La moto, la vitesse…Comment es-tu arrivée sur les pistes ?
C’est tout simple : je baigne depuis le plus jeune âge dans le milieu de la moto, mes parents sont motards ! C’était une évidence, ça coule dans mes veines ! À l’âge de 3 ans j’étais déjà sur une moto, mon père m’avait offert une « Piwi ». C’est une petite moto, une 50cc. Au fur et à mesure, j’ai grandi et les motos aussi !
Ce n’est même pas une passion, c’est un mode de vie. L’hiver, quand la saison est terminée, la moto est dans le salon. C’est ma déco, il faut que je la voie tous les jours ! Je parle moto, je mange moto, je dors moto !
Tu es une sorte de surdouée des pistes…
En 2018, j’ai commencé la piste en tant que débutante avec une moto sportive : une Yamaha R6 de 1999. Au fil des semaines, j’ai passé les différentes catégories : débutant, intermédiaire, confirmé.
Mon évolution était telle qu’en moins d’une saison je suis passée de débutante à confirmée. Ma TEAM, étonnée de voir quelqu’un progresser si vite, m’a conseillé de me mettre à la compétition. Ils m’ont alors parlé du championnat féminin. Sur le coup j’ai rigolé, je ne faisais de la piste que depuis cinq mois !
Pour moi, c’était inimaginable que je me lance dans le championnat de France. Au final, je me suis dit « pourquoi pas ? ». J’ai donc acheté la même Yamaha R6, mais plus récente.
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Comment s’est passé ton premier roulage ?
La première fois que j’ai mis les roues sur une piste, je me suis demandé ce que je faisais là ! J’étais pourtant bonne conductrice sur la route, mais j’étais totalement paniquée. Sur piste, c’est totalement différent. Il faut tout réapprendre, que ce soit au niveau des trajectoires ou de la poignée.
Quand je suis sortie de mon premier tour de piste, j’avais les bras et les jambes débordants d’adrénaline ! Je tremblais de partout, c’était génial ! Ce sont des sensations énormes de pouvoir tourner la poignée au maximum, de se coucher au sol, de poser le genou. J’ai besoin de cette adrénaline, j’ai toujours aimé ça !
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En 2019, tu es sacrée championne de France 600 cc, raconte-nous cette victoire…
Le championnat de France se déroulait en plusieurs courses.
Je me suis qualifiée pour le championnat au Mans. Lors de ces qualifications, j’avais pour objectif de faire un milieu de tableau. Résultat : je me suis qualifiée à la 3e place. Alors, je me suis dit qu’il y avait quelque chose !
Une fois qualifiée, j’ai pu participer à la course, mais j’ai complètement raté mon départ ! Je n’avais jamais fait de départ et j’ai lâché l’embrayage trop tôt. Une grosse frayeur, je me suis envolée avec la moto ! Mais j’ai tout de même fini 6e.
La deuxième course était à Magny-Cours. Je me suis lancée, toujours la fleur au fusil et sans travailler le départ. Tout le long, je me suis battue avec une fille qui était devant moi. Au dernier virage, j’ai réussi à la dépasser et je suis arrivée 3e.
Ce n’était que ma deuxième course et mon premier podium. C’est mon plus beau souvenir !
Il a fallu attendre la troisième course du championnat sur le circuit Carole pour que je m’entraîne enfin au départ ! Il s’est très bien passé. Je suis partie comme une balle avec 26 secondes d’avance sur la 2e. J’ai décroché le podium en arrivant 1ère… Beaucoup d’émotions !
La finale s’est déroulée à l’anneau du Rhin. J’ai de nouveau fait 1ère avec un départ du feu de dieu sous la canicule, à 44 degrés ! J’ai distancé mes concurrentes. Là aussi, j’ai fini 1ère de la course. Et surtout, 1ère au classement général !
Je ne réalisais pas : j’étais Championne de France 600cc ! C’est à ce moment que je me suis dit que la moto coulait dans mes veines !
C’est pourquoi on te surnomme « l’extraterrestre » ?
Je suis partie de rien. J’ai tout appris par moi-même sans avoir suivi de cours ni de stage de pilotage. Au début du championnat personne ne misait sur moi, j’étais une des seules à n’avoir jamais fait de course. J’avais zéro bagage.
On me disait même que c’était dangereux de commencer la compétition comme ça, on m’a un peu critiqué. Donc c’est une belle victoire puisque personne ne croyait en moi !
