Marie Robert : « La défaite, c’est le chagrin. Mais il faut la regarder en face. »

L’échec est douloureux, mais il est inhérent à la vie humaine. Il a quelque chose de suffisamment grave pour être grandiose...

Par Marie Robert, philosophe, professeure de lettres*

Publié le 15 novembre 2022 à 12h30

Perdre et gagner. Gagner et perdre. Le duo infernal auquel doivent faire face tous les compétiteurs. Si la victoire semble émotionnellement évidente, que faire de la défaite ?

Il y a cette phrase de Michel Serres que j’ai souvent en tête : « La philosophie, cela sert à savoir perdre ». Et déjà dans cette parole, on perçoit toute l’ampleur de la difficulté : pour faire face à une défaite, les sportifs le savent mieux que personne, il faut mobiliser des outils qui nous permettront de l’intégrer, et peut-être même de la dépasser.

Mais au fond, qu’est-ce qu’une défaite ? Est-ce la même qu’une erreur ou un échec ? Les frontières sont poreuses entre les différentes notions et se distinguent plutôt en termes de degrés. L’échec est plus solennel, il nous impose de revoir le système tout entier.

La défaite est le fait de perdre une partie, une bataille, une compétition. Elle dérange, bouleverse, nous décourage, mais n’implique pas nécessairement qu’on remette en cause toute la chaîne qui nous y a conduit. L’erreur, elle, est une étape clé dans l’apprentissage. Elle permet de solidifier ses acquis, de les comprendre, de savoir les apprivoiser, de ne pas agir au hasard, ou avec hésitation. Présenter de cette façon, les enjeux se répartissent habilement.

L’échec est douloureux, mais il est inhérent à la vie humaine. Il a quelque chose de suffisamment grave pour être grandiose. Le philosophe Charles Pépin en a fait un livre, Les vertus de l’échec. Il nous explique avec finesse, combien cette expérience fondatrice peut nous rendre plus combatifs ou plus sages. Elle peut être une occasion de mieux entendre notre désir profond, de nous rendre disponibles pour de nouvelles voies, plus libres de nous tromper et de progresser.

De l’autre côté, l’erreur, elle aussi, mérite d’être perçue différemment. Elle est un levier d’amélioration car c’est dans l’erreur que se fonde la capacité de réussite si tant est que l’on accepte de se corriger.

Mais dans tout cela, qu’en est-il de la défaite ? La simple défaite. Dans cette grande entreprise de revalorisation et d’opportunités, elle semble presque triviale. Difficile de l’habiller d’autre chose que de cette mélancolie qu’elle suscite.

©Stéphane Kempinaire

La défaite, c’est le chagrin. Le vrai chagrin, lorsqu’on rentre dans le vestiaire et qu’on vient de perdre un match, les larmes dégoulinant sur les joues. Il y a quelque chose d’inhérent à l’enfance dans la défaite. Elle est passionnante, parce qu’inconsolable.

Dans la défaite, il a l’idée d’être privé de la fête. On n’aime pas perdre et aucune stratégie de développement personnel n’enlèvera ce sentiment. La défaite prend de l’ampleur car on ne peut pas la transformer en « autre chose ». C’est donc ici qu’elle devient un sujet philosophique car il faut être capable de la regarder en face, pour ce qu’elle est : la mort d’une espérance qui souvent nous renvoie au silence.

La défaite, acceptée, en appelle à l’humilité. Le terme latin humilitas dérive de humus, la terre. Le philosophe Thomas d’Aquin fait de l’humilité une authentique vertu dans sa Somme théologique. La défaite dispense une leçon d’humilité car elle invite à prendre conscience de ses limites, à se réajuster. Le moi est purifié par une petite cure de modestie, et peut à nouveau se remettre à la tâche.

Vive la défaite, c’est la victoire de demain !

