Marie Oteiza « En pentathlon, je suis passée par des hauts et des bas, mais ça vaut le coup. »
Trois ans qu’elle attend ce moment. Après une période post-olympique délicate à gérer au retour du Japon, Marie Oteiza est repartie en campagne avec en tête, l’envie de briller à Paris. La Landaise de 30 ans, ancienne numéro 1 mondiale de pentathlon, pourrait ainsi rejoindre sa compatriote Élodie Clouvel dans les annales, seule Française jusqu’alors à être montée sur un podium olympique, en 2016. Rencontre avec une sportive multi-cartes.
Par Sophie Danger
Publié le 31 juillet 2024 à 15h07
Tu es née à Mont-de-Marsan, dans les Landes. Tes parents ne sont pas sportifs mais, comme vous n’habitez pas loin de l’océan, ta maman souhaite que vous sachiez nager. La natation sera ton premier sport. Tu avais quel âge ?
J’ai commencé à 7 ans au club d’Hagetmau. Avant ça, j’avais fait un petit peu de gymnastique mais c’était davantage pour être avec mes copines.
À tes débuts, la natation aussi est un prétexte pour passer du temps avec tes amis, c’est le chrono qui va réellement te donner le goût de la discipline. Qu’est-ce qui a motivé ton envie d’évoluer à haut niveau ?
Il y avait le chrono, mais il y avait aussi le fait que ma grande sœur pratiquait la natation à haut niveau. Pour moi, elle était un modèle, elle était l’exemple de quelqu’un parti jeune pour entrer en sport-étude. Je me disais que ça avait l’air chouette comme vie : être loin de la maison, être indépendante, m’entraîner toute la journée. C’est ça qui m’a donné envie de faire du sport de haut niveau.
C’est également grâce à ta grande sœur qui suit ses études au CREPS de Talence que le pentathlon entre dans ta vie. Tu as commencé à t’y intéresser quand ?
Lorsque j’avais 13 ans, ma grande sœur s’est fait recruter en pentathlon. L’année d’après, j’ai fait une demande pour intégrer à mon tour le CREPS dans la spécialité. Coup de bol, le coach avait tellement adoré le profil de ma sœur qu’il m’a fait passer des tests, je dirais un peu prétextes. Je pense que j’étais prise avant de mettre la moindre basket aux pieds !
Le fait qu’il y ait de l’équitation en pentathlon est un argument qui te séduit. Tes parents ne veulent pas que tu fasses du cheval et tu y vois là une occasion de contourner leur volonté…
Plus que le fait qu’ils ne voulaient pas que je fasse de l’équitation, ce qui freinait mes parents est que la discipline coûte cher et qu’ils n’avaient pas forcément le budget pour me permettre de monter à cheval.
Le pentathlon, c’était une occasion en or de continuer la natation, de faire de l’équitation, de découvrir d’autres sports, de partir de la maison, d’être indépendante et de faire ma vie.
Tu as 14 ans lorsque tu intègresle CREPS de Talence. Tu savais réellement à quoi t’attendre ?
Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je faisais un peu de course, notamment en UNSS, mais pour le reste, j’étais simplement curieuse de voir ce qu’était l’escrime, le tir tout en sachant que je ne me lançais pas totalement dans l’inconnu puisque ma grande sœur était au CREPS. Je partais loin de ma famille tout en restant proche. Je savais qu’en cas de besoin, ma sœur n’était pas loin.
L’escrime et toi, ça matche immédiatement. Il te faut en revanche un peu plus de temps avec l’équitation, la discipline qui te fait le plus rêver…
Cette discipline a été un vrai coup de cœur.J’ai eu la chance d’avoir un très bon coach formateur à Talence, Didier Boube, et ça, ça aide.C’est lui qui m’a fait immédiatement adorer l’escrime. À l’inverse, l’équitation qui est le sport qui m’a donné envie de faire du pentathlon, a été très compliqué à apprivoiser au début. C’était difficile de maîtriser un animal qui a plus de force que moi.
C’était très impressionnant et mes premiers pas ont été très timides mais, au fur et à mesure que les années ont passé, je suis tombée amoureuse de cette discipline. Maintenant, c’est l’épreuve que j’attends le plus quand je pars en compétition.