Tu sembles en continuelle compétition avec toi-même…
En entraînement, j’essaie de faire à peu près ce que je maîtrise et mes chronos sont assez bons. Mais en course, s’il y a quelqu’un devant moi, je ne veux qu’une chose : doubler. C’est ça que j’aime, toujours essayer d’aller au-delà de ce que je sais faire.
Je n’aurais jamais eu le niveau que j’ai actuellement si je n’avais pas participé au championnat de France l’année dernière. Les courses m’ont permis de progresser.
Tu roules de plus en plus vite, tu as une stratégie ?
Je n’ai aucune limite, je les repousse toujours ! L’objectif est d’ouvrir les gaz toujours plus tôt et de freiner toujours plus tard.
C’est le chrono, le chrono et encore le chrono ! C’est comme ça qu’on gagne des dixièmes. Il faut aussi écouter sa moto. Si la moto ne passe pas les virages, tu ne les passeras pas non plus. C’est beaucoup de travail pour ressentir tout ça.
Justement, qu’est-ce que tu ressens lors de ces pointes de vitesse ?
Il n’y a pas du tout de sentiment de peur, mais de liberté. En fait, il n’y a que sur la piste que je me sens libre, que je me sens vivre ! C’est ma moto et moi.
Tu portes le numéro 255, il a une signification ?
Ce numéro me tient à cœur. Ça correspond à la date de naissance de ma filleule, le 25 mai. Et le 55, c’est le numéro de mon département, la Meuse. Les deux, ça donne 255.
Après avoir goûté à la piste, tu as laissé de côté la route …
C’est vrai, depuis que j’ai commencé à faire de la compétition en piste, j’ai arrêté la route. En fait, je n’ai jamais réussi à retrouver du plaisir sur route.
Premièrement, rouler à 90km/h, c’est impossible et deuxièmement, les arbres, les glissières, les automobilistes, c’est beaucoup trop dangereux. Si on chute sur la piste, on attend que ça se passe et on atterrit dans le bac à graviers. Alors que sur la route, les dangers sont multiples. Je n’y reviendrai pas pour le moment.
Battre les hommes, c’est un moyen de t’affirmer en tant que femme dans cette discipline ?
Homme ou femme, l’important c’est de se dépasser. Mais dépasser les hommes est aussi une forme de petite revanche ! Dans le milieu de la moto, certains hommes peuvent être mauvais. Pas tous, attention ! Il y a beaucoup d’hommes qui trouvent ça génial que les femmes roulent. Ils demandent même des conseils !
Mais un jour, on m’a dit qu’étant une femme, je n’avais rien à faire sur la piste. Aujourd’hui, je prends plaisir à dépasser un homme ! Pour l’anecdote, je n’aime pas le rose, mais mon équipement et ma moto sont roses. C’est le moyen que j’ai trouvé pour signifier aux hommes, quand je les double, que je suis une femme !
Les hommes, tu vas les retrouver prochainement en championnat, un nouveau défi ?
En fait, il n’y a qu’un seul championnat féminin et selon le règlement je ne peux pas le refaire car je l’ai gagné.
Si je veux continuer la compétition, je dois passer chez les hommes. Je participe donc en fin d’année au championnat de vitesse du WERC (Week-End Racing Club).
La confrontation avec les hommes est assez différente, ça va jouer du guidon et ça va pousser du coude ! J’aime beaucoup !
Que dirais-tu à une femme qui veut se mettre au pilotage ?
Fonce ! On n’est pas moins bonnes que les hommes. Il n’y a pas de raison qu’on le soit. Il faut justement le prouver ! Ce n’est pas parce qu’on est un petit bout de femme qu’on ne peut pas piloter une moto de course. Il faut aller au-delà des préjugés. Une fois qu’on met le casque et qu’on tourne la poignée, on est tous les mêmes !
Il ne faut pas avoir peur et se lancer. Aujourd’hui, tout est mis en place pour qu’on se sente de mieux en mieux, pour que ça évolue dans le bon sens. Il y a beaucoup d’aides, de stages de pilotage, de coaching. L’important c’est de se faire plaisir !
Quelle est la suite de l’aventure pour toi ?
En fin d’année j’ai le championnat de vitesse du WERC. Dans un futur un peu plus lointain, mon objectif serait de faire des grandes courses endurances, comme les 24h du Mans, le Bol d’Or, les 24h de Barcelone…
Je ne suis pas prête de quitter la piste !
- Ouverture : ©Frédéric Mercenier
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