c’est à Chamonix ; en 2024, à Briançon… C’était un gros objectif de ta saison cette qualification ?
Oui, totalement. Les deux fois d’ailleurs, même si, en 2023, j’avais deux gros objectifs : devenir championne du monde jeunes et me qualifier pour une étape de Coupe du Monde seniors, au moins une en France. Pour ces étapes à domicile, le pays organisateur a plus de places qualificatives et souvent, ce sont des jeunes qui sont envoyés, pour accumuler de l’expérience.
En 2023, je me qualifie à l’étape de Chamonix lors des championnats de France. En 2024, c’est différent : je suis championne du monde jeunes de voie 2023, du coup je suis qualifiée d’office pour une étape en France, à Briançon.
Quels enseignements as-tu tiré de ta première expérience dans la cour des grandes, à Chamonix ?
En 2023, l’objectif était vraiment de se qualifier à cette étape. Une fois ce challenge réussi, c’est vrai que je n’étais pas vraiment préparée à l’exigence des voies seniors. Mon plus gros objectif de la saison était les Championnats du monde jeunes, je ne pouvais pas m’entraîner à la fois sur le style des voies jeunes et seniors. Pas suffisamment en tout cas. Mais cette étape de Coupe du Monde seniors à Chamonix reste une expérience folle.
L’ambiance est différente, en plus cette étape en particulier se déroule dans un cadre incroyable, on a vu sur le Mont Blanc depuis le lieu de la compet‘ ! Je me suis sûrement fait un peu dépassée par cet environnement, mais j’étais tout de même super contente. Et ça m’a permis de me faire une première expérience en senior et de comprendre ce sur quoi il allait falloir que je travaille davantage pour de nouveau me qualifier.
C’est à Chamonix que Meije Lerondel s’est frottée pour la première fois au plus haut niveau seniors de l’escalade…©Jan Virt/IFSC.
Et en juillet 2024 à Briançon, tu as mieux réussi à appréhender l’événement ?
On avait mis l’accent sur le style de grimpe senior pour la préparation de ma saison 2023-2024. C’était le principal objectif, j’étais mieux préparée physiquement et techniquement, et ça s’est vu. J’ai mieux grimpé qu’à Chamonix et je ne finis qu’à quelques places de mon objectif, les demi-finales. J’étais forcément un peu déçue de ne pas aller plus loin, mais j’ai tout de même senti une réelle progression par rapport à l’an dernier. Ça fait de l’expérience, c’est le plus important !
Pour toi, l’année 2024 s’est terminée sur des Championnats du Monde et d’Europe jeunes plus compliqués. Tu es éliminée en demi-finale aux Mondiaux, tu finis septième aux Europes à Troyes, la ville de ton club… Qu’est-ce qui s’est passé ?
Les Championnats du Monde jeunes 2024 sont tombés fin août et, à cette période, je sortais d’un enchaînement de compétitions chez les seniors. J’étais fatiguée, et de toute façon, ces Championnats du monde n’étaient pas un objectif de ma saison. J’y suis tout de même allée, mais sans être prête, ni même particulièrement motivée. Je n’ai pas vraiment trouvé le sens de ma participation à cette compet’. Forcément, à ce niveau-là, quand tu n’es pas à 200 % dans la tête, les résultats ne suivent pas.
Pour les Europes, c’est différent. J’avais pu me préparer pendant un mois, juste après les Mondes jeunes. J’ai tout de même dû gérer mon entrée à la fac, mais cette préparation s’est dans l’ensemble bien passée. J’étais en forme, motivée, ça me tenait à cœur de performer à la maison, à Troyes ! Ma compétition se passe très bien en qualif’ et en demi, je produis une belle grimpe. Mais je me loupe un peu en finale, et je finis septième.
Le résultat final est un peu décevant, mais l’ensemble reste positif à mes yeux. Mes sensations étaient bonnes, là encore ça fait de l’expérience supplémentaire… C’était une bonne conclusion à la saison !
La suite, c’est quoi pour toi ?
Déjà bien gérer mon emploi du temps entre les études et l’escalade. Je suis en licence de Physique Recherche, mais je vais sûrement faire ce cursus sur quatre ans au lieu de trois. Ça va me permettre d’avoir le temps nécessaire pour m’entraîner convenablement. Et ça s’est plutôt bien passé lors du premier semestre de cette année ! Ça a été un peu chaud au moment des partiels, mais ça se fait.
Niveau escalade, je me concentre sur la voie en senior et je ne fais plus de compet’ jeunes. J’ai l’impression d’avoir fait ce que j’avais à faire, je n’ai plus vraiment la volonté de m’investir dans cette catégorie. Il faut que je prenne de l’expérience chez les grandes désormais ! Les prochaines compétitions arrivent bientôt : une première sélection pour les étapes de Coupe du Monde a lieu mi-mars, ensuite lesdites étapes en avril et début mai, les Championnats de France début mai également, une seconde sélection pour la Coupe du Monde mi-mai…
La transition de jeunes à senior n’est pas simple, donc rien ne sert d’avoir des buts démesurés. Il faut d’abord créer des bases solides. Avec mon coach, on va davantage mettre l’accent sur la progression technique et physique. Mais nous avons tout de même des objectifs évidemment : en Coupe du monde, je veux accéder avec régularité aux demi-finales, et pour les Championnats de France de voie, finir sur le podium.
Après avoir vécu les JO de Paris l’été dernier comme spectatrice, est-ce que participer aux Jeux de Los Angeles en 2028 est ton rêve du moment ?
Oui, carrément ! C’est mon objectif à long terme. Tout le travail qu’on va abattre avec mon coach va servir nos objectifs à plus court terme dans un premier temps évidemment, mais les JO de Los Angeles sont toujours dans un coin de ma tête.
Pour conclure, si tu devais convaincre une jeune fille d’essayer l’escalade, que lui dirais-tu ?
Ce qui est vraiment bien dans l’escalade selon moi, c’est que tu es face à toi-même. Quand tu es au pied du mur, il n’y a que toi qui puisse agir et performer. C’est vrai physiquement, mais également mentalement. C’est un combat pour savoir à quel point tu vas repousser tes limites.
Et l’escalade reste un sport familial, bienveillant avec beaucoup d’entraide. C’est un sport très inspirant.
- Le bloc est une épreuve consistant à grimper des murs d’environ 4 mètres 50 en un temps imparti avec le moins d’essais possibles. La voie (aussi appelée difficulté) prend la forme d’un mur de 15 mètres sur lequel les grimpeurs et grimpeuses n’auront qu’un essai pour parvenir au point le plus haut possible.
Ouverture ©FFME