Contrairement aux athlètes qui pratiquent une discipline unique, tu en pratiques cinq. Il est de fait difficile de progresser dans chacune d’elles au même rythme. Tu ne t’es pas dit, par moment, que c’était trop ou ingrat et que tu ferais mieux de te concentrer sur une seule spécialité ?
C’était un peu tout ça à la fois. Le sport de haut niveau, quoi qu’il arrive, c’est toujours un peu ingrat, d’autant plus lorsque l’on pratique cinq disciplines. D’un autre côté, le fait de pratiquer autant de sports et d’avoir autant de possibilités de progression fait qu’on ne se lasse pas.
Ceci étant, dans ma carrière, j’ai connu des hauts et des bas. Parfois je me disais que j’étais en train de vivre un rêve incroyable et, à d’autres, je me disais que je n’en pouvais plus, que j’avais envie de pouvoir dormir, d’avoir une vie normale.
Toutes les émotions nous traversent quand on est sportif de haut niveau, je pense que c’est la même chose pour tout le monde, et quand on fait des perf’, on réalise que tout cela vaut le coup finalement, quitte à avoir des petits coups de mou à certains moments.
Après quatre années à Talence, tu rejoins l’INSEP en 2012. Tu as alors 18 ans. Ta grande sœur t’avait devancée ou bien tu as dû passer de « vrais » tests cette fois ?
Ma grande sœur n’est pas venue à l’INSEP, j’ai dû passer de « vrais » tests, cette fois je n’ai pas été pistonnée !
Je suis entrée en 2012, c’était le grand bain, on arrive chez les séniors, ça ne rigole plus. Je suis rapidement partie sur des Coupes du monde sénior et j’ai réalisé que j’avais plutôt le niveau, ce qui m’a fait penser que ça pouvait être possible. C’est à ce moment-là que je me suis plongée dans ma première préparation olympique avec pour objectif les Jeux de Rio. Je les ai malheureusement manqués pour quelques places, j’étais 39e mondiale et il y avait 36 qualifiées, ça s’est joué à pas grand-chose.
Ça a été un moment compliqué mais, d’un autre côté, c’est une expérience qui m’a servie, qui m’a appris à prendre sur moi, à gérer mes objectifs et mes émotions à l’approche de gros évènements comme les Jeux.
C’est à l’INSEP que tu as commencé à nourrir le rêve de participer aux Jeux Olympiques ou c’était dans un coin de tête bien plus tôt ?
Non, je n’avais jamais eu ce rêve en tête avant l’INSEP. Je ne fais pas partie de cette team de jeunes enfants qui voient les Jeux à la télé, ont des papillons dans le ventre et des étoiles dans les yeux, pas du tout. C’est arrivé petit à petit quand j’ai réalisé que je kiffais ce que je faisais.
Je trouvais que le sport de haut niveau, c’était très cool alors j’ai envisagé l’INSEP. À l’INSEP, chez les séniors, je ne me débrouillais pas trop mal alors je me suis dit : « Pourquoi pas les Jeux Olympiques ? » et c’est une fois que je me suis dit ça, que je me suis rendu compte que j’étais dedans.
C’est Élodie Clouvel qui sera du voyage au Brésil. Est-ce qu’avec le recul, Rio n’aurait pas été un rendez-vous précipité ?
Je pense que les Jeux Olympiques n’arrivent jamais trop tôt parce que, plus on a d’expérience en la matière, plus on est capable de gérer l’évènement, de se libérer le jour où c’est à nous de rentrer en piste.
Après-coup néanmoins, cette non-qualification pour Rio n’est pas un échec pour moi. Cet objectif est arrivé très très vite et moi qui prenais jusqu’alors les compétitions de manière très décontractée, j’étais un peu dépassée. Quand la fédé et mon staff ont réalisé que j’avais peut-être une chance de me qualifier, j’ai senti qu’il y avait d’emblée beaucoup plus d’attentes envers moi, que je me mettais beaucoup plus de pression pour réussir à me qualifier et ça m’a bloquée.
Je ne parvenais plus à arriver aussi détendue sur les compétitions, il y avait toujours un enjeu de score et de performance et plus uniquement ce besoin de me lâcher et l’envie de prendre du plaisir.
