Tu as débuté le tir lorsque tu avais 10 ans. Comment as-tu découvert cette discipline ?
J’ai même débuté le tir un peu plus tôt que ça. Tout a commencé parce que mon père s’y est essayé avec notre voisin qui lui, était président du stand de tir de Sedan, notre ville. Quand il m’a annoncé qu’il tirait avec des armes, j’ai eu envie de venir avec lui pour découvrir à mon tour.
Ce sont les armes qui t’ont donné envie de le suivre ?
Non, mais j’ai néanmoins trouvé ça stylé. Ce qui m’a donné envie de tenter ma chance, c’est que c’était une discipline que je ne connaissais pas du tout. Je suis quelqu’un qui a toujours fait beaucoup de sport – j’ai fait du tennis, j’ai fait du foot… – et qui aime découvrir de nouvelles choses. C’est ce qui s’est passé pour le tir, j’ai eu envie de découvrir cette discipline qui m’était inconnue.
Qu’est-ce qui a fait la différence avec les sports que tu avais pu pratiquer jusqu’alors ?
Je pense que c’est avant tout une histoire de compétition : au tir, je me suis très vite très bien débrouillée et j’ai rapidement commencé à en faire. Ça, c’est quelque chose qui n’existait pas au tennis par exemple où on disputait des tournois une fois par an seulement. Au tir, deux mois après avoir commencé, je disputais ma première compétition et c’est ça qui m’a donné envie de continuer : je performais, je voyais que mon niveau évoluait et que j’avais mes chances.
Il y avait beaucoup de petites filles qui pratiquaient avec toi à tes débuts ou tu étais principalement entourée de garçons ?
Il est vrai que j’étais très seule à mes débuts, il n’y avait pas beaucoup de filles et, généralement, pas beaucoup d’enfants pour pratiquer, je crois même me souvenir que j’étais la seule lorsque j’ai commencé. Malgré tout, et même si dans les clubs on trouve beaucoup de garçons, le tir est une discipline dans laquelle la répartition des sexes est assez équilibrée, il y a beaucoup de pratiquantes filles, du moins en ce qui concerne le haut niveau.
Lorsque l’on est enfant, le sport c’est aussi une histoire de copains-copines que l’on retrouve. Le fait de ne pas en avoir à tes côtés ne t’a jamais rebuté ?
Si, c’était dur parce que, quand on est enfant, on aime beaucoup jouer avec les autres, s’amuser, se challenger les uns et les autres. Le fait d’être seule n’est pas toujours très motivant quand il faut aller à l’entrainement, mais j’aimais tirer et puis, quand j’ai commencé à progresser, c’est mon père qui m’a poussée pour aller m’entrainer lorsque je n’en avais pas envie afin que je puisse continuer à m’améliorer. C’est ça qui m’a aidée à performer parce que, si je m’étais écoutée, parfois, je n’y serais pas allée ou bien j’aurais arrêté, non pas que je n’aimais pas ce que je faisais mais je n’avais pas ces motivations extérieures pour me pousser.
©Instagram Manon Herbulot
Quel regard tes amis portaient-ils sur toi à l’école lorsque tu leur racontais ce que tu faisais ?
Ils étaient assez curieux parce que, tout comme moi, ils ne connaissaient pas ce sport. Je tentais de leur expliquer tant bien que mal en quoi ça consistait, mais il est difficile de s’en rendre réellement compte tant qu’on ne l’a pas vu de ses propres yeux. Malgré tout, d’une manière générale, les gens trouvaient que c’était stylé, atypique et que ça avait l’air sympa, quelques-uns sont d’ailleurs venus soit pour me voir, soit pour essayer sans pour autant accrocher.
Tu vas te retrouver très vite à pratiquer à haute dose, quatre à cinq fois par semaine. Comment est-ce que tu as basculé du tir loisir au tir intensif, prélude à une pratique de haut niveau ?
Ma première compétition est arrivée deux mois seulement après avoir commencé le tir. C’était les Championnats départementaux et, au cours d’une année, je me suis également qualifiée pour les Championnats régionaux et les France lors desquels j’ai fait un podium. Tout cela m’a motivée à essayer d’aller encore plus loin pour les échéances à venir. L’autre facteur qui a joué, c’est la distance : lorsque je quittais le collège, le stand de tir était juste à côté, je n’avais pas énormément de route à faire pour aller m’entrainer.
Quel impact cette pratique très régulière a eu dans ta vie de jeune fille ? Sur l’école ? Sur tes loisirs ?