 

  • *Prof de lettres et de philosophie, auteure de livres d’approche philosophique à travers des situations du quotidien, créatrice du compte Insta @philosophyissexy, Marie Robert convoque les penseurs pour mieux éclairer notre moi et notre monde. Pour ÀBLOCK!, elle a accepté d’instiller un peu de philo dans le sport. Et c’est aussi décalé qu’enthousiasmant.

 

  • Photos Manon Disbeaux, championne de natation synchronisée : « Perdre, pour moi, c’est lorsque l’on sort de l’eau et que notre entraîneur nous dit que nous n’avons pas nagé à notre niveau. Plusieurs fois, nous avons vu notre coach, avec les larmes aux yeux. Eh bien, pour moi, même si on est derrière nos concurrentes à ce moment-là, je n’appelle pas ça perdre. »
Ouverture Manon Disbeaux

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Vous aimerez aussi…

Jeux de Beijing 2022 : 1 fille, 2 garçons pour un drapeau

JO Beijing 2022 : 1 fille, 2 garçons et 1 drapeau

Et le drapeau est attribué à… Tessa Worley, Kevin Rolland et Benjamin Daviet ! Cette semaine ont été désignés les porte-drapeaux de la délégation française pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de Pékin 2022. Récompense méritée pour trois sportifs au palmarès de feu et au mental bien trempé. Petite fiche de révision pour ceux qui ne les connaissent pas (encore).

Lire plus »
Charlotte Bonnet

Charlotte Bonnet : « Quand on fait de la compétition, il faut savoir revenir plus forte, rebondir, apprendre à se faire battre. »

Elle en a fait du chemin ! Championne de natation précoce, Charlotte Bonnet, médaillée olympique alors qu’elle n’avait que 17 ans, a traversé, malgré elle, une longue et douloureuse période de doute. Presque dix ans plus tard, la Brestoise a radicalement changé. Plus mûre, plus forte, elle est parvenue à retrouver le goût de la compétition. Confessions touchantes d’une fille pour qui la natation n’est pas un long fleuve tranquille.

Lire plus »
Wilma Rudolph

Wilma Rudolph, la « Gazelle Noire » du ghetto devenue athlète de légende

Une antilope semble courir sur la piste des JO de Rome, en 1960. Des jambes élancées au tonus impressionnant, une course d’une vitesse époustouflante alliée à une grâce d’exécution sans pareille. Cette tornade délicate, c’est Wilma Rudolph, ancienne infirme devenue athlète à 20 ans. Elle remportera trois médailles d’or au sprint. Surnommée la « Gazelle Noire », elle s’est bâti une destinée de légende à la force de ses jambes et de son mental d’acier.

Lire plus »
Maria Sharapova

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une lutteuse qui ne lâche rien, deux femmes dans une auto, un 5 infos pour briller au revers avec une championne dénommée Maria (Sharapova, notre photo), la fameuse question qui tue et une initiative qui a toutes les cordes à son arc, c’est la séance de rattrapage sur ÀBLOCK!

Lire plus »
Alice Modolo

Le questionnaire sportif de…Alice Modolo

Elle vient de signer 3 records de France d’affilée. Un tiercé gagnant réalisé lors des Mondiaux d’apnée (AIDA) qui se tenait au Blue Hole de Dahab, en Égypte : 85, 87 et 89 mètres en bi palmes. Un beau lancement de saison pour la championne d’Europe qui a, cerise sur le gâteau, remporté la compétition, hommes et femmes confondus. De retour sur terre, Alice Modolo a répondu à notre petit questionnaire qui ne manque pas de souffle !

Lire plus »
Lindsey Vonn 5 infos pour briller sur des skis

Lindsey Vonn : 5 infos pour briller sur des skis

Elle a laissé sur les pistes de ski une marque indélébile et sa reconversion en business-woman commence bien. Retour en cinq infos sur la championne olympique, du monde de descente et de super-G, Lindsey Vonn, qui a marqué l’histoire des sports de glisse et au-delà.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

WordPress Cookie Notice by Real Cookie Banner