À partir de 2017, tu expérimentes les affres du sport de haut niveau, tu es contrainte de te faire opérer d’un genou. Après avoir connu un début de parcours idyllique, comment apprivoises-tu ces moments plus difficiles à vivre ?
En ce qui concerne mon genou, je trainais la blessure depuis quatre ans avant de me faire opérer. J’avais très mal et il était devenu très compliqué et de m’entraîner, et d’avoir une régularité à l’entraînement. L’opération était finalement plus une délivrance qu’autre chose, il fallait en passer par là pour pouvoir, après, ne plus en parler et m’entraîner de nouveau comme je le voulais, sans plus avoir à me freiner.
C’était évidemment un contre-temps au regard de mes projets, de mes plans mais c’est aussi ce qui m’a permis, par la suite, d’emprunter une route droite. Il reste que les périodes de blessure sont, pour les sportifs de haut niveau, des moments qui ne sont jamais faciles. On voit nos collègues partir en compétition, c’est frustrant. On a l’impression d’être seul dans son bourbier, même si, en réalité, ce n’est pas le cas car, pour ce qui est de mon cas personnel, j’étais très bien accompagnée.
Il y a comme un sentiment d’injustice mais, comme dans tous les coups durs que j’ai eus au cours de ma carrière, ça m’a servie par la suite. La preuve, après mon opération, je fais ma meilleure saison.
Cette saison, c’est la saison 2018 et tu rafles quasi tout. Tu décroches, notamment, tes premières médailles en individuelle – ce sera l’or pour les Europe, le bronze pour les Monde – avec cette sensation d’avoir un niveau plus élevé qu’avant l’opération. C’est dû à quoi, au physique retrouvé, au mental endurci ?
Je pense qu’il y a un peu de tout. D’un côté, je n’avais plus cette blessure au genou qui m’empêchait de m’entraîner comme je le voulais et forcément, ça aide. De l’autre, il y avait cette hargne de vouloir revenir à l’entraînement, de renouer avec la compétition, cette hargne que j’avais traînée avec moi comme un boulet pendant plusieurs mois. Là, je pouvais enfin m’en débarrasser et simplement kiffer ce que je faisais.
Cette saison a été magnifique, d’autant plus d’ailleurs que je n’ai pas été la seule à être performante. Sur le plan collectif, on a vécu notre meilleure saison avec l’équipe de France, et partager ça ensemble a été un moment immense.
Tu confirmes l’année suivante avec des victoires et des podiums en Coupe du monde qui te permettent de devenir numéro 1 mondiale. Tu décroches également ta qualification pour les Jeux de Tokyo. Tu te sens comment cette fois ? Prête ?
Je suis prête et, pour être honnête, cette compétition à l’issue de laquelle je décroche un quota olympique est un des plus beaux moments de ma carrière. Les médailles que j’ai gagnées en individuel et collectivement restent des moments magnifiques mais ce rendez-vous là, je crois n’avoir jamais vécu une émotion comme ça.
Au cours de cette journée, ça a été sans cesse les montagnes russes. J’ai fait une escrime catastrophique par rapport au niveau qui est habituellementle mien. En natation, j’ai eu l’impression de faire un faux départ et j’ai passé mon 200 mètres à me dire que j’étais éliminée alors qu’il n’en était rien.
L’équitation, c’était un format dans lequel les chevaux étaient montés deux fois, c’est une Russe qui montait mon cheval, elle a fait un carnage avec et mon cheval a été éliminé alors qu’il était super. À ce moment-là, j’ai pensé que cette journée ne s’arrêterait jamais. J’ai pris un autre cheval avec lequel j’ai fait un sans-faute, ce qui m’a fait remonter fort dans le classement et derrière, j’ai réalisé un combiné magnifique.
Sur mon dernier tour de 800 mètres, le staff français et les athlètes français étaient éparpillés un peu partout sur le parcours et me hurlaient : « C’est bon, tu es qualifiée, ne lâche pas Marie ! » À partir de ce moment, je n’avais plus mal nulle part, c’était une émotion incroyable : malgré cette compétition horrible, j’avais réussi à prendre le quota et à la partager avec l’équipe. C’était fou !