Quand je suis entrée chez les minimes, ça a commencé à devenir compliquer de gérer école et sport parce que j’étais sélectionnée pour des stages régionaux durant lesquels il y avait des détections. Il m’est arrivé de louper quelques cours, mais c’est surtout lorsque je suis entrée au CREPS que ça m’a pesé. Pour ce qui est de ma vie d’enfant, il est vrai que les entraînements prenaient énormément de place ce qui fait que, lorsque mes copains allaient s’amuser, participaient à des anniversaires… moi, il fallait que j’aille m’entrainer.
J’ai loupé énormément de ces moments sympas que l’on peut vivre enfant et, au départ, ça me pesait beaucoup, tant et si bien que je n’étais plus trop motivée. Heureusement que mon père était derrière moi. C’est lui qui me poussait un peu sauf quand il sentait que je n’avais absolument pas envie. Dans ces cas-là, on faisait une pause, une semaine sans tir, et je pouvais profiter de la vie, penser à autre chose et cette pause m’aidait à faire la part des choses.
Tu comprenais, alors que tu n’étais encore qu’une enfant, que ces sacrifices étaient nécessaires pour te permettre d’aller loin ?
Oui, j’étais consciente que les résultats n’arrivent pas sans qu’il y ait du travail, c’est comme ça que j’ai été élevée, en gardant en tête que l’on n’a rien sans rien. Quand je travaillais bien à l’école, j’étais récompensée par de bonnes notes et j’avais intégré qu’il était logique que ce soit la même chose pour le sport. J’étais motivée pour m’entrainer parce que je savais que ça allait donner des résultats, du moins je faisais tout pour ça.
Le tir va assez vite guider tes choix et notamment scolaires. En septembre 2021, tu intègres une section sport-études au pôle France de tir du CREPS de Wattignies. Ça a changé quoi pour toi ?
Ça a changé toute ma vie. Quand j’ai intégré le sport-études, j’ai quitté ma famille, mes copains pour recommencer à zéro ailleurs, à 14 ans. C’était un chamboulement, mais je l’ai très bien vécu parce que je pense que j’en avais besoin : je suis l’aînée et mes parents m’ont toujours surprotégée alors que, moi, j’ai toujours eu besoin d’indépendance, j’ai toujours eu besoin de faire les choses par moi-même. En partant, je me suis confrontée à moi, j’ai dû apprendre à vivre seule, sans l’aide de mes parents et, même si eux ont eu un peu de mal, pour moi, ça s’est plutôt bien passé.
Est-ce que tu nourrissais des ambitions sportives en entrant au CREPS ?
Lorsque je suis arrivée au CREPS, j’étais la plus jeune : j’avais 14 ans et la deuxième plus jeune en avait 17. J’ai appris à me débrouiller toute seule, comme une adulte, alors que j’étais encore très jeune. En ce qui concerne mes ambitions sportives, c’est venu au fur-et-à-mesure. Ma première compétition est arrivée d’ailleurs un peu par hasard, je ne m’y attendais pas du tout parce que je n’avais pas du tout le niveau, mais j’ai réussi malgré tout à me qualifier pour une Coupe du monde. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à avoir de vraies ambitions.
Tu vas enchaîner les compétitions et les beaux résultats. Ton premier gros titre, c’est celui de championne de France 25/50m cadette à Volmerange lors de la saison 2021-22. Tu t’imposes en Carabine 60 balles couché, 50 m. Qu’est-ce qu’il représente ce titre pour toi ?
J’étais au CREPS, c’était ma première année, et c’est un titre très très important parce que c’est la première fois que je devenais championne de France or, avec la Covid, j’avais loupé deux ans de France, annulés en raison de la pandémie. C’est ma première vraie médaille importante.
Est-ce que tu as senti, à la suite de ce premier titre, davantage d’attentes de la part de l’encadrement ?
Non, je ne l’ai pas trop senti parce que, comme j’étais très jeune, je ne m’en rendais pas compte. J’étais contente de faire ces résultats-là et je profitais simplement de ces moments en continuant à me la donner à l’entraînement. Je ne pensais pas encore au fait que des gens comptaient sur moi, je l’ai réalisé en grandissant.
Début 2024, tu franchis un nouveau cap avec une première participation en Coupe du monde seniors au Caire à l’issue de laquelle tu vas te classer 77e. Comment as-tu appris cette qualification ? C’était une surprise pour toi ou c’était dans les tuyaux ?