La place de numéro 1 mondiale reste un cran en-dessous au niveau des émotions ? C’est tout sauf anecdotique dans une carrière…
Ce n’est pas anecdotique, mais un peu quand même car c’est la conclusion de ma saison. C’est une case que je peux cocher dans mon palmarès mais, même si c’est hyper gratifiant et que c’est un objectif après lequel on tend, ce n’est pas ce qui me fait vibrer en premier lieu.
A contrario, me dire que je partage des moments incroyables avec les gens qui m’entourent, des gens qui font autant de sacrifices que moi pour que je puisse performer, ça me motive plus et ça m’émeut plus qu’une médaille.
Au Japon, tu termines 10e et, à un moment, tu envisageais d’en rester là. Qu’est-ce qui t’a poussée à poursuivre ta carrière ?
Même si une 10e place pour des premiers Jeux reste correcte, je ne venais pas pour ça. Après ce rendez-vous, il y a eu de la déception et cette fameuse dépression post-Jeux. Pendant cinq ans, je n’ai pensé à rien d’autre que les Jeux Olympiques, j’ai dormi Jeux Olympiques, j’ai mangé Jeux Olympiques, je me suis fixé des objectifs élevés mais que je pensais atteignables et se dire, après Tokyo, que tout cela était terminédonne la sensation de ne plus savoir à quoi se raccrocher.
Il est très difficile de réussir à se fixer rapidementde nouveau des objectifs. Je pense néanmoins qu’il était important pour moi d’avoir une phase où je me déconnecte un peu, où je me laisse vivre.
Comment es-tu parvenue à repartir pour une olympiade ?
J’ai travaillé avec ma préparatrice mentale parce qu’il était difficile pour moi de partir en compétition et de continuer à me faire mal à l’entraînement sans savoir pourquoi même si, dans un coin de ma tête, il y avait évidemment Paris. Il reste que se le dire et le sentir n’est pas la même chose.
Et puis, il y avait une sorte de culpabilité, tout le monde me disait que les Jeux seraient à la maison, qu’il fallait tenir. À un moment, tu finis par te dire que les gens ont raison, que je vais peut-être passer à côté de quelque chose d’incroyable. Avec ma préparatrice mentale nous avons travaillé sur le fait de se fixer de nouveaux objectifs, mais aussi sur le pourquoi de ces objectifs, au-delà même de la performance, ce qui m’a permis de me remotiver.
Depuis que c’est acté, il m’a été beaucoup plus facile de me ré-engager dans la course vers Paris.
Les trois années qui viennent de s’écouler ont été, elles aussi, très chargées, marquées notamment par une nouvelle opération du genou mais l’essentiel est là : tu seras à Paris. Comment résumerais-tu cette courte olympiade ?
Après la phase Tokyo qui a également été marquée par de gros changements de staff, ce qui a été compliqué à encaisser, plus j’ai senti Paris arriver et vibrer vraiment en moi, plus j’ai su vers où je voulais aller. Aujourd’hui, j’ai 30 ans, je sais que je suis un peu au max de ma performance, je me connais par cœur, je connais mon physique, je sais de quoi je suis capable.
Tokyo, c’était un peu pour voir, pour Paris en revanche, je sais ce que je veux et j’y vais pour gagner une médaille olympique. Je sais également que ça ne sera possible qu’en ayant ces objectifs qui me sont propres et notamment celui de partager ces moments avec mes proches. C’est comme ça que je suis performante.
Qu’est-ce que tu t’attends à vivre à Paris que tu n’as pas pu vivre à Tokyo ?
Je pense que ça va être les deux extrêmes. Tokyo, c’était à l’autre bout du monde avec des gradins vides. Versailles, il va y avoir des gradins avec 14 000 spectateurs et ma famille parmi eux. J’ai hâte d’y être, de sentir cette émulation qui m’a manquée au Japon.
La suite, ce sera quoi ?Tu sais déjà si tu veux poursuivre et rempiler pour une olympiade ou arrêter comme tu le laisses entendre ?
Je me laisse le choix. Pour l’instant mon objectif c’est Paris et après, les vacances. L’année prochaine, ce qui est sûr, c’est que je mettrai davantage l’accent sur mes études et, à la fin de l’année, je ferai le point pour voir si je me sens capable de repartir ou pas.
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