C’était un peu une surprise parce que, l’année qui a suivi mon titre aux France, je n’avais fait aucun quota me permettant de partir en compétition. Malgré tout, j’avais quand même un bon niveau pour que l’on m’envoie sur des compétitions internationales, mais moins importantes. En 2023-2024, je suis passée du statut de « petite junior » qui fait des bons points mais sans plus au statut de « je suis une des meilleures de France » et je pars en compétition dames.
Au Caire, cette première Coupe du monde, je l’ai abordée comme j’avais l’habitude d’aborder toutes mes compétitions. Le résultat n’était pas forcément très bon mais c’était ma première en dames et, dans ma tête, ce que je voulais, c’était avant tout prendre de l’expérience.
©Instagram Manon Herbulot
Après ça, tout s’enchaîne. Tu décroches une 5e place en équipe mixte aux Championnats d’Europe de Gyor, en Hongrie et puis il y a le TQO, Tournoi de qualification olympique, à Rio, TQO qui fait également office de Coupe du monde et qui va t’ouvrir les portes des Jeux Olympiques. Tu en attendais quoi de cette virée brésilienne ?
À partir du moment où j’ai commencé à disputer des Coupes du monde dames, à chaque compétition j’apprenais énormément sur moi-même, ce qui m’a permis de me découvrir et de mieux aborder ce type échéances. Ce TQO, je ne l’ai donc pas abordé de manière totalement différente de la Coupe du monde au Caire, d’autant plus d’ailleurs que, pour y participer, j’avais battu mon record et de beaucoup. Avec mon coach, on s’était fixé un objectif simple : reproduire ce que je faisais à l’entraînement, ce que j’ai réussi à faire. Ceci étant, je ne m’attendais pas à aller en finale !
Tu vas terminer deuxième et décrocher un quota. Pour autant, lorsqu’on écoute tes réactions, on a la sensation d’un état de sidération et non de joie…
Oui, cette finale et ce quota me sont littéralement tombés dessus ! J’étais contente d’avoir réussi à tirer un bon match mais je ne pensais pas aller en finale. Quand j’ai su que j’étais qualifiée, je me suis concentrée pour refaire ce que je venais de faire, d’autant que les finales, généralement, c’est mon fort. D’ordinaire, le plus dur pour moi est de me qualifier mais, une fois que c’est bon, je reviens généralement avec une médaille – je crois qu’au cours de ma carrière, il n’y a d’ailleurs que deux finales durant laquelle les choses se sont mal passées -.
Ceci étant, pour en revenir à Rio, je n’avais pas pensé un seul instant au quota olympique, j’étais tellement loin de pouvoir y prétendre, je ne connaissais même pas les critères qui permettaient de le décrocher. Moi, ma seule ambition, c’était de repartir avec une médaille, c’est tout.
À t’écouter, on se dit que lorsque l’on est athlète de haut niveau, on apprend à gérer les défaites mais pas les victoires…
Oui, ce quota ça a été terrible pour moi, terriblement génial. J’ai été extrêmement surprise et ça a eu des répercussions que je n’aurais jamais imaginées ! Moi, je pensais éventuellement aux Jeux de Los Angeles et encore, les Jeux ça restait surtout un rêve plus qu’un objectif à ce moment-là. Jamais je n’aurais pu imaginer prendre part aux Jeux de Paris. Quand, la finale terminée, j’apprends que j’ai gagné la médaille d’argent et qu’en plus, il y a ce fameux quota, je lâche toutes les émotions que j’ai retenues durant le match.
Tu évoques des répercussions, lesquelles ?
Ça m’a apporté énormément de visibilité, énormément de sollicitations. Sur les réseaux sociaux, j’ai gagné en nombre d’abonnés avec des gens qui me proposaient des collaborations. Avant, j’étais une tireuse française mais avec ce quota obtenu à 17 ans, le regard sur moi a changé. Tout cela est arrivé très vite et j’ai essayé de gérer comme je le pouvais.
Il va te falloir néanmoins attendre le mois de juin pour que ta qualification aux Jeux de Paris soit officielle. Comment est-ce que tu as géré cette attente interminable ?
C’est vrai que c’était très dur d’attendre d’autant que, en plus des Jeux, j’avais le bac français à passer. Or, pendant que j’étais en Coupe du monde ou à Rio, je n’étais pas en cours. En tout et pour tout, cette année-là, j’ai assisté à l’équivalent d’un trimestre de cours sur les trois que compte une année scolaire. J’ai longuement discuté de ma situation avec mes parents et mes coachs et il a été décidé qu’il fallait que je me prépare à l’entraînement comme si j’allais aux Jeux tout en gardant en tête l’idée que je n’irais pas si ça ne tournait pas à mon avantage afin de ne pas être déçue. Je ne sais pas comment j’ai fait mais j’ai réussi à faire la part des choses, les cours d’ailleurs m’ont aidée à ne pas me poser trop de questions.
Quand tu as su que c’était bon, comment as-tu réagi ?
J’ai révisé mon bac durant les trois semaines qui ont précédé les épreuves et j’ai appris que j’étais retenue pour les Jeux le week-end avant de le passer, le jour de la Fête de la musique qui plus est ! Je suis sortie avec mes copines pour décompresser un peu de ces trois semaines intenses de révisions et c’est sur le trajet pour aller les rejoindre à Lille que j’ai reçu la notification de ma participation ! Pour ce qui est du reste, je dirais seulement que le soir, on a bien fêté cette bonne nouvelle.
L’échéance olympique va, ensuite, arriver très vite. Tu débutes le lendemain de la cérémonie d’ouverture avec les épreuves mixtes. En quoi cette expérience a été différente de ce que tu avais pu connaître jusqu’alors ?
Quand j’ai appris ma sélection, je me suis préparée à vivre quelque chose de grandiose, j’ai préparé mon esprit en me répétant que ça allait être impressionnant, que ce soit le tir, les infrastructures, l’ambiance… Il faut savoir également qu’un mois avant les Jeux, nous sommes allés à Châteauroux, sur le site de la compétition, pour nous entraîner, nous préparer. Il n’y avait pas de public, mais ça nous a permis de découvrir les infrastructures avant les Jeux. Nous n’avons pas participé à la cérémonie d’ouverture parce qu’on n’était loin et qu’on participait, le lendemain, à 9h00, à la première épreuve des Jeux et moi, j’étais prête.
Cette première épreuve s’arrête en qualifications pour toi et ton partenaire Romain Aufrère. Le lendemain, ce sont les épreuves individuelles et tu vas terminer 33e ce qui signifie, là aussi, pas de finale. À l’issue de ces deux jours, tu expliquais que le sentiment qui prédominait, c’était surtout la déception. Quelques mois plus tôt, Paris ne faisait pas partie de tes plans, qu’est-ce qui fait que tu as eu du mal à te remettre de ce parcours olympique ?
Autant j’ai bien tiré en mixte, autant ça n’a pas été le cas en individuel. J’ai vécu ce qui m’arrive durant les Coupes du monde quand je fais un match mixte avant l’individuel, je me suis plantée. C’est quelque chose que l’on a remarqué avec mon coach, comme si, après l’épreuve mixte, je me relâchais au moment de disputer l’épreuve en solo, ce qui pourtant n’est pas le cas ou du moins, c’est tellement inconscient que je ne m’en rends pas compte. Et c’est ce qui m’est arrivé à Paris.
J’étais très déçue parce que, même si je n’étais pas prévue pour Paris, une fois qualifiée aux Jeux, l’idée n’était pas d’y aller pour rien mais de gagner une médaille. Après les épreuves, j’ai eu du mal à prendre du recul et à faire la part des choses parce que, perdre une compétition aussi importante que les Jeux Olympiques est très difficile à digérer.
Ta force de caractère va néanmoins te permettre de rebondir et tes résultats vont s’en ressentir. En septembre, tu décroches une 6e place aux Monde. Et puis, en 2025, tu continues sur ta lancée avec un titre de championne de France juniors de carabine à 10 mètres en février et un titre européen en équipe mixte, le mois suivant aux Europe d’Osijek que tu boucles à la 6e place en individuel. On a la sensation que les JO ont été un accélérateur de résultats.
Oui, je me suis dit que je n’avais pas bien tiré aux Jeux mais que, quoi qu’il en soit, j’avais engrangé beaucoup d’expérience et je m’en suis servi pour les compétitions qui sont venues après. J’ai eu du mal à accepter la défaite à Paris mais ça m’a permis, par la suite, de rebondir avec une force et une rage de gagner que je n’ai jamais eues. Depuis, je ne me trompe plus en match comme ce qui m’arrivait avant en Coupe du monde. Désormais, je suis dans une optique de gagne et non plus de subir.
Manon Herbulot et Romain Aufrère ont décroché le titre européen 2025 en équipe mixte…©FFTir
Tu es désormais à l’INSEP et tu débutes une nouvelle olympiade. Comment appréhendes-tu ces quatre années qui te séparent de Los Angeles ?
Cette année, je me concentre davantage sur mon bac que je dois terminer. Comme c’est l’année d’après-Jeux, il n’y a pas beaucoup de compétitions. Après, il me restera trois ans pour aller chercher un quota…
©Facebook Manon Herbulot